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Migraine

— Joris ? Bon sang, réveilles-toi !

Le concubin ouvrit les yeux et se mit subitement à tousser. Il y a quelques secondes, il se prélassait dans son bain et maintenant voilà que Swam le soulevait légèrement pour mieux lui permettre de recracher l'eau qu'il avait avalé par-dessus le rebord de la baignoire. Joris jeta un rapide coup d'œil à la salle de bain. Ses bijoux, son kimono et sa blouse plié étaient élégamment posés sur le charriot à roulette. L'air humide accumulée s'évadait à travers la porte ouverte par laquelle il pouvait voir le mur blanchâtre de la chambre, de grandes flaques d'eau jonchaient le carrelage et toute la mousse du bain s'était vaporisée. L'eau parfumée dans laquelle trempait Joris avait perdu toute chaleur apaisante, si bien qu'il s'interrogea : depuis combien de temps était-il là dedans ?

— Je parie que tu ne sais même pas depuis combien de temps est-ce que tu es là dessous ! S'affola Swam en lui frappant doucement le dos.

— Quoi ?

— T'étais en train de te noyer !

Le visage innocent de Joris contrastait indubitablement avec les évènements. Perdu, il laissa Swam le sortir du bain et l'asseoir sur la cuvette des toilettes. C'est en voyant son portrait dans le miroir installé au-dessus du vasque qu'il aperçut sa figure trempée et Swam prendre des serviettes dans l'armoire d'à côté. Le prince balança quelques serpillières au sol, dissimula le sexe de Joris avec une première serviette et épongea ces cheveux avec une autre. Joris gémit lorsque de l'eau rentra dans son œil.

— Viens, fit Swam en le tirant.

Joris se crispa sur son siège improvisé et essaya de se dégager de sa prise.

— Je vais juste rincer tes cheveux, insista Swam.

Le souci c'est que ces jambes étaient incapables de le porter. Swam dû le soutenir par les hanches pour qu'il puisse confortablement placer sa tête sous le filet d'eau. Il avait cessé de tousser mais son corps restait engourdit et il était encore un peu retourné parce qu'il venait de se passer. Il avait vraiment failli se noyer dans un bain moussant à la pêche ? C'était complètement grotesque.

En y repensant convenablement, il s'était évanoui de nombreuses fois depuis qu'il était revenu. On lui avait expliqué que la balle que Swam lui avait mise en pleine tête en était la cause. Joris ne lui en voulait pas, quoi que peut-être un tout petit peu, seulement il aurait aimé rentrer à la maison d'une autre façon. À présent, il devait s'habituer à ces pertes de conscience provoquées par ces fortes migraines. Il avait cru qu'avec les potions tout cela serait derrière lui en un rien de temps mais il allait devoir revoir ses plans. À coup sur Guiseppe lui mettrait de nouveau des capteurs sur le crâne et il resterait quelques jours de plus ici à son grand désarroi. Son lit double commençait à lui manquer... Jagger aussi...

Alors que Swam finissait de lui sécher les cheveux en parlant dans le vide, le concubin comprit réellement qu'il était seul dans la petite salle de bain... avec lui.

— Où est Guiseppe ? Demanda brusquement Joris.

— Il sortait quand je suis entré. Je ne sais pas où...

— Tu ne devrais pas être là.

— Quoi ? C'est pas comme si t'étais en train de pousser une crotte.

— Non ce n'est pas ça, je...

Il voulait juste le prévenir qu'il partageait cette chambre avec Livi mais ne finit pas sa phrase. Joris repris place sur la cuvette, les yeux fermés et la tête posée contre la hanche de Swam. Voilà ça recommençait, ses soudaines migraines qui oppressaient son crâne aléatoirement. C'était vraiment chiant... Swam passa une main dans ses cheveux puis pencha la tête sur les côtés, remarquant l'état amorphe du concubin.

— Joris ?

— Hum ?

Il s'était évanouie ? Non, mais il ne se sentait vraiment pas bien. C'était bizarre. Il avait envie de dormir, mais il avait l'impression de ne pas savoir faire comment... C'était si compliqué que cela de s'endormir ? Il suffisait de fermer les yeux et c'était bon non ? Pourquoi ressentait- il toujours cette pression au niveau de sa tempe ?

— Joris, formula une nouvelle fois Swam.

L'interpellé releva la tête et plissa des yeux. Il fallait qu'il s'allonge, il voyait flou. Il recula et fit chuter un oreiller. Quand avait-il gagné son lit ?

— Tiens avale, fit Swam en lui donnant son analgésique. Tu as mal au crâne ?

— Hum...

— J'appelle Guiseppe ?

