18. Laisse-moi
Avec appréhension, Julia avance à pas de velours vers Léa, la fille aux yeux en amande avec qui elle chérit le plus terrible des secrets – celui de leur grossesse de quelques semaines.
La rouquine n'est même pas encore entrée dans le champ de vision de l'Asiatique que celle-ci l'invective, son visage baissé, dissimulé dans la pénombre :
— Laisse-moi.
Stoppant tout net son approche, Julia murmure à son amie de la voix la plus gentille qu'elle puisse faire :
— Je veux juste t'aider, Léa. Je peux te remplacer. Rien ne t'oblige à t'occuper de lui toute seule.
Puis, adoucissant encore davantage sa voix jusqu'à la caricature, Julia ajoute :
— Ça te fera du bien de faire une pause et toi aussi tu dois manger.
Effectivement, même à près de deux mètres de distance, la rouquine voit bien que la fatigue, la faim et l'adversité ont rendu Léa méconnaissable : ses cheveux ébouriffés lui donnent à présent l'air d'une vieille sorcière et une couleur violâtre cerne son regard.
Sans pour autant relever la tête, l'Asiatique répond, sa voix chevrotante, véritablement à fleur de peau :
— Il... Il refuse... Il refuse de manger. Et très... Franchement... Je... Je devrais faire pareil.
Puis, lâchant un sanglot et montant exagérément le ton, comme pour être certaine d'être entendue par le reste des captifs, l'adolescente rajoute :
— Je préfère encore m'affamer et... Et tuer l'enfant qui est en moi plutôt que de laisser à ces choses la satisfaction de nous avoir tous les deux.
L'échange étant passé du privé au public en une fraction de seconde, les deux filles ont attiré sur elles toutes les attentions. Même les prisonniers qui se nourrissaient encore de la mixture blanchâtre ont arrêté de le faire pour les fixer.
— Tu devrais parler moins fort, chuchote alors Julia à l'attention de Léa tout en se rapprochant d'elle avant de s'agenouiller. On s'était mises d'accord. Tu dois me faire confiance, personne ne doit rien savoir de notre grossesse.
Après un court instant, Léa, qui était restée parfaitement immobile jusqu'ici, lève enfin son visage et, se faisant, elle croise le regard de Julia. Saisie par une inextricable frayeur qui la paralyse, la rouquine ne peut plus bouger : malgré le manque de lumière, elle vient de voir que le blanc des yeux de Léa est serpenté de veinules rouges bien trop gonflées qui, telles du lierre, semblent se rependre toujours un peu plus à mesure qu'elle les fixe.
Plus en détail encore, Julia distingue aussi que les pupilles de l'Asiatique qui étaient auparavant d'une couleur marron foncé ont maintenant viré au noir d'encre. Ces dernières se confondent avec ses iris pour former une masse opaque qui perce le centre de chacun de ses globes oculaires.
Sans que la rouquine ne sache comment réagir à cette découverte qui la méduse sur place, Léa se met debout après avoir pris soin de faire reposer sur le sol la tête d'Hugo. Comme un danger dont elle attendrait qu'il la frappe, Julia, qui dévisage toujours son amie se redresse.
— Lé...Léa, tes... tes yeux..., bégaie la rouquine qui peine à dissimuler la soudaine panique s'étant emparée d'elle.
Mais Léa ne répond rien. En avançant, elle se rapproche de Julia qui est forcée de reculer. L'acculant contre l'une des parois tout près, à présent nez à nez avec celle qu'elle aurait pu considérer comme une sœur, l'Asiatique invective la rouquine avec une sévérité qui ne lui correspond pas :
— Je t'ai demandé de me laisser tranquille, mais toi, toi tu peux pas t'empêcher de vouloir tout contrôler. De donner des ordres à tout le monde !
Puis haussant encore le ton, la voix de Léa se transforme, devenant étrangement grave, presque comme aurait pu l'être celle d'un garçon :
— Mais avec moi, ça ne marche plus ! Je ne t'écouterai plus. Tu as bien compris, espèce de salope ?
Dans la pièce, le reste des captifs suit l'échange, apeurés, fascinés et même amusés, comme ils le seraient en regardant une émission de télé-réalité. Quand, brusquement, la conversation prend une tout autre tournure. Léa enserre d'une main ferme le cou de Julia qui, réagissant immédiatement à l'agression, colle à l'Asiatique une gifle et la fait reculer.
Enzo est le premier à réagir avant que l'escalade ne commence. Il s'avance vers les deux adolescentes et, en repoussant Léa d'un franc mouvement de main, met fin à la confrontation.
Répondant au métis par un sourire carnassier accompagné d'un doigt d'honneur qu'elle brandit devant son visage, l'Asiatique se détourne de lui et de Julia avant de retourner s'asseoir auprès d'Hugo.
Kylian, qui a rejoint avec un temps de retard Enzo et Julia, demande alors à la rouquine :
— Qu'est-ce qu'il lui a pris ? Elle te voulait quoi ?
Bégayant d'une voix encore emplie d'une émotion si vive qu'elle a comme éteint toute énergie en elle, Julia répond malgré tout :
— Ses... Ses... Yeux... Ils... Ils commencent à devenir comme ceux... d'Hugo !
En un instant, la révélation a plongé le clan dans le plus lourd des silences. Ainsi regroupés à l'écart du reste de leurs congénères dont certains se sont remis docilement à manger, Julia, Kylian et Enzo se lancent une série de regards qui trahissent une inquiétude mêlée d'angoisse.
— Il faut sortir d'ici et tout de suite, crache Enzo.
— Tu as pu convaincre certains de nous aider ? riposte Kylian.
— Pas encore, enchaîne l'autre, mais j'y retourne.
Scellant avec le jeune noir l'approbation de son initiative par un hochement de tête, le métis aux yeux bleus laisse derrière lui le duo formé par Julia et Kylian. Fendant la foule, il se lance dans la recherche de ceux qui pourront aider à ouvrir une brèche dans l'un des murs.
— Est-ce qu'il y a autre chose dont tu veux me parler ? demande Kylian à Julia. Un truc en rapport avec ce qu'a dit Léa ?
La rouquine qui sent le piège d'une rhétorique qui cache ses vraies intentions se refermer sur elle perce alors d'un regard franc celui du garçon beaucoup plus sombre et sans aucune hésitation lui avoue :
— Nous sommes enceintes.
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Merci beaucoup d'avoir lu ce dix-huitième chapitre jusqu'au bout. J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Durant les vacances, je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches matin vers 10 heures. Je vous souhaite à toutes et tous de passer d'excellentes fêtes de fin d'années. Bises.
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