69🎋
Caméléon
Observer.
Elle avait l'impression qu'elle avait passé sa vie à faire ça.
À le regarder lui.
On dit que la curiosité est la mère de l'observation. C'était exactement ce qu'il s'était passé, il y a bien des années de cela. Lorsque leur professeur avait fait entrer ce garçon aux yeux verts dans sa classe, il l'avait intrigué. Il avait peu de charisme, pour tout dire il devait être le genre de personnage secondaire que l'on voit en arrière-plan. Mais il y avait quelque chose d'intrigant chez lui. Leur classe était composée de jeunes mordus, comme aimaient le dire les autres, et de demi-vampires. Alors elle s'était demandée d'où il pouvait bien venir. Elle avait eu sa réponse lorsque leur professeur l'avait présenté. Il s'appelait Swam et il était la seule personne de la classe à s'être fait mordre par le tout nouveau roi des vampires.
Ce connard.
Il avait ordonné une attaque contre son village et c'était là qu'elle et Mila s'étaient faites mordre. Elle n'avait jamais connu les détails de l'histoire mais Jagger, après une longue absence sans doute dû à la guerre, avait continué sa scolarité à l'école en même temps qu'elle. Elle avait tout fait pour l'éviter, alors savoir qu'une personne mordue par lui se trouvait dans sa classe l'avait fait grincer des canines. En particulier lorsqu'il s'était pointé chez eux à la pause. Comme d'habitude, il n'avait accordé aucun regard aux personnes de la classe et s'était directement dirigé vers le nouveau assis au premier rang.
C'était là que les choses avaient commencé à changer, lorsque Swam avait traité Jagger de "trou du cul" devant tout le monde et qu'Aldric avait éclater de rire. Toute la classe avait été collé pour cet "affront", mais personne n'en avait voulu au petit nouveau. Parce qu'il avait été le seul à dire tout haut ce que tous les autres pensaient tout bas. Dans cette école, il n'y avait qu'une classe par niveau composée de demi-vampires et la disparité était fortement marquée. Il n'y avait qu'à voir les places à la cantine. La classe délite regroupant les progénitures des vampires importants, comme Jagger, Lucan ou encore Joris, avait leur propre podium ; tandis qu'eux, la classe des hybrides, avaient à peine de quoi s'asseoir. Du coup ils mangeaient dans la cour ou dans la salle de classe.
Cette disparité entre les rangs se voyait à travers les places à la cantine mais aussi par l'accès ou non à certains cours. Évidemment Swam en avait été dégouté, mais il n'y pouvait pas faire grand-chose.
Ouais... Swam... Le petit nouveau... Celui qui s'était vite entendu avec le reste de la classe. Tout son contraire. Elle était arrivée quelques mois avant lui et la seule personne avec qui elle avait échangé des mots était Mila-Swan. Puisqu'elles avaient été mordues par le même vampire, elles arrivaient parfaitement à se comprendre et se disaient tout. Pratiquement tout. Mais plus les jours filaient, plus Mila-Swan s'éloignait d'elle. Depuis que le nouveau était arrivé elle passait son temps avec lui, sans doute parce qu'elle l'aidait pour les cours de langue vampirique et lui pour ceux d'anglais. Elle le savait car elle était avec eux à ces moments-là, mais sa présence ne lui faisait ni chaud ni froid. Comme si elle était invisible. Elle en avait l'habitude, mais ça l'avait quand même vexée de voir que même le nouveau la snobait...
C'était lorsqu'elle s'ennuyait dans un cours de maths qu'elle s'était rendue compte qu'elle voyait très peu Swam de face. Elle pouvait facilement le dessiner de dos, voire de profil, mais pas de face.
C'était sans doute ce qui expliquait qu'il ne savait même pas qu'elle existait. Elle était toujours dans son dos, que ce soit à la cantine, en classe ou en sport.
Alors un jour en sport, elle avait pris les devants et s'était mise à courir devant lui pendant l'échauffement. Manque de pot, ou pas, elle était tombée en lui jetant un coup d'œil par-dessus son épaule. Comme tout le reste de la classe, Swam avait éclaté de rire, mais il avait été le seul à lui avoir tendu la main pour se relever.
Exactement comme en ce moment. Une motte de terre du champ dans lequel ils avaient atterrit, l'avait fait chuter. Swam l'avait aidé à se relever en lui disant de faire attention. Ce n'était pas le moment de se faire prendre. Pas ici, pas maintenant qu'ils avaient atterri dans le royaume d'Hadès.
