Chapitre 19: Demyan.
Je fus rappelé par mon père une heure plus tard, m'obligeant à assister à l'exécution. Je refusais net, mais n'eus pas le choix. Soit je venais, soit il me reprenait les enfants. Bien que je n'avais aucune envie d'être présent, je me dirigeai donc vers la place publique d'un pas sempiternel. Je rejoignis alors la loge royale, où se trouvaient déjà mes parents et ma sœur. Jeda me sourit, faisant ressortir ses joues de bébé, et ma mère m'ignora. Sans un mot, je m'assis à ma place.
Nous étions légèrement en hauteur et je voyais toute la foule autour de l'estrade. Tous ces gens étaient des monstres. Ils désiraient assister à l'exécution de deux êtres semblables à eux, qui n'avaient commis aucun crime. J'en fus presque dégouté de mon peuple. Puis les gardes arrivèrent, mais seul l'homme était présent; taché de sang et boitant de sa jambe droite. Je tournai la tête vers mon père, et voyant ses sourcils froncés, me doutai que ce n'était pas normal. Il fit signe à l'un des gardes, celui-ci s'approcha donc. Je les entendais murmurer et le visage de mon père se crispait au fur et à mesure des paroles qu'il entendait. Il se leva ensuite, et s'adressa à la foule d'un air solennel.
— Chers Sans-Pouvoir, j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Comme vous le savez, et ce malgré l'envie de certains d'entre vous, les enfants ont été relâchés. Mais voilà maintenant qu'il nous manque la mère! Ces horribles Scintillants sont intervenus durant le trajet jusqu'ici, et ont réussi à la libérer. Cela veut donc dire qu'il y en a encore d'autres, malheureusement. Toutefois, il ne faut pas vous inquiéter, ils paieront tous! Bientôt, plus un seul des leurs sera encore en vie!
Tous l'applaudirent alors et il se rassit sur son trône. Cette annonce, au moins, me soulagea un peu. Cette mère de famille m'avait touché au plus profond de mon être et je fus euphorique de savoir qu'elle allait vivre. Pourtant, la réalité me ramena sur terre. Je ne pouvais pas oublier qu'un membre de la famille était toujours là, devant mes yeux. Je ressentis une grande admiration pour lui. Il avait beau être humilié par tous aux alentours, avoir perdu sa famille et se savoir condamné, il gardait la tête haute. Il tenait à peine sur ses jambes, était recouvert de poussière et de sang, mais une lueur de fierté persistait dans ses yeux, et même moi je pouvais la voir à cette distance. Je sus alors que, toute ma vie, cet homme serait mon modèle.
Un garde le força à se mettre en dessous de la corde et c'est à ce moment que je détournai le regard. Je fixai mes pieds, me concentrant pour ne plus rien entendre. Je me sentis comme dans une bulle. Les sons étaient étouffés, mais je parvenais tout de même à les entendre. C'est alors que je perçus le sifflement d'une flèche, donc levai les yeux. C'était bien cela. Elle s'était plantée aux pieds du garde et je sus de suite de qui elle provenait. Accroché à la flèche se trouvait une rose rouge, symbole des Scintillants. Au vu de la foule, je devinai qu'ils avaient également compris. Mon père se leva afin de les calmer, puis tout le monde se concentra de nouveau sur le condamné, ne s'attardant pas dessus.
Je vis alors un immense sourire peint sur le visage de l'homme, voyant cela comme la preuve que son peuple ne l'avait pas abandonné. Cette fleur était un moyen de montrer leur soutien dans cette épreuve. Juste après le coup d'état, les Scintillants semaient des roses partout dans les rues lorsque la nuit tombait, mettant mon père en fureur. Mais lorsqu'ils commencèrent à se faire arrêter beaucoup plus fréquemment, ce rituel nocturne cessa.
