Akito perd patience
« ... Après ce tragique incendie et les terribles épreuves que la famille a traversées, la ville d'Izumo est rassurée de savoir que parmi ses habitants une héroïne leur est venue en aide. Elle n'est pas connue physiquement et les autorités ne savent rien de la jeune femme qui a secouru la jeune Nomi. Seul son nom résonne dans les rues, depuis que nous avons interviewé la famille de Nomi... »
Le téléviseur retransmit les informations qui tournaient en boucle depuis deux jours. Naru était allongée sur son lit et les regardait en souriant. Sa mission de se faire connaître avait payé, le Japon, mais surtout Izumo bénéficiait de sa protection.
Yuzo et elle étaient parties rapidement après l'arrivée des autorités, mais celui qui les accueillit dans son petit triplex les avait vite fait redescendre de leur petit nuage. Le sage de l'eau, Akito, avait depuis son départ gardé un œil sur la jeune femme. Il n'avait pas attendu que Meromi lui en fasse part, qu'il en eût déjà décidé de lui-même.
Quand il a senti que le combat de la soirée n'était pas habituel, mais sachant l'arrivée de Yuzo dans la ville, il avait préféré les attendre sur place. Ce n'était qu'en découvrant leur état respectif qu'Akito a soupiré d'exaspération avant de remonter les manches pour les soigner.
Maître Yuzo en le voyant s'était tout de suite incliné en implorant sa clémence, tandis que Naru, épuisée de son combat, mais surtout le corps mutilé, avait préféré s'avachir dans son canapé en ignorant la présence du sage.
— Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre quand vous vous y mettez, soupira le sage.
— Je vous prie de nous pardonner, mon seigneur, mais la situation était urgente pour sauver la pau...
Yuzo ne cessait sa complainte, mais Akito le coupa d'un ton sec :
— Que des monstres s'attaquent à un sanctuaire, c'est une chose, mais que ta disciple le détruise en combattant, c'en est une autre, cingla le sage.
— C'était ça ou laisser la gamine entre leurs griffes, bougonna Naru en essayant de croiser les bras.
Or, ses épaules lacérées la faisaient souffrir, et elle laissa ses bras lourds de part et d'autre de son corps. Akito leva un sourcil devant sa remarque, puis s'approcha de la jeune femme. Depuis la tragique disparition de sa moitié, il avait vu l'apprentie s'affirmer dans ses actions et prendre plus d'assurance dans ses combats. Déjà qu'elle avait bien été entraînée par le maître, la perte de Tsukasa avait renforcé sa détermination.
Il avait été surpris quand elle avait posé ses bagages à Izumo alors qu'elle se complaisait dans d'autres contrées. La jeune femme avait déjà nettoyé les rues des autres villes qui grouillaient de créatures, mais pas de la catégorie de ceux qu'elle avait affrontés dans la nuit.
Le sage s'approcha d'elle puis s'assit sur le canapé jaune qui contrastait horriblement avec sa toge bleue. Il constata les blessures de la jeune femme et posa ses mains sur ses épaules en lui appliquant son don. Naru cala sa tête en arrière, sentant les lacérations de sa peau se refermer. Elle savait, par expérience, qu'Akito restera plusieurs jours à veiller sur elle pour la soigner, car mine de rien, les monstres ne l'avaient pas épargné.
— Il faut que je prenne des nouvelles de Kido, commença-t-elle la voix éteinte, il en a pas mal bavé lui aussi.
— Meromi et Mohiro sont déjà à ses côtés, rassura le sage avec douceur, il se repose actuellement dans la forêt des lumières.
Naru hocha faiblement la tête, soulagée d'avoir pu renvoyer son ami du combat. Elle sentit les paumes d'Akito descendre au niveau de son abdomen pour entamer sa guérison et se laissa glisser dans le sommeil qui la tiraillait depuis son arrivée.
Yuzo s'approcha d'eux et s'installa sur un fauteuil. Il sortit de son sac tout son matériel et commença à tasser le tabac dans sa pipe. Après avoir tiré une longue bouffée, il laissa la fumée sortir de ses narines sous un air songeur.
