Chapitre 41: Keryna.

Le lendemain matin, j'attendais devant la grotte que Demyan arrive; j'avais demandé à Suran de lui donner ma lettre afin qu'il puisse me rejoindre. Cela faisait plusieurs jours que je le l'avais pas vu et il me manquait beaucoup. Je remarquais que son absence m'attristait, ce qui était rare. Je pensais sans cesse à être à ses côtés, à pouvoir lui parler, à sentir son corps à côté du mien. Et j'étais euphorique lorsque c'était enfin possible. 

Alors en cette fraîche matinée, où le soleil commençait à illuminer la forêt à travers les arbres, je trépignais d'impatience. Puis je le vis et me mis à courir vers lui. Je ralentis à quelques mètres de lui, pour ensuite me nicher entre ses bras. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine sans que je sache si c'était dû au fait de le revoir ou bien d'avoir couru. Je l'embrassais ensuite furtivement, mes lèvres caressant les siennes. Mais je me souvenais pourquoi il était là et me souvenais que nous ne devions pas perdre de temps.

— On va s'asseoir dans l'herbe? proposai-je.

Il acquiesça puis nous nous exécutions. L'herbe sèche me chatouilla la peau et je tressaillis.

— Je n'ai jamais compris pourquoi les Sans-Pouvoir ne pouvaient pas aller chez les elfes, tu pourrais m'expliquer? me demanda-t-il après avoir entrelacé ses doigts avec les miens.

— C'est tout simple. En fait, le royaume est très chargé en onde magique, et votre corps ne le supporte pas. Tu peux rentrer si tu le souhaites, mais ta chair va brûler de l'intérieur et tu vas mourir en quelques minutes dans d'affreuses souffrances. Alors non tu ne peux pas m'accompagner devant les Scintillants, si c'est ça que tu voulais savoir, je tiens encore à t'avoir quelque temps avec moi, lui dis-je en souriant. 

Un rire parcourut son corps et il secoua la tête. 

— J'ai compris le message, très bien. Donc tu veux juste qu'on reparle de la stratégie à aborder, pour ensuite aller en parler aux Scintillants? 

— C'est exact, ils sont tous arrivés cette nuit, affirmai-je. 

— D'accord. Donc, voilà ce que je te propose, commença-t-il en sortant une carte du château et de la caserne. A minuit pile, je sonne l'alarme de confinement chez les legios. Toutes les portes se bloquent alors et je suis le seul à pouvoir les rouvrir. J'ai des contacts ensuite pour brouiller toutes les ondes. Cinq minutes plus tard, vous entrez dans le château en passant à la fois par les souterrains et par les toits. Privilégiez les toits, ce sont les moins bien gardés. Il vous suffira d'aller jusque dans un grenier d'un des immeubles, et de monter par l'échelle. Ils sont tous reliés alors vous n'aurez plus qu'à courir jusqu'au palais. Je suppose qu'au moins un des Scintillants possède un appartement en ville? 

— Je connais une femme qui habite à quelques pas du château. 

— Très bien. Ensuite, c'est à toi de me dire ce que vous comptez faire. 

Quelques secondes s'écoulent durant lesquelles je constate à quel point notre plan est bancal. Puis je me lance, espérant que Demyan puisse trouver des solutions auxquelles je n'aurais pas pensé.

— On doit se battre afin d'arriver à la pierre. Il faut qu'on y arrive le plus vite possible car, c'est ce qui va nous permettre de nous mettre en lieux sûrs. Une fois que l'on aura récupéré nos pouvoirs, l'un de nous entourera le château d'un dôme de glace. C'est à ce moment-là que tu pourras rouvrir les portes de la caserne. Il y aura plusieurs groupes. Je suis dans le premier, entourée par une vingtaine de personnes qui m'escorteront jusqu'à la pierre. Pendant ce temps, trois autres groupes seront à l'intérieur du château: un qui s'occupera des domestiques, un autre qui confinera les aristocrates dans leurs apparentements, et enfin le dernier qui tentera de séquestrer tes parents, et accessoirement ta sœur. 

Il grimaça à l'entente de sa famille. 

— Ma mère est partie d'ici, mais je ne veux pas en parler pour l'instant. Quant à ma sœur... Ne lui faites pas trop peur, elle tentera de rester forte, mais elle est très fragile. Dis aux Scintillants de ne pas lui faire de mal, s'il te plait.

Je hochais la tête tout en serrant sa main afin de le rassurer. Je ne voulais pas qu'il s'inquiète pour eux. 

— Et pour ton père? lui demandai-je. 

— Je t'aurais bien dit carte blanche, pourtant  il reste mon père. Je sais que tu ne le tueras pas, car tu as besoin de sa voix pour qu'il capitule devant le peuple, mais ne le torture pas trop. 

Bien que je lui répondais par l'affirmative, j'étais certaine de ne pas tenir cette promesse. Rioz avait la tête dure, et la torture était bien la seule chose qui pourrait lui faire passer la main.

— J'ai aussi besoin de renseignements, car même si nous avons des Scintillants infiltrés dans le palais, nous ne sommes pas toujours sûrs des chiffres. Est-ce que tu connais les effectifs des gardes, et le nombre de personnes exactes qui y vivent?