Joris secoua négativement la tête en repoussant ce qu'on lui tendait. Le mal était passé. Ça ne durait pas longtemps, mais l'intensité était ce qu'il appréhendait le plus.

— Comment est-ce que tu as fait pour entrer ?

— Par la porte, répondit-il bêtement.

— Je partage cette chambre avec Livi. Elle ne t'aurait pas laissé entrer.

Swam fronça les sourcils et referma la bouche. Depuis qu'elle avait été emmenée ici, Guiseppe n'avait pas souhaité laisser Livi seule, alors elle occupait le deuxième lit de la chambre de repos dans laquelle avait été placé Joris. La jeune femme n'avait pas eu de mal à le reconnaitre et les choses se passaient bien d'après le médecin et Genekis, qui les surveillaient de temps en temps. Pourtant aujourd'hui, à cette heure-là, personne ne surveillait les deux concubins. Ainsi quand Swam était entré, il avait tout de suite été sur ces gardes à cause des échos provenant de la salle de bain. Ce n'est que maintenant, il réalisa qu'il était passé devant deux lits vides avant de rejoindre la salle de bain ou se trouvait Joris.

Le jeune prince commença à s'inquiéter. Il ne savait pas où était Livi et puisqu'elle n'était pas là, elle devait certainement traîner quelque part dans l'infirmerie. Il ne fallait pas qu'elle le voit. La dernière fois qu'ils s'étaient croisés, Guiseppe avait dû assommer Livi avec une bassine avant qu'il ne se faire enguirlander par Jagger. C'est de cette façon qu'ils avaient tous deux compris qu'ils devaient se tenir à distance de Livi jusqu'à ce qu'elle soit totalement rétablie.

Le froissement de la poignée de porte qui se fit entendre affola Swam qui courut s'enfermer dans la salle de bain. Il poussa frugalement la porte et se crispa véritablement en entendant la voix de Livi.

— Tu en as mis du temps, fit-elle à Joris.

Des deux, Livi était celle qui avait le lit le plus éloigné de la porte principale. Pour le rejoindre, elle devait forcément passer devant la porte de la salle de bain, pour autant, depuis sa position, Swam ne la vit pas. Elle était sans doute restée du côté de Joris, près de l'entrée.

— Où étais-tu ?

— Aux toilettes. Tu ne répondais pas et ça devenait urgent. Je suis allée à côté.

— Oui désolé j'étais...

— En train de te noyer ?

— Perdu dans mes pensées. Je ne t'ai pas entendu.

— Tu pensais à quoi ?

— Les potions sont là, lâcha Joris. Tu devrais la boire.

— Pourquoi tu évites ma question ?

— Bois au lieu de te perdre en paroles inutiles.

— Je le boirai seulement si tu réponds à ma encore à Jagger ?

Un soupir éclata. Joris sourit, Livi bu toute sa boisson, Swam, lui, massa la tempe. C'était quoi cette conversation ? Guiseppe lui avait parlé des effets secondaires dont souffrait Livi à cause de l'hyperactivité de son cerveau, mais il y avait quelque chose de tordu dans cet échange non ?

— Ça va passer ne t'inquiète pas, fit Joris.

Sa main massa affectueusement la nuque de la jeune femme qui reposait sa tasse sur la table de chevet.

— Je sais, souffla-t-elle.

Swam sursauta légèrement en sentant quelque chose bouger dans la poche de son sweat bicolore. L'oiseau s'agaçait. La bave du chat avait rendu ses plumes moites et collantes, mais Swam n'était toujours pas d'avis de le faire prendre un bain. Ce n'était pas le moment. Il comptait attendre que Livi se rendorme pour pouvoir quitter tranquillement l'endroit, mais plus l'aiguille trottait, plus les deux concubins blablataient. À croire qu'ils avaient décidé de faire nuit blanche.

Le volatil s'énerva à la longue et finit par piquer le doigt du vampire qui lui fit signe de rester tranquille. Les deux commencèrent à se disputer, à coup de bec pour l'un et à coup de petite pichenette pour l'autre, et l'oiseau eut le dernier mot en piaillant, alertant les deux concubins dans la pièce voisine.

Swam adressa un regard noir à l'oiseau et ce dernier en fit de même.

Cheh ! Démerdes-toi maintenant, c'était clairement ce que signifiait le regard brillant de ce satané piaf.

Swam se promit de laisser Coconut le bouffer lorsque la porte vola et laissa apparaître Livi en plein milieu. Les lumières restées allumées le rendirent facilement identifiable aux yeux de la blondinette à l'allure prosaïque. Elle portait toujours cette large blouse médicale claire qui lui arrivait à mi cuisse, de nouveaux pansements décoraient ses jambes et ses pieds nus foulaient le carrelage.

