27. Réveille-toi
Après une glissade vertigineuse au travers d'une obscure canalisation parcourue de brosses lavantes, Julia est recrachée par une ouverture aussi grande qu'elle. Achevant sa course sur un sol qui étrangement ne la blesse pas mais amortit sa chute tel un matelas molletonné, elle parvient, en prenant appui sur une paroi toute près, à se relever.
Malgré la faible clarté perçant là où elle se trouve, la rouquine réalise rapidement qu'elle est entraînée sur un immense tapis roulant. En effet, alors qu'elle ne s'est toujours pas déplacée, dans la distance, le bout du passage qui n'est encore qu'une tache blanche et lumineuse s'est rapproché d'elle.
— Léa, Léa, tu m'entends ? hurle Julia tout en cherchant du regard son amie. Si tu m'entends, je t'en supplie, réponds-moi. Léa !
Avançant tout en perdant l'équilibre sur un parterre qui se dérobe à chaque fois qu'elle porte un peu trop son poids sur ses pieds, Julia finit par trébucher. Se retrouvant nez à nez avec le visage d'une adolescente qu'elle ne reconnaît pas, elle se redresse aussitôt et remarque alors que le tapis roulant qui l'emporte est jonché de centaines de corps de filles et de garçons du même âge qu'elle. Totalement nus et inertes, ces adolescents ont été rassemblés là comme on l'aurait fait avec de vulgaires bagages.
Julia, qui observe à présent l'amas de corps sans vie, fixe tout à coup ses yeux sur une silhouette dont le physique athlétique à la peau noire lui rappelle immédiatement celle de Kylian. Se forçant à piétiner ses semblables, elle se rue à grandes enjambées vers celui qu'elle pense être son ancien partenaire de cellule. Une fois à ses côtés, elle le reconnaît bel et bien.
Ne cédant aucunement à la joie que lui procurent ces retrouvailles et retenant sa respiration, la rouquine se penche sur son ami. Collant sa joue contre son nez et sentant à la surface de sa peau le souffle du garçon, elle est immédiatement soulagée en constatant qu'il est bien vivant et simplement endormi.
À cet instant, traversée par l'euphorie qui la submerge, un large sourire se dessine sur le visage de Julia avant qu'elle n'éclate en sanglots. Reprenant vite ses esprits et essuyant ses pleurs, d'une voix chevrotante, elle cherche à réveiller Kylian :
— Kylian, Kylian, c'est moi : Julia ! Est-ce que tu m'entends ? lui dit-elle à quelques centimètres à peine de son visage. Il faut que tu te réveilles ! Kylian, s'il te plaît, ouvre les yeux.
Puis, voyant que le garçon ne réagit toujours pas à ses appels, elle le gifle une première puis une seconde fois plus puissamment avant de rajouter en lui criant dessus :
— Kylian, mais réveille-toi, je t'en supplie. Il faut que tu m'aides à retrouver Léa. Kylian, allez ! Je sais que tu peux m'entendre. J'ai besoin de toi. S'il te plaît.
Stoppée net dans sa tentative, Julia ressent soudain les effets d'un puissant changement d'ambiance lumineuse. Sans s'en être rendue compte, le point blanc qui il y a quelques secondes à peine se trouvait au bout du tapis roulant et n'était qu'une faible clarté s'est rapproché plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Il s'agissait en réalité non pas de la fin du passage, mais d'une ouverture donnant sur un plus large espace.
Aveuglée par la myriade d'éclairages artificiels qui ici fonctionnent à pleine puissance, Julia masque avec le creux de son coude son regard. Quand ses yeux se sont habitués à la livide clarté, elle découvre que la partie du tapis qui se prolonge et qui l'entraîne toujours est bordée d'une série de bras-robots. Se terminant par une sorte de crochet faisant office de main, les tentacules articulés viennent saisir par les pieds les corps des filles et des garçons qui défilent là, devant eux. Une fois emportées et tenues tête vers le bas par les mécanismes, les adolescents toujours endormis sont accrochés sur une installation coulissante suspendue dans les airs et qui fait se déplacer leur corps bien au-delà du tapis roulant.
Devant cette menace qui ne tardera pas à s'abattre sur elle et Kylian, Julia essaie de toutes ses forces de soulever son ami, mais, à peine a-t-elle réussi à le faire décoller de quelques centimètres du sol, qu'elle s'écroule sous son poids.
Se relevant de cette tentative avortée, la rouquine ressent alors au niveau de son pied droit une contrainte. Tournant son regard, elle voit qu'un bras-robot vient de s'accrocher à sa cheville.
Immédiatement, de ses deux mains, Julia saisit le mécanisme de crochet et force l'étreinte malveillante à s'écarter pour la faire lâcher prise. Mais Kylian, lui, n'a pas cette chance. Il est emporté sous ses yeux avant de rejoindre sur la chaîne suspendue des centaines d'autres corps inertes.
