CHAPITRE 3
« Don't blame me, love made me crazy»
Don't Blame Me, Taylor Swift
Ambre - Présent
L'eau coule sur la fenêtre mal isolée de ma chambre. Je me balance d'avant en arrière en chantonnant, dans l'espoir de me rassurer. Il fait trop noir, mais la lumière me fait mal aux yeux. Je ne me sentirai plus jamais en sécurité, quoi qu'il arrive. Il s'en est assuré.
Je serre la lame dans ma main, incapable de faire un pas sans un moyen de protection. C'est déjà un progrès que je dorme seule. Je suis même étonnée qu'ils ne m'aient pas foutue dehors et abandonnée plus tôt. Je suis un tel poids mort. Moi et ce qu'il reste de mon esprit. Moi et mes blessures. Moi et mes factures d'hôpital. Moi et mes docteurs.
Quelle vie.
Mes yeux sont plus secs que le désert du Sahara alors que je contemple la lune. Elle brille dans le ciel, et me nargue avec sa lumière bienfaitrice.
Un, deux, trois, quatre.
Je compte dans ma tête, pour reprendre mon souffle et rediriger mes pensées. C'est la psy qui m'a dit de faire ça. Oh, je ne suis allée la voir qu'une fois. J'avais trop envie de la tuer. En fait, quand j'ai repris des forces, j'avais tellement envie de tuer que je me suis ouvert les veines pour ressentir le plaisir d'enfoncer mon couteau dans de la chair. C'est pour ça que j'ai dû voir une psy. Formalité de l'hôpital que Kasimir n'a pas réussi à m'éviter. Mais bon, je pense plutôt qu'il n'a pas voulu que je l'évite.
Ça semble logique. Pour eux, je suis brisée, et je dois me reconstruire, penser à une nouvelle vie.
Ils n'ont pas tort, d'un côté. Je pourrais simplement... tout oublier.
Mais ma mère a tout sacrifié pour moi, et j'ai passé ma vie à fuir. Tout ça, c'est fini.
Un petit coup à ma porte me fait sursauter. Je soupire, sans répondre, car je sais qu'il va s'inviter quelle que soit ma réponse.
— Ambre.
Je tourne la tête vers l'entrée. Dans l'encadrement de la porte, Kasimir a l'air d'un mastodonte.
— Qu'est-ce que tu veux, Kas ?
Ma voix est lasse et fatiguée. Mon tatouage me brûle encore un peu, une distraction bienvenue des piques de douleurs répétées de ma jambe.
— Nila s'est mal exprimée.
Je reste silencieuse. Elle ne voulait peut-être pas dire ça, mais elle le pense certainement. L'issue reste la même.
— Ambre, il n'y a eu aucune attaque depuis plus d'un mois.
— Seulement parce qu'ils n'ont pas réussi à me trouver.
— Serait-ce si difficile que ça d'imaginer qu'il a renoncé ?
Difficile n'est pas le mot que j'emploierais. Impossible me semble plus approprié.
— Je partirai demain.
Il secoue la tête.
— Tu n'iras nulle part. Tu vas te trouver un boulot et reprendre ta vie en main.
Je ricane, tellement cette injonction semble ridicule.
— Je n'abandonnerai pas ma mère. Elle, elle ne m'a pas abandonnée.
— Ambre.
Je fronce les sourcils devant son expression lasse.
— Ta mère...
Il soupire.
— Il n'y a aucune trace de ta mère, d'accord ? La maison à Boston était à ton nom. Hormis le texto que tu m'as montré... De toutes mes recherches, je n'ai trouvé aucune trace papier de son existence.
Ça, c'est la meilleure. Je ris froidement en détournant mon regard de lui. Il me croit folle, maintenant. Après tout, il a peut-être raison.
— Ma mère existe, Kas.
Il souffle.
— Je n'ai pas dit le contraire. Mais je n'ai aucune piste pour la trouver, tu comprends ? Rien, même pas un petit bout de chemin. Elle a disparu de la surface de la Terre, Ambre. Tu ne peux pas passer toute ta vie à courir après un fantôme.
— Regarde-moi bien le faire.
Mon sifflement ne semble pas lui plaire. Son ton se durcit.
— Ambre, elle a réussi à t'envoyer un message pour te prévenir du danger qui te menaçait. Tu ne crois pas qu'elle se serait manifestée maintenant, si elle avait envie que tu la retrouves ?
— Va te faire foutre.
J'aurais aimé rassembler plus de rage pour lui répondre. Je ne veux pas le regarder, parce que je ne veux pas qu'il voie mes larmes.
Il a raison, je le sais, mais si même ma mère m'abandonne... alors il ne reste rien.
— NON ! JE T'EN SUPPLIE ! ARRÊTE !
Mon hurlement déchire l'air. L'odeur est pestilentielle, mais c'est moi qui me suis fait dessus. Je veux faire quelque chose, me battre, le couper, n'importe quoi, mais je suis enchaînée au plafond, et mes bras me font terriblement mal. Mon abdomen est bandé, mais maladroitement. Je sens le sang qui s'échappe peu à peu. Mes jambes, elles, sont nues, et l'homme cagoulé en face de moi les taillade. C'est comme mon cauchemar d'enfance, redevenu réalité.
