16 ans plus tard
Un être épiait sa proie, tapi dans l'ombre des buissons. Elle examinait en silence les gestes de sa cible vivante avec grâce. Positionnant les bras tendus et les mains enfoncées dans la terre meuble, elle releva légèrement son bassin afin de bondir sur le rocher en face d'elle.
Mais sa cible intercepta son mouvement d'un geste, bloquant son poing gauche qui voulait s'écraser sur le visage du vieillard. Elle n'en resta pas là et une boule de lumière se forma dans sa main droite qu'elle dirigea droit sur l'homme. Une explosion assourdissante retentit alors, faisant s'envoler littéralement les oiseaux vers le ciel, fuyant tout danger.
L'immense pierre face à elle n'était plus qu'un cratère. Elle se maintenait, les mains positionnées sur ses jambes, tentant de reprendre son souffle.
— Bien, annonça le vieillard positionné sur sa branche, tu as réalisé d'énormes progrès, Naru.
Il alluma sa pipe afin de tirer une longue bouffée dessus, recrachant l'épaisse fumée. Maître Yuzo admirait les réels efforts de son apprentie qui avait un peu plus de difficulté que Tsukasa.
— Sérieusement, cracha-t-elle entre deux souffles, comment fais-tu ?
Yuzo plissa davantage ses yeux d'un air rieur, tout en effleurant délicatement sa barbe abondante. Il descendit tel un singe pour rattraper la jeune femme qui avait nettement grandi depuis seize ans. Un corps musclé dû à ses entraînements, un fin visage arborant de magnifiques yeux vert cristallin aussi clair que de l'eau de roche, unique en son genre. Une chevelure aussi flamboyante que le pelage soyeux du renard qu'elle gardait précieusement attaché pendant ses séances en une longue queue de cheval. Et le diamant ébène toujours positionné au milieu de son front ressortait d'autant plus sa noirceur sur sa peau légèrement hâlée.
— C'est de l'entraînement, mon enfant, répondit-il amusé.
Naru lâcha un gros soupir d'exaspération. Elle se dirigea vers le sentier qui menait au temple en rassemblant ses affaires au passage.
Assis en tailleur dans le jardin, Tsukasa écoutait attentivement avec apaisement les carpes koïs qui bullaient dans le bassin naturel. Ce fond sonore n'était brisé que par le cognement du shishi-odoshi qui déversait son trop-plein dans le fin ruisseau.
Il sentait le vent effleurer son fin visage pâle, faisant virevolter ses cheveux mi-longs aussi noirs que les ténèbres.
Sa concentration inébranlable était digne des plus grands moines tibétains. Il pouvait aisément méditer des heures sans être une seule fois perturbé. Du moins, jusqu'à une certaine limite venait la perturbation. Ses mains positionnées en fleur de lotus tressaillirent. Une présence se rapprochait rapidement, trop rapidement.
Il conserva sa position telle quelle, attendant de voir surgir l'intrus, mais rien n'approcha. Il fronça les sourcils, se concentrant au maximum sur les mouvements qu'engendrait l'être dans la forêt.
Il ouvrit subitement ses yeux rouge orangé et fit face à une panthère noire qui faisait danser ses épaules, prête à attaquer. L'immense animal fixait longuement Tsukasa sans une once de peur réelle dans le regard. Ses yeux vert émeraude contrastaient et sublimaient son pelage noir reflétant parfaitement un bleu nuit à la lueur du jour. L'échange entre les deux êtres n'était en rien tendu. Ils se jaugeaient chacun leur tour, analysant la force de l'autre, mais l'animal effectua un bond en arrière et décampa en pénétrant dans la forêt. Tsukasa plissa les yeux, se demandant ce qui pouvait effrayer ce noble animal, mais reçut tout à coup un poids sur les épaules qui lui enserrait la gorge.
— Tsukasaaa ! hurla Naru dans ses oreilles.
Il ne chercha pas longtemps pour comprendre que Naru était arrivée à pas de loup derrière lui, sautant sur son dos. Au contraire de certains qui auraient été agacés d'avoir été interrompus lors de l'échange spirituel d'une méditation, il en était ravi d'être constamment surpris et glissa soigneusement le corps souple de la jeune femme sur ses genoux immobiles, la fixant intensément avec un amour inconditionnel.
Il aimait tant plonger son regard dans le sien. Ne se considérant nullement comme frère et sœur, les deux orphelins avaient trouvé en chacun leur moitié, tout comme le yin rencontra le yang.
L'un était de nature enjouée avec un tempérament énergique de feu, quant à l'autre, plus discret et en retrait, la complétait par la force intérieure de sa pure sagesse. Naru papillonna ses yeux de biche, le regardant tendrement et le détaillant comme le premier jour de leur rencontre à l'orphelinat.
