Chapitre 4: Keryna.

Lorsque j'entendis mon frère prononcer ces mots, mon cœur rata un battement. Je crus un instant que c'était une blague, mais son visage qui me communiquait sa peur ne pouvait guère mentir. Je descendis alors le plus calmement possible, inspirant longuement. Je découvris deux hommes, à peine plus âgés que moi, en arrivant dans la cuisine. Je les saluai d'un froid hochement de tête, et le plus grand ouvrit la bouche à mon intention. 

— Juste une vérification des papiers. 

— Ils sont en règle, répondis-je d'une voix agressive malgré moi. 

— Calme-toi, miss, tu ne sais sans doute pas à qui tu parles. 

Je l'observai en haussant un sourcil, tentant de me rappeler son identité. Effectivement, son visage entouré de boucles brunes me disait quelque chose, mais je n'aurais pas pu mettre un nom dessus. Vu le ton qu'il avait, et ce regard hautain qu'il posait sur moi, ce devait être quelqu'un d'important. Je lançai un coup d'œil à Suran, et il haussa les épaules. Yla arriva ensuite, suivie de Pol, nos papiers entre les mains. Je ne pus m'empêcher de déglutir difficilement. Je triturai donc mon collier, chose que je faisais toujours lorsque j'étais nerveuse. Le legio observa nos pièces d'identité durant quelque temps, puis parut être satisfait et nous les rendit. J'avais la mâchoire si serrée que je commençais déjà à en ressentir la douleur.

— Rien à signaler. Mais je préfère fouiller la maison, j'aime pas trop comment me regarde la fille, l'entendis-je murmurer à son collègue. 

Sans nous demander notre autorisation, ils s'exécutèrent alors. Je bouillonnais de rage, mais tentais de me contenir. D'après ce qu'il avait dit, je ne savais pas jouer le rôle qui m'était attribué devant les Sans-Pouvoir. Je devais me comporter comme eux, pourtant je les méprisais à un point tellement important que je ne pouvais pas m'empêcher de les regarder de travers. J'avais toujours été une mauvaise actrice. 

Puis les legios redescendirent de l'étage de leur pas lourd, sous les yeux apeurés de ma famille au complet. 

— On n'a rien trouvé, par contre j'aimerais bien m'entretenir avec chacun de vous un instant. Désolé pour cet acharnement, mais la plupart de ces enfoirés se cachent dans les campagnes.

A l'entente de cette insulte, je me mordis la langue violemment pour ne pas répliquer. Je vis Suran me fixer et le rassurai d'un bref hochement de tête. 

— Toi, viens avec moi, me dit-il. Le jeune Tohar, tu vas avec mon collègue. 

Je le suivis dehors, avec une boule au ventre qui m'empêchait de respirer convenablement. L'air frais me permit de reprendre un peu mes esprits. Je fixai alors les immenses plaines à perte de vue, me concentrant sur cela afin de me calmer. Nous connaissions notre prétendue vie sur le bout des doigts, mais j'avais peur de faire une erreur qui nous mènerait à notre perte. Le moindre faux pas nous condamnait à mort.

— Bon, tu es bien Keryna Tohar, née à Ivraska huit mois avant le coup d'Etat? 

— Oui. 

— Tu peux m'expliquer pourquoi tu me regardes comme si tu voulais m'étrangler? me demanda-t-il avec un sourire en coin. 

— Je ne suis pas très sociable. Et je n'aime pas particulièrement les legios. 

Ces paroles m'échappèrent et je me mordis l'intérieur des joues jusqu'à m'en faire saigner. Pourtant, il ne parut pas étonné. 

— Je ne pense pas que beaucoup de Sans-Pouvoir nous apprécient. Même moi, je suis ici par obligation. 

Cette confidence me laissa perplexe, et je me demandai ce qu'il voulait sous-entendre par cela. Puis poussée par ma curiosité, je ne réussis pas m'empêcher de l'interroger sur son identité.

— Demyan Vosris, fils du roi Rioz, me répondit-il avec calme.

A l'entente de ce nom, je crus que j'allais me jeter sur lui en même temps que je m'étranglais. Et je l'aurais fait si j'avais pu. Rioz était à l'origine du coup d'Etat et c'était lui qui régnait désormais, depuis dix-huit ans. C'était à cause de lui que j'avais tout perdu. Mes parents, mon peuple, et même mon identité. Et ce legio était à ma place. Il osait se décrire comme fils du roi, alors que son père ne l'était pas. Une seule famille royale existait depuis la nuit des temps sur Ivraska, et c'était la mienne. Je restais la fille du roi et de la reine, la seule et unique. 

— Tu vas bien? m'interrogea-t-il en haussant les sourcils, se penchant vers moi. 

— Je vais bien, ne me touche pas. 

Je le repoussai de ma main, n'ayant aucune envie que ce monstre pose ces sales pattes sur moi. 

— Je veux rentrer chez moi si tu n'y vois pas d'inconvénient. J'ai mal à la tête, lui dis-je en me massant le crâne. 

Il acquiesça, perplexe malgré tout. Il me raccompagna ensuite jusqu'à la maison, puis voulut interroger Yla; ce qui ne servait à rien, étant donné qu'il m'avait demandé uniquement mon nom. Je me retrouvai alors seul avec Suran.

— Il t'a fait de mal? Tu n'as pas l'air bien Keryna. 

— Le legio aux cheveux bouclés, c'est le fils de Rioz, déclarai-je sans plus de cérémonie. 

— Tu es certaine? Qu'est-ce que ce bourge viendrait faire ici? 

— Il me l'a dit lui même. Et je n'en ai aucune idée. Il m'a affirmé qu'il y était que par obligation, ce qui m'a un peu troublé.

— Je n'arrive pas à y croire, murmura mon frère. 

Nous attendions alors nos parents, sans qu'un mot de plus dépasse nos lèvres. Je ressentais tellement de haine pour les Sans-Pouvoir que je tremblais de partout. De plus, ces deux hommes étaient des legios, et l'un d'eux le fils du roi! Il ne manquait plus que cela.

Ils revinrent ensuite, accompagnés d'Yla et Pol. Bien que tous deux livides, ils ne paraissaient pas avoir été maltraités, ce qui était déjà une bonne chose. 

— Tout est bon pour nous, on vous laisse tranquille. Mais n'oubliez pas le recensement le mois prochain, nous dit Demyan, me fixant avec trop d'insistance à mon goût. 

Ils repartirent ensuite, leurs silhouettes devenant un minuscule point gris à la lisière de la forêt, après quelques minutes. Enfin, nous pouvions respirer.  

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