Epreuve
Meromi attendait patiemment que la jeune femme daigne se montrer. Elle restait parfaitement droite devant le bassin des carpes koïs. La sage sentait un lourd regard peser sur elle et se retourna en direction du dojo. Elle vit Tsukasa assis sur ses genoux guetter le départ de sa bien-aimée, mais regarda en travers la sage en signe d'avertissement. Leurs échanges électriques durèrent un moment, jusqu'à ce que la chevelure rousse de Naru brisa sa méfiance.
— Il était temps, lança sarcastiquement Meromi.
— Désolé, s'inclina Naru essoufflé.
La sage la toisa de son regard sévère et prit la main de la jeune femme avant de disparaître dans une épaisse brume blanchâtre.
Non loin du mont Tate, Meromi et Naru apparurent au milieu d'une forêt dense. La jeune femme peu habituée à ce mode de transport s'en alla vider son petit-déjeuner derrière un arbre. Meromi la regarda en élevant les sourcils désespérés.
— Je vais te laisser là, annonça la sage, voyant Naru revenir.
— Quoi ? Mais l'épreuve ne se fait pas avec toi ? s'exclama la jeune femme incrédule.
— Non ! clama sévèrement Meromi, tu devras en trois jours trouver ta voie, compter sur toi-même et sur les enseignements de maître Yuzo.
Sur ses paroles, Meromi disparut dans sa brume en lançant un dernier regard à la jeune femme. Elle comptait beaucoup sur elle, mais ne voulait pas lui manifester tout son soutien.
Naru demeura un moment bouche bée sur l'annonce de Meromi et se redressa pour observer les alentours.
L'épaisse forêt était très dense dans cette zone. Le bruit de l'environnement d'animaux sauvages n'apaisa pas la jeune femme, malgré son entraînement plus que régulier avec le vieillard.
Elle scruta le ciel à la recherche d'indices ou d'un moyen de s'orienter, mais ne put se retrouver.
Elle rassembla son sac, contenant uniquement le strict nécessaire. Une gourde, une couverture et de quoi chasser, puis l'installa sur son dos et entama son périple de trois jours.
Après plusieurs heures de marche. Naru s'était enfoncée de plus en plus dans la forêt. Ne sachant pas dans quelle direction aller, elle avait désigné le nord.
La jeune femme se débattait contre une traversée de buisson avec de nombreuses ronces. Ne voulant pas trop se fatiguer en sautant de branche en branche.
Vers le début de soirée, elle avait rejoint le pic d'un rocher qui ne lui était pas inconnu.
— Sacré sage, ils voulaient vraiment nous la mettre à l'envers.
Voyant que le jour déclinait de plus en plus, Naru s'installa un camp de fortune au pied du pic. Elle avait traqué un gibier plus tôt dans la journée et s'était rempli une gourde d'eau. Après avoir attisé un feu pour y faire cuire sa viande, la jeune femme s'improvisa un lit sur des feuilles de bananier.
La nuit était glaciale ce soir et le temps légèrement couvert. Une fois son appétit rassasié, elle commença à fermer les yeux en essayant d'établir une position aisée sur le lit de feuilles.
La jeune femme était tournée dos au feu, dormant légèrement en restant aux aguets. Le couinement d'un animal la fit sursauter et se retourner pour repérer l'intrus sur son camp.
Elle remarqua qu'un renardeau se frottait le museau après s'être brûlé avec les braises. Le jeune imprudent a voulu dérober la nourriture restante.
Naru s'approcha précautionneusement du jeune animal au pelage blanc de neige au reflet roux avec les yeux, vairons, l'un bleu océan, l'autre vert émeraude.
L'animal prit peur au départ et voulut s'éloigner en reculant et en grognant. Ce qui fit sourire la jeune femme, qui estimait ce son vraiment mignon.
Maître Yuzo leur avait appris à respecter la faune animale, car celle-ci entretenait d'étranges secrets.
Naru tailla avec des gestes habiles un morceau de viande et le tendit au renardeau, qui lui toisait l'humaine lui faisant face. Il s'avança prudemment, reniflant s'il y avait un piège, mais la jeune femme s'assit en tailleur, respirant calmement.
