Ichinichiippo. Un jour, un pas.

Naru s'enfonça dans l'Osen pour se reposer suite à un combat rude. Elle s'allongea sur la pierre taillée au fil des années par sa silhouette et se prélassa en croisant ses bras sur sa poitrine, jouissant des bienfaits du liquide agissant sur ses courbatures. Elle sentit l'eau onduler contre ses épaules et dressa son regard vers Tsukasa.

Il l'avait rejoint, marchant lentement vers elle sous les étoiles scintillantes du ciel. Arrivée à sa hauteur, il leva sa main et d'un geste tendre lui caressa le visage. Naru posa sa joue contre sa paume, accueillant la douceur de sa moitié. Tsukasa se pencha vers elle avec un air complice et effleura ses lèvres sur les siennes. La jeune femme sentit son cœur frémir de désir pour son compagnon, qui frôla sa peau de son autre main.

Elle ferma les yeux sous ses caresses, courbant son corps vers lui. Il descendit sa main jusqu'au cou de Naru, portant sa bouche à son oreille pour lui susurrer des mots doux :

— Je suis mort, Naru, et je me délecterais de ta descente aux enfers.

Tsukasa agrippa le cou de Naru, serrant son emprise sur elle. La jeune femme ouvrit les yeux de frayeur et rencontra les yeux assassins de sa moitié. Elle s'accrocha à son poignet pour tenter de le faire lâcher prise, mais il attrapa ses mains et les maintinrent au-dessus d'elle.

— Comment vais-je m'y prendre pour te faire souffrir ? se moqua-t-il en l'observant se débattre.

Il glissa sa jambe entre celle de Naru pour les écarter. Elle le regarda avec frayeur, se débattant de plus en plus et étouffant sous ses doigts. Elle voulut l'insulter, le supplier, mais aucun son n'arriva à franchir ses lèvres.

L'eau si claire de la source se teinta progressivement d'une couleur pourpre. Naru essaya de toutes ses forces de hurler face au regard malsain de Tsukasa. Il descendit sa main de plus en plus bas, envoyant une décharge de frisson glacé dans tout son corps. Prisonnière, elle se sentit partir. Ses poumons ne produisaient plus d'air. Elle n'arriva plus à réfléchir. Son cœur se comprima, ralentissant ses battements au fur et à mesure qu'elle sentit ses doigts glisser le long de son ventre. Il continua de lui torturer l'esprit par ses paroles sanglantes :

— Je suis mort, Naru. Tsukasa est mort et Ganossa respire. Profite de ce moment agréable que je t'offre.

Il serra de plus en plus son emprise alors que Naru ferma les yeux pour tenter de s'échapper en l'ignorant. La peur l'étreignit. Le tremblement de son corps s'intensifia. Elle se sentit sombrer dans l'inconscience, hurlant au plus profond de son âme...

Naru hurla bel et bien, mais en se redressant d'un coup de son lit. Alerté par ses cris, le maître débarqua rapidement dans sa chambre en faisant claquer la porte coulissante, puis s'approcha d'elle, l'inquiétude sur son visage. La jeune femme se maintenait le cou, le palpait à la recherche de blessure. Ses cheveux lui collaient au visage dû à sa transpiration. Sa respiration se rétablissait difficilement.

— Tout va bien, Naru. Tu es en sécurité ici, tenta d'apaiser Yuzo.

— Cela me paraissait si réel, souffla-t-elle encore perturbée.

— Avec tout ce que tu viens d'apprendre et ce qu'il t'a fait subir, il est normal d'être éprouvé, indiqua le maître.

Naru baissa la tête sur ses mains tremblantes.

— Je vais aller faire du thé, ma fille. Essaie de te rallonger, conseilla-t-il en lui prenant les mains dans les siennes.

Il fut surpris de constater la froideur se dégageant des paumes de sa disciple. Il lui demanda d'un regard s'il pouvait la laisser le temps de la confection du thé et parti après qu'elle ait lentement hoché la tête.

