Epilogue: Keryna.

Cinq ans plus tard

Ce jour-là, les résultats du referendum furent communiqués. Demyan et moi étions dans le hall du palais, attendant impatiemment que Suran nous annonce le résultat. Il me prit la main et m'entraîna vers l'un des bancs. Une fois assis, il effleura le délicat tatouage entre mes deux clavicules: celui qu'arborait les femmes mariées. Bien que cela faisait déjà un an qu'il était mon époux, j'avais encore du mal à y croire. 

— Arrête de stresser mon amour, je suis certain que ça va bien se passer, me rassura-t-il en me pressant la main. 

Je lui souris. Durant ces cinq dernières années, il avait toujours été à mes côtés, m'épaulant du mieux qu'il le pouvait. Il essayait d'être là le plus souvent possible pour moi, même si son travail lui prenait beaucoup de temps. Il était aujourd'hui le chef des legios, toujours avec Pira. Tous deux avaient complètement revu le système lors de la deuxième année après le coup d'Etat, et c'est une brigade complètement différente qui a vu le jour. Ils ont désormais pour objectif de protéger la population et non pas de réduire toutes leurs libertés. J'étais fière de ce qu'il avait réussi à créer. 

Alors que le soleil commençait à se coucher sur Ivraska, Suran arriva enfin. Une boule se forma dans mon ventre et me comprima la poitrine. Je me levai d'un bond avec Demyan, et celui-ci me prit la main afin de m'empêcher de vaciller. Mon frère me sourit alors, et je sentis mon corps se détendre un instant. 

— Les Sans-Pouvoir ont voté Kery, et ils ont choisi de te garder! m'annonça-t-il en se jetant dans mes bras. 

J'en fus abasourdie. J'étais incapable de dire un mot, je gardais seulement mes yeux écarquillés, ne réalisant pas que nous avions réussi. Demyan m'embrassa une fois que Suran me lâcha, et je sentis des larmes de joie couler sur mon visage. 

— Combien? demandai-je en sautillant sur place. A combien de pourcent ont-ils voté en ma faveur?

— A cinquante-sept pourcent des voix, petite sœur!

Je n'arrivais pas à y croire, cela me paraissait incroyable. Les Sans-Pouvoir nous avaient enfin accepté, après tous les moments difficiles que nous avions traversés durant les dernières décennies. 

— Allez, viens! Allons fêter ça avec les autres, me dit Demyan en m'entraînant dans la salle de réceptions. 

Je le suivis sans un mot, plongée dans une attitude béate. Lorsque nous arrivâmes dans la salle, nous vîmes qu'elle était pleine de monde. Beaucoup de Scintillants étaient présents, mais aussi de nombreux Sans-Pouvoirs qui avaient rejoints nos rangs au fil des années. Je plongeais dans cette ambiance euphorique, bercée par la musique environnante et enivrée par l'odeur des mets qui avaient été préparés. Le bruit des conversations s'élevait et l'on pouvait ressentir la joie que tous avaient d'être ici. Tous me félicitèrent, et je ne pus m'empêcher de les féliciter à mon tour, car tous avaient contribué au développement de notre Île.

Miha m'aperçut parmi tout ce monde et se précipita à ma rencontre. Elle m'enlaça et failli me faire tomber à la renverse. 

— Je suis tellement contente pour toi! me dit-elle en criant pour étouffer le brouhaha. 

Je la pris dans mes bras et lui déposai un baiser sur son front. Elle avait très vite fait partie de ma famille, et nous avions pris la décision de l'adopter avec Demyan il y a deux ans. Cette petite était très différente de moi. Elle aimait les paillettes, les robes et les bijoux. Cela me rassurait de la voir si vivante, si heureuse avec nous.

— Je vais voir Demyan, me dit-elle. 

Elle ne me laissa pas le temps de lui répondre, elle se retourna et se fondit parmi la foule en un rien de temps. C'était toujours ainsi avec Miha, elle venait un instant puis repartait, toujours insaisissable. Je décidai alors de m'aérer l'esprit dans les jardins, le monde, le bruit et la lumière intense de tous les chandeliers commençaient à me donner un mal de tête.

Une fois seule dans les jardins, je partis m'asseoir sur un des bancs en bois. La nuit était tombée et le silence me fit un bien fou. Je croisai les jambes en tailleur et profitai de la brise qui venait me chatouiller la nuque. Je ne pus m'empêcher de sourire, réalisant enfin ce qui venait de se produire. 