L'animal s'empara du morceau et l'avala après l'avoir mastiqué. Naru avait laissé sa main sur le sol, la paume vers les étoiles. Il s'approcha et renifla la main de la jeune femme avant de lécher le restant du goût présent sur celle-ci.
— Brave petit, chuchota-t-elle en effleurant le crâne du jeune renard, où se trouvent tes parents ?
L'animal la regarda avec un air blessé. Il n'en fallut pas plus à la jeune femme pour comprendre que ses parents n'étaient pas en bon état. Elle se releva et amassa ses affaires ainsi que le restant de son dîner et se retourna vers le jeune loup.
— Où se trouvent-ils ? demanda-t-elle en parlant avec l'animal.
Il jappa en dressant le museau vers le haut du pic.
— Évidemment, sinon, ce serait trop facile.
Elle haussa les épaules après avoir fulminé sa phrase, tira un long tissu de son sac et accrocha en écharpe le renardeau pour qu'il puisse se tenir tranquillement pendant l'ascension.
Naru s'approcha du mur escarpé et tenta de prendre une première prise.
Elle cala son pied sur le côté et commença sa montée. L'animal dans son dos resta étrangement tranquille.
La jeune femme avait déjà franchi trois mètres, regardant de temps à autre vers le sol pour calculer sa hauteur. Elle était fatiguée par sa journée à marcher et avait à peine dormi avant l'arrivée du jeune animal.
Elle tendit la main pour s'accrocher à une pierre dépassant de la roche rugueuse et se souleva avec peine, mais sa prise lâcha quand la caillasse s'effrita. Naru perdit l'équilibre et un instant de frayeur effleura son esprit.
Le renardeau se mit à couiner et à hurler de plus en plus fort sous la panique. Les yeux de Naru furetaient pour trouver rapidement une solution à portée de main pendant qu'une chute mortelle s'annonça devant eux. Elle braqua rapidement la tête et dans un dernier élan de son pied gauche encore appuyé, pendant que son corps était penché dans le vide, elle sauta et attrapa une racine le long de la paroi. Ses mains nues glissèrent le long de la racine épineuse et lui entailla profondément les mains en lui arrachant un cri de douleur.
Mais grâce à cela, sa descente a pu être stoppée. Naru s'accrocha à la branche de toutes ses forces, examinant par-dessus son épaule pour vérifier si son jeune compagnon alla bien.
— Eh, petit-père, ça va ?
Le renardeau couina en tremblant dans l'écharpe. Habitué à plus se tenir sur ses quatre pattes qu'à être attaché dans le vide, le petit n'était pas parfaitement rassuré.
— Ne t'en fais pas, on est bientôt arrivée, je ne te laisserai pas tomber, rassura-t-elle à la boule de poil.
Naru reprit immédiatement ses appuis sur la paroi et à l'aide de la racine entama de nouveau sa montée, sautant de branche en pierre avec toutes les précautions nécessaires. Sa main arriva enfin à remuer une surface lisse et plate, s'accrochant désespérément à une branche pour se hisser et ramper sur le sol, épuisé par cette ascension.
Elle défit le nœud du tissu pour libérer le renardeau qui glissa le long de son dos et s'allongea, grelottant sur le sol. Lui aussi était épuisé, mais surtout à cause de toutes les sensations qu'il avait pu éprouver.
Une fois les émotions passées, le renardeau se releva pendant que Naru tentait de reprendre son souffle et se dirigea vers une grotte au bout du pic. Il couina un peu plus, pleurant et gémissant. La jeune femme s'éleva, les jambes tremblantes de son ascension, et alla voir le renardeau.
La grotte était sombre, même la lumière de la lune ne s'y filtrant pas. Naru ouvrit sa paume et un filament de lumière en sortit pour éclairer la zone. Elle vit un renard blanc gigantesque doté de plusieurs queue, allongé sur le flanc avec une respiration saccadée. La patte arrière de la bête était en sang. Le petit s'était réfugié sous la patte du Kitsune géant en couinant. D'autres petits renard tétaient au mamelon de la créature de légende.
Naru examina la scène avec horreur, elle comprit que la renarde était une femelle et qu'elle était sur le point de mourir. Elle ne pouvait pas laisser cela se produire sans tenter quoi que ce soit.
