Chapitre 61: Keryna.

Après avoir passé plusieurs heures à réconforter Egna, je voulus voir Pol et Yla. Cette dernière n'avait pas quitté le chevet de son mari. Accompagnée de Suran, je me retrouvais donc derrière la porte où ils étaient, dans un couloir peu éclairé. Ma main resta un instant en suspend avant de l'ouvrir, prise d'une peur soudaine et inexplicable de les revoir.

— Tout va bien, murmura mon frère en posant sa main sur mon épaule.

J'inspirai alors un grand coup en hochant la tête, puis ouvris la porte. La pièce était d'une simplicité sans nom, avec des murs marron clairs, un lit au centre, une table de chevet, et une armoire en bois sur le côté. Mais ce ne fut pas sur cela que je m'attardais. Sur le lit était allongé Pol, mon père, celui qui m'avait élevé. Celui qui, avec Yla, m'avait tout appris. Pas seulement les connaissances comme la politique ou l'économie dont je devais avoir besoin en tant que reine, mais des choses simples comme le respect de mon peuple et l'égalité entre tous. Ils m'avaient élevé en m'inculquant de vraies valeurs, et je leur en était infiniment reconnaissante.

Lorsqu'Yla s'aperçut de ma présence, ses yeux furent voilés par les larmes et elle se leva d'un bond vers moi. Son étreinte brusque et chaleureuse me fit un bien fou, j'avais besoin plus que jamais de sa tendresse.

— Je suis tellement soulagée de te voir en vie ma chérie, sanglota-t-elle contre mon cou.

Je ne répondis pas, incapable d'ignorer la boule qui s'était formé dans ma gorge et qui m'empêchait de parler sans éclater en sanglot. Sans un mot, je me dégageais d'elle et partis d'un pas silencieux vers Pol.

Un hoquet de stupeur traversa mon corps sans que je puisse m'en empêcher, puis quelques larmes s'échappèrent de mes yeux pour glisser sur mes joues. La main contre ma bouche, assise sur le bord du lit, j'observai avec horreur l'état dans lequel il se trouvait. Son teint était livide, les poches sous ses yeux d'un violet d'iris, et de multiples cicatrices, trop nombreuses pour les compter, avaient fait leur apparition. J'avais peine à croire qu'il pouvait s'en sortir.

— Il s'est prit de nombreux coups de couteaux dans le corps, dont les plus sérieuses blessures se trouvent au niveau du ventre, m'informa Yla d'une voix tremblante.

Je hochai la tête d'un air impassible.

— Dis quelque chose Kery, s'il te plaît. Il faut que tu nous parles, tu ne peux pas tout garder comme ça pour toi, c'est trop dur à porter pour une jeune de ton âge !

Je levais les yeux vers elle, conservant le masque que je m'étais forgé à chaque coup dur qui avait ébranlé les Scintillants.

— Ne t'inquiète pas pour moi, lui dis-je en serrant les dents.

Je me détournais d'elle juste après, ne voulant pas voir son expression à l'entente de ces mots. Je pris alors la main de Pol, puis de l'autre, je serrai mon collier entre mes doigts jusqu'à m'en faire blanchir les phalanges. 

— Je dois retourner voir le roi, déclarai-je. 

Ni Yla ni Suran ne me répondit. Je me levais donc, puis partis après un dernier regard à Pol. 

Une fois dans le couloir, je fermai les yeux un instant pour remettre de l'ordre dans mon esprit. J'étais si fatiguée que je me sentais dans un autre monde, mon corps était sur terre mais mon âme ne suivait pas. Après m'être assise sur le sol en bois, je fis donc mentalement un point sur la situation. Nous avions réussi. Un sourire apparu sur mon visage lorsque je m'en rendis vraiment compte. Depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, j'avais espéré en arriver là, arriver dans ce château et crier "ceci est ma propriété, je suis la princesse d'Ivraska!". Et j'y étais. Ce château était le mien, celui de mes ancêtres, celui qui me revenait de droit. Je n'avais peut être pas l'allure d'une princesse, encore moins d'une reine, mais j'avais tant d'ardeur à protéger mon peuple que rien ne m'aurait arrêter. 

Mais malgré cela, je n'oubliais pas que des personnes avaient perdu la vie dans ce coup d'état. Dans les deux camps. Rien que de penser au regard de la jeune fille que j'avais assassiné me donnait la nausée. Je ne pensais pas qu'avoir du sang sur les mains me dérangerait, j'étais certaine d'y être préparé... Mais je constatais à présent que rien ne pouvait me confronter avant à cette culpabilité qui me rongeais  de tout mon être. Et puis, évidement, il y avait les victimes Scintillantes. Celles que j'avais connu, côtoyé, chéri. Je savais que leur fantôme hanteraient toujours mon esprit. 

