L'antiquaire

 Le lendemain, en fin de matinée, Suzy et Naru se rejoignirent en face de la gare. Bras dessus, bras dessous, les deux amies arpentèrent les rues où les boutiques s'entassaient les unes sur les autres. Elles regardèrent dans les vitrines et s'arrêtèrent dans un petit restaurant de sushi pour le déjeuner.

— Tu ne m'as pas dit comment tu t'es blessé à la main, indiqua Suzy qui lorgna sur le menu.

— Je me suis coupé en me préparant le dîner hier soir, l'entaille n'est pas profonde, je n'ai pas voulu embêter des médecins pour ça, répondit machinalement Naru en portant son regard sur la rue passante.

— Toi et les couteaux, définitivement, n'êtes pas amis, ria son amie.

Connaissant Naru depuis son arrivée, Suzy avait remarqué chez la jeune femme qu'elle se blessait régulièrement. Or, elle était loin de se douter qu'en face d'elle se trouvait l'héroïne qui avait encore été mentionnée dans les informations, suite à la découverte du corps de la veille.

— Au fait, tu as vu les journaux ce matin ? demanda-t-elle en posant le menu.

— Non, je me suis levée en retard pour notre rendez-vous. Je me suis surtout dépêchée de me préparer pour te rejoindre à l'heure, menti, Naru.

— Enari a encore frappé ! s'extasia Suzy. Elle n'a pas pu sauver la pauvre femme, mais de ce qu'il restait de la chose qui était étalée sur le mur de la scène de crime, je peux dire qu'elle lui a fait sa fête. De plus, les enquêteurs ont confirmé ce matin que le lien entre les trois victimes était confirmé, même mode opératoire.

Naru fut soulagée d'apprendre que l'élimination du monstre allait temporairement arrêter les meurtres dits « hors du commun ». Certes, les êtres humains n'étaient pas en reste question imagination pour assouvir leurs plaisirs tordus, mais le domaine de la jeune femme se caractérisait plutôt dans la chasse aux créatures.

Elle écouta Suzy, la tête calée sur sa main, alors que son amie relatait les informations. La jeune femme sourit en pensant qu'à part les grenouilles, Suzy était fan d'enquête criminelle et de paranormal.

— Tu m'écoutes Naru, appela-t-elle en secouant sa main devant son regard.

Naru secoua la tête, riant devant son air, tandis qu'elle s'était perdue dans ses pensées. Elle détourna la conversation pour en savoir plus sur le lieu de leur prochaine destination après le déjeuner.

— De ce que j'en ai entendu, les lycéens sont très friands de cette nouvelle boutique, indiqua Suzy.

— Pourtant, un antiquaire n'est pas forcément un endroit qui attire ce genre de public, fronça Naru des sourcils.

— Certes, mais les jeunes filles sont toutes tombées raides dingues du propriétaire. Apparemment, il a un sourire à tomber par terre, ria Suzy.

— Tu as déjà oublié Oshi, se moqua Naru.

Suzy fit la moue et se mit à rire avec son amie en ajoutant :

— Qui sait, ça se trouve, il te tapera dans l'œil.

Elle sourit devant sa remarque, mais elle accueillit chaleureusement l'arrivée de leurs plats, un soba au yuzu pour la jeune femme et un katsukaré, coupant ainsi la discussion. Elles dégustèrent, respectivement leur bol et leur assiette, réchauffant leurs corps face au froid extérieur.

Naru avait expliqué à Suzy qu'elle avait perdu l'homme qu'elle aimait autrefois, et même si elle lui montrait qu'elle avait tourné la page, l'apparence resta encore bien trompeuse.

Tsukasa lui manquait terriblement. Seule dans ses rêves et ses cauchemars, elle pouvait encore apercevoir son visage, qui au fil du temps devenait de plus en plus flou. La seule photo de lui jeune avec elle caractérisait encore ses traits. Elle se demanda qu'elle genre de héros il aurait pu être s'il n'avait pas été aussi gourmand dans ses épreuves. Un fin sourire apparut sur son visage, se disant qu'il les aurait tous décimés en un claquement de doigts.

Les filles sortirent du restaurant une heure plus tard et se dirigèrent vers la boutique tant convoitée. Elles arrivèrent devant la palissade où une devanture en relief représentant un temple les accueillait. Il y avait des étagères en bois en extérieur et des étalages avec des petites décorations et des perles de bois teintes en plusieurs coloris.

Suzy scrutait déjà les étagères en cherchant minutieusement dessus en essayant de repérer des grenouilles. Naru poussa la porte de la boutique et découvrit après le tintement de la cloche un endroit respirant l'histoire. Plusieurs meubles étaient entassés d'un côté, tandis que divers objets relatant le passé étaient accrochés au mur. D'autres étagères comportaient diverses figurines de toutes tailles et de toutes formes.

Les murs crème faisaient ressortir le bois bruni du sol, tandis qu'un escalier en colimaçon interdit au public s'enfonçait vers l'étage et le sous-sol. Suzy rejoignit son amie à l'intérieur. Le lieu faisant fureur auprès des lycéens à cette heure n'avait presque personne entre ses murs. Un couple de quinquagénaires regardant les vases, un homme aux cheveux grisonnants lisant un ouvrage, puis un autre jeune homme rangeant des articles debout sur un tabouret. Les filles pouvaient profiter de la boutique sans être bousculées par des gamins.

