J'espérais que Pira ne se rendrait compte de rien, mais je savais pertinemment que n'importe qui aurait vu que les papiers étaient des faux. Je lui jetais un regard et y découvris un sourire. J'eus un étourdissement puis me rattrapais à la porte entrouverte. La famille était comme statufiée, attendant leur triste sort sans esquisser aucun geste. 

— On ne peut pas les emmener, murmurai-je à Pira, au bord de la crise de nerfs. 

— Demyan, c'est notre métier. Tu devais bien te douter que ça arriverait un jour. Alors, maintenant montre un peu de courage.

— Je n'ai pas choisi ça! Je ne l'ai jamais voulu! m'exclamai-je, face à l'étonnement des Scintillants.

Elle eut un mouvement dans le but de me gifler puis parut revenir sur terre. Elle brandit alors sa dague et leur ordonna d'approcher d'une voix claire, sans aucune pitié. 

— C'est des gosses, putain! Ils ne doivent même pas avoir plus de dix ans, t'es tout de même pas folle à ce point? hurlai-je en lui barrant la route. 

Si je ne faisais rien, les quatre membres de cette famille mourraient le lendemain au plus tard. Et je ne trouvais aucune issue favorable. J'avais beau chercher à un point que mon cerveau était en ébullition, je savais que je ne pouvais rien faire. Mais je me rappelais ce que m'avait dit la Scintillante sur Tawy. On a toujours le choix. Affronter Pira ici était la pire idée que je pouvais avoir, alors je me retins de lui sauter dessus. Mieux valait réfléchir et ne pas se précipiter. Avec un peu de chance, peut-être trouverai-je le moyen de faire quelque chose. 

— Bon, Demyan, t'es un legio donc fait ce que tu dois faire, point. Ce n'est pas le moment de dire n'importe quoi, reprends-toi. Attache-leur les mains. 

Sans un mot, je m'exécutais. Puis je croisais le regard du plus jeune, et y découvris tellement d'incompréhension et de peur que mon estomac se retourna. J'eus une violente envie de le prendre dans mes bras afin de le réconforter, et seul le regard dur de Pira m'en empêcha. Nous prenions ensuite la direction du dirigeable, la famille Scintillante escortée entre elle et moi. Une fois installés dans le transport, Pira s'installa sur le siège conducteur et je restais avec nos prisonniers à l'arrière. 

Etonnement, ils n'avaient eu aucun geste de résistance. Pas une parole pour se défendre, pas une insulte, pas un poing levé en l'air, rien. Peut-être espéraient-ils avoir une remise de peine? Ou bien qu'ils s'attendaient à cela depuis de nombreuses années, vivant dans une peur constante. J'osais à peine les regarder.

— Je suis tellement désolé. Vous ne pouvez pas imaginer, murmurai-je, toujours en baissant la tête. 

Ils ne me répondirent pas, se contentant de me fixer. Ils devaient probablement se demander pourquoi un legio avait pris leur défense; sans pour autant avoir de succès. Le trajet jusqu'au château me parut durer une éternité, et pourtant je fus plus angoissé en arrivant. Nous les faisions sortir et les emmenions jusqu'aux sous terrain où ils seraient gardés; de nombreuses cellules s'y trouvaient. Seuls dans les sombres allées, nous n'entendions que le bruit de nos pas sur le sol humide. Après les avoir enfermés, Pira afficha un sourire satisfait. Je détournais mon regard. Je vis la famille à travers les barreaux rouillés malgré la pénombre, assis sur le sol recouvert de poussière.

— Et voilà, encore quatre Scintillants de moins! Mes parents vont être tellement fiers de moi. Tu vois Demyan, ce n'était pas si compliqué. Imagine un peu la tête que fera ton père! s'exclama-t-elle en repartant.

Je la suivis, muré dans mon silence. Je ne supportais pas la façon dont s'exprimait Pira, comme si ces êtres humains, tout comme nous, n'étaient que de simples insectes à éradiquer. Pourtant, je savais au fond de moi qu'elle n'était pas entièrement responsable. Durant de nombreuses années, j'avais moi aussi été aveuglé par les pensées de mes parents, ne remettant jamais en cause cette haine contre les Scintillants. Puis peu à peu, ma conscience s'était éveillée.

— Je ne dirais pas à ton père que tu as flanché, mais fais en sorte que tu ne recommences pas, me prévint-elle. 

— Tu es ma seconde Pira, ne me parles plus jamais comme ça. Oui, je n'ai pas été très professionnel, néanmoins ce n'est pas à toi de me faire la morale. 

Elle s'arrêta net, stupéfaite que je prenne ce ton. Je continuais ensuite ma route et sortais du château sans un seul regard en arrière. Je pensais un instant à rendre visite à ma nourrice, Nouria, mais je sentais que je n'avais pas le cœur à cela. Je rentrais donc à la caserne, encore désorienté par ce qui venait de se passer. J'avais l'esprit complètement embrouillé. 

En ce moment, Pira devait être en train d'annoncer à mon père la prise de quatre Scintillants. Sans doute devait-elle être fière d'avoir une audience avec le roi. Il ne me restait que très peu de temps pour trouver une solution et je n'en voyais aucune. Avec un peu de chance, mon père voudrait informer le peuple, ce qui me laisserait un peu plus de temps. Organiser une exécution publique m'aiderait, et je ne doutais pas que cette idée l'enchanterait.

Ma montre indiquait deux heures de l'après midi, et voilà bien une heure que j'avais quitté Pira. Alors que je commençais à m'inquiéter, elle fit son apparition dans ma chambre. 

— Je n'ai pas apprécié la façon dont tu m'as parlé tout à l'heure. Je t'excuse tout de même, étant donné la situation, déclara-t-elle. Et pour ton information, les Scintillants seront exécutés dans cinq jours. 

— Les enfants aussi? 

Elle hocha la tête et je sentis ma tête tourner une nouvelle fois. Je n'en laissais rien paraître. En quoi ces enfants, qui n'avaient même pas connu les pouvoirs de leurs parents, pouvaient être responsables de quoi que se soit? Il y a quelques semaines encore, je ne me rendais pas compte de cet acharnement. Mais la femme sur Tawy m'avait ouvert les yeux. Et en réalité, mon père m'avait retourné contre lui sans même s'en rendre compte.