Déchirement
Naru s'éveilla de son sommeil réparateur en sursautant. Elle ne manqua pas de se cogner la tête contre la fine couche d'eau qui lui servait de cocon.
Ayant achevé son rôle, la barrière magique se volatilisa, laissant une Naru se frottant le front.
Elle se tourna pour s'asseoir sur son lit, essayant de se remémorer les événements passés. Elle se souvenait de s'être endormie dans les bras de son bien-aimé après avoir réussi ses épreuves, mais ensuite, c'était le trou noir.
Naru était seul dans sa chambre, mais quelque chose la perturba. Un calme gênant régnait dans le temple. Elle décida de se lever et de se diriger vers la baie coulissante donnant sur le jardin. Elle l'ouvrit et découvrit avec stupéfaction Yahiro et Akito qui revenaient de la forêt en accompagnant son maître.
Ce qui troubla la jeune femme était leurs visages décomposés, regardant le plus clair de leur temps le sol qui passait sous leurs pieds.
Le cœur de Naru s'accéléra d'un coup. Elle sentait que quelque chose de grave s'était produit, mais ne savait pas encore de quoi il en retournait.
En relevant la tête, maître Yuzo remarqua que sa jeune apprentie se tenait sur le perron en bambou, le regard perdu dans leurs directions, le corps tremblant légèrement, ressentant l'angoisse se dégageant de lui et des sages.
Un long soupir s'échappa alors que ses épaules s'affaissaient, ne sachant comment annoncer à Naru, qu'elle ne reverra plus jamais l'âme qui faisait sa moitié.
— Nous pouvons le lui apprendre si tu préfères, murmura Akito qui ressentait l'angoisse du vieux maître.
— Nous nous en tiendrons à la version que tu nous as suggérée, ajouta Yahiro glacial.
— Non, c'est à moi de le faire, souffla Yuzo en secouant la tête, sentant son cœur se serrer.
Il s'avança légèrement et se retourna vers les deux sages :
— As-tu retrouvé ce que je t'ai demandé ? interrogea-t-il à Yahiro.
Celui-ci hocha la tête et sortit de sous sa toge une chaîne avec un pendentif. Il avait retrouvé la chaîne de Tsukasa en haut de la montagne où avait eu lieu le combat entre le jeune homme et Hauwk. Il était facile pour lui de retrouver une de ses créations, surtout quand on savait ce qu'elle représentait.
Yahiro déposa délicatement le bijou dans la main du maître et ferma son visage et y imposant un masque aussi froid que le métal.
Akito observa son coéquipier se refermer et regarda au loin la jeune femme qui s'était prodigieusement remise de ses blessures, mais qui devra bientôt affronter la plus terrible des douleurs.
— Ne restait pas trop loin au cas où, ajouta Yuzo la voix chevrotante.
Yuzo se retourna, prit une grande inspiration, souffla et s'avança lentement vers sa protégée. Un voile liquide s'infiltrait devant ses yeux. Et pour la première fois depuis des siècles, il eut du mal à contenir sa tristesse.
Naru aperçut le regard mélancolique de son maître en serrant son pendentif qui se trouvait sous son haut et accouru vers lui, gardant un semblant d'espoir au fond d'elle.
— Maître, vous êtes de retour, clama-t-elle avec une fausse joie.
Yuzo s'arrêta et laissa s'approcher la jeune femme au cœur innocent.
— Tsukasa est avec vous ? regarda-t-elle au-dessus de la tête du maître avant d'enchaîner, c'est bon, ça fait trois jours ou peut-être deux, qui sait, il doit être à sa troisième épreuve...
— Naru, s'il te plaît, commença à voix basse Yuzo.
Mais celle-ci ne l'entendait pas de cette oreille et continua son flot de paroles :
— Il a dû réussir avec rapidité ses épreuves et doit sûrement se reposer, continua-t-elle en essayant de trouver des réponses à ce silence pesant. Et que font les sages ici ? Ils ne sont pas censés surveiller ses épreuves ?
C'en était trop pour le maître qui hurla sans détour sur la jeune femme :
— Naru, ça suffit et écoute-moi, cria-t-il d'un ton sec.
Elle avait reculé d'un pas, surprise par le ton qu'avait employé son maître. Naru l'observa. Son maître tremblait, les poings serrés le long de son corps. Les muscles contractés, il se retenait du mieux qu'il le pouvait de ne pas craquer, car il devait être fort pour la réconforter.
Une chose brillante attira l'œil de la jeune femme. Dans le poing de Yuzo pendouillait une chaîne avec le pendentif de Tsukasa qui faisait refléter le soleil.
Il n'en fallut pas plus pour que ses jambes se dérobent sous elle.