Ne perdant pas une seconde, Julia se lance à la poursuite de son ami. Faisant preuve d'une dextérité hors du commun, elle avance sur le tapis bordé de bras-robots et esquive chacune de leurs tentatives pour la saisir.
Sautant finalement en dehors du dispositif, elle chute au sol, mais parvient après une série de roulades à ne pas se blesser. Quelle n'est pas sa surprise lorsque, se redressant, elle aperçoit face à elle l'arme qu'elle avait laissée échapper peu de temps avant dans l'espace clos de la cabine individuelle - celle, après un combat pourtant perdu d'avance, qu'elle était parvenue à arracher d'un bras-robot et qui, par un heureux hasard, a été mis à l'écart dans un renfoncement prévu à cet effet.
Saisissant le pistolet et levant immédiatement le regard sur Kylian pour ne pas le perdre de vue, la rouquine se lance à sa rescousse. Se faufilant tant bien que mal dans un dédale comparable à celui d'une usine d'assemblage automobile, Julia stoppe tout à coup son avancée. Les yeux exorbités et une expression d'effroi pouvant se lire sur son visage, elle vient de découvrir qu'un peu plus loin sur la chaîne qui emporte le corps de Kylian, une large lame de scie circulaire égorge les filles et les garçons qui lui sont présentés.
Voyant arriver le funeste destin qui menace à présent son ami, la rouquine redouble ses efforts et se précipite pour rejoindre sa position. S'en rapprochant le plus possible, elle fait barrage de tout son corps pour empêcher celui de Kylian d'avancer davantage avant de tenter désespérément de le faire se décrocher, mais en vain.
Julia braque alors le canon de son arme en direction de l'attache qui maintient le garçon à la peau noire suspendu par les pieds. Malgré le risque de le blesser, elle reste d'un calme olympien, mais, appuyant sur la gâchette, rien ne se passe.
Ne comprenant pas le dysfonctionnement, Julia approche le pistolet de son regard et constate que, sur la tranche, le voyant de charge n'a pas encore atteint son niveau maximum : ce n'est qu'une fois toutes les graduations devenues vertes que l'arme sera à nouveau utilisable.
Après avoir judicieusement rengainé le moyen de défense dans son dos, entre ses omoplates et la bande de tissu soutenant ses seins, Julia tente le tout pour le tout. Un rapide coup d'œil sur l'ensemble du dispositif d'usine lui donne un indice sur l'unique moyen de libérer Kylian : elle doit se rendre sur une coursive qui domine en contrebas le mécanisme entraînant les corps suspendus. Une fois là-haut, elle pourra accéder à l'attache qui retient par les pieds son ami et tenter de l'en libérer.
Cherchant autour d'elle, Julia s'élance et arrache sur un engrenage un morceau de ferraille suffisamment long pour servir de matraque. Se pressant vers l'échafaudage et l'escaladant avec la dextérité d'un grimpeur chevronné, elle en atteint le sommet.
De là-haut, la rouquine peut alors contempler l'endroit où elle se trouve. Son regard qui fixe à présent l'horizon trahit un indéniable ébranlement qui lui procure même un vertige, car n'est pas une chaîne suspendue ou deux qui font circuler ici les corps de millier de ses congénères endormis, mais bien plusieurs centaines. Quittant ce spectacle effroyable dont la laide perspective la rendue nauséeuse, Julia retrouve en contrebas Kylian. Il a progressé dangereusement vers le dispositif meurtrier de la scie circulaire.
Passant par-dessus la rambarde de sécurité de l'avancée où elle se trouve, la rouquine saute sur le montant suspendu entraînant les corps. Ratant sa réception, elle perd l'équilibre et tombe à la renverse. Cependant, toujours grâce aux formidables dispositions physiques dont elle ne peut expliquer le récent éveil, elle parvient d'une main à se retenir de justesse à la structure porteuse.
Après une ascension difficile, Julia se remet debout. Bien consciente qu'elle n'aura qu'une seule chance de libérer Kylian, elle se tient prête. Armant ses bras de la barre de fer et voyant arriver à son niveau le corps de son ami, la rouquine abat de toutes ses forces le bout de métal sur l'accroche enserrant les pieds.
Dans un son de casseroles s'entrechoquant, la percussion sur le mécanisme qui se brise entraîne son ouverture et la relaxe de celui qui en était prisonnier. Ainsi libéré, Kylian s'effondre quelques mètres plus bas sur le sol métallique de l'usine avant que le disque tranchant n'ait pu mettre fin à sa vie.
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Merci beaucoup d'avoir lu ce vingt-septième chapitre. J'espère que vous l'avez aimé. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches matin vers 10 heures. Bises à toutes et à tous.
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