Chapitre 37: Demyan.
Après être repartis de chez Keryna et avoir déposé les enfants dans ma chambre, je me rendais au palais. Le bal de l'année se déroulait ce soir et mon père m'avait interdit de le manquer. Loin de moi l'idée d'y aller, c'était bien l'une des dernières choses que je voulais faire. Je désirais simplement passer du temps avec les enfants et me reposer. Mais rien de cela ne sera possible aujourd'hui...
Dès que je fus au château, je partis dans ma chambre avant de voir qui que ce soit. Je prenais alors un livre parmi des centaines d'autre sur ma bibliothèque. Puis quelques minutes plus tard, on m'interrompit dans ma lecture par des coups frappés à la porte. Soupirant, je me levais afin d'aller ouvrir. Lorsque je vis qui était devant moi, j'écarquillais les yeux après un infime mouvement de recul. Ma mère. Jamais elle n'était venue dans ma chambre, et je ne me souvenais pas de la dernière fois qu'elle m'avait adressé la parole. J'observais alors son visage derrière la voilette qui me rendait la tache plus difficile. Je vis alors des yeux rougis, dont l'un était entouré d'un coquart bleuté. Bien que je ne portais pas d'affection particulière à ma génitrice, cette vue me serra le cœur.
— Mère? Que se passe-t-il? lui demandai-je en prenant ses mains.
— Viens t'asseoir Demyan, il faut que nous parlions.
Après un hochement de tête, nous nous installions donc sur le rebord de mon lit. Elle releva son voile et je vis son visage comme jamais je ne l'avais vu. L'œil au beurre noir n'était pas la seule chose qui la marquait. Elle qui était toujours maquillée et gardait la tête haute, paraissait telle une poupée chiffonnées. Des cernes violets s'étalaient sous ses yeux tombants, son teint était pâle et ses lèvres gercées. Sous ses traits, j'aurais presque pu la confondre avec une autre femme. Alors qu'elle fixait encore le sol d'un air lasse et absent, j'ouvrais de nouveau la bouche.
— Je ne comprends pas mère. Pourquoi êtes vous venus?
— Il y a bien longtemps que j'aurais du te le dire. Bien longtemps que je me cache derrière cette apparence, et c'est finalement la seule qu'il me reste. L'ancienne moi a définitivement disparue... Je ne sais pas quoi te dire, par où commencer. Cela doit être tellement improbable pour toi. Tu connais la monstruosité de ton père, mais tu ne sais pas qui je suis. Tu me prends pour une femme froide et hautaine, qui considère ses enfants comme ses animaux de compagnie, au mieux. Mais ce n'est pas moi.
Elle s'arrêta alors pour reprendre son souffle, le menton tremblant et les yeux larmoyants. Je ne voyais pas où elle voulait en venir. Je l'écoutais sans comprendre vraiment ce qu'elle me disait.
— Tu es mon fils Demyan, et je t'aime tout comme j'aime ta sœur, sanglota-t-elle en reniflant. Mais je n'ai jamais eu le droit de te le montrer. Ah ça non! Ton père me répétait sans cesse que pour que tu sois un homme digne, tu ne devais pas connaître l'amour maternel. Tu aurais été faible. J'ai essayé au début, pourtant cela n'a pas du durer bien longtemps. Lorsque ton père a remarqué que je passais du temps avec toi, il m'a frappé jusqu'à ce que je m'écroule. Il a ensuite ordonné à un homme de me suivre partout où j'irais. Je n'ai pas eu le droit de t'approcher durant des mois. Puis j'ai réessayé quelques années plus tard, et la même chose s'est déroulée. Il me frappait au moindre regard que je te lançais. Combien de fois m'a-t-il menacé de me tuer? Je n'ai jamais compris cette obsession qu'il avait à vouloir m'éloigner de toi.
Elle prit alors un mouchoir que je lui tendis et s'arrêta quelques instants. Je n'arrivais pas à y croire. Je ne savais pas comment réagir, que faire. Cette femme qui m'avait toujours regardé avec dégout m'affirmait vouloir transmettre de l'amour? Je trouvais cela tellement irréaliste. J'eus soudainement envie vomir. Ce qu'avait fait mon père était pire que tout ce que j'avais pu imaginer. Jamais je n'avais pensé qu'il battait ma mère aussi. Mais que j'étais stupide! Pourquoi cela n'aurait pas été le cas? Il était violent, complètement fou. Cela aurait du être une évidence pour moi.
— C'est lui qui t'a frappé au visage? demandai-je en me raclant la gorge.
— Oui, hier. J'ai demandé à une servante de t'apporter un mot que j'avais écris pour te dire tout cela, mais un garde l'a fouillé lorsqu'il l'a vu entrer dans ta chambre. La pauvre a été virée et moi j'ai eu ce que je méritais d'après Rioz. Mais je n'en peux plus de vivre ainsi, toujours dans la crainte et le désir de vous prendre dans mes bras. Il fallait que je te le dise et maintenant je dois partir. C'est trop risqué pour moi de rester. Il s'est sans doute aperçu de mon absence et doit déjà me chercher. Il faut que je quitte le palais au plus vite.
— Mais où vas-tu aller?
— Je ne sais pas, je trouverais bien quelque chose. Tout sera mieux que de rester ici, affirma-t-elle en se levant. Je suis terriblement désolée de ne pas avoir su résister à ton père, de ne pas t'avoir protégé. Dis à ta sœur tout ce que je viens de t'avouer, il faut qu'elle sache elle aussi. Maintenant je m'en vais, et je ne sais pas si nous pourrons nous revoir de sitôt. Je t'aime mon fils, même si cela doit être difficile à comprendre, sache que c'est vrai. Ne l'oublie pas.
Elle me prit alors dans ses bras et me serra jusqu'à m'étouffer. Je fus surpris à pleurer avec elle, l'enlaçant à mon tour en tentant de respirer. Elle se détacha ensuite de moi et recula, le visage défiguré par la douleur.
— Pardonne moi pour tout ce que je t'ai fait Demyan, et j'espère te revoir un jour.
Et avant même que j'eus le temps de la retenir, elle partit en courant. Je restais abrutit par cette déclaration. La bouche entrouverte, le regard au loin, les bras ballants en retenant mes larmes. Je tombais alors à genoux, les mains dans mes cheveux. Je demeurais ainsi durant de longues minutes, le front contre le sol, incapable de réaliser ce que ma mère m'avait annoncé.
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