Chapitre 9: Keryna.

Le lendemain matin, je me réveillai avec l'affreuse sensation d'avoir raté quelque chose. Cette nuit, j'avais rêvé de Demyan, et il m'apparaissait que le renvoyer chez lui était une très mauvaise idée. J'aurais dû sauter sur l'occasion. Le fait qu'il revienne me voir, même si je trouvais cela étrange, était une bonne chose. Il était le fils du roi, alors il était évident que je ne devais pas le laisser partir, bien au contraire. La logique aurait voulu que je me rapproche de lui, afin de lui soutirer des informations. Pourtant je n'y avais pas pensé sur le coup. Je m'en voulais, mais me disais que ce n'était peut-être pas trop tard.

Suran venait de rentrer, je partis donc en discuter avec lui après m'être sorti du lit. J'entrai dans sa chambre après avoir frappé. La pièce était plongée dans une clarté éblouissante, et je mis quelques secondes à m'y habituer. Je m'assis ensuite sur un petit tabouret, face au bureau de bois délavé. Je lui dévoilai alors que je comptais revoir le legio, et il secoua la tête.

— Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. N'oublie pas qui il est, il est sûrement violent. Je ne voudrais pas qu'il te fasse du mal. Tu peux tout de même en parler à Yla, mais je ne pense pas qu'elle te donnera son accord.

— Elle n'acceptera jamais, tu le sais aussi bien que moi! Et elle n'est pas obligée d'être mise au courant.

Il leva les yeux au plafond en soupirant, l'air peu convaincu.

— De toute façon, tu me demandes toujours mon avis pour ne pas m'écouter ensuite. Tu n'en fais qu'à ta tête, et ce n'est pas nouveau. Je sais pertinemment que même si je refuse que tu le vois, tu iras contre mon avis si tu l'as décidé.

— C'est pas faux, ne pus-je m'empêcher de dire avec un sourire en coin.

Il me poussa alors de son lit et je repartis en riant. Lorsque j'eus regagné ma chambre, j'étudiais plus en profondeur les relations que nous avions avec les autres îles. Je travaillais sur ce sujet depuis quelques jours et il me paraissait plus compliqué que je le pensais. Bien que le pouvoir avait changé de mains, celles-ci n'avaient évolué en rien. Huit îles étaient suspendues dans notre monde, et aucune ne se gérait de la même façon. Il n'empêche qu'Ivraska avait toujours été exclue des autres. Tawy, quant à elle, n'avait pas de population avant le coup d'Etat.

Eytidy était la capitale, la plus grande île et la plus avancée dans les différentes technologies; quant à nous, nous étions bien en retrait, car notre religion nous poussait à être en accord avec la nature, et toute forme de modernité ruinait cette harmonie. Chez nous, les rois et reines qui avaient gouverné ne cherchèrent jamais à établir un lien avec les autres. Ainsi, les marchandises circulaient beaucoup entre les îles principales, tandis que notre commerce n'avait lieu que sur Ivraska. Ils construisirent alors des ponts suspendus, les reliant toutes. Lorsque les Sans-Pouvoir commencèrent à nous massacrer, pas un seul dirigeant ne leva le petit doigt afin de venir nous aider. En même temps, je ne pouvais pas vraiment leur en vouloir. Nos relations diplomatiques ayant toujours été désastreuses, je ne vois pas pourquoi ils seraient venus nous aider. Mais je reste persuadée qu'autre chose les empêcha de nous aider. Les sorciers n'étaient présents que sur Ivraska, sur les autres, seuls des Sans-Pouvoir résidaient.

Cette bataille entre un peuple, où deux ethnies s'entretuaient, devait bien les arranger. Ils se débarrassaient ainsi des Scintillants. Jamais ils n'avaient montré leur haine envers nous, mais je ne pensais pas qu'ils nous portaient dans leur cœur. La plupart des leurs nous craignaient, et malgré moi j'arrivais à les comprendre. A comprendre, oui, mais pas à excuser.

En effet, l'un de nos pouvoirs servait à torturer. Par une simple pensée, mes aïeux pouvaient réduire à néant des Sans-Pouvoirs; cela ne fonctionnait que sur eux, nous ne pouvions pas nous faire du mal entre nous. Pourtant, les Scintillants ne s'en servaient pas. Pourquoi torturer des personnes qui nous craignaient déjà bien trop? Je ne pensais pas que qui que ce soit l'ait utilisé avant le coup d'Etat. Néanmoins, ce pouvoir restait et terrifiait nos ennemis. Outre celui-ci, nous contrôlions l'eau, et notre troisième pouvoir différait d'un sorcier à l'autre. Aucun n'était identique.

La magie qui coulait dans nos veines était héréditaire, et s'activait seulement lorsque la pierre était intacte. A la seconde où les Sans-Pouvoir la brisèrent, tous les sorciers sentirent que quelque chose avait changé. C'était donc cela le but de ma vie, découvrir un jour cette magie dans mon sang, dans ma chair. Sentir ce qui aurait dû être en moi depuis toujours, et qui m'avait été enlevé de force.



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