Chapitre 40: Keryna.

Lorsque la domestique poussa les portes de la réception, ma bouche s'ouvrit toute seule face à la beauté de la pièce. Elle était tout en longueur, éclairée par des milliers de chandeliers et de lustres en cristal, et les murs peints de façon à présenter des scènes importantes de l'Histoire elfique. Je remarquais alors que tous les regards étaient tournés vers moi. Sans m'y attarder, j'avançais. Au centre se trouvait une immense table recouverte de mets dont l'odeur parvenait jusqu'à moi. Toutes les places étaient prises, sauf une, qui m'était destinée. Je me penchais donc afin de faire une révérence, balbutiant quelques mots pour excuser mon retard. 

Après avoir pris place à la droite de la reine, celle-ci me lançant un sourire rassurant, les domestiques apportèrent le premier plat. Je vis dans l'assiette un aliment que je ne connaissais pas et mon attention était donc plus portée sur cela que sur les discussions qui commençaient. Je touchais le met du bout de ma fourchette, puis fronçais les sourcils en remarquant une texture gluante, qui m'intriguait encore plus que la couleur argentée. 

— C'est une mousse à base de fleurs, Keryna, je me doute que tu n'as jamais eu l'occasion d'en gouter, me murmura la reine à l'oreille.

Je la remerciai d'un sourire puis pris une bouchée. Finalement, ce n'était pas mauvais. Après une saveur un peu fade, je fus surprise de découvrir un gout quelque peu sucrée qui éveilla mes papilles. En relevant la tête, je vis certaines personnes de l'assemblée m'observer. J'étais bien consciente que je n'avais pas l'allure de mon statut. En tant que fille du roi et de la reine d'Ivraska, j'aurais dû me tenir comme tel, mais je n'avais pas eu cette éducation. Même si Yla m'avait forcé à suivre des cours de bonne conduite, ces heures étaient pour moi une véritable torture et je ne pus pas tenir plus de quelques mois.

— Keryna, si je t'ai fait venir c'est avant tout pour parler de stratégie, me dit la reine. Je suppose que vous aurez besoin de nous lors de l'attaque?

— Ce serait un honneur de me battre à vos côtés, Votre Altesse. Je serais ravie que nos peuples se soudent afin de mener Rioz à la capitulation. 

— Ce ne sera pas une tâche facile, mais je mettrais tous mes gardes à votre disposition. J'inviterais aussi les volontaires à vous rejoindre, bien évidemment.

J'acquiesçais avec un sourire. Je n'avais même pas eu besoin de le lui demander. Même si je me doutais qu'elle accepterait, je n'oubliais pas qui elle était, une femme puissante à qui je devais un immense respect. Une alliée non négligeable.

Le reste du temps du repas, je commençais à leur parler de notre stratégie, sans rentrer dans les grands détails. Le lendemain, les Scintillants viendraient pour une ultime réunion et je ne voulais pas trop en dévoiler pour le moment. Je me retirais donc ensuite, puis la domestique qui s'était occupée de moi le matin même m'emmena jusqu'à ma chambre; la même que j'avais eue la fois précédente. Suran venait juste d'arriver et je fus soulagée de le voir.

— Alors, ce repas avec la reine? me demanda-t-il après m'avoir enlacé.

— Epuisant. Jouer les aristocrates ce n'est vraiment pas mon truc! 

— Tu vas devoir t'y faire petite sœur. Si l'on y arrive, tu seras la reine d'Ivraska, tu devras faire bonne figure.

Je levais les yeux au plafond. Ce n'était tellement pas moi! Je ne pouvais pas m'empêcher de me demander, encore une fois, si mon caractère aurait été le même si j'avais vécu au palais. Je ne savais pas pourquoi cette question m'obsédait autant. Je n'arrivais pas à m'arrêter de me questionner sur ce qu'aurait été ma vie si le coup d'Etat des Sans-Pouvoir avait échoué. Peut-être que j'aurais aimé porter des robes et me maquiller, que j'aurais passé tout mon temps dans le boudoir à discuter avec les aristocrates, que j'aurais pris les domestiques de haut... A ma naissance, j'avais un chemin tout tracé. Chaque Scintillant aurait voulu être à ma place. Au lieu de cela, je me retrouvais à vivre dans une chaumière qui tombait en ruine tout en dirigeant une armée de gens détruits par la pauvreté. 

Lorsque je pensais à cela, je n'avais plus qu'une envie: m'enrouler dans mes couvertures et ne plus jamais sortir de mon lit. C'est donc ce que je fis tout cet après-midi-là. Tandis que Suran visitait le marché elfique, je broyais du noir. Je n'arrivais plus à voir une autre issue que la mort. Comment pouvions-nous espérer autre chose? Je poussais alors un long soupir tout en fermant les yeux. Même avec l'aide de Demyan, qu'est-ce qui me garantissait que nous allions y arriver? J'allais l'emmener dans ma tombe, c'est tout ce que j'allais réussir à faire. Une larme coula sur ma joue et je l'essuyais furtivement. Je devais me ressaisir.

Je ressortis alors ma tête de ma couverture et fut éblouit par les flammes du chandelier posé sur la table de chevet. Je m'asseyais en tailleur sur mon lit et inspirais une grande bouffée d'air, puis me forçais à sourire. Mais mes lèvres s'affaissèrent avant même que mes fossettes eussent creusé mes joues. Je me laissais donc tomber en arrière et fixais des yeux le plafond. L'ombre des flammes dansait au-dessus de moi telle des saltimbanques à la nuit tombée. Une esquisse apparut alors sur mon visage. Cela me rappelait les spectacles de feu qu'Yla nous emmenait voir une fois par an, lors de la fête d'Ivraska. C'était un jour ou tout le monde était rassemblé autrefois. On oubliait nos différences. Les classes sociales se mélangeaient et les Sans-Pouvoir et Scintillants aussi. Tous voulaient seulement profiter de ce jour férié. Puis après le coup d'Etat, même si toute union entre les deux clans avait disparu, Rioz voulut maintenir cela. 

Alors Yla nous y emmenait, car elle voulait que nous connaissions à notre tour ce à quoi elle avait participé durant son enfance. Elle restait assez stressée, entourée par tous ces Sans-Pouvoir, mais nous passions tout de même un bon moment. 

Lorsque Suran arriva dans la chambre, il était déjà plus de vingt heures. Il me proposa d'aller manger, mais je refusais; la seule chose que je désirais était de dormir, je me sentais épuisée. Je l'embrassais alors sur la joue puis m'installais dans mon lit. A peine quelques minutes plus tard, je dormais déjà. 

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