Prophétie
Yuzo était plongé dans les ouvrages qu'il gardait scellés dans sa chambre. Les talismans de son coffre permettaient à les dissimuler. L'épais livre qu'il tenait entre ses mains montrait des pages jaunies par le temps. Le maître les tourna avec précaution, car le moindre geste brusque pouvait les émietter. Assis en tailleur sur son tapis, ses yeux lisaient rapidement chaque ligne de son passé pour trouver l'information qu'il désirait, suite à l'entraînement chaotique de sa disciple contre le sage de métal.
Il tourna une nouvelle page, penchant sa tête sur les dessins représentant son frère disparu. De son doigt ridé, il traça le contour du dragon, fils du ciel. La nostalgie d'une époque révolue l'étreignit. Yuzo soupira, puis leva la tête, sentant ses vieux os craquer quand il entendit le gloussement de Naru et Akira dans le couloir. Il sourit machinalement à ce son, heureux que la jeune femme ait enfin pu tourner sa propre page.
Le maître tourna son regard vers l'extérieur, remarquant la couverture de la nuit s'étendre dans le ciel. Une nouvelle journée s'achevait, où depuis l'entraînement, il restait enfermé ici, jeûnant, dormant peu, le nez plongé dans les ouvrages. Il serait temps pour lui de sortir d'ici et de prendre l'air.
S'emmitouflant dans son manteau, il glissa le shoji, puis mit ses chaussures, grelotta sous le froid mordant. Le livre sous le bras, il se dirigea dans la forêt, et se laissa guider par les murmures des esprits hantant les lieux. Le maître observait les créatures nocturnes se déplacer dans les arbres, les fougères, laissant leurs empreintes dans la neige.
Il grimpa le flanc de la montagne, s'aidant d'un morceau de bois humide qui le soutenait le long de son périple qu'il avait décidé d'acheminer, seul, perdu dans ses pensées. Des heures défilèrent sans qu'il s'épuisa, grimpant plus haut encore où l'oxygène manquait. Yuzo trouva un coin qui offrait une magnifique vue sur son territoire, il apercevait au loin la forêt s'étendre sur des kilomètres et les lueurs de son temple au pied de la montagne. Le vieillard leva la tête, puis contempla la blancheur glacée des lacs jumeaux, tenant l'ouvrage contre sa poitrine.
— As-tu trouvé la réponse à tes doutes ?
Yuzo se tourna brusquement, grimaçant contre la douleur de son corps, puis écarquilla les yeux quand il découvrit que Mohiro s'avançait vers lui, posant son bâton sculpté avant chacun de ses pas. Le sage des cieux fit apparaître dans sa main libre une boite contenant la pipe, le tabac et les allumettes du maître. Il la déposa à côté de Yuzo, puis s'installa sur ses genoux.
— Il y a longtemps que tu n'étais pas venu à cet endroit.
Le sage tourna sa tête au moment où il prononça ses mots. Yuzo attrapa la boite, puis tassa le tabac dans sa pipe. Il l'alluma, pompa plusieurs fois avant de souffler la fumée qui s'envola dans les airs.
— Un besoin de revenir aux sources mon seigneur.
Son regard se porta sur son ouvrage posé sur ses cuisses. D'un geste ample, Mohiro fit apparaître une étoile devant eux, éclairant les deux hommes dépassés par le temps. Il invita le maître à poursuivre ses recherches, restant à ses côtés, puis observa de son regard voilé les vestiges de ce monde qu'il ne pouvait savourer.
Un silence s'étendit entre eux. L'un restant statique, l'autre tournant les pages vieillit. Un instant, bref, où ils se remémorèrent des souvenirs perdus. Or, Yuzo se figea sur sa lecture, trouvant enfin la réponse à ses questions. Le doute l'avait accaparé, mais le récit d'une légende enfoui se révéla à lui telle une évidence.
— Cela ne se peut... souffla-t-il le cœur battant.
Mohiro posa sa main sur l'épaule du vieillard, confirmant sa réflexion. Le maître se tourna vers lui, puis porta de nouveau son regard vers les lacs. Le sage, silencieux jusqu'à présent, récita mot pour mot les lignes du livre.
— Né d'une guerre entre frères, le mal s'étendra à la recherche de leurs cœurs. D'un blanc pur céleste, la pierre de vie basculera dans les ténèbres. Noir d'une obscurité sans failles, la pierre de la mort s'élèvera à la lumière. Les cristaux réunis conféreront l'accès au plein pouvoir.
— Malédiction !
Mohiro baissa la tête, appuyant la tragédie dont cette prophétie perdue révéla. Il se leva, puis joignit ses mains sur son bâton.
— Habité de l'esprit de l'homme décochant la flèche, Hauwk cherchait sûrement à s'emparer du pouvoir des héros que tu as entraîné.
Le sage soupira face à cet état de fait.
— Il ne s'attendait pas que leurs cœurs se soient transmis aussi visiblement au sein de ces jeunes personnes.
— Mais... Ganossa doit connaître également cette prophétie si Hauwk...
Yuzo peinait à rassembler toutes les informations qui se bousculaient dans son esprit.
— Certes, mais il a récupéré le pouvoir de Hauwk, expliqua Mohiro. Tous les sacrifices dans les sanctuaires sont faits pour qu'il puisse débloquer son pouvoir ultime, tandis que...