Le résultat du referendum pouvait paraître étonnant, étant donné nos débuts difficiles entre nos deux peuples, mais la situation s'était considérablement améliorée au fil du temps. Les deux premières années furent les plus compliquées. Les condamnations tombèrent, notamment celle de Rioz, qui fut condamné à quinze ans de prison pour les préjudices envers les Scintillants et ses opposants politiques. Toutefois, nous ne lâchions rien. Nous avons constitué notre gouvernement, adoptés les premières lois pour l'union des peuples... Puis au fur et à mesure, les tensions commencèrent à s'apaiser.

Lors de la troisième année après le coup d'Etat, nous avions commencé à créer des liens avec les autres Îles, et c'était la meilleure chose à faire. Le commerce s'est ouvert petit à petit, et cela nous a permis de relancer toute notre économie, ce qui a beaucoup fait évoluer l'Île. Lorsque je regarde mon peuple aujourd'hui, je suis fière de ce que nous avons accomplir ensemble. Cela n'a pas été facile tous les jours, pourtant nous avons réussi à persévérer et aujourd'hui les Sans-Pouvoir m'avaient enfin accepté. Pas tous, bien évidemment, mais la plupart avaient vu le mal que je m'étais donné pour faire avancer l'Île. Et cela avait payé. En cinq ans, nous avions réussi à reformer un peuple respectueux. Unis serait encore un bien grand mot, mais nous tendions vers cela de plus en plus, et j'étais certaine que nous y arriverions. 

Ce fut Demyan qui m'interrompit dans mes réflexions, venant s'asseoir à mes côtés. Je posai ma tête sur son épaule avec un sourire, tandis qu'il passait son bras autour de ma nuque. 

— J'étais sûr de te trouver ici, je me doutais que tu aurais besoin d'un peu de calme pour réfléchir à tout ça. 

— Oui, je me disais que j'étais fière de ce que le peuple d'Ivraska est devenu, lui dis-je. On a accompli l'impensable. 

— Et c'est grâce à toi! 

— Pas qu'à moi non... 

Je me mis à triturer le bracelet bleu accroché depuis cinq ans à mon poignet. Le bleue représentait le deuil pour les Scintillants, cette couleur symbolise le ciel vers lequel s'envolent les âmes après leur mort. Lors du coup d'Etat, nous avions perdu des nôtres, et ce fut Pol qui nous quitta quelques mois plus tard, laissant un grand vide dans nos poitrines. Il n'avait pas réussi à survivre à ses blessures, et je n'avais pas réussi à le sauver non plus. 

Demyan, voyant mon geste, m'arrêta de sa main avant de pousser un soupir. Durant ses dernières années, il avait tout fait pour me soutenir dans cette épreuve qui avait ébranlé ma famille. 

— Ce n'est pas ta faute. Il a choisi de se battre à tes côté pour un monde meilleur, et tu ne pouvais rien faire pour lui ensuite. Regarde ce que tu as accompli aujourd'hui, imagine sa fierté s'il te vois, me murmura-t-il à l'oreille. 

Ses paroles suffirent à me réconforter. Il avait raison, bien sûr. Et puis, lorsqu'il est décédé j'étais encore bien trop inexpérimentée pour pouvoir le sauver grâce à mon pouvoir. Celui-ci s'était révélé extrêmement complexe, et encore aujourd'hui je ne parvenais pas à en saisir tous les détails. J'avais un don de guérisseuse, mais beaucoup plus développé que d'ordinaire. Je parvenais à soigner à distance, sentant comme un appel que je réussissais tout juste à décrypter. Mais je ne pouvais pas tout guérir. Il fallait déjà que le patient accepte mon aide, et que le stade de la blessure ou de la maladie ne soit pas trop avancé. Pourtant, lorsque j'avais sauvé Demyan, il était au bord de la mort, et je ne comprenais toujours pas aujourd'hui comment j'étais parvenu à le sortir de là. 

Depuis, il se portait très bien, et aucune récidive n'avait fait son apparition. Nous pouvions dire que nous étions heureux. Il avait même renoué avec sa sœur, qui lui avait pardonné, et avec sa mère, qui avait refait son apparition un an après le coup d'Etat. Tout allait donc pour le mieux pour nous, et toute l'Île n'attendait plus qu'une chose: l'annonce d'un prince ou d'une princesse. 

Les Scintillants surtout avaient peur que la seule personne de la famille royale décède, et l'urgence d'un futur successeur au trône se faisait ressentir. Mais il était hors de question pour nous de céder à cette incitation au début. Nous voulions attendre le bon moment, vouloir cet enfant pour les bonnes raisons. Et ces derniers mois, nous avions commencé à en parler plus sérieusement, avant de se mettre d'accord. Nous avions appris ma grossesse une semaine avant le referendum. 

Dans quelques mois, un prince ou une princesse d'Ivraska symbolisera notre amour. Un amour entre une Scintillante et un Sans-Pouvoir. 





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