Izumo
Cela faisait à présent deux ans que Naru avait quitté la préfecture de Toyama. Il lui avait fallu plusieurs mois afin de se remettre de la tragédie qui avait encouru la perte de sa moitié et d'autres mois encore dans le but de renforcer son caractère sous les sages conseils de maître Yuzo.
Maintenant, après avoir voyagé dans plusieurs contrées pour y découvrir les merveilles que lui offrait le Japon, elle avait décidé de s'installer dans la charmante province d'Izumo dans la préfecture de Shimane.
Elle aimait se rendre autant de fois qu'elle le pouvait au temple d'Izumo-taisha, l'un des sanctuaires shintoïstes les plus importants du pays, ainsi que le celui d'Hinomisaki. En découvrant les merveilles de cette ville, Naru avait décidé de s'y installer et de trouver un emploi de serveuse dans un bar fréquenté le jour par les jeunes lycéens et la nuit par des personnes peu recommandables. Mais avec un salaire qui lui avait permis de trouver un triplex assez coquet.
* * *
Un soir où les feuilles d'automne tapissaient les rues, tandis que Naru allait terminer son service, un client entra et s'installa avec faiblesse au comptoir.
— Je vous sers quelque chose, demanda une serveuse en mâchant son chewing-gum de façon molasse.
— Un verre d'eau s'il vous plaît, répondit le vieillard dans le vague.
— Seulement de l'eau ? s'étonna la serveuse. Très bien, je m'occupe de ça, ajouta-t-elle en tournant ses hauts talons rouges.
Mais l'homme lui agrippa le bras avec tendresse et tendit une photo.
— Avez-vous vu cette demoiselle ? demanda-t-il fatigué par sa journée, elle était plus jeune sur l'image, mais j'ai entendu dire qu'elle était dans le coin.
La serveuse regarda la photo de plus près et lorgna avec méfiance sur le vieillard inoffensif qui souriait tristement. Elle hocha la tête et beugla dans la salle quasi vide.
— Naru vient ici, je crois que ton daron t'a retrouvée !
En entendant ces mots, notre jeune héroïne qui était dans la réserve en train de finir son inventaire fronça les sourcils à l'entente de sa collègue. Elle passa la tête par l'entrebâillement de la porte et regarda dans sa direction avant de poser les yeux sur le client en question. Elle fronça tout d'abord les sourcils et reconnut soudain l'éclair familier qui traversa le regard du vieillard.
— Maître ? interrogea-t-elle intrigué.
Le vieillard sourit, alors que la serveuse mâchouillant son chewing-gum s'éclipsa pour les laisser se retrouver.
— Je suis heureux de t'avoir enfin retrouvé, s'exclama maître Yuzo avec une pointe de reproche.
Naru baissa le regard de honte et ne releva pas le sous-entendu.
— Ainsi, c'est ici que tu travailles dorénavant ? inspecte des yeux Yuzo en regardant l'état du bar. C'est un peu contradictoire comme conception.
— C'est ce qui fait son charme, appuya Naru en se triturant une boucle.
Le fameux bar représentait deux thèmes opposés. La partie, mise en valeur, était plutôt cosy, avec des banquettes couleur pourpres et des tables crème pour ressortir le tout. Un dallage noir et blanc reflétait les lampions en coupole disséminés ici et là. Les murs gris pâle représentaient des toiles de jeunes artistes voulant se faire connaître. Un comptoir blanc avec des tabourets rembourrés se collait à un mur transitoire.
Car quand on le traversait, on découvrait un lieu plus rustique et sombre. La continuité du comptoir s'enfonçait, mais était représentée avec un aspect bois bruni.Les banquettes tiraient au marron chocolat accompagnées de tables du même aspect que le comptoir. Le sol, en parquet, crissait sous les talons des serveuses. Et les lampes dégageaient une lumière plutôt tamisée, rendant le lieu propice à des échanges peu déconvenue.
Oui, ce lieu était contradictoire, se disait Yuzo dans sa tête, mais qui avait l'air de convenir à sa jeune protégée. Il soupira et se frotta les yeux de fatigue. Il en avait parcouru des kilomètres pour retrouver sa trace après sa fugue. Mais ce n'était ni le lieu ni le moment.
— Maître, je sais que nous devons parler, annonça Naru le sortant de ses songes. Je termine d'ici à dix minutes, et après, je te ramène chez moi, d'accord ? À moins que tu n'aies pris un hôtel, termina-t-elle en se levant.
— Non, non, je vais t'attendre, je viens juste d'arriver, répondit-il en secouant la main.
La jeune femme s'éclipsa à l'arrière.
Yuzo prit le temps de boire son eau que l'autre serveuse lui avait servie et regarda autour de lui. Il remarqua que les clients dévisageaient sa jeune apprentie pendant son service. Mais, surtout, ce qu'ils regardaient, c'était son diamant apparent, niché au milieu de son front, toujours présent, toujours voyant.