Mes mains tremblaient et je m'aperçu en même temps que ma lèvre inférieure saignait à force de la mordiller. Heureusement, je me ressaisis juste à temps lorsque Hox déboula au coin du couloir

— Contente de te revoir, lui lançai-je avec le sourire moqueur que j'avais l'habitude d'afficher avec lui. 

Mais mon sourire s'affaissa à l'instant ou mes yeux croisèrent son regard. Il ne m'apportait pas une bonne nouvelle, je le sentais, et mon cœur se serra instantanément.

— Keryna... murmura-t-il en me prenant la main. 

J'attendis la suite avec une appréhension qui me comprima la poitrine, m'empêchant d'esquisser le moindre geste. Mes yeux le suppliaient de me dire la vérité, cependant je me sentais incapable de l'entendre, présageant le pire. 

— C'est Demyan... Il a été tué. 

Mon corps s'écroula. A genoux contre le sol, le front appuyé contre mes mains, je refusais d'y croire. Je laissais échapper un cri de douleur malgré moi, puis relevais la tête vers Hox. 

— Non, ce n'est pas possible... Non! m'écriai-je en essuyant les larmes qui dévalaient sur mon visage. 

Je n'y croyais pas. Je ne voulais pas y croire. C'était impossible à envisager. Impossible. Hox voulut me réconforter en me prenant dans ses bras, mais je ne pu m'empêcher de le repousser. J'avais l'impression que l'on venait de m'arracher le cœur, laissant ma poitrine béante. J'étais assommée par cette nouvelle qui n'avait aucun sens. Demyan. Il ne pouvait pas partir, me laisser seule ici. Je ne pouvais plus vivre sans lui. 

Je crois que c'est à ce moment qu'Yla et Suran sont arrivés. Ils me prirent dans leurs bras mais je n'eus aucune réaction, j'étais en transe, dans une bulle qui tentait de me protéger de la terrible vérité. 

Mon cœur battait douloureusement contre mes temps. Puis je me mis à hurler. De rage, de désespoir, de douleur. La perte de celui que j'aimais commençait à devenir réalité. J'émergeais alors de l'état dans lequel je demeurais et me mit à courir dans les couloirs, sans faire attention à Yla qui me suppliait de rester. 

Je voulais être seule, pouvoir crier ma peine sans jugement ni pitié. Je trouvais une petite pièce, un cabinet de lecture. Je fermais la porte à clé et me laissait tomber dans le petit sofa orangé. Les yeux dans le vide, la bouche entrouverte et les yeux rougis par les larmes, je me laissai dépérir de nombreuses heures durant. 

Je n'y croyais toujours pas. Comment Demyan avait pu se faire tuer? Pourquoi? Cela n'avait aucun sens. Mes larmes ne coulaient même plus, j'avais déjà assez pleuré. Mais cela ne voulait pas dire que ma tristesse s'était apaisée, bien au contraire. Je ressentais au fond de moi un gouffre immense, une douleur qui me rongeait chaque parcelle de mon corps, un désespoir si intense que je demeurais dans un état second, où je revoyais tous nos moments passés ensemble. Nous étions heureux. Cela ne pouvait pas s'arrêter ainsi. 

Après d'innombrables heures passées dans le cabinet, je me levais d'un pas mécanique et me dirigeais dehors. Il fallait que je vois son corps. Je savais que tant que cela ne serait pas fait, je ne pourrais pas envisager qu'il était bel et bien mort, que jamais plus il ne me parlerait. Je traversais alors le château, puis arrivais dans les jardins. 

La lumière du soleil m'éblouit et j'eus l'impression un instant de revenir à la surface, comme si rien ne s'était passé. Un de mes hommes arriva pour me soutenir. 

— Votre Altesse, je suis désolé pour votre compagnon. 

Sa phrase me fit l'effet d'une gifle. Je restais statufiée de la tête aux pieds, incapable de faire un geste ou de dire un mot. 

— Je veux le voir, murmurai-je après un long moment, perdue entre mes espoirs et la réalité. 

L'homme hocha la tête puis tourna les talons. Je le suivis telle une ombre pâle et silencieuse, appréhendant le moment où je comprendrais que tout cela n'était pas un cauchemar. Je m'étais imaginé mille fois nos retrouvailles depuis que je l'avais quitté, et pas un seul instant je n'aurais pu pensé à cela. Qu'il puisse mourir m'avait traversé l'esprit, évidement, mais j'étais pourtant certaine qu'il ne craignait rien. 

(Deuxième version. )

Arrivée devant le dome de glace, je ne vis que des centaines de Sans-Pouvoirs. Pas de trace de Demyan.

— Où est-il ?

— Restez là, je vais me renseigner auprès d'un autre garde.

