Chapitre 68: Keryna.
Après mon entretien avec Rioz, je décidais de rester seule un instant. La bibliothèque royale, réputée pour son silence, convenait parfaitement. Je choisis un des canapés rembourrés puis me laissait tomber. Poussant un profond soupire, je tentais de remettre de l'ordre dans mes idées. J'avais toujours eu besoin de moments calmes après des évènement qui me bouleversaient. Et en cet instant, après tous ce qui venaient de se produire dans ma vie et celle des Ivraskiens, j'en avais plus que besoin. Il était bientôt midi, et je savais qu'avant la fin de la journée, je devais prononcer mon discours sur les radios de l'île.
J'ouvris alors le manche de mon épée et sortis le parchemin que j'y avais glissé. Mes idées avaient été écrites au fur des années, mais je savais que ma vision avait changée et que de nombreuses modifications allaient devoir être ajoutées. Ma rencontre avec Demyan y avait probablement joué beaucoup. Il m'avait tant aidé à nuancer. Avec lui, j'avais enfin compris que rien n'était ni tout blanc ni tout gris. Les Sans-Pouvoir n'étaient pas les méchants, les Scintillants n'étaient pas les gentils. Les deux peuples avaient des tords. Ainsi, nous devions composer avec, et créer une nouvelle union forte et unie. Je savais que le début ne serrait pas facile, mais j'espérais que quelques années suffiraient à faire comprendre à tous que c'était dans l'intérêt général.
Lorsque je relus dans les grandes lignes mon ancien discours, je gardais et supprimais certains éléments mentalement. Une fois que cela fut fait, je partis chercher de quoi écrire, me sentant prête à coucher sur papier mon ressenti. Je voulais être honnête avec mon peuple, avec celui de Demyan, et parler à la fois du passé, du présent et du futur.
Après quelques heures seule dans la bibliothèque, Suran débarqua alors que je posais le point final. Il vint s'asseoir à mes côtés, jetant des coup d'œil au parchemin. Je le cachais contre moi afin qu'il n'y ait pas accès.
— Pas pour l'instant, je veux le relire d'abord, lui dis-je en souriant.
— Très bien, j'attendrais que notre très chère princesse soit prête. Vos désirs sont des ordres!
— Arrête! Tu sais très bien que je déteste que tu me dises ce genre de chose.
— Et tu sais très bien que mon activité préférée est de t'embêter! s'exclama-t-il en me donnant un coup d'épaule.
Je ris, et cela me fit un bien fou. Je voulais tant penser à autre chose. J'avais attendu ce coup d'Etat toute ma vie, et maintenant que nous y étions, j'étais submergée par l'angoisse. Je ne voyais plus comment envisager le futur, tout restait flou dans mon esprit.
—Je vais te laisser, me dit Suran lorsqu'il vit que je ne l'écoutais plus. Amène-moi ton discours dès que tu as finis. Je serai avec Pol et Yla, dans l'ancienne chambre de la sœur de Demyan.
J'acquiesçai, puis il m'embrassa sur le front avant de repartir. Je relus mon texte plusieurs fois, y ajoutai ou enlevai quelques mots, puis je quittai la bibliothèque. Avant de rejoindre mon frère, je voulais passer un peu de temps avec Demyan. Malgré toutes mes occupations, il me manquait, et ce que nous avions vécu la veille m'avait fait encore plus comprendre à quel point je tenais à lui. De plus, je voulais que lui aussi parle à son peuple.
Après avoir divagué durant de longues minutes dans les couloirs du palais, je le trouvais avec Hyutis et Tinor dans sa chambre, accompagnés par leur mère. Cette image m'attendrit, et je fus ravie que les enfants aient retrouvé un peu de leur vie d'avant. Le fantôme de leur père planerait toujours sur eux, comme tant d'autres Scintillants décédés ces dernières années, mais nous allions enfin pouvoir nous reconstruire. L'espoir d'un monde meilleur égayait déjà les sorciers, même si nous n'oubliions pas les martyrs.
Lorsque Demyan me vit, il s'excusa auprès des enfants avant de venir me rejoindre sur le seuil de la porte. Il déposa un baiser sur mes lèvres avant de glisser sa main dans la mienne.
— Comment tu vas? Tu arrives à tout gérer.
— A peu près, soupirai-je. Suran s'occupe de tout, pour tout te dire.
— Et... Mon père? Tu as réussi à lui parler?
Son regard me troubla, comme s'il espérait que je lui dise qu'il allait bien, que je ne lui avais pas fait de mal. Un poids alourdit ma poitrine. Il avait tant souffert à cause de lui, et malgré cela il continuait de lui l'aimer.
— Oui, avouai-je après un instant. Il a accepté... Et il va bien.
Il acquiesça, le regard dans le vide. J'aurais aimé qu'il me parle, qu'il se confie, qu'il me dise ce qu'il ressentait en cet instant. Au lieu de cela, il lâcha ma main et croisa ses bras sur sa poitrine. Et moi, toujours aussi peu douée pour la communication, je choisis de ne rien dire.
— Demyan... J'aurais besoin de toi, lui dis-je finalement. Je voudrais que tu prononces toi aussi quelques mots pour ton peuple.
— Tu sais très bien que je ne suis qu'un traître pour eux, ce n'est pas la peine. Cela ne servirait qu'à envenimer les choses.
— Pas forcément, tu pourrais raconter comment toi tu as vécu les choses, comment ta vision des Scintillants a évolué... Si toi, fils de Rioz, tu as pu changer d'avis, alors tout le monde le peut.
— Ne me compare pas à lui, me lança-t-il froidement. Qu'il soit mon père ne change rien à ce que je suis.
Je déglutis difficilement. Ma remarque avait été maladroite, je m'en étais rendu compte ensuite, mais je n'avais pas voulu le blesser.
— Désolé, je n'ai pas réfléchi. C'était ridicule de ma part de te dire ça.
Je vis alors son visage se détendre, puis un sourire apparut et il me reprit la main. Visiblement, il ne m'en tenais pas rigueur.
— Tu n'y es pour rien ma chérie, je n'aime pas parler de lui, c'est tout. Et puis... Pour le discours, c'est d'accord. Si tu penses que c'est une bonne idée je le ferais volontiers.
Je le remerciai d'un regard, puis venais poser ma tête contre son cou et mes mains dans son dos. J'espérai de tout cœur que les Sans-Pouvoir comprendraient. Notre vie à tous allait changer, et il allait bien falloir qu'ils fassent avec.
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