17. Durant la « nuit »

Alors qu'aucune lueur d'espoir n'est encore venue adoucir la réalité crasse de leur détention, les captifs semblent tous s'être résignés à accepter leurs conditions d'incarcération forcée et le destin funeste qui les attend.

Faisant abstraction de l'odeur d'excrément qui depuis peu a contaminé l'air de leur cellule, ils se sont rassemblés autour des mangeoires qui à heure régulière apparaissent dans le mur pour leur servent un repas fait, d'on ne sait quoi. Là, ils s'alimentent sans que le drone et sa lumière n'aient plus à les y contraindre.

Installée près de l'un des bacs, Julia fixe d'un regard sombre celui qui, durant la « nuit », a en toute impunité brisé le pire des tabous : celui lié au plus primal des besoins humains, mais qui ici a pris le visage de l'infamie.

Ne prêtant aucune attention à la rouquine qui le dévisage, le garçon avale avec appétit une bouchée de la bouillie blanchâtre alors que dans l'assistance, seul Kylian se préoccupe de savoir qui est responsable de cet incident. Passant de détenu en détenu et leur posant « la question » il mène sa propre enquête.

Après un temps, dépité et se frayant un chemin jusqu'à Julia, le détective en herbe s'installe finalement à son côté pour se nourrir à son tour.

— Tu le crois, toi ? lance, énervé, Kylian à l'attention de la rouquine. Personne n'a rien vu ! Rien du tout ! Putain, si je choppe celui qui a fait ça, je vais...

— Qui te dit que c'est un garçon ? le coupe Julia qui n'a toujours pas quitté de ses yeux couleur émeraude celui qu'elle sait coupable.

— Je... J'ai... C'est forcement..., bégaie Kylian avant de se murer dans le silence.

— Ça fait un moment qu'on est enfermés ici, relance Julia, et on a aucune idée de quand on va en sortir. Désolée de te l'apprendre, mais personne ne tiendra plus longtemps sans pisser ou chier. Je suis même surprise que ce ne soit pas arrivé plus tôt.

Décontenancé par la répartie grossière de sa partenaire, mais surtout par l'évidence de sa rhétorique, Kylian se contente de prendre une nouvelle bouchée de purée.

— Et puis si ça se trouve, c'était moi ! relance Julia.

Ces derniers mots ont arraché au duo un vague sourire qui s'éteint presque aussitôt.

— Tu plaisantes ? demande Kylian tout en fixant très sérieusement Julia qui ne lui répond rien.

Après quoi, l'attention de la rouquine se porte sur Léa. Assise sur le sol près d'une mangeoire, la belle Asiatique cherche à nourrir Hugo. Tenant le blond comme elle peut tout en lui maintenant la tête penchée vers l'arrière, elle dépose dans sa bouche et du bout de ses doigts rassemblés en fuseau une petite quantité de purée. Se répandant, la substance blanchâtre glisse en partie dans l'orifice mutilé du garçon, mais à peine est-elle entrée qu'il la régurgite tel un nouveau-né.

Kylian, qui observe à son tour le duo, demande alors à Julia :

— Est-ce que... Est-ce qu'il va s'en sortir ?

Toujours animée par un savoir médical qu'elle ne peut expliquer, seul vestige d'une vie antérieure qui lui est encore supposé, Julia répond froidement :

— Ses moignons ont été cautérisés, donc il n'y a pas de risque d'infection ou d'hémorragie. Mais la douleur doit être insupportable.

— Il n'y a rien que l'on puisse faire ? demande Kylian après un long silence.

— En dehors d'abréger ses souffrances ? Non, et de toute façon, même si je pouvais faire quoi que ce soit, Léa refuse que je l'approche.

— Attends, tu sais que c'est pas ce je voulais dire, lance alors Kylian dans un souffle. J'ai jamais dit qu'il fallait abréger ses souffrances. Tu le sais, hein ?

Mais la rouquine ne répond rien et, après un long moment propice à la résurgence du souvenir de la barbarie qui a frappé la cellule conduisant Hugo à être mutilé de la sorte, Kylian demande à Julia :

— Tu n'as vraiment aucune idée de ce qui lui est arrivé ?

— Non. Ce n'est pas viral et ça ne vient pas non plus de la nourriture. Ça, j'en suis sûre sinon, on serait déjà tous en train de s'entre-tuer. Par contre, ajoute la rouquine, puisqu'il s'agit d'un cas isolé, ce pourrait être une forme de schizophrénie.

—C'est-à-dire ?demande l'autre.

Toujours sans montrer le moindre état d'âme, Julia assène à son interlocuteur l'implacable vérité de son diagnostic médical inné :

— La schizophrénie peut se déclarer à n'importe quel âge sous l'effet d'un simple stimulus extérieur. Dans le cas d'Hugo, tout ce qu'on a vécu aurait pu suffire, mais ces symptômes : ses yeux rouges et ses iris qui ne font qu'un avec les pupilles, je n'en connais pas la signification.

À l'autre bout de la cellule, chaque tentative de Léa pour nourrir le blond est un cuisant échec. De la bouillie blanchâtre macule à présent les pourtours de l'orifice qui servait auparavant de bouche au garçon, mais aussi son torse et ses râles doublés de borborygmes sont devenus si présents que le couple a attiré sur lui l'attention de tout un chacun.

Alors que Léa donne de sérieux signes d'exaspération, toutes ses tentatives de nourrir Hugo se soldant par un échec, Julia se redresse avec l'intention de rejoindre son amie, mais, d'une main qui lui saisit le coude, Kylian la retient et la force à se rasseoir. Se rapprochant d'elle il lui murmure à l'oreille :

— Avec Enzo, on a peut-être trouvé un moyen de sortir d'ici.

Jetant un rapide coup d'œil en direction du métis, la rouquine l'aperçoit. Le plus discrètement possible, Enzo est en train de parler avec d'autres détenus qui, malgré le désespoir ambiant, l'écoutent avec intérêt.

— On ne sait pas quand on va agir, précise Kylian, mais c'est pour bientôt. Alors, tiens-toi prête.

Acquiesçant d'un hochement de tête, Julia se lève et, bien décidée à lui venir en aide malgré sa mise en garde, elle se dirige vers Léa qui est toujours au chevet d'Hugo.

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Encore une fois, merci beaucoup d'avoir lu ce dix-septième chapitre jusqu'au bout. J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches matin vers 10 heures. Bises à toutes et à tous.

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