— Pour les gardes, je t'ai noté ça sur la carte. Quatre autour de la pierre, une dizaine sur les toits... Et il y a une centaine d'aristocrates, et autant de domestiques je pense.

— Et pour les armes, tu penses pouvoir faire quelque chose? 

— C'est impossible pour moi de voler celles des legios. Mais j'ai peut-être une solution, même si elle est assez dangereuse. 

— Dis toujours, l'encourageai-je lorsqu'il s'arrêta de parler. 

— Mon père se rend sur Eytidy la semaine prochaine, et je pense que c'est notre seule chance. Je demanderais à l'accompagner. Là-bas, ils ont des armes qui peuvent changer de tailles, je pourrais sans doute en ramener beaucoup. Mais on prend ainsi le risque que les vendeurs aillent le dire à mon père. Ce serait probable, la plupart sont prêts à tout pour quelques pièces et ils sont doués pour le chantage. 

— Tu peux toujours y aller avec un déguisement, non? le questionnai-je. 

— Impossible. Ils nous fouillent à l'aller, mais heureusement pas au retour. Ils le feront devant mon père et je ne pourrais pas l'expliquer. Les habitants d'Eytidy me connaissent, contrairement à Ivraska, ils ont de nombreux moyens pour communiquer les informations, alors tous ont déjà vu mon visage.

— J'ai peut-être un moyen... Mais je ne pense pas que ce soit possible. Quelques familles ont essayé de fuir sur Eytidy après le coup d'Etat, mais cela m'étonnerait qu'ils aient réussi à atteindre l'île.

— Comment auraient-ils pu y arriver? demanda Demyan en fronçant les sourcils. 

— Les Sans-Pouvoirs ont mis deux jours à installer la frontière électrique, alors certaines familles ont tenté le tout pour le tout. C'était dangereux, car des soldats leur tiraient dessus, mais peut être que certains ont réussi... 

Demyan ne paraissait pas y croire, il m'observait d'un air dubitatif. 

— Je ne sais pas si ce sera faisable, mais je peux toujours te donner quelques noms. L'un d'entre eux était un proche ami d'Yla. Je sais que son absence l'a beaucoup affecté, alors si tu arrivais à le retrouver, elle t'en serait infiniment reconnaissante. 

— Bien, dit-il en hochant la tête. Mais à ce que j'ai compris, elle ne me porte pas dans son cœur.

Je me mis à rigoler, puis caressais sa main. 

— Ce n'est pas contre toi, tous les Scintillants seront comme ainsi à ton égard. D'ailleurs, j'ai peur de leur avouer que tu vas nous aider. Ils ne sont pas encore au courant et je sais qu'ils vont mal prendre la nouvelle. Je vois d'ici mon peuple qui me hue, et ça me fait déjà mal d'y penser.

Il se rapprocha un peu plus de moi et me pris ensuite dans ses bras. Cette étreinte me fit le plus grand bien et je sentis mon corps se relâcher. Sa main vint se poser au creux de mes reins, puis il me releva le menton de son autre.

— Tout va bien se passer, ne t'inquiète pas. Si toi tu me fais confiance, ils essaieront de comprendre. Et puis, je suis un peu leur seule chance, sans moi vous risquez très gros.

Je souriais à ces paroles rassurantes et collais ensuite ma tête sur son épaule. J'avais envie de rester là pour toujours. Le soleil caressait ma peau avec douceur, et la présence de Demyan me rendait moins nerveuse. Même si je ne le connaissais pas depuis si longtemps que cela, ma rencontre avec lui m'avait beaucoup changé. Je voyais les choses autrement. Il m'avait ouvert les yeux sur les crimes des miens, et j'avais constaté par la suite que les siens n'étaient pas vraiment les monstres sanguinaires que l'ont m'avaient appris à reconnaître. Désormais, je prenais plus de recul sur les choses. 

J'avais envie de lui confier cela, de lui faire part de mes sentiments, mais je remarquais en cet instant que j'en étais incapable. Me battre contre des centaines de soldats ne me faisait pas peur, mais avouer à un garçon que je l'aimais était au-dessus de mes forces. L'amour était quelque chose auquel je n'avais jamais cru, pourtant je ne pouvais pas nier que ce qui m'alliait à Demyan était fort. J'avais l'impression que s'il n'était plus à mes côtés, mon monde s'écroulait. Il était devenu en peu de temps un des piliers de ma vie.

— Bon, il va falloir que j'aille retrouver les Scintillants, lui dis-je, ignorant la voix qui m'ordonnait de lui montrer ce que je ressentais.

Il se leva alors, m'aidant à me relever par la suite. Il m'attira vers lui et il m'observa de ses yeux noisette. Un léger sourire était peint sur ses lèvres et je ne pus m'empêcher de pousser un rire nerveux. 

— Quoi? lui demandai-je en reculant d'un pas.

Il se mordit la lèvre inférieure, comme si les mots ne parvenaient pas à passer la frontière de sa bouche. Puis finalement, il se pencha sur moi et déposit un chaste baiser sur mon front. 

— Je te revois ce soir à la caserne! m'exclamai-je tandis qu'il tournait déjà les talons. 

Je le vis alors acquiescer, puis il disparut parmi les arbres recouverts de mousse. 

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