09. J'ai faim
Dans l'espace carcéral qui les condamne depuis plusieurs heures à une promiscuité extrême, tous les prisonniers peuvent entendre l'ordre provenant de la voix-robot. Elle leur parvient de la cellule voisine qui vient de se ranger tout près de la leur, filtrée au travers de l'une des parois :
—Maintenant, vous dormir !
Trois simples mots et une intonation qu'ils connaissent à présent par cœur, mais qui à chaque fois leur provoque un inextricable sentiment d'insécurité. Cependant, faisant fit de tous les interdits, et sans même lancer la moindre concertation avec le reste du clan, Hugo se lève. Il enjambe quelques prisonniers encore assoupis et se rapproche de la cloison d'où est venu l'ordre, celle qui se trouve collée à la cellule voisine.
Après une hésitation qui marque à la fois son anxiété mêlée à une dose d'espoir que provoque l'adrénaline qui coule dans ses veines, le blondinet murmure au travers des interstices :
— Si quelqu'un m'entend, dites quelque chose. Nous aussi on est tout un groupe de prisonniers. On doit être une bonne trentaine. Hé, il y a quelqu'un ? Si quelqu'un m'entend, dites un truc, s'il vous plaît. N'importe quoi.
Puis, voyant qu'il n'obtient aucune réponse, Hugo se met à se déplacer d'une extrémité à l'autre du mur. S'y arrêtant à intervalles réguliers, il frappe dessus avec ses phalanges pour attirer l'attention tout en continuant d'essayer d'engager une conversation :
— On peut peut-être s'entraider ? Trouver un moyen de sortir d'ici ensemble ?
Kylian, qui, tout comme Julia, Enzo et Léa observent à distance Hugo, finit par se lever pour le rejoindre.
— Tu t'attends à quoi ? Lui lance Kylian. À ce que l'un d'eux te révèle toute la vérité sur pourquoi nous sommes ici ?
— Non, je suis pas aussi naïf, répond l'autre, mais peut-être que quelqu'un pourra nous apprendre un truc qu'on ignore, quelque chose que seul notre groupe aurait oublié par exemple.
— Écoute, tu en attends trop là. Puis, se rapprochant d'Hugo pour lui barrer la route et l'empêcher de poursuivre son manège Kylian continue : tu ferais mieux d'économiser tes forces, parce que ceux qui sont de l'autre côté de ce mur en savent certainement autant que nous sur ce qu'il se passe ici.
— Et t'en sais quoi, putain ? Lui répond le blond d'une voix beaucoup trop haute et d'un ton agressif. Mais bien conscient que ce que vient de lui dire Kylian a du sens, il ne reprend pas sa tentative de communiquer avec les prisonniers de la cellule d'à côté. Au lieu de ça, il prend appui contre la paroi tout près et se laisse glisser jusqu'au sol pour s'y asseoir.
Kylian rejoint Hugo à terre et après une hésitation il lui dit :
—Excuse-moi pour tout à l'heure. J'aurais jamais du dire que tu devais te faire tuer par cette lumière. C'était vraiment con. Je le pensais pas.
Étrangement, Hugo n'a pas réagi aux mots du garçon. Il est resté figé dans une posture qui traduit un état dépressif soudain et un abandon total à trouver une quelconque échappatoire à cette situation d'enfermement.
— Est-ce que tout va bien ? Lui demande Kylian. Je me suis excusé. Tu l'as pas entendu ?
Les yeux d'Hugo sont à présent rougis et noyés de larmes. L'une d'elles se décroche, glisse sur sa joue pour atteindre l'extrémité de son menton. Là, elle s'étire et forme une goutte qui finit par chuter pour venir mourir sur le sol métallique.
— Hugo, dis un truc. Sérieux, tu me fais flipper, lui lance Kylian, inquiet.
