Chapitre 25: Keryna.

En une journée, Suran et moi avions réussi à voir tous les Roses. Tous seraient là. Le lendemain soir, je partais donc avec mon frère chez les Elfes. Etant donné que c'était le seul endroit où les Sans-Pouvoir ne pouvaient pas nous atteindre, nous avions pris l'habitude de faire nos réunions ici.  

Lorsque nous arrivions devant les portes de la grotte, je reconnaissais le garde elfique que j'avais rencontré la dernière fois.

— Keryna, encore toi. Pas d'animal ou de créature blessée aux alentours, alors c'est pour quoi cette fois? me demanda-t-il en bombant le torse. 

— On doit organiser une réunion avec les Roses. Il faut que je voie avec la reine si c'est possible pour demain. 

Il acquiesça puis m'ouvrit le passage en m'observant avec insistance. Suran me suivait de près et nous nous dirigions vers l'Arbre. Celui-ci était la demeure de la famille royale elfique. Un arbre immense, dont les salles se suspendaient aux branches et étaient reliées par des ponts suspendus en bois. Bien que cela faisait de nombreuses fois que je le voyais, je ne pus m'empêcher encore une fois d'être émerveillée. 

Chaque fois que je venais dans la grotte, j'avais l'impression d'être sur une autre planète, hors du temps. Et en réalité, c'était presque cela. Bien que les elfes vieillissaient, un peu moins vite que nous tout de même, la flore ne bougeait guère. Les arbres et les fleurs ne grandissaient pas; ce qui expliquait aussi pourquoi ils pouvaient construire d'impressionnantes demeures en leur sein. Les Elfes possédaient des graines magiques, qui poussaient en une fraction de seconde, et conservaient cette taille jusqu'à la nuit des temps. 

Ce fut Suran qui me sortit de ma contemplation, m'emmenant vers un garde royal. Ce dernier devait avoir aux alentours de la cinquantaine et il me rappelait des airs d'Egna; peut-être qu'il était de sa famille, pensai-je. Mon frère prit alors la parole et demanda si nous pouvions avoir une audience avec la reine en ce jour. Après un hochement de tête, l'elfe commença à monter les escaliers enroulés autour du tronc et nous arrivions devant la grande salle. Il poussa ensuite les portes sans en avoir reçu l'autorisation. Un bal se préparait ici, mais aucune trace de la reine ne se faisait percevoir. 

— Venez, s'écria le garde afin de surmonter le brouhaha environnant. 

Nous le suivions alors et ressortions de la salle pour nous trouver face à un des ponts suspendus. Je n'avais jamais été très à l'aise avec ceux-ci, étant donné qu'ils étaient peu stables et que mon équilibre était quasiment nul. Sans regarder en bas, j'avançais tout de même en m'accrochant aux cordes sur les côtés. Une fois devant une porte de bois d'ébène, le garde frappa cette fois-ci. Une jeune femme nous ouvrit, que je supposais être une dame de compagnie.

— Les deux chefs des Roses souhaitent avoir une audience avec la reine, annonça le garde. 

— Faites les entrer. 

Bien que je ne voyais pas la personne venant de parler, je savais que c'était la reine. Elle avait une voix spéciale, cristalline. J'entrai suivie de mon frère, puis me courbai afin de faire une révérence. Elle était d'une beauté éblouissante, écrasant tout le monde aux alentours. Les deux femmes avec qui elle jouait aux cartes paraissaient à peine exister à ses côtés. Telle une poupée dans une robe de bal, elle était rayonnante. Ses cheveux opales encadraient un visage angélique et lui donnaient un air innocent; ce qu'elle n'était absolument pas. Face à elle, je me sentais ridicule. 

— Que me vaut le plaisir de cette visite? demanda-t-elle avec un doux sourire. 

— Nous aimerions avoir l'autorisation d'organiser une réunion demain, lui dis-je. 