Le vampire pensa en premier lieu à s'enfuir, il était assez rapide pour passer le pas de la porte avant qu'elle ne dise quoi que se soit, mais il revit son jugement puisque l'attention de la jeune femme était porté sur autre chose. Livi ne le regardait pas. Ses pupilles étaient ancrées sur le petit oiseau au plumage détrempé, comme si elle voyait un revenant.

C'était le même. Le même oiseau mouche que dans son rêve farfelu. Dans cette antre où Livi s'était retrouvée en compagnie de trois autres femmes, l'une d'elle, identifiée comme étant l'Ego, écrivait sur un long parchemin. Elle complétait manuellement une frise où le temps n'avait pas d'unité et dans ses cheveux, reposait ce colibri émeraude à gorge blanche, à la différence près que ce dernier avait un plumage fin, aérien et volumineux. Celui qu'elle avait sous les yeux était tout rachitique, faisant ressortir ses yeux globuleux, chose qui amusa Livi.

Son doux sourire s'évanouit lorsque le liquide poisseux qui couvrait le colibri dégoulina sur ses doigts quand elle le toucha. Elle grimaça. L'oiseau couina encore en battant des ailes, faisant rouscailler Swam qui reçut des projections de bave au visage. Très bien, il allait le laver. Il faut dire qu'être recouvert de salive n'était pas très agréable, lui-même en savait quelque chose.

Sous l'œil attentif de Livi, il plaçait l'oiseau sous un fin filet d'eau. Le colibri se calma enfin. Il leva avec plaisir ses ailes et savoura les petites gratouilles du vampire sur sa gorge. Swam continua à décrasser la petite bête en épiant Livi. Le regard de la blondinette était foncièrement focalisé sur l'oiseau, s'en était presque vexant. Une fois l'oiseau enrobé dans la plus petite serviette cotonneuse qu'il eut trouvé, il attrapa la main de Livi et la passa rapidement sous l'eau. Ce ne fut que lorsqu'il épongea sa main qu'elle releva la tête dans sa direction.

Cette fois, c'est lui qu'elle regardait, mais il ne saurait dire si elle était contente de le voir ou non.

— Il est à toi ? Fit elle en désignant le colibri.

Il approuva silencieusement, toujours méfiant. Les rares fois où c'étaient rencontrés, depuis leur retour des enfers, la situation dérapait dangereusement. Il pensa à la fois où elle lui avait planté un couteau dans le ventre ou quand elle avait balancé une chaise pour le faire sortir avant que Joris ne la calme.

Aujourd'hui, il lui avait pris la main et Livi n'avait pas bronché. Perplexe, il se crispa en la voyant mettre sa main dans ses cheveux. Elle lui tendit le feutre planqué dans son chignon puis lui fit signe d'écrire quelque chose. Swam l'attrapa et déglutit nerveusement. Il avait à présent toute l'attention de Livi, tandis que que l'oiseau commençait à roupiller dans la serviette. Seulement, il se sentit extrêmement mal à l'aise.

L'esprit embrumé de nombreuses pensées, il ne put se résoudre à écrire quoique ce soit, alors il lui rendit le stylo et montra sa paume neutre. Était-ce un test ? Si oui, il avait échoué lamentablement. C'était comme avoir un zéro après avoir rendu feuille blanche pour un examen de maths.

Livi lui adressa un long regard puis lui indiqua la porte. Le vampire ne fit aucun caprice et s'en alla sous le regard désolé de Joris. Il franchit la porte de l'infirmerie et attendit qu'elle claque avant de se laisser glisser le long du mur. Il ne bougea même pas lorsque Guiseppe revint et lui donna un coup de pied dans les côtes pour savoir s'il dormait. Swam garda sa tête posée sur ses avant-bras, les jambes repliées contre son torse, la mâchoire crispée.

Il ne demandait pourtant pas la lune. Depuis leur retrouvailles à l'examen des concubins, Livi et lui n'avaient jamais pu discuter tranquillement tous les deux. Il avait tellement de choses à lui demander, à lui dire et à clarifier, mais s'était à peine si elle voulait l'écouter.

C'était pas juste.

Il devait bien y avoir un moyen, un mot qui trouverait grâce aux yeux de la jeune femme. Swam en était persuadé, sinon Livi ne lui aurait pas demandé cela et l'aurait mis à la porte bien plus tôt. Et puis il y avait ce regard... Comme si elle lui demandait de faire un effort. Livi devait attendre quelque chose en particulier, quelque chose dont elle se souvenait et que personne ne savait à part eux. Il n'avait plus qu'à trouver ce que c'était.

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Hey, c'est mon anniv' youhou!

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