Naru entendit son maître dans le couloir jurer contre son impuissance. Elle sortit de son lit et attrapa la couverture qu'elle se mit sur les épaules. La jeune femme coulissa le fusuma menant à l'extérieur et sentit la fraîcheur de la nuit la frapper de plein fouet. Or, cela ne la soulagea pas de la scène tournant dans son esprit suite au cauchemar.

Pied nu, elle s'avança doucement dans la cour jusqu'à la forêt. Ses pas la menèrent vers le lac des dragons jumeaux où trônait le cerisier dénué de feuillage. L'esprit tourmenté, sa main effleura l'inscription sur le tronc. Les larmes roulèrent sur sa joue, lui enserrant le cœur de douleur.

Yuzo revint dans la chambre avec son plateau et découvrir le vide occultait la présence de Naru. Pris de panique, il laissa tomber le plateau, fracassant les tasses et la théière sur le plancher. Il partit à sa recherche en sautant dans les arbres, craignant que sa disciple ne disparaisse à jamais suite à cette épreuve. Il ne se pardonnerait jamais de lui avoir menti, mais il ne supporterait pas de la perdre elle aussi.

Le maître s'arrêta sur la dernière branche et la vit assise, la tête posée sur ses genoux, le regard perdu dans le vide. Il souffla de soulagement, bien qu'elle soit en débardeur sous la couverture et en caleçon. Le vieillard s'assit sur la branche, ne voulant pas interférer avec les pensées de sa protégée. Il la regarda, posant sa tête contre le tronc, jusqu'à ce qu'elle se décide à retourner vers le temple aux premières lueurs du soleil.

* * *

Deux semaines s'écoulèrent ainsi. Les attaques contre les temples avaient cessé depuis la confrontation de Naru et de Ganossa, ce qui inquiéta grandement les sages. La jeune femme était restée au temple, se coupant du monde extérieur. Toutes les nuits, elle était en proie à des cauchemars se terminant toujours de la même façon. Elle mangeait peu, trouvant la nourriture fade et passait la plupart de son temps assise près du cerisier en face du lac qu'il fasse beau, qu'il pleuve, qu'il neige.

Yuzo était assis sur son coussin, fumant sa pipe en contemplant la couverture blanche recouvrant la cour. Il avait cessé de suivre Naru au bord du lac, laissant le relais à Kido qui resta près d'elle dans le silence. Les négociations entre les Kitsunes et Akito avaient duré plusieurs jours avant de trouver un nouvel accord. Les sages ne pouvaient toujours plus ordonner Naru, mais les esprits se maintiendraient à la règle, exception faite pour le renard.

Meromi et Mohiro avaient salué cet effort de leur part, mais n'apparurent plus auprès du maître. Ils s'attelèrent à répondre aux prières que les humains effectuèrent dans les temples. Yahiro et Akito étaient partis depuis à la recherche de Ganossa, qui dissimula sa présence aux yeux des sages.

Tout ceci fit soupirer Yuzo incertain de ce que réservait l'avenir de ce monde. Sa pensée fut interrompue une millième de fois par le portable de Naru qui ne cessait de vibrer chaque jour, chaque nuit, à n'importe quelle heure. Il s'était retenu à plusieurs reprises de l'enterrer dans la forêt. Cette image le fit sourire, mais le perdit aussi vite, quand l'engin qu'il haïssait à présent se remit à vibrer.

— Mais quel est l'abruti qui a inventé ce truc ? se plaignit-il en attrapant le téléphone.

Une image d'une grenouille tenant un parapluie s'afficha sur l'écran avant de s'évanouir. Soufflant, soulagé que l'appareil se soit éteint, il le posa au pied de sa tablette en bois. Il mit ses mains dans ses manches, les réchauffant du froid qui s'intensifia à l'extérieur. Le regard perdu sur la neige, il vit une brume bleutée se former avant de s'évanouir sur la silhouette d'Akito habillé de son costume trois-pièces.