— Bien sûr! C'est toujours un plaisir de recevoir des Scintillants. J'organise un bal aujourd'hui, puis-je me permettre de vous inviter?

Je lançai un regard interrogatif à Suran et il me répondit par l'affirmative. Heureuse d'assister pour la première fois au bal de la reine, je ne pus m'empêcher de sourire. 

— Liwa? Tu veux bien t'occuper de ces deux jeunes gens? Trouve-leur une tenue plus adaptée, je te prie.

Nous suivions donc la jeune dame de compagnie jusqu'à un autre petit salon, comportant un dressing plus grand que notre maison. J'étais émerveillée par tant d'abondances. Liwa me proposa tout un tas de robes et mon choix s'arrêta sur une de couleur vert pomme; celle qui, je trouvais, allait le mieux avec mes cheveux. Bien que porter ce genre de vêtements m'horripilait, je ne pouvais pas m'empêcher de trouver cela magnifique. Le tissu était aussi doux que de la mousse et la coupe m'allait à merveille. Je n'étais pas aussi à l'aise que dans mes vieux pantalons, mais pour une fois je ne me trouvais pas grotesque dans une de ces robes.

Suran sortit ensuite de sa cabine d'essayage et écarquilla les yeux lorsqu'il me vit. 

— Je n'arrive pas à y croire, ils ont réussi à te faire enfiler une robe. Yla a pourtant cru s'arracher les cheveux quand tu refusais de te séparer de tes pantalons. Tu es magnifique petite sœur, tu devrais en mettre plus souvent. 

— Je ne me sens pas à l'aise là dedans. Imagine que je me fais attaquer, ne serait-ce pas ridicule de me battre avec tous ces froufrous? m'exclamai-je en levant les bras. 

— Personne ne va t'attaquer aujourd'hui, alors profites! Allez, viens, allons découvrir ce qu'il y a dans la grande salle. 

Nous nous dirigions donc vers celle-ci, pleine de gens aisés désormais. Lorsque nous étions passés quelque temps avant, il n'y avait que des servantes en robes noires et des valets en costume de la même couleur. Cette assemblée avait fait place à une autre, bien plus bourgeoise cette fois-ci. J'avais l'impression d'être dans un tourbillon de couleur. Les femmes étaient fort maquillées et avaient sorti leurs plus belles robes. Au centre, quelques personnes virevoltaient au rythme de la musique et les autres grignotaient les mets installés sur les tables. 

Sans quitter Suran, je partais vers la table principale me servir à boire. C'est alors que je fonçai dans un homme, ne regardant pas devant moi. Je reconnus le garde de l'entrée de la grotte. 

— Encore toi! Décidément, on se voit souvent en ce moment, me dit-il en riant 

Je l'l'ignorai en le contournant, mais il me rattrapa par le bras. 

— Attend. Viens, je connais un endroit où on serait tranquille. 

Je voulais retrouver Suran, pourtant je voyais bien qu'il n'était plus là. Etant toute seule, j'acceptai sa proposition. Il me prit la main et m'entraîna vers la porte. 

— Tu as déjà volé dans les bras d'un elfe? 

— Non et je ne compte pas le faire, répondis-je d'une voix cinglante. 

— Tu ne voudrais pas être juste un tout petit peu plus sympathique? L'endroit que je veux te montrer est tout en haut de l'Arbre et tu aurais tort de refuser.

Après réflexion, j'acceptai en soupirant. Il déploya alors ses ailes, jusqu'ici cachées. Puis il me tendit ses bras et je grimaçais lorsqu'il me porta, décollant mes pieds du sol. Je me sentais ridicule et gênée. Une fois arrivée à destination, je fus soulagée qu'il me repose sur une branche immense et m'éloignais un peu de lui. 