La souffrance est trop pour moi. Je ne peux pas la supporter. Je ne peux pas me battre. Même mes pieds sont enchaînés. Je suis réduite à supplier pour ma vie, mais je sais que ma souffrance lui fait plaisir. J'essaie de ne pas le regarder, mais il est là, dans un coin, je vois ses yeux perfides regarder la scène avec délectation. Il n'a même pas le courage de me torturer lui-même.
— Aspen...
Mon chuchotement est une supplique qui m'arrache le cœur et qui me donne envie d'être malade. Après la première heure, je pensais avoir assez payé, mais diable que j'avais tort. J'ai passé le compte des heures et des jours. On ne me donne pas à manger. J'ai le droit à un peu d'eau quand ils viennent me soigner parce qu'ils ont peur que je meure, mais je dois boire à la paille.
L'homme cagoulé en face de moi taille des lettres dans ma cuisse. L'enfoiré veut me marquer à vie. Dans mon dos, de l'acide brûle les coups de fouet qui m'ont maintenue éveillée. C'est un enfer sans fin, une souffrance que je n'arrive plus à contrer. Je ne peux que pleurer et supplier à travers mes hurlements et ma morve. J'ai tellement mal que j'ai peur de m'étouffer sur ma langue. Au moins, ils ne m'ont pas violée. Je devrais prendre ça comme un moindre mal, mais mon dos est en train de fondre, cramant chaque nerf et chaque partie de moi. Je le sais, je ne laisserai plus jamais un homme me toucher.
Il veut me détruire, mais je suis détruite depuis que sa lame a traversé mon ventre. Le médecin qui m'a « soignée » m'a seulement empêchée de mourir. La souffrance qui m'occupe est un raz-de-marée que je ne peux pas contrôler. Chaque partie de moi est brisée. Je suis brisée.
Mes suppliques résonnent dans le noir, alors que je revis mon pire cauchemar.
Quand je me réveille en sursaut au son de mes hurlements, je m'effondre en sanglots.
— Ambre ?
Nila toque à ma porte, mais je dois prendre quelques minutes pour reprendre mon souffle. La haine bout en moi. Je suis trop faible. Je me déteste. Je le déteste.
Je sais qu'elle ne s'inquiète pas pour mes cauchemars. Ou plutôt, si, mais elle ne vient pas me voir pour ça. Ils ont arrêté d'essayer de me sortir de mes terreurs nocturnes au bout de deux nuits, après que j'ai failli les tuer dans mon sommeil. Il faut croire que le monstre en moi n'a pas totalement disparu. Je n'en saurai rien. La faim de sang n'a pas montré le bout de son nez pour d'autres raisons que ma haine. Je devrais me sentir mieux, mais c'est tout l'inverse. Je me sens faible, et abandonnée.
— Quoi ?
Ma voix rocailleuse est désagréable. J'attrape l'eau en bas de mon lit, en tentant de reprendre mon souffle. Une fine pellicule de sueur recouvre tout mon corps. Je pue. Putain, j'ai besoin d'une douche.
— Tu as rendez-vous dans une heure.
Le kiné. C'est vrai.
Putain.
Je me dirige vers la salle de bain sans un mot, et savoure l'eau chaude sur mes muscles. Je ne ferme pas les yeux. J'ai honte d'avoir peur du noir, même celui aussi sécuritaire que celui sous mes paupières. Mais mon cerveau est devenu mon enfer personnel. Chaque nuit qui passe semble pire que la précédente. Je passe toutes mes nuits et mes journées à moisir sur mon lit, cherchant une seconde de sommeil. Je n'ai la force de rien. Je refuse de prendre des médicaments, mais des fois... Bon sang, qu'est-ce que je ne ferais pas pour une bonne nuit de repos.
Je sors de l'appartement sans un mot, laissant Kasimir et Nila à leur petit déjeuner en amoureux. Après tout, ils vont se marier. Se marier. Ce mot me fait l'effet d'une farce.
— Mademoiselle.
Le kiné m'accueille avec un sourire compatissant. Il est l'un des seuls qui essaient de me regarder sans pitié. Il dit que je suis une survivante, pas une victime. Son adage à deux balles me fait rire. Je ne suis ni l'une ni l'autre. Je suis une coupable qui a échappé à sa pénitence. Mais ma punition me suit chaque jour de ma vie. J'ai assez payé.
— Comment va votre jambe ?
Je hausse les épaules. Mal. Elle va mal. Mais elle ira toujours mal. Il fait tourner ma cheville, tâte mon mollet, examine la cicatrice. Les exercices qu'il me fait faire ne sont pas aussi douloureux que d'habitude, mais je suis trop habituée à la souffrance pour que mon répertoire soit réellement pertinent. Quand il me fait asseoir sur la chaise en face de son bureau à la fin de l'examen, je m'impatiente. D'habitude, il me dit son verdict sur l'avancée de ma blessure en l'examinant. Aujourd'hui, il est resté silencieux. Ce mutisme fait gronder une terreur sourde en moi, la même qui m'accompagne partout depuis un an.
