PARTIE 6 - Requin vs souris

AYDEN

Ayden était satisfait qu'elle ne rejette pas catégoriquement son offre.

— Un coaching, dit-il enfin.

— Pourquoi ? Pour me rendre plus méchante ?

Méchante ? Ayden avait du mal à l'imaginer méchante. Pour tout avouer, il avait du mal à l'imaginer manifester la moindre émotion. Depuis le début de leur entretien, il n'avait pas mâché ses mots et pourtant elle n'avait presque pas réagi.

— Je dirais, plus dans l'air du temps. Quel âge avez-vous, mademoiselle Kent ?

Elle paraissait surprise par sa question. En même temps, qui ne le serait pas, mais il voulait la pousser dans ses derniers retranchements. Elle n'avait pas accepté, mais il ne lui laissait pas le choix de toute façon.

Elle ne le savait juste pas encore. Il ignorait d'où lui venait cette envie profonde, mais d'une manière ou d'une autre, il la ferait changer. Et aujourd'hui, débutait sa première leçon !

— Je vais avoir vingt-sept ans.

Il la voyait plus jeune et en même temps plus vieille. Elle faisait partie de ces personnes à qui il était impossible de donner un âge. Au final, elle n'avait que quelques années de moins que lui.

— Et êtes-vous mariée ?

— Non, dit-elle dans un murmure.

— L'avez-vous déjà été ? Ne serait-ce que courtisée ou demandée en mariage ?

Un voile assombrit ses yeux, mais il voulait une réaction de sa part. Elle ne sortirait pas de son bureau sans lui avoir montré une part, même infime, de sa personnalité. Cette fille ne pouvait pas être aussi transparente qu'elle voulait bien le montrer. Tout le monde avait un feu intérieur.

Pour tout avouer, cette femme le déroutait. Ayden avait lu son dossier et il devait bien admettre que s'il n'y avait pas eu une photo dans sa fiche de poste, il n'aurait jamais pu mettre un visage sur son nom. Elle travaillait chez eux depuis maintenant quatre ans et il ne se souvenait pas de lui avoir parlé une seule fois.

Lorsque s'était posée la question du choix du nouvel éditeur, il avait été surpris de voir le travail qu'elle arrivait à accomplir. Mais il devait reconnaître que son caractère effacé lui avait coûté sa promotion.

Cependant, il ne voulait pas perdre un si bon élément. Il allait donc l'aider à s'affirmer. Il se doutait que la tâche n'allait pas être aisée. Lors de leur entretien de la veille, elle était entrée si discrètement dans son bureau qu'il ne l'avait même pas entendu passer la porte.

— Non.

Sa voix était à peine audible à présent. Deux options se profilaient désormais. Soit elle fondait en larmes et cela serait non seulement un échec cuisant, mais aussi une perte de temps, soit elle se mettait dans une colère noire et le traitait de tous les noms.

— Plus fort, mademoiselle Kent ! Je ne suis même pas sûr que vous ayez entendu ce qui sort de votre propre bouche.

Elle resta silencieuse, le visage rivé sur ses horribles chaussures noires. Bon sang, même l'armée n'en voudrait pas ! Il était homme à apprécier la vue d'une jolie femme, mais dans le domaine professionnel, il préférait une tête bien pleine.

Il n'était pas surpris de ne pas se souvenir de la jeune femme. Elle était la plupart du temps habillée en gris des pieds à la tête et son intuition lui soufflait que cette couleur était sa seule fantaisie.

Ses éternelles longues jupes en laine lui arrivant en dessous des genoux la faisant paraître plus petite qu'elle ne devait l'être réellement. Son pull à col roulé lui montait jusqu'au menton et ses yeux étaient cachés par une grosse monture en écaille marron.

Quant à ses cheveux, ils étaient tirés dans un chignon qui aurait fait pâlir d'envie sa grand-mère.

Il allait devoir s'occuper de cela aussi. Hors de question qu'elle représente la société dans ces guenilles. Il n'avait jamais vu une femme qui se souciait si peu de son apparence et pourtant elle lui rappelait quelqu'un.

— Je vous ai dit non. Je n'ai jamais été marié, ni même fiancé.

Elle avait un peu haussé la voix et elle ne s'était pas mise à pleurer comme il l'avait d'abord pensé. Il en fut secrètement soulagé. Il ne savait jamais quoi faire devant une femme qui pleurait.

— Pourquoi ?

Elle avait enfin levé les yeux et le regardait à présent comme s'il était devenu fou. Peut-être que cela était le cas, après tout. Pourquoi tenait-il tant à ce qu'elle se mette en colère contre lui ? Des employés travailleurs, il en trouverait plein, sans doute des plus compétents, même.

Mais il pressentait qu'elle avait quelque chose en plus qui la lui rendrait précieuse dans ce nouveau projet.

— Seriez-vous devenue sourde ? Ou bien muette ?

Elle semblait s'être terrée dans le silence. Il avait envie de la secouer de frustration. Si la provocation n'avait pas marché, il allait abattre sa dernière carte, l'orgueil. Il s'enfonça plus profondément dans son fauteuil en cuir. Il s'y accouda en joignant ses mains sous son menton. D'un air des plus nonchalants, il continua ce qui avait tout l'air d'être devenu un monologue :

— Je comprends mieux maintenant pourquoi vous n'avez pas eu le poste. Je peux même vous dire que si vous continuez comme cela, vous ne l'aurez jamais ! Vous avez tout l'air d'être le genre de personne qui dirait pardon à quelqu'un qui vous écrase, même si ce n'était pas votre faute. Vous savez comment on appelle les personnes comme vous, mademoiselle Kent ?

Elle le fixait toujours avec de grands yeux ronds. Personne n'avait jamais dû lui parler comme cela auparavant et il se faisait l'effet d'être un beau connard.

— Toujours aucune réponse ? Eh bien, ce sont des bonnes poires !

Ça y est. Enfin une réaction ! Ses yeux commencèrent à se plisser et le rouge envahit ses joues descendant jusqu'à son cou. On aurait dit une tomate mûre à point.

Il avait voulu une réaction, visiblement, il allait en avoir une.

***

Voilà ENFIN la suite :)

Chapitre un peu moins "endiablé" que les précédents mais j'avais des petites choses en mettre en place pour la suite.

Les chapitres suivants devraient être publiés plus rapidement, car ils sont déjà écrits. Bonne lecture.

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