C'est alors que, tout en haut de l'Arbre, je vis le monde elfique comme je ne l'avais jamais vu. L'émotion fut telle que j'en eus les larmes aux yeux. Je voyais d'ici les immenses étendues d'eau luminescentes, et chaque arbre du domaine, de la lumière s'échappant de ceux-ci malgré l'heure bien avancée. Je frissonnais face à ce paysage. Jamais je n'avais vu quelque chose de tel. 

— Alors, qu'en penses-tu? 

— Je n'ai pas les mots. C'est tout simplement magnifique, féerique, murmurai-je en ne quittant pas l'horizon devant moi. Mais je croyais que seule la famille royale avait le droit de venir ici? 

— C'est le cas, et j'en fais partie ne t'inquiète pas pour ça. Je suis le neveu de la reine, Eneuk.

— Oh, vraiment? Désolé je ne savais pas. Enchantée en tout cas, je ne connaissais pas ton nom.

— Ce n'est rien! 

C'est alors qu'il voulut me prendre la main. Je me retirai avec brusquerie, m'éloignant d'un pas. Il grimaça en même temps qu'il souriait.

— Je vois... Ton cœur est pris par un autre, les elfes sont doués pour sentir ce genre de choses, me dit-il en croisant les bras.

— Non, tu te trompes. Je ne te connais pas, c'est tout, alors je refuse que tu me touches.

— C'est juste que tu ne le sais pas encore alors. Mais ne t'en fais pas, je n'en suis pas le moins du monde offusqué. Je ne suis pas habitué à ce que l'on me refuse mes avances, néanmoins il faut une première à tout, s'exclama-t-il en rigolant.

Je souris malgré tout, même si j'étais encore perturbée par ce qu'il venait de me dire. Je décidais de ne pas y faire attention et de profiter du bal. Je lui demandai donc de redescendre. Il me prit de nouveau dans ses bras et nous volions jusqu'en bas. Une fois dans la salle, nous retrouvions les chaleureuses discussions mêlées à la musique, contrastant avec le silence qui nous enveloppait quelques secondes avant. 

— Tu veux danser? me proposa Eneuk.

— Non, surement pas. Je suis nulle pour ça.

— Tant que tu as un bon cavalier, ce n'est pas grave! 

Avec un sourire, je cédai finalement. Il me prit ma main droite et déposa l'autre au creux de mes reins. Ainsi, nous commencions à danser. Je me sentis alors ivre de joie et ressentis au plus profond de mes entrailles la magie de la musique elfique. Elle m'emportait dans un autre monde, me faisant presque oublier ma propre existence. Je ne croyais pas au fait qu'elle pouvait guérir certains maux, pourtant en cet instant je ne pouvais plus en douter. J'étais seule au monde avec Eneuk, tournoyant à vive allure. 

Après une dizaine de danses, je n'en pouvais plus. Les joues rouges et le souffle saccadé, je me dirigeais avec lui vers la table des rafraichissements. Il me servit un verre de jus et je buvais alors de longues gorgées. 

— Ose dire que tu n'as pas aimé danser, me mit-il au défi.

— C'était génial!

Et je le pensais vraiment. C'était un des meilleurs instants de ma vie et il resterait gravé dans mon esprit pour toujours. 

— Merci de m'avoir offert ce moment. J'ai rarement été aussi heureuse, avouai-je. 

— Tout le plaisir est pour moi. 

— Est-ce que tu pourrais me raccompagner jusqu'à ma chambre maintenant? Je suis fatiguée et je ne sais pas où elle se trouve. La dame de compagnie de la reine m'a affirmé que c'était la chambre des Lys. 

— Bien sûr, allons-y.

Il passa son bras sous le mien et nous partions. Une fois devant la pièce, je le remerciai de nouveau, puis il me fit un baisemain et partit. Je m'affalai ensuite sur l'immense lit à baldaquin, soupirant de bonheur. J'avais passé une soirée merveilleuse. Je m'endormis alors, la tête encore pleine de ses images. 

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