— Tandis que pour Naru il s'est révélé lors de son combat contre Yahiro, acheva Yuzo.
Mohiro hocha la tête.
— Toi, fils du dragon de la terre, tu as élevé les descendants directs de leurs lignées. Prévient ta fille, les combats à venir vont s'intensifier.
Le sage s'enveloppa dans une brume dorée, disparaissant aux premières lueurs du soleil levant. Yuzo s'inclina, le cœur lourd par cette découverte. Il va devoir s'entretenir avec sa disciple, sans qu'elle soit constamment collée avec l'antiquaire. Une tâche bien difficile à venir.
Il rangea sa pipe en effleurant la gravure dorée du dragon, puis ramassa sa boite et son livre. Il redescendit la montagne sous le regard d'une ombre oscillant parmi les arbres. Elle glissa sur le sol à l'instar de Yuzo, puis entreprit sa traversée jusqu'au repère de son maître.
Ganossa était allongé sur son lit, les bras calés derrière sa tête. Il contemplait le ciel ondulant au-dessus d'une illusion le reflétant. Ses nuits fades creusaient des cernes sous ses yeux, accentuant la blancheur de sa peau. Il n'arrivait pas à retirer de sa mémoire, le sourire de l'homme jouant avec Naru, ce qui lui fit serrer le poing.
Le matelas s'affaissa quand Nakthye grimpa pour le rejoindre. De sa forme animale, elle posa délicatement ses coussinets sur les draps de soie noire, s'approchant de son maître. Elle avait senti son désarroi depuis son retour, mais depuis leurs altercations dans l'antre de l'ombre, elle avait revêtu son pelage.
— Pas maintenant Nakthye, souffla Ganossa en fermant les yeux.
La panthère s'assit, plissa son regard de jade de mécontentement, et balança sa queue rageusement.
Quand vas-tu arrêter de te comporter comme un enfant ? tonna-t-elle par télépathie.
Ganossa ouvrit un œil et le glissa sur le félin. Ses muscles se contractèrent face à la remarque acerbe de Nakthye.
— Je ne te permets pas... commença-t-il la mâchoire crispée.
Quoi donc ? De pointer le fait qu'à chaque fois que tu te rends là où tu as tué Hauwk et perdu tout ce que tu chérissais, tu reviens toujours abattu ?
— Nakthye, préviens son maître dans une menace non dissimulée.
Or, la panthère n'avait pas fini ses attaques sarcastiques.
Hauwk devait sûrement entretenir une relation de confiance avec son esprit, tandis que toi tu te laisses submerger...
Ganossa se redressa d'un coup, puis attrapa la bête par la peau du cou, la forçant à la coucher sur le lit. Nakthye prit sa forme humaine, haletant sous la poigne de son maître. Son corps nu dessina ses courbes, alors qu'il se pencha vers son visage. Elle glissa ses doigts dans les cheveux de Ganossa et lui souffla :
— Ne regarde que moi.
— Toujours, ma beauté.
Nakthye plissa des yeux, doutant des paroles de son maître, mais il balaya ses craintes en écrasant sa bouche contre la sienne. La confiance perdue en cet homme s'anima de nouveau quand il la caressa, palpant sa poitrine. Il descendit sa main le long de son ventre, jusqu'à atteindre sa zone velue. Elle se cambra sous son touché, accueillant les sensations que son maître lui procurait.
Ganossa interrompit son baiser, et glissa ses lèvres sur l'arête de la mâchoire de la femme jusqu'à atteindre son oreille. Il entreprit de faire tourner son pouce sur son clitoris, stimulant le désir de sa compagne.
— Je vais avoir une mission sur mesure pour toi, ma belle.
La gorge asséchée, Nakthye déglutit difficilement sous les paroles profondes de Ganossa. Il attrapa les mains de la femme, puis les bloqua au-dessus de sa tête, accélérant le mouvement de son pouce. Elle attendit la suite de son ordre, mais se perdit vite sous les assauts de son maître, surtout quand celui-ci la pénétra sans qu'elle s'y attende. Il fit des mouvements puissants du bassin, arrachant des cris à Nakthye qui ne pouvait plus se retenir.
— Na... grogna-t-il contre le cou de la femme.
Il serra de plus en plus sa poigne autour des poignets de sa compagne, se retenant de dire le prénom qui aurait pu faire surgir la bête. Un son rauque franchit ses lèvres, en même temps du hurlement de jouissance de Nakthye. Ganossa se laissa tomber sur le côté, reprenant difficilement sa respiration.
— Il te faut une preuve de plus ? haleta-t-il en fixant son amie.
Aux anges, la femme sourit, puis secoua la tête pour répondre par la négation. Il voulut lui révéler les tenants et aboutissants de sa mission, mais les flammes des bougeoirs s'éteignirent brusquement dans le souffle de la présence de l'ombre. Ganossa fronça les sourcils, n'acceptant pas d'être interrompu dans ses appartements, mais reconnaissant la créature qu'il avait laissée en espion au sanctuaire, il se leva en rattachant son pantalon, puis chassa Nakthye de son lit.
— Prépare la nouvelle horde, je te rejoins après.
Elle glissa son corps sur le drap, puis adopta sa forme féline, quittant les lieux sans protestation. Ganossa se tourna vers l'ombre, les bras croisés sur son torse, le regard sérieux.
— Je t'écoute.
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