31. Tintamarre apocalyptique

Réussissant à se dégager de l'emprise de Kylian, Julia rejoint la position où se trouve son arme. La saisissant, elle ne doit son salut qu'à l'expression de talents dont elle découvre encore, heure après heure toute l'étendue.

Coincée entre les deux menaces que constituent Kylian qui, en rampant vers elle, s'est rapproché et les bras de découpe qui, sur la chaîne, débitent la viande, c'est en tenant le garçon à distance avec ses pieds que l'adolescente vise avec une dextérité déconcertante chaque mécanisme muni d'une lame l'ayant prise pour cible.

Tirant sans retenue dans les articulations des bras-robots qui l'attaquent, Julia les rend rapidement inoffensifs et leurs morceaux retombent en pluie sur le tapis roulant toujours en fonctionnement.

Cet exploit accompli, ce qu'il reste de Kylian est, quant à lui, parvenu à se frayer un chemin jusqu'au visage de la rouquine. La dominant de tout son corps affreusement mutilé et crachant des mots incompréhensibles, il tente maintenant de la saisir au cou pour l'étrangler de ses deux énormes mains.

Dépassée par cet assaillant au physique bien supérieur au sien, Julia tire une rafale sur la cloison transparente délimitant le système de tapis roulant. La paroi de verre ainsi éventrée dans un tumulte d'éclats cristallins, la rouquine force tout ce qu'elle a pour parvenir à basculer hors de la chaîne.

Son visage déchiré par l'effort, entraînant dans son sillage Kylian et tout ce qui l'entoure, c'est dans un bruit de tintamarre apocalyptique que Julia s'écrase quelques mètres plus bas sur une passerelle de métal. Le pistolet qu'elle a lâché durant la culbute a quant à lui ricoché sur une rambarde avant de définitivement sombrer dans les méandres de l'installation d'usine échafaudée sur plusieurs niveaux.

Cette éprouvante cascade a comme anéanti Julia. Allongée à plat ventre parmi les débris de verre et les morceaux d'articulations robotiques, elle peine à reprendre ses esprits. Son visage et son corps arborent à présent toute une série d'entailles plus ou moins profondes, mais c'est une douleur beaucoup plus vive qui la fait soudain réagir.

Fichée dans son ventre, une lame de découpe a ouvert sa chair. À peine Julia a-t-elle le temps de constater du coin de l'œil l'ampleur de la blessure, qu'elle se sent tirée vers le haut. Kylian, qui lui a été plus prompt à se rétablir de la culbute, vient de l'attraper par les cheveux et il la contraint à se mettre debout.

La tenant au bout de ses bras tendus, le garçon étrangle la rouquine de ses deux mains. La soulevant comme si elle n'était rien, les pieds de Julia ne touchent plus terre et ses jambes battent à présent le vide. Saisissant dans un ultime recours le bout de métal resté planté dans son ventre, la rouquine le retire d'un geste vif. Retenant un hurlement de douleur qui la fait grimacer, elle frappe son ancien ami avec la lame, l'enfonçant dans l'un de ses bras jusqu'à butter contre l'os.

Mais la blessure ainsi formée dans le muscle bandé de Kylian ne semble avoir eu aucune incidence sur la prise d'étranglement que Julia subit toujours. Et à mesure que l'adolescente tire vers elle l'ustensile de découpe pour agrandir la plaie qui se met à saigner abondement, le faciès fou du garçon reste inchangé. Pire, au centre de ce qu'était autrefois son visage, Kylian esquisse ce qui semble être un sourire de jubilation.

L'étreinte qui se renforce encore davantage autour de la nuque de Julia finit par la forcer à lâcher la lame. Dans un claquement sec, l'objet tranchant rebondit sur le sol avant de tomber hors de la passerelle dans les profondeurs de l'usine.