Sous le parfum des fleurs nées du printemps éternel de cette région, le juge des Enfers, Rhadamanthe, contemplait ceux qui gambadaient ici et là. Non loin de la porte des Champs-Élysées, Rhadamanthe aperçut cinq âmes, ayant bu les eaux du fleuve de l'oubli, attendre l'arrivée de Charon qui les emmènerait franchir la porte où ils pourraient se réincarner après l'avoir passé. Rhadamanthe espérait cette fois-ci que leurs souvenirs avaient été parfaitement effacés. Il avait dû essuyer un procès éprouvant il y a 20 ans contre une âme à moitié folle parce qu'elle avait conservé quelques souvenirs de son ancienne vie.
Les sourcils du juge se froncèrent lorsqu'il aperçut certaines âmes entourées d'une aura bleue se promener dans le champ de l'Asphodèle. Aujourd'hui les âmes des dormeurs étaient arrivées plutôt que d'habitude. Normale puisqu'ils étaient passé à l'heure d'hiver. Ainsi, Rhadamanthe souriait en voyant certaines âmes se rouler dans le champ de l'Asphodèle.
Plongé dans un brouillard noir, l'Erèbe était l'endroit le plus proche de la surface. C'était d'ailleurs dans cette région que se trouvait le Palais de la nuit, du songe et du sommeil. Les âmes des dormeurs venaient ici pendant leur sommeil puis repartaient lorsque les vivants reprenaient conscience. Aussi Rhadamanthe ne s'étonnait nullement en voyant une fille mettre dans son sac des fleurs de l'Asphodèle. Le dieu continua simplement son chemin en évitant tout contact avec les âmes des dormeurs qui se promenaient, ne souhaitant pas les perturber.
Il ne se douta aucunement que la fille qui avait mis des fleurs dans son sac, qui n'était d'autre que Livi, n'avait en réalité rien à faire ici. Mais parmi toutes ces âmes qui allaient et venaient, qui allait remarquer qu'ils étaient là ?
Personne pour l'instant, et il valait mieux pour eux que les choses restent ainsi.
À travers les champs de fleurs blanches, Livi et la joyeuse compagnie s'orientèrent vers le Palais de la nuit, en se confondant aux âmes des dormeurs. Aucunes d'entre elles ne faisaient attention à eux, mais lorsque Livi croisa le regard de l'une d'elle, un frisson lui caressa[parcourut] la nuque. Elle avait les yeux fermés... En jetant un regard rapide aux autres âmes qui les entouraient, elle se rendit compte qu'elles avaient toutes les yeux clos et quand deux d'entre elles se rencontraient, aucunes ne percutaient l'autre car l'une passait à travers l'autre. Elles n'avaient aucun corps physique... Comme des fantômes...
Elle comprenait mieux pourquoi la sorcière lui avait dit de faire attention.
Il suffirait qu'Hypnos du Palais du sommeil ou que Morphée, du Palais des songes, se penchent vers eux pour se rendre compte qu'ils étaient des intrus.
Baba Yaga avait été clair et cela semblait évident pour Livi : ils ne devaient croiser aucune personnalité des Enfers. Mais si elle devait choisir, elle préférait croiser ces deux-là plutôt qu'Hadès.
Ils se trouvaient tous deux à quelques mètres de leur position, devant le troisième Palais de l'Erèbe, discutant avec leur mère Nyx. La déesse de la nuit leur donnait quelques indications avant de regagner son palais, en prenant soin d'éviter de toucher une âme. Ce geste paru d'ailleurs étrange. Si les âmes des dormeurs ne faisaient que se traverser entre elles, pourquoi est-ce que les habitants des Enfers évitaient de les toucher ?
Cette question resterait sans doute sans réponse pendant encore un bon moment, puisqu'ils avaient tous pénétré l'édifice à la suite de Nyx.
La clef de leur succès.
La sorcière russe lui avait fait comprendre que les enfers étaient multiformes et liés à la condition des civilisations vivantes en surface. Ces différents enfers étaient délimités en plusieurs parties par le royaume de la nuit. Royaume dirigé par la déesse qui avait regagné le Palais de la nuit.
Des pas légers, la déesse s'engagea dans les différents couloirs. Sur ses traces, Livi et les autres la virent entrer dans une salle éclairée par de nombreuses bougies. Le faux Aldric se retenait de grimacer. Il y avait toujours eu de nombreux de mythes sur les bougies. En paraffine, cire d'abeille ou autres substances, il s'agissait toujours d'un support taillé dans une matière grasse et qui fondait au fur-et-à-mesure que la mèche se consumait. Certaines légendes avaient beau se contredire, elles étaient pourtant toutes d'accord sur un point.