— Je m'occupe de ta jambe après, indiqua Akito en le sortant de ses songes.
Le maître regarda sa jambe, mais ne souffrait pas de la douleur. Il tira de nouveau sur sa pipe et la posa sur son coussin.
— Vous êtes bien sournois, vous les sages, soupira le vieillard.
Akito arrêta un instant son processus sur la jeune femme en entendant ses mots. Il souffla en fermant les yeux avant de reprendre sa manipulation et annonça :
— Nous ne pouvions te révéler ses emplacements, elle ne faisait que bouger.
— Mais vous auriez pu me dire comment elle allait, s'exaspéra le vieillard.
Perdant patience et voyant que les blessures de Naru peinaient à cicatriser, Akito leva la main autour d'elle et engloba la jeune femme dans sa bulle. Il la fit sur élever jusqu'à son lit en s'assurant de son sommeil réparateur avant de se tourner vers Yuzo les poings sur les hanches.
— Son départ était certes prémédité et elle l'a fait dans ton dos, mais elle était constamment sous surveillance, Yuzo. Yahiro et moi-même, nous nous sommes relayées, et l'avons vue combattre avec autant d'acharnement que ce soir, rétorqua le sage en soufflant agacé.
— Mais pourquoi ne pas m'avoir tenu informé ? s'exclama le maître, j'étais mort d'inquiétude à tourner en rond au dojo. Il a fallu que je suive les miettes de son passage, priant qu'elle ne le croise pas !
Akito savait à qui il faisait référence, puis il secoua la tête en portant sa main à son front. Au même moment, ressentant le désarroi de son frère, Yahiro apparut dans une brume grise et fusilla de son regard métal le maître.
— En aucun cas, il ne s'est manifesté, trancha-t-il glacial, les bras croisés sur son torse.
— Pour l'instant, baragouina le maître dans sa longue barbe.
Le sage de métal s'approcha et posa une main sur l'épaule de Yuzo.
— Depuis sa mort, il a disparu. Nous n'avons aucune piste le concernant, il est aussi invisible que son prédécesseur, mais nous veillons sur Naru, indiqua Yahiro calmement. Akito va rester quelques jours ici, mais comme pour tes anciens disciples, il va falloir la laisser mener ses propres combats.
Yuzo baissa la tête devant les paroles du sage de métal. Leurs vérités n'avait d'égales à leurs grandeurs. Il savait qu'il devait laisser sa fille prendre son envole, mais cela fut plus que difficile pour lui de la voir grandir après la perte de son garçon. La retrouver la veille avait été un soulagement, et il pensait la faire convaincre de revenir au temple, mais Naru avait semé les graines de ses réussites et avait trouvé un travail et une vie. Il soupira, puis leva son regard vers la baie vitrée.
Akito s'approcha de lui et s'affaira sur la jambe lacérée du maître. Yuzo laissa ses épaules retomber et souffla :
— Je resterai jusqu'à ce qu'elle soit rétablie et je retournerai au temple.
— Nous partirons ensemble, Yuzo, indiqua Akito avant d'ajouter, mais sache que si nous ne la regardons pas tous les jours, Kido est auprès d'elle à travers son lien.
— La puissance du renard a bien évolué, ajouta Yahiro, sa mère veille sur lui et lui sur Naru. Ils ont établi une belle complicité.
— Y aurait-il un cœur sous cette couche de métal en fusion ? se moqua Yuzo.
Le sage de métal glissa un œil sévère sur lui, laissant le maître enfoncer sa tête dans ses épaules malgré ses yeux plissés de malice.
Naru s'était rapidement rétablie, mais avait dû poser quelques jours de congé auprès de son employeur, expliquant l'arrivée soudaine d'un parent éloigné. Travaillant d'arrachée depuis qu'elle avait posé ses bagages à Izumo, le patron du bar le lui avait accordé sans souci.