La rouquine tente maintenant d'écarter de ses mains frêles l'étau qui la fait suffoquer. Son visage est devenu écarlate et le blanc de ses yeux exorbités se nervure de veines boursouflées prêtes à éclater. Julia peut à présent sentir la vie quitter son corps. Elle a abandonné toute lutte, quand un mécanisme, celui d'une arme à feu, se fait entendre.

Dans un sifflement, un coup est tiré de côté et Julia tombe à terre. Tels les dépouilles de deux animaux qui viendraient d'être abattus par un chasseur, les bras de Kylian enserrent toujours la gorge de l'adolescente et, dans un réflexe de dégoût, elle les repousse de côté, se libérant ainsi de leur emprise.

Levant maintenant son regard couleur émeraude sur l'impressionnante carrure de celui qui a voulu la tuer, Julia constate qu'au niveau des épaules de Kylian, ses extrémités de membres ont laissé place à deux moignons parfaitement cautérisés et coupés nets au-dessus des coudes.

À quelques mètres de là, dans la direction où le projectile qui a été tiré a amputé le garçon de ses deux bras, le canon d'une arme, une large fente rectangulaire d'au moins quarante centimètres, passe, dans un son de perceuse électrique, d'une position verticale à une position horizontale.

Dans l'alignement du fusil, ce qu'il reste de Kylian n'a pas le temps de réagir. Un second tir le frappe et le coupe de part en part au niveau du thorax. Le buste du garçon qui se disloque tombe alors en contrebas sur l'un des nombreux tapis roulants bordés de bras articulés, tandis que ses jambes, qui sont toujours associées à son bassin, s'écroulent sur le sol de la passerelle métallique.

Sur la chaîne de découpe, suivant le même cheminement que les carcasses d'adolescents, le torse de Kylian se retrouve débité sous l'action des multiples bras-robots munis de lames tranchantes. Dans une effusion de sang qui peint en rouge la blancheur immaculée de cette section d'usine, les morceaux ainsi obtenus et qui, ici, n'ont jamais eu leur place, sont ensuite maladroitement emballés sous vide avant d'être étiquetés de façon grotesque.

Après cet incident qui a grippé la chaîne de conditionnement, le système est immédiatement stoppé et une alarme accompagnée d'un gyrophare signalant la panne se met à retentir.

Quelques mètres plus hauts, sur la passerelle, Julia se trouve maintenant sous la menace de celui où celle qui, pourtant, vient de lui sauver la vie. Il s'agit de l'une de ces silhouettes de taille humaine que la rouquine a déjà pu croiser et qui porte une combinaison de protection aux couleurs sombres.

Alors que l'entité avance vers Julia, le canon de son arme pointé vers elle, se tenant le bas-ventre d'une main maculée de son propre sang, la rouquine se met à reculer du mieux qu'elle peut pour espérer échapper au danger.

Maintenant acculée contre une structure d'usine, pour Julia, toute perspective réjouissante semble définitivement s'être envolée, lorsque l'impressionnant arsenal qui a tué Kylian est rabattu de côté.

Déverrouillant le système d'accroche qui lie son casque au reste de sa combinaison et dans un souffle de dépressurisation, la mystérieuse entité dévoile son identité. Faisant face à une Julia stupéfaite, la copie conforme d'Enzo, son ancien partenaire de cellule qu'elle a pourtant vu mourir, lui tend une main amicale gantée de noir avant de lui dire :

— Vient avec moi Julia. Il faut partir d'ici. Vite.

Encore mystifiée par cette vision d'outre-tombe, la rouquine accepte l'invitation et, avec l'aide de cet autre Enzo, elle se redresse. Puis, s'élançant pour fuir la clarté sordide de cette section d'abattoir pour êtres humains, le duo d'adolescents disparaît dans les méandres d'un renfoncement qui les accueille de son obscurité salvatrice.

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Merci beaucoup d'avoir lu ce trente-et-unième chapitre. J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches vers 18 heures. Bises à toutes et à tous et surtout, prenez soin de vous et de vos proches. 

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