Une bougie qui s'éteignait seule, alors que l'on venait de l'allumer, était signe de mauvais augure. Ainsi le faux Aldric n'avait pas manqué le regard de Livi sur elle lorsque la bougie qu'elle venait de lui allumer s'était éteinte. Livi n'avait rien dit et avait juste enflammé une nouvelle fois le filament, avant de les diriger vers le champ de fleurs blanches.
Feindre l'ignorance était parfois la meilleure chose à faire. Parce qu'aucun des cinq ne savaient que les autres savaient ce qu'ils savaient.
Aldric savait que les trois individus qui les accompagnaient étaient Livi, Joris et Alexane.
En retour, Livi et Swam savait qu'Aldric n'était pas Aldric. Swam avait eu quelques doutes depuis des semaines, mais les derniers évènements, à savoir l'attaque au palais et Baba Yaga avaient indirectement confirmé ses doutes.
L'américain craignait que les bougies de la salle ne réagissent à leur égard. Il remarquait que certaines flammes vacillaient, mais aucune ne s'éteigna. Swam expira fortement et ne put s'empêcher de lâcher une remarque qui fit même sourire Nyx qui les accueillait.
Aldric jeta un long regard à Swam en se massant la nuque.
Il n'y a pas à dire, il l'adorait.
Ou plutôt elle l'adorait.
Peut-être que c'était à cause de tout ce qui s'était passé après qu'ils aient été diplômé de l'école... C'était indéniable, mais beaucoup de personnes se perdaient de vue une fois la scolarité finie. Elle avait coupé les ponts avec tout le monde, même Mila-Swan. Seulement ce soir-là Swam l'avait retrouvé dans une ruelle, le visage couvert du sang de celui qui l'avait mordu. Elle venait de le tuer, mais son visage était fermé. Son regard perdu dans les vagues en disait long. Elle était perdue, déboussolée et seule.
Peut-être que ce soir-là, elle avait ressenti ce besoin de se sentir désiré, pas forcément aimé, mais qu'au moins une personne fasse attention à elle. Peut-être que c'est de cette façon qu'elle avait commencé à lui vouer une profonde affection. Parce qu'il avait été le seul à être là.
Swam avait rabattu sa capuche sur sa tête et passé un bras autour de ses épaules. Le trajet s'était fait en silence et lorsqu'elle prit conscience qu'il lui avait tendu une tasse de thé, elle remarqua enfin qu'elle se trouvait chez lui. L'américain s'était assis à côté d'elle. Tout aussi silencieusement, il avait bu son thé. Il ne lui avait pas demandé d'explications. Il lui avait simplement dit qu'elle pouvait rester jusqu'à ce que les choses s'arrangent.
Elle était restée chez lui un mois. Un mois durant lequel, il avait tenté de la faire rire, de la rassurer. Il l'avait même obligé à faire les courses. Ce jour-là il lui avait acheté un bambou et lui avait demandé d'en prendre soin.
Un beau bambou qui représente symboliquement l'amitié et la joie. C'est la raison pour laquelle Swam le lui avait offert ; mais en cherchant sur e net, elle avait trouvé qu'il s'agissait aussi d'un symbole de fertilité et de famille heureuse car si on s'imagine un bambou avec plein de petits rejets autour c'est comme une maman avec tous ses enfants.
Pour elle le message était clair.
Elle lui avait finalement souri et un soir elle s'était laissée tomber sur lui sans réfléchir. Il avait sursauté puis avait froncé les sourcils lorsqu'elle avait passé ses bras autour de sa taille.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je t'adore, avait-elle juste dit.
Il ne lui avait pas répondu, mais ne l'avait pas repoussé non plus.
Le mois suivant elle avait commencé à reprendre pied et avait donc quitter son appartement. Elle lui avait assuré qu'elle avait trouvé un nouveau job et un petit logement à quelques kilomètres. Elle n'avait pas voulu lui dire de quoi il s'agissait et elle s'était attendue au pire lorsqu'il avait découvert qu'elle faisait certaines affaires avec des démons. À son plus grand bonheur, il lui avait simplement dit de faire attention à elle.
Elle en était si contente qu'il se soucie d'elle, qu'elle n'avait même pas remarqué qu'il l'épiait.