— On va pouvoir prendre notre temps, ça fait du bien de ne pas être envahi de lycéens. On voit que leurs examens approchent, sourit Suzy.

Elle se dirigea directement vers les étagères des figurines et abandonna son amie en contemplant les petites bestioles représentées dessus. Naru sourit tendrement vers la passion de Suzy, puis se dirigea vers la collection de livres anciens. Elle glissa son doigt sur les reliures jusqu'à l'arrêter sur un livre. Il était fin, un peu vieillie, mais Naru reconnut sur la couverture rouge craquelée, le dessin en relief doré.

Elle l'ouvrit et se mit à lire l'histoire relatant la légende des dragons jumeaux. Elle ne s'aperçut point qu'un homme remontant de la cave s'approcha d'elle.

— Une histoire exceptionnelle, dit-il par-dessus son épaule.

Naru sursauta en faisant tomber le livre, puis se retourna vers l'homme qui lui sourit en fermant les yeux.

— Oh, excusez-moi, vous m'avez surprise, souffla-t-elle en se baissant pour ramasser l'ouvrage.

— Ne vous excusez pas, je n'aurais pas dû interrompre votre concentration, indiqua l'homme, mais j'aime observer mes clients plonger dans le passé que leur révèlent les objets de ma boutique.

Naru lui sourit en retour. Elle détailla l'homme étant être le gérant de ce magasin d'antiquités. Les cheveux noirs et courts lui retombaient sur le front et contrastaient avec sa peau blanche. Grand, mince, malgré une musculature se cachant sous son chemisier. Il ouvrit les yeux, révélant un éclat dans ses prunelles bleues.

La jeune femme avait de nouveau un sursaut devant son regard, puis elle se mit à rougir. Suzy la rejoignit à ce moment en passant son bras autour de ses épaules.

— Votre magasin est extra, monsieur, vous avez vraiment de tout ici, s'extasia Suzy.

Il porta sa main derrière la tête, sentant la gêne s'immiscer à chaque fois qu'un client le complimentait sur sa boutique.

— Je vous remercie, mademoiselle, je ne fais que partager ma passion, sourit-il de plus en plus. Si vous avez besoin, je serai derrière le comptoir.

Il s'éloigna des filles non sans un dernier regard pour la petite rousse. Arrivée derrière son comptoir, il plaça ses lunettes carrées sur le nez et se mit à griffonner dans son cahier à la recherche de bibelots sur un site internet.

Naru cligna plusieurs fois des yeux et se tourna vers son amie qui lui afficha un large sourire, les bras remplis de figurines. Non sans concéder que chacune d'elles avait la forme de grenouille.

— Je vois que tu as trouvé ton bonheur, soupira Naru exaspéré.

— Et toi, tu as tapé dans l'œil du gérant, s'exclama Suzy.

Naru se sentit d'autant plus rougir en répliquant :

— N'importe quoi, il m'a fait juste peur.

Elle alla pour reposer le livre, mais hésita un moment dans son geste et le prit avec elle. La jeune femme se dirigea vers le présentoir des armes, admirant le travail fait sur les sabres avant de se diriger vers un étalage de pierre précieuse.

— Ils iraient bien ceux-là avec ton diamant, montra Suzy, une paire de boucles d'oreille avec des perles noires.

— Je ne suis pas vraiment bijou, fit remarquer Naru.

— Pourtant, tu ne quittes jamais ton collier.

Naru porta sa main vers son sternum et toucha la croix que sa mère lui avait léguée et la plaque que lui avait offerte Tsukasa. Elle baissa la tête d'un air mélancolique, puis répondit dans un souffle :

— Ce sont des souvenirs.

— Je ne voulais pas te contrarier, Naru, je suis désolé, s'excusa Suzy en faisant la moue. Allez, on passe à la caisse et je vais t'offrir un bon chocolat chaud.

Elles se dirigèrent vers le comptoir où Suzy déposa facilement une dizaine de figurines, tandis que Naru déposa le livre qu'elle s'est décidée à prendre. Le gérant tapa sur sa caisse enregistreuse puis indiqua le montant à Suzy qui paya. Elle récupéra son sac, tandis que l'homme glissa le livre dans un autre sac avant de le tendre à Naru.

— Je vous dois combien, demanda-t-elle avant de récupérer le sac.

— C'est cadeau, sourit-il, pour me pardonner de vous avoir fait peur.

— Ah non, je refuse, je ne supporte pas, allez dans un magasin et que l'on m'offre des choses, surtout quand elles ont de la valeur, répliqua-t-elle sous la surprise.

Le gérant arqua un sourcil devant sa réaction, puis contourna le comptoir tout en s'approchant des jeunes femmes. Il prit la main de Naru et lui força à agripper le sachet. Tandis qu'il se pencha à son oreille et lui susurra :

— Offrez-moi un verre et on sera quitte, je ne connais pas la ville, je viens tout juste de m'y installer.

Il se redressa devant elle en la laissant totalement surprise de son attitude avant de disparaître dans les escaliers.

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