La jeune femme quitta la grotte et regarda tout autour d'elle. Elle s'avança prestement vers un buisson où un saule tortueux regagnait le vide. Elle vit un sentier sur le côté et leva les yeux, s'apercevant qu'elle aurait pu passer par là au lieu de grimper la paroi. Elle s'enfonça dans la forêt à la recherche d'herbe médicinale et arriva à trouver ce qu'elle recherchait.
Une heure plus tard, Naru revint essoufflé de ses recherches alors que les premières lueurs de l'aurore pointaient dans le ciel nocturne. Elle pénétra dans la grotte où la Kitsune s'était endormie avec tous les petits. Seul le petit renardeau aux yeux vairons était encore éveillé.
Naru s'affaira à la tâche et écrasa dans une pierre creusée au milieu les feuilles et herbes qu'elle avait pu trouver. Elle y ajouta un peu d'eau, puis continua la manœuvre jusqu'à ce que ça se transforme en une pâte vert kaki avec des grumeaux.
Elle s'approcha doucement de la patte arrière de la renarde endormie et entreprit d'étaler la mixture sur la plaie de la bête. Celle-ci se réveilla, éprouvant la douleur affluant sur sa blessure, et retroussa ses babines en grognant et montrant toute une rangée de dents acérées. Naru avait stoppé son geste en voyant la réaction de la louve qui croyait qu'elle s'en prenait à ses petits. Mais la jeune femme ne se démonta pas pour autant et détendit ses mains sur la patte arrière. Elle acheva un bandage avec le tissu qui lui avait servi d'écharpe pour le renardeau.
Ensuite, elle versa de l'eau dans une cuve et y entreposa plusieurs lapins qu'elle avait pu chasser pour que la mère reprenne des forces. Si elle trépassait, ses petits ne pourraient pas survivre bien longtemps.
La Kitsune se leva avec beaucoup de difficulté et alla s'abreuvoir dans la cuve, gardant un œil sur l'intruse qui lui avait soigné la patte, puis s'attaqua au lapin. Naru s'était reculée et adossée à la paroi de la grotte en contemplant la scène d'une mère qui faisait tout pour se remettre en état. Dans un bâillement nerveux, elle s'endormit, la tête sur le côté.
Naru sentit quelque chose d'humide sur son front, puis se réveilla en s'étirant. Le soleil à l'extérieur était éclatant dans le ciel. Cependant, ce qu'il l'interpella le plus s'était que la famille Kitsune au grand complet était assise ou couchée devant elle. Elle remarqua également qu'une couverture avait été déposée sur ses jambes.
— Qu'est-ce que ? se demanda-t-elle surprise.
La renarde se redressa sur ses pattes et s'avança vers la jeune femme qui la regarda avec de grands yeux d'étonnement.
La bête dressa son museau sur le diamant noir de Naru, reniflant et léchant le bijou, puis posa son front sur celui de la jeune femme pour créer une connexion :
Mon plus grand a su voir en toi la sagesse et la bonté. Après une attaque contre un ours, je me suis blessé pour protéger mes petits...
Naru fut étonnée de percevoir la voix céleste de la Kitsune résonner dans sa tête et ancra son regard dans les pupilles jaunes de la créature blanche en écoutant la suite de son récit :
Grâce à ton courage et à ta persévérance, tu as pu me procurer les soins nécessaires pour me remettre et pour cela, je t'en remercie. Pour nous avoir apporté ton aide, je te fais don de l'ouïe du loup, de sa rapidité et de son silence. Si un jour, tu as besoin d'aide, appuie sur le diamant qui orne ton front et mon jeune Kido accourra vers toi.
La renarde se décala et orienta sa tête vers le renardeau qui trépignait à ses côtés. Le jeune mâle avait obtenu une mission à vie. Veiller sur la jeune Naru, et cela, il en était excessivement fier. Kido s'approcha de Naru et vint lui faire des léchouilles sur la joue.
Un lien inattendu se créa entre la jeune femme et le jeune Kitsune. Un lien invisible aux yeux des humains, mais extraordinaire aux yeux des sages.
Ce fut ainsi que Naru accomplit sa première épreuve, non sans difficulté, accompagnée du renardeau.
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