Diamant Blanc

Le maître était retourné au Japon, accompagné cette fois-ci de Naru. Il n'avait vraiment pas l'habitude des enfants, surtout de cet âge-là. Ça braillait, ça réclamait, ça couinait. Yuzo soupirait d'avance de lassitude devant les besoins intempestifs de la gamine.

— Non, lâche ça ! gronda-t-il en enlevant sa pipe en bois des mains de Naru.

Celle-ci la regarda avec des yeux de merlan frit et la bouche d'un cocker, se retenant de respirer jusqu'à exploser en un volcan de larmes de crocodile. Yuzo se tenait le front d'exaspération, épuisé par les caprices de Naru.

— Grand sage, par pitié, est-ce là ma punition pour avoir imploré sa formation ? 

Il leva les mains en l'air au bord de craquer.

Une fumée blanche apparut au milieu du jardin, laissant distinguer au travers de la brume une silhouette encapuchonnée. L'un des sages répondit à l'appel de maître Yuzo et s'avança vers celui-ci qui tentait de calmer les pleurs incessants de la jeune fille. Le seigneur s'abaissa et attrapa la gamine pour la bercer contre son torse.

— Tu ne sais plus y faire avec les enfants, Yuzo, chantonna la voix du sage.

Le maître soupira longuement, reprenant sa pipe pour y insérer du tabac à l'intérieur. Il l'alluma et tira une longue bouffée qui le soulagea un instant.

— Celle-ci a particulièrement besoin d'attention, je ne sais plus comment faire, souffla-t-il, agacé.

— Nous te l'avons dit que tu n'étais plus tout jeune, tu n'as pas voulu écouter, répondit le grand sage sous sa cape vert mousse.

Il était certain que le sage n'était pas là pour répondre à l'appel du maître âgé. Après avoir réussi à endormir l'enfant, il la déposa dans son parc du salon attenant, puis s'installa aux côtés du maître qui effleurait sa longue barbe tout en fumant sa pipe.

— Comment l'as-tu trouvée ? demanda le sage, fixant son regard au travers de la forêt.

Yuzo inspira longuement sur sa pipe et annonça d'un ton flegmatique :

— Dans la ville de Saint Lauwrence en Angleterre. Une maison avait commencé à prendre feu avec la famille à l'intérieur.

— D'ordre accidentel ? 

Le vieillard secoua la tête de droite à gauche en l'abaissant, repensant à la fin funeste des parents de la jeune Naru.

— Hauwk était là, annonça-t-il dans un murmure.

Le seigneur de la terre se tendit d'un coup. Cette nouvelle ne présageait rien de bon pour leur avenir. Il soupira à son tour et retira sa capuche pour faire face à maître Yuzo. Rares étaient les fois où les seigneurs se dévoilaient ainsi.

De longs cheveux blonds se tressaient jusqu'au bas de son dos. L'immortalité avait un certain degré que le temps ne pouvait effacer. Un sourire mélancolique se dévoila à la commissure des lèvres, tandis qu'il fouillait dans la poche de sa cape.

— Mon seigneur, il n'est pas convenable de vous dévêtir ainsi, s'exclama le vieillard.

— Ne me la fais pas à moi, Yuzo ! pesta celui-ci, seul mon instinct maternel a pu apaiser cet enfant.

Yuzo n'en revenait pas. Le sage avait-il perdu la raison ? Celui-ci continua de trifouiller dans sa poche pour enfin en ressortir un morceau de papier froissé.

— L'orphelinat a fait appel aux sages dans la ville de Kyoto. Ils auraient au sein de leur établissement un étrange jeune homme recueilli il y a peu.

Yuzo le regarda perplexe. Si ce que Meromi annonçait s'avérait, le vieillard ne devait pas perdre son temps, au lieu de le fixer droit dans les yeux comme ce qu'il fit actuellement.

La sage se redressa et abaissa de nouveau sa capuche au-dessus de ses yeux. Elle s'avança au milieu du jardin traditionnel où les carpes koïs bullaient dans leur bassin. Meromi se retourna vers le maître qui n'avait pas bougé d'un iota et lui annonça :

— Nous te surveillerons. Nous, seigneurs, nous te jugerons.

