Cauchemars

Un petit garçon aux cheveux d'ébène regardait le paysage défiler derrière la vitre de la voiture. De son jeune âge, il était tout excité de se rendre en ville avec ses deux parents assis à l'avant. Il ne les voyait que de dos, mais ce qui le perturba un tant soit peu, c'était que les images reflétées par ses parents étaient floues et ondulantes.

— Papa, papa, on est bientôt arrivé ? interrogea le petit.

Son père, qui conduisait, ne répondit pas. Sa mère assise à ses côtés se retourna, mais le garçon fut tétanisé par la vision se présentant face à lui. Les cheveux de sa mère flottaient autour d'elle, masquant une partie de son visage. L'autre était comme fissuré avec des éclats de verre enfoncés dans la chair. Du sang s'écoulait de ses yeux et de son sourire.

— Maman ! hurla le jeune garçon, s'enfonçant dans son siège, terrorisé.

Il voulut tourner la tête pour s'ôter cette affreuse vision, mais vit que la voiture commençait à s'immerger dans la rivière. Le petit regarda autour de lui, affolé, ne discernant aucune issue de secours. Son père, face à lui, avait le haut du corps et la tête appuyée contre son volant, parfaitement inerte.

Quant à sa mère, elle tendit les bras pour réconforter son tendre enfant. Sa main ensanglantée imprima une marque sur la joue de son fils, elle chuchota des paroles que le jeune garçon n'entendit pas. Il était trop effrayé, son cœur cessant de battre au fur et à mesure que l'habitacle se gorgeait d'eau. Il fixa sa mère dans les yeux, essayant de se débattre avec ses mains frêles face à la transformation des pupilles de sa mère. Du rouge s'infiltrait dans ses iris, suivi de nervures noires. Un regard épouvantable qu'à jamais le petit garderait dans son esprit.

Mais sa peur ne s'arrêta point là. La bouche déformée de sa mère s'ouvrit en grand, montrant ses dents habituellement blanches, dégoulinant de sang. Cette couleur bordeaux s'écoulait comme du vin et se mélangeait avec l'eau de la rivière. Un son guttural sortit de sa bouche, mais seul un grognement parvint aux oreilles du petit. Le jeune garçon n'arrivait plus à respirer. Des larmes s'écoulèrent sur ses joues. Il avait peur, très peur, et hurla à pleins poumons pour qu'on vienne le sortir de là. Il hurla face à l'atrocité que renvoyait sa mère. Il hurla, replié au fond de son siège, sans aucun moyen de fuir.

Soudain, Tsukasa se réveilla en sursaut, le souffle haletant. Il réalisa que tout cela n'était qu'un rêve effroyable.

— Que s'est-il passé ? se demanda-t-il.

Il toucha son front trempé de sueur et se tâta le corps, se soulageant du cauchemar dont il avait été victime. Mais était-ce réellement un mauvais rêve ? Ou un lointain souvenir de l'accident qui a tué ses parents ?

Il se leva en prenant soin de ne pas réveiller Naru, qui s'agitait dans son sommeil. Elle n'était pas accourue pour le rassurer comme à son habitude, car les épreuves l'avaient beaucoup épuisée et ses blessures mettaient du temps à cicatriser. Tsukasa se dirigea, torse nu, vers la baie et l'ouvrit, laissant apparaître les teintes rosies de l'aurore. Il prit une inspiration puissante, laissant son corps se faire caresser par la brise fraîche matinale.

Les oiseaux chantaient dans la forêt. Le ruisseau s'écoulait dans son lit. Le shishi odoshi tapait avec lenteur contre le bambou. Ce calme parfait, Tsukasa ne pouvait pas s'en passer. Il relâcha sa respiration, s'étirant et lavant les images de son rêve. Il savoura ce doux moment paisible, mais un son le sortit de sa méditation. Il se tourna vers la source de ce bruit.

Naru se tordait de douleur dans son sommeil. Elle gémissait en se cramponnant à son ventre. Il s'approcha à la hâte à son chevet pour tenter de la réveiller, mais elle était profondément ancrée dans son sommeil. Il n'arrivait pas à voir où elle avait mal. Il courut chercher son maître pour le prévenir et tous deux revinrent auprès de la jeune femme.

Arrivés sur le seuil de la chambre de Naru, ils s'arrêtèrent en voyant Akito et Yahiro à ses côtés. Le seigneur de l'eau l'enveloppait dans un cocon d'eau, tandis que le seigneur du métal attendait, les bras croisés sur son torse.

— Que faites-vous ? demanda Tsukasa sur un ton pressé.

— Nous la protégeons, répondit Akito sans se détourner de sa tâche.

— Mais de quoi ? s'enquit le jeune homme.

Akito soupira d'exaspération. Le sort qu'il appliquait à la jeune femme n'était pas commun. Il avait pu intervenir à temps, car une hémorragie interne s'était doucement infiltrée dans son abdomen. Averti par le comportement de la jeune femme qu'il surveillait et profitant de l'absence de Tsukasa, il a pu se téléporter dans sa chambre et commencer le processus de guérison.

Sentant la pointe d'énervement du jeune seigneur, maître Yuzo tira sur le bras de Tsukasa pour l'éloigner de la pièce.

— Il est temps de se préparer, annonça froidement Yahiro.

Le seigneur de métal se dirigea vers l'extérieur sans un regard pour la jeune femme dans le cocon d'eau. Tsukasa n'avait pas envie de le suivre et souhaitait rester auprès de sa moitié, mais son maître n'était pas de cet avis et l'incitait à entamer ses épreuves.

— Quand tu auras fini, tu pourras la revoir, pesta le maître avant d'ajouter, le processus de guérison est plus long au vu de son état. On prend soin d'elle.

Il devait se résigner. Entre la surveillance de son maître et d'un haut sage, elle n'aurait rien à craindre. Le maître lui tendit le bagage qu'il avait préparé la veille, que Tsukasa récupéra en rechignant. Il déposa un baiser sur le front de Naru et comprima légèrement sa main.

— Récupère vite mon amour, je reviens dans trois jours.

Puis il se dirigea vers Yahiro qui l'attendait près du bassin de carpes koïs.

Après leur évaporation, Akito finit son charme de protection et alla s'asseoir sur un coussin au fond de la pièce.

— Dans deux jours, elle sera entièrement rétablie, annonça-t-il amer.

— Tu as su intervenir à temps, s'avança le maître vers lui.

Yuzo tassa un peu de tabac dans sa pipe et l'alluma en toussotant. Akito rit des poumons délicats du maître âgé.

— Tu devrais arrêter cette saloperie, Yuzo.

Le maître ignora sa remarque et se dirigea vers la baie. Il se questionna sur les épreuves à venir pour son jeune apprenti. Comme avec Naru, le jeune homme a eu un retour de la mort de ses proches. Comme Naru, il devra affronter les difficultés dans des conditions particulières. Enfin, comme Naru, il croisera certainement le sombre regard de leur ennemi qui les épia jusqu'au tréfonds de leurs âmes.

— La surveillance de Tsukasa sera à son maximum ? questionna-t-il au seigneur.

Akito soupira à l'entente de ce nom, il ne jugeait pas d'un très bon œil ce jeune garçon.

— Nether et Yahiro vont s'en charger pour ma part, je resterai ici pour surveiller la demoiselle.

Yuzo maintint le dos tourné au seigneur. Il s'inquiéta de l'état mental de Tsukasa, qui a pu voir et vivre la mort plus réellement que Naru.

Il s'assit sur le perron, faisant craquer ses vieux os, et laissa s'échapper la fumée de sa pipe dans le ciel.  

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