Yuzo s'apercevait que cela ennuyait Naru d'être scruté comme une bête de foire, mais ignorait chaque remarque à ce sujet avec brio.
À la fin de son service, Naru rejoignit son maître à l'extérieur devant le bar. Ils marchèrent en silence jusqu'à son appartement situé non loin de son lieu de travail. Après avoir gravi quatre étages, Naru enfonça la clé dans la porte et ouvrit pour accueillir son maître chez elle.
— Bon, ce n'est pas un grand luxe, mais c'est chez moi, sourit-elle, fière de lui dévoiler son petit cocon.
Yuzo entra et découvrit un petit étroit avec un petit escalier menant à une kitchenette qui occupait le mur de droite. Un salon pas plus grand avec un canapé de deux places jaune se trouvait à gauche de la pièce. Il n'y avait pas de téléviseur, mais un petit ordinateur portable était posé sur une table basse en osier, la page ouverte sur les actualités.
Un escalier étroit en bois menait à une chambre avec une vue imprenable sur la ville d'Izumo. Un coin bureau avait été installé, rendant la pièce de sommeil cosy. Un autre escalier au fond de la pièce menait à l'endroit favori de Naru. Un espace où elle rangeait tous ses souvenirs de ses voyages. Un katana était accroché au mur. Des tableaux et des sculptures décoraient l'ensemble de la pièce. Il y avait même au centre de la pièce, un grand pouf vert qui donnait en dessous d'une ouverture pour admirer les étoiles. Le maître tiqua sur cet emplacement particulier et se retourna vers son apprentie :
— Ne me dis pas que tu passes par là pour chasser les monstres ? s'indigna-t-il.
Le visage souriant de Naru se décomposa, ne comprenant pas la réflexion de son maître :
— Tu veux que je prenne les escaliers devant tous mes voisins ? rétorqua-t-elle surprise.
— Non, ce n'est pas ce que je voulais dire ? se défendit Yuzo en levant les mains contre la réaction de Naru.
Celle-ci souffla et détendit ses épaules en se massant la nuque avec ses mains. Elle s'avança et dépassa son maître pour se diriger vers le fond de la pièce où le mur était vierge de décoration. Mis à part un bureau à un mètre devant avec un autre ordinateur, ce qui étonna Yuzo sur le fait d'avoir autant de technologie.
Naru posa sa main sur le pan droit du mur, qui glissa sur le côté, révélant ainsi une pièce secrète. Elle s'avança à l'intérieur et se retourna, écartant les bras devant son maître :
— Voici mon antre de chasseuse de méchant, souriait-elle malicieuse et le regard pétillant.
Yuzo se dirigea vers la pièce, qui n'avait rien à voir avec le reste de l'appartement. Une penderie en verre contenait son lot de costumes. Des écrans accrochés au mur étaient constamment allumés montrant les faits et gestes de la ville et les informations de tous les drames qui pouvaient se tramer autour de la région.
Le tout était sobre, nuancé de gris et éclairé par des néons bleus. Le vieux maître ne revenait pas des efforts fournis par son apprentie, qui, soit dit en passant, ne l'était plus, mais était devenue une héroïne accomplie.
Il s'avança vers une étagère où étaient entreposées des photos qui ne devaient jamais être révélées aux yeux des mortels. Une image capturée, révélant la triste beauté des lacs jumeaux teintés de rouge. Une autre, de la louve et de ses petits au pic escarpé. Sur une autre photographie, le temple vu du ciel durant l'un des nombreux essais de vol après l'apparition des ailes de Naru.
Yuzo contemplait ces images souriant en apercevant Yahiro et Akito se chamailler sur l'une d'entre elles. Ils avaient été d'un grand soutien après la disparition de la moitié de Naru.
En pensant à lui, il remarqua un cadre en retrait où l'on voyait Tsukasa sourire timidement, alors que Naru était sur son dos, enlaçant son cou avec un sourire radieux. Le vieillard prit la photo et eut un faible sourire en sentant son cœur se serrer.
— C'est une très belle photo, murmura-t-il la voix tremblante.
Mais Naru n'eut pas le temps de répondre qu'un flash info apparaît sur l'un des téléviseurs et accapara son attention.
« C'est arrivé il y a un instant, annonça la voix de la journaliste, le bâtiment a pris soudainement feu. La famille a pu s'en sortir, mais les parents affirment que leur fille a été enlevée avant le drame.
Les autorités sont sur place, tandis que les pompiers tentent d'achever les flammes avec leurs jets d'eau... Le seul indice que nous avons pu obtenir du frère... »
L'écran se mit à grésiller à chaque fois que la journaliste voulait donner une information. Yuzo posa le cadre sur l'étagère quand il comprit que ce n'était pas un simple enlèvement et regarda Naru les épaules tendues devant les images de flamme léchant le bâtiment.
Mais son comportement changea soudainement, laissant un rictus se dessiner sur son visage :
— Prêt à voir mes progrès ? proposa-t-elle dans un défi à son maître.
— Je te suis, répondit-il complice.
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