Swam lui adressait un long regard avant de reporter son attention sur Livi qui discutait avec Nyx. La déesse, pas du tout surprise de leur présence, avait commencé à organiser les bougies dans sa salle.
Aucuns d'eux n'avaient bu où manger quelque chose provenant d'ici, alors ils étaient libres de partir quand bon leur semble. Ils auraient pu le faire en passant par la porte des âmes des dormeurs, seulement ils ne voulaient pas regagner la surface. Ils devaient juste passer des Enfers Grecs dirigés par Hadès, aux Enfers Chrétiens dirigés par Lucifer. C'était là-bas que se trouvaient Rosario, Jagger mais aussi Léviathan.
Selon leur civilisation et autres caractéristiques strictes, les âmes des vivants se dirigeaient vers des endroits précis. Certains restaient dans leur corps, d'autres vaguaient dans le royaume des rêves sans s'en rendre compte. C'est pour cela qu'il y avait plusieurs enfers. Cela expliquait aussi le fait que certaines espèces, comme les vampires considérés comme étant athés, avaient accès aux différents enfers. En prenant certaines dispositions, il était possible pour eux de voyager chez Isis dans le royaume égyptien, chez Hadès dans les Enfers Grecs, chez Lucifer dans les Enfers Catholiques ou encore chez les Shinigamis dans la zone japonaise.
Ils devaient tout de même garder en tête que le plus difficile n'était pas d'entrer, mais d'en ressortir...
La seule qui n'avait rien à craindre était Nyx. Elle pouvait facilement passer d'un enfer à un autre mais elle préférait s'abstenir. Elle se contentait simplement de veiller sur les échanges territoriaux, ainsi elle avait facilement remarqué l'arrivée des cinq.
Lorsqu'elle eut fini de placer certaines bougies dans la salle, elle convia les cinq à s'aligner devant elle puis récita silencieusement quelques mots. Une à une les bougies s'éteignirent et lorsqu'il n'en resta plus que quatre, un brouillard envahit la salle. En un clignement des yeux, ils s'étaient retrouvés dans une pièce sans fenêtre, sans mobilier et très peu éclairée.
Métamorphosée en Aldric, l'intruse n'avait pas besoin de plisser des yeux comme Livi pour voir ce qu'il se trouvait devant elle, même s'il faisait sombre.
Très sombre.
Comme la fois où elle avait essayé d'embrasser Swam.
Il devait être environ six heures du matin quand les rayons du soleil éclairaient le visage du vampire qui dormait comme un bébé. Ou plutôt comme un mort. Elle faisait partie des personnes au courant de sa mort pendant son sommeil, de ce fait elle ne s'était pas étonnée de ne pas voir sa poitrine se lever. Dans cet état, il était vulnérable. C'est là qu'elle avait toutes ses chances.
Elle avait observé ses traits pendant un long moment en silence, puis elle avait fini par caresser sa pommette du bout de ses doigts. Swam était attentionné, drôle, borné et stupide par moment. Il était beau aussi. Les légères boucles de ses cheveux ainsi que ses yeux verts lui donnaient un côté adorable, surtout quand il était enrhumé.
Il avait les traits typiques du comique de la classe parce qu'il avait juste du mal à supporter les situations pesantes. Il l'avait dit durant une soirée où il l'avait invité à un bowling avec les autres. Ils avaient tous hoché la tête, ils l'avaient bien remarqué. Dans ce genre de situation, il restait silencieux lorsqu'il ne lâchait pas des remarques salaces et surtout il ne souriait pas.
C'était quelque chose de bizarre de ne pas le voir sourire. Comme si ce n'était pas naturelle.
C'était perturbant.
Elle avait rapproché son visage du sien en dessinant des cercles avec son pouce sur sa joue. Son ventre s'était noué et quand ses lèvres étaient à quelques centimètres des siennes, elle avait loupé un battement en voyant qu'il avait ouvert les yeux.
— Qu'est-ce que tu fais ? avait-il dit.
— Rien, c'est juste que c'est toujours aussi bizarre quand tu meurs, avait-elle lâché.
C'était une des choses qu'elle avait en commun avec lui. Ils étaient exactement pareils. Morts à cause d'une personne qu'ils détestaient puis ressuscités en vampire.
La différence venait du fait que Jagger était toujours en vie.
Mais bientôt tout ça serait finit. Que ce soit pour ce stupide roi ou cette blonde qui avait marché sur ses plates-bandes.
Nyx les aidait à aller aux enfers non ? Là-bas les accidents peuvent très vite arriver.
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