Je fermai les yeux, tentant en vain d'échapper à cette réalité. Je me sentis partir ailleurs, dans un autre monde ou ma peine et ma douleur s'était envolée. Une autre dimension, où j'avais toujours été reine. Demyan et moi nous serions rencontrée dans une situation complétement différente, et nous aurions vécu heureux au château. Mais les Sans-Pouvoir m'avait tout pris, jusqu'à la seule personne avec qui je m'étais senti entière. C'était de leur faute, tout était de leur faute. Pourquoi avait-il fallu qu'ils nous haïssent autant?

Je du perdre connaissance, car le monde dans lequel j'arrivai ne pouvait exister seulement dans mes rêves. C'était bien Ivraska, mais dans cet univers, Sans-Pouvoirs et Scintillants vivaient ensemble. Les pouvoirs servaient le peuple, l'intérêt de tous Je sentis une main se poser sur mon épaule, douce et attentionnée. Un sourire apparut sur mon visage sans que j'eusse le besoin de me retourner. Je sentais sa présence jusqu'au fond de mon âme, et j'en oubliais presque ce que j'avais appris quelques heures plus tôt. 

Demyan passa ses bras autour de moi et je m'y abandonnai. Je voulais juste profiter de ce bonheur intense de l'avoir pour moi, même si je n'arrivai plus à distinguer le rêve de la réalité. 

— Où est-ce qu'on est? lui demandai-je en chuchotant. 

— Dans ton esprit peut-être. Ou dans le mien.

Sa voix réussit à faire disparaître toutes mes craintes. Je ne savais pas vraiment ce qui se passait, mais une chose était certaine, je voulais rester ici pour le restant de mes jours. 

— Tu es vivant? 

— Je ne sais pas, je ne me souviens de rien, murmura-t-il. Mais je crois que oui. 

Il me retourna contre lui et déposa un baiser sur mon front. Mes larmes commencèrent alors à couler, tandis qu'il caressait ma joue de son pouce. 

— N'oublie jamais que je t'aime, mon amour, déclara-t-il en relevant mon visage vers le sien. 

Je voulus lui répondre, mais tout à coup ma vision se troubla, jusqu'à ne devenir qu'un épais brouillard noir. J'eu soudainement envie de hurler, de me raccrocher à cette image et ne plus jamais la laisser partir. Mais ce ne fus pas possible. 

J'ouvris de nouveau les yeux et vis Suran à mes côtés. Il me caressa la main, et je tentais du mieux possible de cacher ma douleur. Pourquoi ce rêve? Était-ce une sorte d'adieu? Ce moment m'avait paru si réel. Je n'arrivais pas encore à savoir si j'étais encore plus mal, ou si au contraire cela m'avait apaisé. Serait-ce possible qu'il soit encore vivant?

— Où est passé son corps? demandai-je à mon frère.

— Pira l'a emmené, d'après les gardes qui ont assisté à la scène. 

— Que s'est-il passé? Comment est-il... parti?

— Pira a compris qu'il était responsable du déclanchement de l'alarme, elle l'a donc provoqué en duel. Mais elle n'a pas pu se résoudre à le tuer. Alors un autre Sans-Pouvoir a décidé d'achever le travail à sa place. Sa Seconde a complétement vrillé ensuite, elle a éloigné tous ceux qui tentaient de s'approcher de lui, puis elle a emmener son corps dans la foret. 

Malgré ma rage envers Pira qui me faisait trembler, je ressentis au fond de moi une lueur d'espoir. Et si Demyan était bien vivant? Je voulais m'y accrocher de tout cœur pour ne pas sombrer.

— Je suis sûr que Demyan est vivant alors, personne n'a pu constater son décès. 

— Keryna... Arrête. Tu ne dois pas te laisser bercer par des illusions, il faut que tu acceptes sa mort, même si ça te parait impossible. Il s'est pris une dague dans la poitrine, les gardes l'ont vu se vider de son sang... 

J'eus l'impression de me recevoir une énième gifle dans la journée. Je sentais le couteau remuer dans la plaie, profondément dans mon âme, ce qui me provoqua un haut-le-cœur. 

— Repose-toi maintenant. Ton malaise était bénin, mais il faut que tu dormes un peu. Appelle-moi si tu as besoin. 

Il pressa ma main dans la sienne puis se leva. Lorsque je fus enfin seule, je m'enroulai dans ma couette et tentai de reprendre mes esprit. J'étouffai la plainte douloureuse qui grandissait en moi, me concentrant sur l'espoir que j'avais malgré les conseils de Suran. Je préférais me concentrer sur cela, plutôt que d'affronter la vérité. C'était lâche, oui, mais j'avais besoin de ces barrières pour me protéger. Je voulais juste arrêter de  souffrir. 

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