Sur le ton de la confidence, les yeux restés grands ouverts et toujours emplis de larmes stagnantes, le blondinet répond enfin :
— J'ai faim. J'ai une putain de faim. Ça fait un moment que j'essaie de chasser cette idée de mon esprit, mais là, je pourrais tuer pour un bon. Gros. Burger.
Rabattant ses paupières pour invoquer cette chimère, Hugo dont les larmes coulent en abondance sur ses joues, continue son monologue :
— Un bon burger... Non ! Il s'interrompt et un large sourire illumine soudain son visage. Mieux, un steak... Juste un steak, mais très épais et bien saignant. Je peux presque sentir l'odeur de la viande grillée. Servi avec des frites et du ketchup... Et un Coca... Putain, ouais : un Coca dans un grand verre avec beaucoup de glaçons.
Dans l'obscurité devenue familière, Kylian est resté impassible face à l'émotion du garçon qui vient de conclure sa tirade en déglutissant de manière exagérée, comme s'il était parvenu à avaler une gorgée du breuvage imaginaire.
Alors que les yeux clos du blondinet se rouvrent, qu'il essuie ses larmes d'un revers de main et dévisage Kylian, il lui demande :
— Et toi, qu'est-ce qui te vient à l'esprit ?
Marquant son hésitation à répondre par un changement de posture qui le fait paraître plus grand, Kylian lui dit dans un souffle :
— Une orange.
— T'es sérieux ? Lui lance l'autre.
— Ouais. Une grosse orange dans laquelle je mords à pleines dents.
— Et genre, tu mords dedans sans lui avoir enlevé la peau ?
— Ouais, répond Kylian tout en esquissant un vague sourire qui se transforme bientôt en un franc éclat de rire.
Alors que les deux prisonniers échangent un regard fraternel, que le rire de Kylian contamine Hugo et qu'à son tour il se met à glousser, au travers de la cloison à laquelle ils sont adossés, une voix douce, féminine, presque suave tellement elle susurre les mots, se fait entendre :
— Hé, tu es encore là ? Moi, c'est Sarah et toi ?
Se redressant soudain pour rejoindre l'endroit d'où provient la voix, Hugo se colle à la paroi et lance à l'étrangère :
— Je t'entends, Sarah. Je m'appelle Hugo.
— Salut, Hugo ! Est-ce que tu sais pourquoi on est enfermés ici ? On a essayé de demander à cette lumière, mais ça n'a pas marché.
— À vrai dire, je pensais que tu pourrais m'en apprendre un peu plus, lui répond l'autre.
— Non, je... C'est comme ci on m'avait effacé la mémoire. Je me souviens seulement que je suis née le 16 mars 2004, que le président c'est Macron, mais je... Sarah s'interrompt, étouffant un sanglot.
Soudain en proie à un sentiment de peur qui lui arrache un frisson, Hugo échange un regard affecté avec Kylian. Même si tout laissait à penser que la condition d'autres prisonniers pouvait être similaire à la leur, les révélations de Sarah venaient tout de même de glacer les sangs aux deux garçons.
Hugo s'apprête malgré tout à relancer la conversation quand un bruit sourd et mécanique se fait entendre. La cloison au travers de laquelle il est parvenu à entrer en contact avec la prisonnière de la cellule voisine se met à pivoter sur elle-même.
Surpris par le phénomène, Hugo qui en est très près s'en écarte. En reculant, il trébuche sur un captif endormi avant de s'effondrer sur un autre. Après s'être remis debout, il découvre que sur tout un mur de la pièce sont apparus, comme par enchantement, trois bacs semblables à des mangeoires pour animaux.
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Encore une fois, merci beaucoup d'avoir lu ce neuvième chapitre jusqu'au bout. J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :)
IMPORTANT : Pour cause de mariage (pas le mien, hein), je ne pourrais pas partager la suite dimanche prochain. Le chapitre 10 sera donc en ligne le 27 octobre vers 10 heures. Puis, je reprendrais la publication des chapitres comme avant, tous les dimanches vers 10 heures. Voilà, bises à toutes et à tous.
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