Naru regarda son maître avec une infime chance que ce ne soit pas ce à quoi elle pensait. Mais celui-ci renifla discrètement et évita le regard de sa jeune apprentie en commençant son récit :
— Naru, entama-t-il la voix rouée, Tsukasa a...
Il s'arrêta un instant pour observer la jeune femme qui avait les yeux qui commençaient à s'embuer avant de poursuivre :
— Il a réussi ses premières épreuves, mais au moment de vaincre l'esprit du lac du dragon de la terre, il marqua une pause, il était trop épuisé.
Yuzo baissa le regard honteux de ne pouvoir lui dire la vérité et continua à lui mentir :
— Il a voulu faire ses preuves en un laps de temps trop court, mais sa fatigue a eu raison de lui, une larme s'échappa de l'œil du maître.
— Il n'a pas survécu, finit-il par avouer.
Le souffle de Naru s'était arrêté au début du récit de son maître. Une boule s'était formée au milieu de sa gorge, bloquant la bile qui lui remontait dans la trachée. Le corps frissonnant, elle découvrit dans la main de son maître, le pendentif de Tsukasa, que celui-ci lui tendait :
— C'est tout ce que nous avons pu conserver, je suis navré.
Choqué d'apprendre qu'elle ne reverrait plus sa moitié, un couteau s'enfonça profondément à l'intérieur de son cœur, déchirant les membranes pour y faire éclater sa peine.
Mais elle n'arriva pas encore à verser la moindre larme. Elle se leva et passa tel un fantôme à côté de son maître, surprit de sa réaction.
Elle s'avança et passa entre les deux sages, le visage fermé. Puis, sans crier gare, elle se mit à courir en sautant dans les arbres pour rejoindre sa destination.
Les sages froncèrent les sourcils, ainsi que le maître, avant de comprendre ce qu'elle s'apprêtait à faire et se mettre à la poursuivre pour tenter de l'arrêter.
Naru avait le cœur brisé de la perte de sa moitié et la colère s'immisçait de plus en plus en elle. Elle atteignit enfin son objectif, se tenant du haut d'un arbre, les cheveux volant sous la brise, puis regarda le soleil à son zénith avant de fusiller le lac du dragon de la terre.
Elle sauta de l'arbre et prit son élan pour plonger dans l'eau. Pas le temps de prendre la peine d'appeler son ami Kido, ce n'était pas son affaire.
Naru chercha du regard la montagne similaire de l'autre lac et s'approcha en furie vers celle-ci.
Elle projeta un faisceau lumineux qui s'écrasa contre la forme. Celle-ci se réveilla avec rage, se demandant quel imbécile pouvait venir troubler son sommeil.
Un sourire vicieux se dessina sur les lèvres de Naru, qui matérialisa sa pensée pour que le monstre l'entende.
Ton frère a péri par mes mains et maintenant, c'est à ton tour, car tu m'as enlevé un être qui m'était cher.
Le dragon ne comprit pas la complainte de la jeune femme, mais pour avoir troublé son sommeil, elle devait mourir. Il l'attaqua avec rage et en un coup lui entailla le bras.
Mais Naru était trop envahi par la colère pour ressentir quoi que ce soit et fonça droit sur son ennemi. Avec acharnement, elle lui balança une multitude de boules lumineuses en pulvérisant le corps squelettique du dragon qui grogna de douleur.
Elle concentra son pouvoir, ne laissant pas de répit à la bête se tenant devant elle, et lui éclata les yeux avec sa nouvelle puissance qui coulait dans ses veines. Elle souleva un énorme rocher et l'écrasa sans pitié sur la bête agonisante.
Les sages et le maître arrivèrent trop tard, quand ils remarquèrent l'eau du lac se changer en une mare de sang. Ils virent Naru sortir de l'eau, essoufflée.
La scène en était surréaliste. Ils la regardèrent s'avancer vers le cerisier centenaire, où elle prit une pierre triangulaire afin d'y graver sa peine avant de caresser le tronc avec tristesse. Puis, elle s'effondra en larme devant ce qui lui restait de son amour.
Ses cris de colère s'élevaient dans les airs, perturbant la sérénité du lieu en une complainte déchirante.
Toutes les personnes présentes avaient le regard baissé d'amertume ou de rage face à ce spectacle et ne remarquèrent, en rien, une autre présence perchée du haut d'un arbre à l'opposé d'eux.
Un homme froid, qui contemplait une dernière fois la femme qu'il avait autrefois aimée. Il attendit que le calme revienne et que les personnes disparaissent avant de se téléporter devant le cerisier en fleur.
Il scruta ce qu'avait gravé Naru et ne put empêcher une larme de s'échapper.
Sous le signe des dragons, elle avait dessiné avec peine une croix enflammée et avait signé :
« Au deuil de mon amour, Enari »
L'homme compléta les écrits de l'arbre en y introduisant un G. puis il se détourna avant de disparaître dans la nuit naissante.
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