— Bonjour maître.

— Un jour comme un autre, mon seigneur, soupira Yuzo.

Akito s'avança vers lui, les mains dans les poches, le regard sombre. Il retira ses chaussures lustrées et s'assit contre un poteau en étendant une jambe, puis en repliant l'autre.

— Voilà bien des manières de se tenir Akito, remarqua Yuzo.

Le sage d'eau souffla et cala sa tête contre le bois.

— Nous avons beau chercher, retourner chaque pierre, étendre nos recherches aux autres pays, nous n'arrivons pas à mettre la main sur lui.

— Hauwk était déjà très fort pour se dissimuler à nos yeux, réfléchit le maître. Si Ganossa ne veut pas être trouvé, il ne fera pas sentir sa présence.

Akito tourna la tête vers le vieillard qui commença à tasser du tabac dans sa pipe. Le visage du maître reflétait l'angoisse. Ses traits étaient tirés de fatigue.

— Depuis le temps que tu es sur cette terre à former des héros, je ne t'ai jamais vu aussi préoccupé, indiqua Akito.

Yuzo arrêta ses gestes, les suspendant au-dessus de sa pipe. La remarque du sage le prit de court. Pour autant, il ne répondit pas à Akito qui le scruta dans ses mouvements. Il finit de tasser son tabac et craqua une allumette qu'il porta à la chambre, pompant plusieurs petits coups dessus avant de redresser la tête vers le ciel grisonnant. Il laissa une longue fumée s'échapper de ses lèvres, fissuré.

— Un jour, un pas.

Akito fronça les sourcils, tandis que le maître laissa ses paroles s'évanouir dans sa complainte :

— Chaque nuit, elle se lève après un énième rêve qui la tourmente. Elle se dirige vers le lac, pleurant toutes les larmes de son corps face au cerisier où ils avaient inscrit leurs amours, où elle avait pleuré sa perte. Chaque jour, elle se mue dans le silence, perdant la flamme qui l'animait. Elle mange peu, maigrit à vue d'œil. Kido reste à ses côtés la plupart du temps, mais comme moi, il reste impuissant à sa souffrance.

Le sage d'eau baissa la tête en serrant ses poings, tremblant de colère. Il tourna la tête vers la forêt et repéra la silhouette de Naru ce déplacer vers sa chambre. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Les deux hommes la fixèrent, alors qu'elle s'avança lentement avant s'arrêter. Naru leva la tête, remarquant qu'il se mit à neiger. Elle leva sa paume vers le ciel, révélant son bras frêle marqué de griffures pour accueillir un flocon dans sa paume.

Cette vision choqua le sage qui se redressa subitement, mais le maître posa sa main sur son bras, secouant la tête résignée.

— Elle se fait ses marques toutes les nuits. J'ai essayé de la soigner, mais elle est devenue sauvage et ne se laisse pas faire.

Akito tourna la tête vers le maître avant de le reporter sur Naru, cependant celle-ci n'était plus dans leur champ de vision. Son cœur se contracta de haine envers Ganossa. Il se tourna et tapa son poing contre le poteau sous les yeux larmoyants du maître. Yuzo serra les dents quand il entendit, pour la vingtième fois de la journée, le téléphone vibré.

— Il n'y a pas moyen, je vais le réduire en morceaux ce truc, ragea-t-il en s'emparant du mobile.

Il voulut consulter qui était le nouvel appelant, mais Akito lui arracha le téléphone des mains en scrutant l'écran. L'appel cessa, mais il fit défiler les nombreux messages de son amie et de l'antiquaire qui ne cessait de la contacter.

— Je pense avoir trouvé une solution pour aider Naru, murmura-t-il en réfléchissant.

Yuzo leva son regard sur lui. Se demandant qu'elle idée traversait l'esprit du sage. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top