Enlèvement

Durant les quinze jours suivants, Naru s'entraînait sans relâche. Elle avait mis un temps à assimiler l'information que son maître lui avait apprise, mais elle s'était vite reprise en main et appliquait ses exercices. Quand Naru ne passait pas des heures sous une chute d'eau à méditer, elle combattait le vide dans la plaine pour invoquer cette puissance tant redoutée par les sages. La jeune femme retrouvait ses anciennes courbatures malgré avoir renforcé son corps.

Kido l'observait, se joignait à ses côtés, se battait pour parfaire son énergie spirituelle. Il passait également des heures en compagnie de sa mère qui avait été mise aux faits de la situation et qui lui transmettait tout son savoir concernant la lignée des Kitsunes. Le renard appris par la même occasion à développer sa métamorphose qu'il ne pouvait pas maîtriser dû à son jeune âge.

Heureux de réussir enfin à se transformer au bout d'une semaine, il s'était empressé de montrer le résultat à son amie qui relâchait la pression en savourant un thé aux ginsengs. Naru avait été subjugué par la métamorphose du renard en jeune homme aux cheveux blancs comme son pelage, et aux yeux vairons. Ses oreilles de Kitsune frétillaient d'une douce couleur neige, roussissant vers la pointe. Ses six queues se balançaient lentement à la base de son dos, touchant quasiment le sol.

La jeune femme avait pris son ami dans ses bras heureuse, tandis que maître Yuzo, ayant participé au changement de Kido, les incitait sans plus tarder à s'entraînait et a redoublé d'effort. Depuis, durant leurs combats, Naru invoquait ses sphères face à Yuzo qui servait d'adversaire, alors que le renard bondissait sur lui sous forme animale, attrapant le vieillard par le cou avec ses bras après avoir pris son aspect humaine.

La veille de son départ, elle n'arrivait toujours pas à invoquer la force qui sommeillait en elle. Autant sa force physique et son endurance avaient augmenté, autant ce qu'elle avait fait subir à Yahiro dans son enceinte de métal, elle n'arrivait pas à le reproduire. Et il était temps pour elle de repartir à Izumo, reprendre le travail et revoir ses amis.

Arrivée au soir, son téléphone sonna. Suzy l'appela tout les soirs pour prendre des nouvelles et elles échangeaient sur leurs conquêtes, mais surtout sur le désir qu'animait Naru envers le bel antiquaire. Son amie lui avait vrillé les tympans le jour où elle en a eu connaissance.

« Ça y est, c'est demain le grand retour ? »

— Oui, j'ai hâte, même si le temps passé au temple a été bénéfique.

Naru était dans sa chambre en train de préparer sa valise, passant de son lit à son armoire avec le téléphone coincé entre son épaule et son oreille.

« Tu as eu des nouvelles d'Akira depuis la dernière fois ? »

— Non, ça fait trois jours qu'il ne m'envoie pas de message, soupira Naru en s'inquiétant.

Tout comme son amie, il donnait régulièrement de ses nouvelles jusqu'à ses derniers temps. Or depuis trois jours, c'était silence radio.

« Je passerai le voir en sortant du boulot demain matin, comme ça je le traînerais avec moi jusqu'à la gare pour venir te chercher. » rassura Suzy tout excitée.

— D'accord, j'arriverai en début d'après-midi. Tu es sûr que vous serez là tous les deux ?

« Mais oui, mais oui. Au pire des cas, tu me rejoindras au restaurant le soir. Je t'enverrai un message en cas d'imprévu. »

Connaissant son amie, les imprévus, c'était le dada de Suzy. Après avoir ri ensemble, elle raccrocha et posa son téléphone sur la table de chevet, puis entreprit la fermeture de sa valise. Sa tâche accomplie, elle se dirigea vers le perron, rejoignant son maître qui tassait son tabac dans sa pipe. Yuzo leva la tête vers sa disciple quand elle arriva et s'assit à côté de lui.

— Tout est prêt ? demanda-t-il en craquant une allumette qu'il porta à la chambre de sa pipe.

Naru redressa son genou et cala son menton dessus. Un faible « hm » lui répondit. Elle perdit son regard sur la forêt plongée dans l'obscurité. Yuzo pompait sur sa pipe, puis souffla la fumée vers le ciel étoilé. Ils restèrent un moment ainsi, laissant un silence apaisant s'étendre brisé seulement par le shishi odoshi. La jeune femme posa la question que son maître redoutait depuis deux semaines :

— Penses-tu que j'arriverai à affronter Ganossa si mon pouvoir ne se manifeste pas ?

Il baissa le regard, tira une nouvelle bouffée, puis répondit d'un ton las :

— Je ne sais pas.

Le doute planait. En plus de sa propre force, Ganossa avait récupéré les dons malfaisants de Hauwk. Autant l'un était déjà puissant de par sa nature, l'autre le surpassait due à son héritage coulant dans ses veines. Cette simple réflexion ne le rassurait pas sur l'avenir de sa fille. Il glissa ses yeux vers elle, observant ses cheveux flamboyants onduler sous la brise. Les sages ne s'étaient pas montrés depuis, ne pouvant pas le rassurer sur la destinée de sa protégée.