La gamine, après avoir bavé abondamment sur le porte-bébé dans le dos du vieillard, avait éveillé ses grands yeux et voyait seulement lui. Depuis ce jour où le maître Yuzo les emmena au temple pour entreprendre leurs formations, ils ne se lâchaient pour ainsi dire jamais.
Elle déposa délicatement sa main sur la joue froide de Tsukasa et, avec une pression délicate, le força à s'abaisser pour lui déposer un baiser à la commissure des lèvres. Un raclement de gorge fit sursauter les jeunes tourtereaux, rompant ainsi leur connexion.
Deux âmes si belles renfermant chacune un pouvoir considérable. Yuzo le savait pertinemment depuis le début. Ils étaient faits l'un pour l'autre, mais après maints et maints échecs à tenter de les séparer, il avait laissé tomber après les avertissements intempestifs des sages. Ils voyaient d'un regard sévère le rapprochement des deux jeunes enfants.
* * *
— Je l'ai encore retrouvée ce matin dans le lit de Tsukasa, soupira le vieillard, las.
Meromi rendait parfois visite à Yuzo pour évaluer la progression de ses jeunes apprentis. Elle secouait la tête, dépitée d'entendre qu'après que le vieillard avait plus ou moins réussi à élever Naru, non sans plusieurs échecs, il rencontrait la difficulté de séparer les jeunes enfants. Elle porta sa tasse de thé au jasmin à ses lèvres et but une gorgée de ce liquide exquis. L'un de ses nombreux péchés mignons.
— Cela ne lui est ainsi pas passé, releva-t-elle d'un air contrit.
Le vieillard alluma sa pipe et frotta son front plissé de rides et parsemé à certains endroits de taches brunes, entièrement dépassé.
— Jamais ! Oh grand jamais, je n'avais rencontré ce cas de figure avant, souffla-t-il au travers de sa fumée.
— Ce n'étaient pas les mêmes conditions, Yuzo, tenta de le rassurer davantage Meromi. Les jeunes héros que tu avais formés étaient solitaires pour la plupart. Même un vieux dragon comme toi n'aurait pas pu faire face à cette attraction.
Elle étendit sa main sur celle du vieillard qui haussa les épaules, puis se leva pour vaquer à ses occupations. Mais Meromi fut interrompue en se levant lorsqu'une petite bouille rousse se jeta sur elle, manquant de peu de la faire renverser.
— Mémé ! cria gaiement la jeune Naru du haut de ses cinq ans.
Meromi toisait en silence la gamine espiègle d'un regard sévère ; elle ne supportait pas le surnom familier que la jeune enfant lui avait attribué. Yuzo était, quant à lui, autant choqué que désespéré du comportement singulier de la fillette souriante qui tendait les bras vers la sage.
— Je t'ai déjà répété plusieurs fois que je m'appelle Meromi, ME-RO-MI, ajouta-t-elle en détachant les syllabes, sifflant son mécontentement.
— Mémé ! répétait vivement la gamine de ses yeux joueurs.
Meromi disposa ses doigts sur ses yeux, elle-même dépassée par la situation. Elle saisit l'enfant dans ses bras et lui montra, après résignation, le tour de magie favori de la gamine. Elle s'avança avec la petite dans le jardin, puis disposa la main sur une herbe folle. Une vive lumière dorée s'échappa de la paume de Meromi qui s'infiltra dans les racines de la plante. Celle-ci se redressa, acquérant d'un coup goût à la vie et fleurissant en une magnifique orchidée blanche avec des nervures rose pâle.
Naru applaudissait vivement dans ses bras vigoureux, répétant sans cesse :
— Encore Mémé, encore !
— Naru, arrête d'embêter Meromi s'il te plaît, intervint une voix derrière la sage.
Elle se retourna vivement, surprise de ne pas sentir l'arrivée du jeune Tsukasa. L'immense pouvoir qui l'habitait était bien trop grand dans un corps aussi peu épais. Elle songeait si Mohiro, le sage de l'univers, soupçonnerait sa présence avec son handicap ? Pendant sa réflexion, Naru se débattait dans ses bras pour sauter sur ses fines jambes et courir dans les bras du jeune garçon qui s'accroupissait pour l'attraper.
Rien que ce geste, empli de tendresse, fondait le cœur de la sage. Elle hocha la tête vers le vieillard qui apercevait la scène, se résignant également à la situation hors de leur contrôle. Meromi s'enveloppa dans sa cape et disparut dans un épais nuage de fumée, laissant derrière elle une Naru qui s'extasiait devant sa magie naturelle et un Tsukasa qui contemplait la petite avec émerveillement, prenant soin de la fillette comme de son trésor le plus précieux.
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