01. Dans l'obscurité
Dans l'obscurité d'un tunnel aux parois lisses et humides, un nombre égal de filles et de garçons avance. Ils sont aux abois, ont une quinzaine d'années, et ils ne sont habillés que de sous-vêtements tous identiques de couleur blanche : un short boxer pour les garçons et une culotte assortie d'un bandeau couvrant les seins pour les filles.
Après plusieurs secondes d'une progression rendue difficile en raison de leur champ de vision réduit et d'un sol glissant recouvert d'un amas gélatineux, ils s'immobilisent. Ce faisant, ils manquent de chuter.
Une série de lampes jaunes clignotantes viennent de s'allumer. Le phénomène qui les éblouit force chacun à cacher de ses mains son regard. Plus personne n'ose même respirer quand, tel un appel divin, une voix robotique crache :
— Vous, marcher. Vous, suivre, lumière.
Filles et garçons cherchent à présent dans les yeux d'un voisin un signe, la moindre forme d'encouragement qui le ferait bouger, mais seule la peur qui domine tout peut se lire sur les visages.
Les ordres sont à nouveau crachés, de manière amplifiée :
— VOUS, MARCHER ! VOUS, SUIVRE, LUMIÈRE ! MAINTENANT !
Sous la menace qui cette fois-ci paraît bien réelle, une petite portion du groupe se met en mouvement et en se faufilant parmi leurs congénères, les bons élèves avancent dans la direction indiquée par les éclairages.
Mais à mesure que les autres s'éloignent, aussi faible qu'un murmure, un bourdonnement se fait entendre de ceux qui ont refusé de bouger. En quelques secondes, le son se fait de plus en plus fort, puis plus précis et mécanique.
Bousculé, et voyant détaler ses semblables, Kylian, un garçon noir aux cheveux coupés court, regarde derrière lui. Dans le prolongement du tunnel et malgré les éclairages intermittents, il réussit à distinguer les engrenages d'une véritable machine broyeuse de chair.
Aussi haut et large que le tunnel, le mécanisme destructeur qui avance ne laisse aucune échappatoire possible. En son centre, telle une véritable bouche de l'enfer, des dizaines de roues crantées aux lames acérées battent l'air à grande vitesse.
— Courez ! hurle-t-il à ceux qui n'ont pas encore pris la fuite.
Comme après le coup de feu signalant le départ d'un sprint, Kylian et le reste des retardataires se mettent à courir dans la direction indiquée par les lumières. Très vite, le mécanisme se rapproche des plus lents. Chloé, une fille aux cheveux longs et blonds, dérape. Elle s'effondre brutalement sur le sol, et alors qu'elle cherche à se redresser, elle est piétinée par les autres.
— Revenez, aidez-moi ! crie-t-elle. En vain.
Distancée et en dépit de ses appels, Chloé voit disparaître au loin ceux qui, sans même se retourner, l'ont abandonnée. Seule Julia, une fille rousse aux yeux couleurs émeraude réagit. Elle fait volte-face et l'aperçoit à quelques mètres devant elle.
Alors que la broyeuse de chair se rapproche de plus en plus d'elle, Chloé essaie de se relever. Elle prend appui de ses mains sur l'une des parois, mais blessée à la cheville, retombe inexorablement sur le sol.
Prenant son courage à deux mains, Julia se lance à sa rescousse. Quand elle arrive à son niveau, Chloé rampe pour s'éloigner le plus possible du danger. Julia la saisit du mieux qu'elle peut, la soulève pour l'aider à se mettre debout, mais à peine y est-elle parvenue, que l'autre s'effondre et l'entraîne dans sa chute.
C'est sous l'emprise d'un espoir fou que Julia se relève immédiatement. Elle attrape l'avant-bras de Chloé et elle la tire vers elle, mais il est déjà trop tard. Dans une effusion de sang qui pigmente de rouge la peau nacrée de Julia, les jambes de Chloé sont déchiquetées par la machine.
Malgré les hurlements atroces de celle qu'elle tente de sauver et qui lui perce les tympans, Julia conserve tout son calme. Elle assure de sa seconde main sa prise sur l'avant-bras de Chloé et elle tire à nouveau vers elle de toutes ses forces, sauf qu'elle glisse, tombe à la renverse et se cogne violemment la tête contre la paroi du tunnel.
Sonnée, sa vue devenue trouble et ses forces l'ayant comme abandonnée, Julia ne parvient plus à se lever. Elle gît là, face contre terre, le visage plongé dans la gélatine qui recouvre le sol poisseux de la construction. Lorsque enfin, elle se redresse et regarde vers Chloé, les hurlements de la jeune fille sont devenus inaudibles en raison du bruit intense que font les engrenages de la broyeuse de chair qui s'est encore rapprochée.
Impuissante face au phénomène, Julia assiste aux derniers instants de cette fille qu'elle ne connaît pas et qui, intégralement peint par son propre sang, les bras tendus vers l'avant et l'implorant, semble encore croire à un impossible miracle. Pourtant elle est happée par l'atroce hachoir à viande. Dans un craquement immonde, sa cage thoracique se retrouve écrasée, concassée, réduite à néant avant que sa tête n'éclate tel un fruit trop mûr.
Médusée par cette scène qui vient de graver sur son visage un rictus d'horreur, Julia voit ce qu'il reste de l'inconnue disparaître sous l'action des engrenages dont les rouages crantés sont devenus écarlates de sang.
Agenouillée dans le tunnel dont les éclairages jaunâtres et syncopés battent à présent la mesure annonçant sa fin, Julia s'est résignée à mourir. Les bras ballants le long du corps, le dos courbé vers l'avant et le menton baissé, elle a cessé de bouger. Elle ne doit son salut qu'à l'intervention inespérée de Kylian.
Alerté par les hurlements, le garçon a rebroussé chemin et, sans ménagement, force Julia à se relever pour qu'ensemble, ils puissent fuir. Manquant de chuter à plusieurs reprises, le duo atteint le bout du tunnel et franchit in extremis un sas qui se referme derrière lui.
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Merci beaucoup d'avoir lu ce premier chapitre jusqu'au bout. Cette nouvelle histoire est très différente de ma première, mais j'espère que vous l'aimerez tout autant. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais essayer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine et tous les dimanches matin vers 10 heures. Bises à tous.
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