Naru ferma les yeux un instant. Prit une grande inspiration, se redressa et serra ses poings devant elle, se donnant du courage.

— Quoiqu'il arrive, avec l'évolution de Kido et ma force, nous le vaincrons, lui et sa horde. Je ne me laisserai plus avoir par son charme dévastateur.

— Charme que tu as longuement couvé durant votre enfance et adolescence, rétorqua Yuzo ne voulant pas être acerbe.

La pique atteignit le cœur de la jeune femme. Certes, ses entraînements lui ont été bénéfiques face à l'apparence que Yahiro prenait, mais entre une vision et la réalité, elle ne savait pas comment elle réagira.

— C'est différent à présent, rappliqua-t-elle sûr d'elle. Je sais à quoi m'attendre, et je ne serais pas seule. Mes amis sont à mes côtés pour me soutenir. Les sages apparaîtront au besoin. Ganossa ne fera pas le poids face à moi.

Cet élan d'encouragement qu'elle se fit réchauffa le cœur de son maître. Ils échangèrent durant une partie de la nuit sur d'éventuelles situations, riant de temps en temps aux souvenirs du passé.

* * *

— Tout se met en place maître, annonça Nakthye.

— Bien. Plus qu'une, et nous pourrons lever le dernier sceau, indiqua Ganossa penché au-dessus de sa vasque en bronze.

Il observait les sages depuis des jours sans qu'il bouge. Le rapport que l'ombre lui avait fait avait débloqué une certaine information qui lui manquait. Il apprit grâce aux souvenirs de Hauwk et à la prophétie répétée, son lien étroit avec le dragon de la terre. Son diamant, si pur, caractérisait bien le mal en lui. Il devait impérativement détourner Enari de son objectif final.

Nakthye l'observa un moment avant de se détourner et de s'éclipser. Elle avait enfin, en face d'elle, le maître qu'elle chérissait. Ses talons résonnèrent dans le tunnel avant d'être étouffés sous ses pattes de velours. Elle balança sa queue lentement, et se dirigea vers le portail la menant à la surface de la Terre.

Ganossa ne perdit pas une miette de son départ. Son sourire narquois s'étira, puis il se redressa et réajusta sa chemise. Il se dirigea vers l'antre où l'ombre emprisonnée ne se débattait plus dans les racines qui l'emprisonnaient. Il lui fit face, levant sa main pour se saisir de la mâchoire de l'ombre dans un geste brusque. Ganossa s'approcha de son oreille et lui susurra :

— Mon vieil ami, j'ai une nouvelle mission pour toi. Réalise là, et tu pourras retrouver ta place.

L'ombre ferma ses yeux vides, puis hocha imperceptiblement la tête avant de se fondre dans les racines après que Ganossa l'ait libéré. Il leva la tête en observant le bois noir luire sous le passage de l'ombre. Un rire machiavélique franchit ses lèvres en même temps que ses bras s'écartèrent, paume tournée vers le plafond.

* * *

Suzy salua ses collègues qui prirent la relève de sa journée, avant d'affronter le froid emmitouflé dans son manteau grenouille et son écharpe à capuche à tête d'amphibien. Elle était heureuse de bientôt revoir son amie qui arriverait d'ici quelques heures, mais avant cela, elle devait passer voir l'antiquaire pour le convaincre de se joindre à elle.

Elle marcha joyeusement, bras ballants, dans les rues pavées. Suzy en profitait pour lécher les boutiques qui proposaient les articles tant convoités. Elle ne se doutait pas un instant, qu'au fur et à mesure de sa traversé, qu'elle était observée. Une ombre se faufilait dans son dos, attendant le bon moment pour intervenir.

Quand elle arriva enfin à destination, Suzy pencha la tête sur le côté, remarquant qu'aucun étalage n'était présent en extérieur. Le rideau de la boutique était baissé. Elle mit sa main contre la vitrine et s'approcha pour scruter l'intérieur. L'étudiant n'était pas présent comme à son habitude pour ranger ses livres, quant au propriétaire, il descendait son escalier en spirale, un ouvrage en main, la mine fatiguée.

Suzy toqua contre la vitre, ce qui interpella Akira qui redressa la tête vers la jeune femme. Il lui fit un geste pour lui indiquer de faire le tour. Elle s'exécuta et se rendit dans l'impasse étroite qui longeait le magasin.

Akira ouvrit la porte de service, mais ne vit pas Suzy. L'impasse était déserte. Seul le brouhaha des passants dans la rue principale indiquait la présence de vie, mais pas celui de la jeune femme. Il s'avança, se pencha, mais elle n'apparut pas. Il ne chercha pas plus loin, se disant qu'elle a dû avoir une urgence, puis ferma son livre dans un claquement sec avant de retourner à l'intérieur de sa boutique.

Pourtant, Suzy était là, devant lui, pétrifiée par l'ombre qui l'enveloppait. Celle-ci s'étendit après avoir avalé sa proie, puis se glissa sous la porte de service jusqu'à atteindre Akira. 

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