Celle de ne plus jamais me retrouver. Celle de ne plus jamais marcher. Celle de ne plus jamais être moi-même.
J'ai bien compris que c'était le cas. Ça ne veut pas dire que c'est facile à accepter. Dire qu'avant, la seule chose que je voulais faire, c'était vendre des diamants et créer des bijoux... Ça ressemble à une drôle de farce, désormais.
— J'ai une bonne nouvelle, Mademoiselle. Votre jambe guérit plus vite que prévu.
Je ne pensais pas un jour ressentir un tel soulagement. Les paroles du médecin sont comme une douce musique à mes oreilles. La première depuis longtemps.
— Si, et je dis bien si, ça continue dans ce sens, votre douleur devrait devenir de plus en plus supportable, et vous devriez d'ici un ou deux ans retrouver un usage normal, hormis quelques élans de douleur. Votre dernière opération a été un succès.
Je sais que mes yeux brillent d'émotion, et que ça me fait paraître faible, mais cette petite lueur d'espoir me fait trop chaud au cœur pour que je m'en préoccupe.
— Vraiment ? Vous ne vous moquez pas de moi ?
Il secoue la tête et me montre le scanner que j'ai fait la semaine dernière et qu'on lui a envoyé.
— Voyez, votre tendon se reconstruit bien. Votre os lui-même est réparé. Ça reste un traumatisme pour votre mollet, mais vous devriez vous en sortir.
— Merci.
Ma voix tremble. Il sourit.
— Remerciez-vous plutôt, Mademoiselle. Je sais que vous avez forcé votre jambe à marcher normalement malgré la douleur. Cette rééducation constante paye. Mais ne forcez pas trop. Je sais que vous voulez vous entraîner, mais contentez-vous d'un sac de boxe pendant encore six mois. C'est le meilleur moyen de vous assurer une guérison presque parfaite. Vous serez ma patiente avec le plus de réussite.
Je sais, grâce à la lueur d'amusement, qu'il se moque de moi, mais je m'en fiche. J'ai presque envie de sauter partout comme une enfant. Mais malgré la bonne nouvelle, la douleur est toujours présente, ma mère toujours disparue, et mon cœur toujours fracassé.
Je ressors du cabinet quelques minutes plus tard, portée par le vent frais de Biélorussie. C'est là que nous nous sommes installés, il y a quelques semaines, après la dernière attaque. Je voulais chercher des traces de ma mère au dernier endroit où elle m'avait dit être, mais je suppose que le petit fils de pute avait raison en disant qu'elle me mentait.
Pour ce que j'en sais, il pourrait l'avoir tuée.
Mais je ne sais pas pourquoi, mes instincts me crient que ma mère est en vie, quelque part.
Je marche à travers les rues presque vides. Le temps est toujours à l'orage, la pluie tapote contre les pavés. Pour l'instant, ce n'est pas le déluge, mais au moins, ça portera bonheur à Nila et Kas. Mariage pluvieux, mariage heureux comme on dit.
Mon téléphone bipe au même moment. C'est un texto de Nila, qui m'informe que je dois être à la cathédrale à quatorze heures. Elle me conjure aussi de porter quelque chose de joli. Enfin, elle ne l'écrit pas dans son message, mais je sais qu'elle le pense. La dernière fois que je me suis apprêtée pour quelque chose, j'ai fini dans une cave.
— Ambre ?
Je sursaute. Ma main est sur mon couteau et ma lame est sur la nuque de l'inconnu qui m'aborde, en moins d'une seconde. Je ne connais pas les traits de cet homme. Son teint basané semble déplacé, ici.
— Qui es-tu ?
Encore un putain d'assassin. Pourtant, son flingue est rangé à droite de son jean. Si c'est un tueur à gages, il est sacrément mauvais. Ça me rappelle avec une cruelle ironie la première fois qu'on a essayé de me tuer, la tentative qui m'a projetée dans cette nouvelle réalité. Je me demande un instant si les corps ont un jour été retrouvés.
J'espère qu'ils pourrissent encore dans le fleuve.
L'homme en face de moi lève les mains en l'air.
— Doucement. Je viens en paix.
Ma lame tranche sa peau. Le sang sort. Ma faim gronde. Il gémit. Bien.
— Qui. Es. Tu ?
Il déglutit.
— Je viens de la part d'Antonio.
Et c'est touuuttt!
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Quoiqu'il arrive, grâce à Wattpad, j'ai survécu. Je ne sais pas si je suis plus forte, bon dieu, je pleure encore dès fois quand je suis toute seule. Je ne sais pas si j'arriverais à faire des livres ma vie, même si j'en rêve plus que tout au monde. Je ne sais pas si j'aurai des demoiselles d'honneur, ni si j'arriverai à être invitée à une soirée pyjama.
Sans Wattpad, sans vous,
Je n'aurai jamais pu l'espérer.
Pour ça, je vous réserve une surprise.
On se voit bientôt?
Merci pour tout.
Alexandra <3
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