Une brume l'entoura, alors qu'elle ajouta avant de disparaître :

— Sois-en digne.

Sur ces dernières paroles, le vieillard se leva et partit organiser quelques affaires pour lui et la jeune Naru qui gesticulait dans son parc.

Arrivé à la gare de Kyoto, Yuzo se dirigea vers l'orphelinat dont lui avait parlé Meromi, la sage de la terre. Il transportait sur son dos, dans un porte-bébé, la jeune Naru qui s'était endormie durant le trajet. Le vieillard tourna dans une ruelle et aperçut la bâtisse délabrée où quelques enfants jouaient avec un ballon devant l'entrée.

— Bonjour, je suis à la recherche de ce garçon, présenta-t-il la photo à l'une des bénévoles de l'orphelinat.

— Oh, c'est le jeune Tsukasa, lui répondit l'une d'elles. Suivez-moi, je vous en prie.

Le maître emboîta le pas à la bénévole au travers d'un couloir étroit où le papier peint déjà bien vieilli s'effritait sous l'humidité. Elle emprunta une porte qui donnait sur un jardin paisible où d'autres enfants apprenaient à planter des graines sous la vigilance d'autres personnes. La femme s'arrêta et héla une de ses collègues :

— Kaede, Kaede, ce monsieur souhaiterait voir Tsukasa.

Une femme vêtue de la tête aux pieds s'approcha de maître Yuzo. Son visage angélique et ses yeux marron reflétaient la sagesse. Elle s'inclina devant l'homme en l'invitant à le suivre. Yuzo s'inclina également devant sa première accompagnatrice avant d'accompagner Kaede dans un coin reculé du parc.

Assis sur un banc à l'ombre de la bâtisse, un jeune garçon restait, le regard figé dans le vide. Son corps ne bougeait point, restait de marbre.

— Quelle est son histoire ? interrogea le maître.

La femme se joignit les mains, puis soupira de mélancolie :

— Ses parents sont morts noyés il y a quelques jours de cela. Leur voiture a subitement percuté une rambarde de sécurité avant d'atterrir dans le fleuve Uji.

Le regard de maître Yuzo s'assombrit tout à coup. Il comprit malheureusement que la similitude entre les deux jeunes enfants était la mort de leurs parents de façon inexpliquée, mais Kaede n'avait pas fini son récit :

— Quand je suis arrivée sur place avec les autorités, une aura malfaisante s'étendait au loin, près d'un homme.

Elle baissa la tête honteuse et ajouta, la voix débordant de culpabilité :

— Je n'ai pas pu l'identifier, renifla-t-elle, mais j'ai tellement eu peur pour cet enfant que je l'ai vite embarqué avec moi tout en implorant la force des sages.

Le maître posa sa main compatissante sur celle de la jeune femme, qui s'essuyait nerveusement les yeux avec un mouchoir en coton, et s'inclina devant le vieillard avant de s'éclipser le cœur serré.

Yuzo s'approcha du jeune Tsukasa qui n'avait pas bougé d'un pouce. Vêtu d'un uniforme d'écolier, les cheveux noirs en bataille et la peau pâle.

— Je comprends ce que tu traverses, jeune homme, expliqua le vieillard. Cette jeune fille dans mon dos a perdu ses parents, il y a peu. Si tu le veux bien, je pourrai t'emmener pour vous élever tous les deux.

Le garçon ne tourna pas la tête, mais Naru, qui s'éveillait avec ses gazouillis, attira son attention. Le maître écarquilla les yeux quand il découvrit que sur le front du jeune garçon, il y avait également un diamant en losange incrusté, arborant la couleur immaculée de la neige en hiver.

Pendant la surprise qu'essayait de contenir le vieillard, Naru et Tsukasa échangèrent un regard interminable. Le jeune garçon se leva et s'approcha de la bambine. Il leva la main, s'arrêta avec un moment d'hésitation, puis effleura les joues de l'enfant. Tsukasa eut ainsi le premier sourire qui ressemblait plus à un rictus depuis la mort de ses parents.

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