Naru était pétrifiée face à la chute de la panthère. Elle regarda son corps de femme nue se volatiliser en fines particules scintillantes, s'élevant lentement vers le ciel pour rejoindre les astres. La scène semblait irréelle, presque poétique, mais Naru ne pouvait détourner ses pensées de l'horreur qu'elle venait de vivre. Lentement, elle tourna la tête vers Ganossa, toujours figé dans sa posture. Ses traits, rigides et froids, ne trahissaient ni douleur ni tristesse. Il était de marbre, un contraste cruel avec l'agonie qu'il avait infligée.

Kido, quant à lui, ressentit un pincement au cœur. Bien qu'il n'ait jamais partagé un lien profond avec Nakthye, elle était un esprit puissant et respecté. La voir disparaître ainsi, sacrifiée par la main même de son maître, éveilla en lui une haine viscérale envers Ganossa. Ses yeux flamboyants fixaient son ennemi, et dans un élan de rage, il se transforma en renard géant. Ses queues battirent avec frénésie, ses griffes s'enfoncèrent dans le sol, et un grondement sourd s'échappa de sa gorge.

Honte à toi, Ganossa, ragea-t-il, ses babines retroussées laissant couler un filet de bave. Tourner le dos à ton propre familier... tu es pire que ce que j'imaginais.

Ganossa tourna la tête vers le Kitsune, un rictus glacé étirant lentement ses lèvres.

— C'était nécessaire, répondit-il avec un calme glaçant.

Kido vit rouge. Trahir un familier était l'un des actes les plus impardonnables pour un maître. Malgré les tensions avec les sages, un tel acte dépassait toutes les limites.

Hauwk respectait son compagnon, même dans la disgrâce, grogna Kido, son ton empli de reproches.

Ganossa plissa les paupières, visiblement irrité par cette remarque.

— Et c'est pour cela qu'il a échoué. Tuer des enfants par vengeance pour sa famille déchue... quelle motivation grotesque ! ricana-t-il. Il était faible, tout comme toi.

Ces mots frappèrent Kido comme une décharge. Son grondement redoubla d'intensité, et sans réfléchir, il se jeta sur Ganossa. Naru, qui avait tenté de se relever malgré la douleur fulgurante dans ses membres, vit son ami s'élancer dans une charge furieuse.

Ganossa, toujours impassible, esquiva la première attaque avec une aisance presque dédaigneuse. Le cœur de Nakthye, qu'il tenait dans sa main, pulsait faiblement, émettant une lumière vacillante. Chaque coup porté par Kido rencontrait une parade précise, tandis que Ganossa continuait de savourer sa supériorité. Il ne perdait pas de vue son autre ennemi qui tentait de se relever pour venir en aide à son ami, mais il se satisfaisait de la mauvaise posture dans laquelle Naru se trouvait.

Naru, voyant son ami en difficulté, ramassa son courage. Elle tenta de ramper, ses bras tremblant sous l'effort, mais chaque mouvement électrisait ses nerfs. La douleur était insoutenable, mais elle ne pouvait abandonner Kido.

— Arrête... Ganossa... laisse-le ! gémit-elle, la voix brisée par les sanglots.

Une autre parade face à Kido. Bien qu'il s'en amusait, le temps lui était compté. Cette nuit, il devait impérativement agir. Ses avant-bras se couvrit de flamme bleu-mauve,une énergie funeste qu'il n'avait que rarement utilisée auparavant. Avec un geste vif, il frappa Kido de sa paume flamboyante.

Le cri du renard déchira l'air. Il se figea sur place, le dos courbé, le poil hérissé. Les flammes s'enroulèrent autour de lui, lacérant sa fourrure et sa chair. Son cri de douleur se répercuta dans la forêt. Se propagèrent dans les âmes des esprits. Alertèrent les sages restés en retrait jusqu'à présent. Une souffrance que ceux-ci ne pouvaient ignorer.

Naru assista, impuissante, à la souffrance de son compagnon. Chaque gémissement de Kido était une lame qui s'enfonçait dans son cœur. La douleur, à la fois physique et émotionnelle, brouillait sa vision.

Le renard courba l'échine, ne résistant plus. Sa peau se lacérait, son pelage blanc se teintait de sang.

— Le dernier élément a porté de main, remarqua Ganossa en s'approchant du Kitsune.