* * *
« Merci, Enari, sans toi, je n'aurais pas pu revoir ma famille... »
Le téléviseur qui retransmettait les images de son symbole et les paroles de la petite Nomi s'éteignit. Naru s'étira dans son lit avant de se lever et de se diriger dans sa salle d'eau. Naru avait dû rester alité durant deux jours sous la surveillance accrus d'Akito qui ne la lâchait pas d'une semelle. Ce n'était que quand celui-ci avait été contacté par ses compagnons, qu'il lui avait autorisés à se lever, mais la mettant en garde de ne pas en faire trop.
Naru sortit de la pièce en s'essuyant les cheveux, drapé d'un drap de bain, quand elle croisa son regard bleu azur, et ses bras croisés sur son torse.
— Ce n'est pas beau de la part d'un sage d'épier les jeunes femmes, chambra Naru.
Akito fronça les sourcils devant sa remarque et se retourna, gêné. Ce fut ce moment-là que choisit le maître pour rentrer dans le triplex avec quelques courses en main, repérant les joues cramoisies du sage et sa disciple riant de lui.
— Je ne veux même pas savoir, soupira le vieillard exaspéré.
Naru haussa les épaules et se mit à sautiller vers les escaliers pour regagner l'étage en s'esclaffant. Akito en profita pour reprendre ses allures de prestance en se raclant la gorge, tandis que le maître mit de l'eau à chauffer dans la bouilloire.
— Nous allons lâcher du lest concernant Naru, indiqua le sage.
— Je m'en suis douté quand tu as disparu ce matin, lui répondit Yuzo.
Akito fit la moue et se dirigea vers le petit salon. Il s'assit tandis que le maître apporta un plateau avec trois tasses, une théière et son traditionnel mélange d'herbe aux jasmins. Il entreprit dans des gestes délicats de servir le thé au sage en se tenant l'avant-bras tout en faisant couler l'eau fumante de la théière.
Le sage de l'eau croisa ses doigts sur sa tunique, l'air songeur. Le rassemblement qu'avait provoqué Meromi à l'aube le laissa encore perplexe, mais il se décida à en informer tout de même le maître :
— Meromi a demandé à ce que l'on prenne du recul. Nous allons entamer une retraite dans la forêt des lumières pour rentrer en connexion avec nos éléments.
Yuzo stoppa son geste en ouvrant de grands yeux sur le sage.
— Que voulez-vous dire ? Vous n'allez plus intervenir auprès de ceux qui feront appel à vous ? s'étonna-t-il.
— Pas pendant un certain temps, confirma Akito en secouant la tête. Depuis que l'essence de Nether a été détruite, nous n'avons plus de sage du feu. Même si les humains continuent leurs prières ou manifestent en rapport avec son élément, nous ne pouvons nous présenter à sa place.
— Je comprends, vous n'avez pas réussi à le faire renaître, songea Yuzo.
À nouveau, le sage secoua la tête, mais ne dit plus rien quand ils virent arriver Naru dans une tenue plus décente. Elle s'installa sur le canapé, assise en tailleur, et attrapa une tasse en sentant la délicieuse odeur du jasmin. Remarquant la mine inquiète de son maître, elle demanda :
— Il y a un évènement dont vous devriez me faire part, maître ?
— Non, ma fille, tu as accompli un beau combat, et il est temps pour moi de repartir au temple, rassura-t-il.
— Mais vous venez à peine d'arriver, maître.
Yuzo soupira, tandis qu'Akito se leva et posa sa main sur son épaule. Il était temps pour eux de laisser la jeune femme s'occuper dans sa nouvelle vie.
— Donne-moi de tes nouvelles de temps en temps, indiqua le vieillard à sa disciple avant d'ajouter, et surtout, prends soin de toi.
— C'est promis, rassura-t-elle.
Elle se leva et le prit dans ses bras. Akito avait indiqué au maître que pour son retour il le déposerait directement avant de s'éloigner avec ses compères. Naru les regarda disparaître dans une brume blanche, après s'être inclinés devant eux.
Yuzo retrouva la sérénité de son temple en entendant le doux son du shishi odoshi. Il dirigea son regard vers la cime des arbres, tandis que le sage disparaissait à son tour en le laissant seul. Un sentiment de trahison lui enserra le cœur depuis la mort de Hauwk. Il laissa derrière lui ses inquiétudes et se dirigea vers le dojo pour une séance de méditation.
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