Puis lorsque je vis la foule hurler de le mettre à mort, je ne pus m'empêcher de retenir des larmes de rage. Je les essuyai avant que ma famille ne les voie et me mordis la joue afin que cela ne recommence pas. Le garde enleva alors la chaise sur lequel le Scintillant tenait debout, et la seule chose qui le retint fut la corde contre son cou. J'aurais voulu détourner le regard, ne jamais voir cette image, mais j'étais tétanisé. C'était la première fois que j'assistais à une exécution, ayant toujours refusé de le faire avant, et je regrettai de ne pas avoir tenu tête à mon père. Devant le corps tremblant et le visage bleui de l'homme, je crus vomir. Je n'entendais même plus les bruits de la foule. Je ne voyais que le Scintillant pendant à la potence, mes yeux écarquillés à m'en faire mal. Je mis plusieurs minutes à revenir à moi, puis partis directement lorsque je pus faire un pas sans m'évanouir.
Une fois à l'abri des regards, dans une petite ruelle éclairée seulement par un lampadaire, je tombai à terre. Je laissai libre cours à mes émotions, m'autorisant à pleurer pour la première fois. Je pensai aux petits que j'avais récupérés et ne savais pas comment je pourrais leur annoncer une telle chose.
Après m'être un peu calmé, essuyant les larmes sur mes joues, je rentrai à la caserne. Les enfants dormaient sur le lit que je leur avais amené, paisible comme je ne les avais jamais vus. Je m'assis à leurs côtés et caressai avec tendresse leurs cheveux. Si je devais être la seule figure paternelle à qui ils pouvaient s'identifier, j'étais prêt à le devenir. Après tout, c'était à cause de moi qu'ils en étaient là.
Cette nuit là, encore traumatisé par les images de l'exécution, je n'arrivais pas à dormir. Je fixais mon plafond avec attention, rassuré par le contact des enfants avec moi. C'est alors que je décidai de quitter les legios. Mon père m'avait forcé à entrer et c'est moi qui allais décider d'en sortir. Le fait qu'il ait accepté de libérer les petits sorciers m'avait donné des ailes. Il était hors de question que j'envoie une fois encore des Scintillants à la mort, je ne l'aurais pas supporté.
Le lendemain, après avoir nourri les enfants de pains au chocolat et de beignets, je partis donc au palais. J'arrivai dans l'immense salle à manger sans frapper, interrompant ma famille dans leur petit déjeuner.
— Père, il faut que je vous parle.
— Je suis à toi dans cinq minutes, attends moi devant mon bureau, me dit-il, s'essuyant la bouche avec une des serviettes cousues de fils d'or.
J'acquiesçais, puis tournais les talons. Il arriva quelques instants plus tard, déverrouilla la porte et entra. Il m'invita à m'asseoir sur un des deux fauteuils de velours rouge, ce que je refusais d'un signe de tête.
— Je quitte les legios, annonçai-je.
— C'est non. Autre chose?
— Ce n'était pas une question, je ne vous demande pas votre avis.
Il se leva alors, ne me quittant pas des yeux, puis son poing atterrit sur mon visage. Je n'eus même pas le temps d'esquisser un geste. Je me frottais la joue avec une grimace, mais ne baissais pas le regard.
— Tu disais? me demanda-t-il avec un léger sourire.
— Je quitte les legios.
Je m'étais attendu à recevoir un second coup, je parais donc son geste. Il contourna alors son bureau et se retrouva face à moi, m'écrasant de son imposante taille. Il me serra le poignet dans sa main, si fort que je crus qu'il allait le briser. Malgré moi, je poussai un gémissement de douleur.
— Ne joue pas à ça avec moi fiston. Tu vas perdre, n'en doutes pas un seul instant. Tu sais pourquoi je t'ai laissé les gosses? Parce que tu vas t'attacher à eux, si ce n'est pas déjà fait. Alors au moindre signe de résistance de ta part, pouf, tes petits chéris seront assassinés, me dit-il avec un rictus mauvais.
Il éclata d'un rire sans joie, puis me lâcha enfin. Je me massais le poignet de mon autre main, grimaçant encore. Désormais, je comprenais que je n'avais jamais gagné. Ni la bataille ni la guerre. Tour était calculé avec mon père, j'aurais dû me douter que si j'avançais un pion, c'est qu'il avait une contre-attaque derrière la tête.
— Tu vas donc retourner tranquillement à la caserne et reprendre ton poste. Et n'essaie pas de cacher les Scintillants, je les retrouverais, tu peux en être certain.
Je voulus répliquer quelque chose, montrer que je pouvais le défier, mais j'en fus incapable. Je partais donc sans rien dire, encore plus dépité qu'à mon arrivée.
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