Le corps du renard trembla. Il regarda avec haine l'homme que son amie avait jadis porté en estime.

Ganossa avança d'un pas supplémentaire. Alléché par sa nouvelle victoire. Par sa dominance de pouvoir.

— Kido !

Naru effleura son diamant, mais rien ne se passa. Le renard était prisonnier des flammes. Se mourant lentement, déchirant le cœur de sa coéquipière. Rampant sur le sol, elle tendit la main vers lui, la mâchoire serrée, ses larmes se mêlant à la poussière. Elle ne pouvait le laisser ainsi. Sa voix, presque inaudible, murmurait son nom comme une prière désespérée.

— Kido... ne me laisse pas, sanglota-t-elle, son diamant brillant faiblement sur son front.

Ganossa observait la scène, un mélange de satisfaction et d'irritation dans son regard. Elle ne lui prêtait plus attention. À chaque avancée vers le renard, il avança d'un pas. Lentement, tel un jeu déterminant qui des deux arriveraient en premier vers le Kitsune. Lorsqu'il vit Naru presque à portée de Kido, il s'arrêta brusquement, inclinant la tête comme s'il évaluait la situation. Puis, d'un geste vif, il lança une traînée de flammes au sol, séparant Naru de son compagnon.

Naru hurla de douleur, retirant son bras brûlé. Sa peau était marquée de rouge vif, des cloques se formant là où les flammes froides avaient touché. Puis, regarda avec supplice son ami à présent couché. Son cœur meurtri ne pouvait accepter cela arriver. Voir Kido s'éteindre lentement sous ses yeux. Sentir son lien se briser au travers du diamant qui lui chauffa le front à blanc.Malgré la douleur atroce, elle essaya de s'approcher à nouveau, mais son corps ne répondait plus.

— Kido ! geignit-elle en larme.

Ganossa se redressa, ses yeux fixant Kido qui rendait son dernier souffle. Le renard, étendu sur le sol, leva faiblement la tête, ses yeux rencontrant une dernière fois ceux de Naru. Sa respiration sifflante lui était pénible, tout comme de devoir abandonner Naru. Lui-même ressentit la souffrance que Nakthye avait subie. Ce lien qui l'unissait à son maître s'effritait également pour lui.

Je serai toujours avec toi... murmura-t-il dans un souffle presque imperceptible.

Naru secoua la tête, refusant d'accepter cette réalité.

— Non ! Kido, reste avec moi ! cria-t-elle.

— Tant d'émotions, se moqua Ganossa qui regarda la scène les bras croisés sur son torse avec indifférence.

Le ventre de Kido se souleva une dernière fois avant de s'abaisser en rendant son souffle. Les flammes disparaissaient, laissant le corps inerte du Kitsune devant Naru. Le lien qui les unissait se brisa brutalement. Le diamant de Naru tomba de son front, froid et inutile, alors qu'une douleur insupportable traversait son cœur. Elle se mit à hurler le cœur déchiré.

Ganossa, indifférent à son désespoir, ramassa le diamant noir avec un sourire satisfait. Deux cœurs d'esprits, deux diamants, la pureté d'un amour brisé. Tous les éléments étaient enfin acquis. Ganossa se mit au centre de la cour, laissant lâchement les corps derrière lui, puis fit élever les éléments vers le ciel. Son sourire se fit sincère, ses yeux pétillaient, sa puissance n'en était que plus grande.

— Tout est en place, déclara-t-il.

Les diamants s'unissaient, s'imprégnant des coeurs célestes avant d'être enveloppés de l'aura de Naru. Une onde de choc balaya tout sur son passage quand les flammes de Ganossa soudèrent ensemble les éléments.

La jeune femme a eu du mal à se maintenir au corps de Kido. Il n'avait pas disparu, restant là sans vie. Elle le serrait dans ses bras, en même temps qu'elle observait Tsukasa fusionner avec les diamants. La peur l'étreignait. La tristesse l'accaparait, mais surtout la vengeance gonflait dans son esprit. Une lueur blanche l'enveloppa. Le grondement sourd de la colère s'intensifia. La terre se mit à trembler. Les nuages s'amoncelaient, la brume se levait. Le vent sifflait. Les éléments se déchaînaient.

C'était la fin du monde auquel les sages avaient tant veillé. Le dernier bourgeon qu'ils avaient couvé était né.