Chapitre 4

Indra

La mort est la chose la plus terrible à surmonter dans une vie. Tout être humain est impuissant face à la grande faucheuse. Lorsque nos sentiments nous envahissent comme une tornade qui détruit tout sur son passage. Nous sommes laissés à l'abandon avec notre peine qui ne cesse de grandir et qui crée un gouffre au plus profond de nous. Puis quand on est encore une petite fille aux yeux de son père, c'est encore difficile de se faire à l'idée de devoir vivre sans lui.

Si seulement j'avais su qu'il me restait si peu de temps en sa compagnie, je serais revenue beaucoup plus tôt. J'ai gâché des années, pour rien tout ça à cause d'elle et maintenant, il n'est plus là ! Il ne pourra pas connaître ses futurs petits-enfants ni marcher à mes côtés lors de mon mariage. Si un jour, je me marie. Toutefois, le plus dur pour moi a été de l'accompagner dans la maladie jusqu'à la toute fin. Lui tenir la main alors qu'il ne lui restait à peine que quelques minutes est le pire souvenir que j'aurai de lui. Gravé dans ma mémoire jusqu'à ce que je le rejoigne à mon tour. La peur dans son regard m'a bouleversée. Il partait vers l'inconnu en laissant derrière lui ce qu'il avait de plus précieux sans possibilité de retour. Je n'oublierai pas de parler de lui à mon enfant, car il a été le meilleur père au monde, et il continuera à l'être même après son décès. Pour moi, mon papa est immortel et je l'aimerai toujours. La mort est peut-être une fatalité, mais la force de l'amour traversera les nuages, peu importe les circonstances.

Depuis son départ, les souvenirs que j'avais avec lui ne cessent de se jouer dans ma tête comme la bande d'un vieux film en noir et blanc qu'on ne pourrait pas arrêter. Les fois où nous éclations de rire, mais également mes chagrins qu'il tentait de soulager avec un chocolat chaud à la cannelle ainsi qu'un bon gros câlin dont lui seul avait le secret. Même en étant une adulte, ses câlineries m'apaisaient toujours autant.

***

Deux mois après l'enterrement de mon père, nous avons tous été conviés au bureau du notaire pour la lecture du testament. Colin est resté à la maison, c'était beaucoup plus prudent et de toute façon il n'aurait pas eu l'autorisation d'assister à l'entrevue. Installée sur mon siège à la droite d'Erwan, j'observe ma mère qui se trouve à l'autre bout de la pièce.

Vraiment?! Que fiche-t-elle ici?

Le grand sourire qu'elle affiche me donne envie de vomir. Si tu penses que papa t'a laissé le moindre centime, tu peux te mettre le doigt dans l'œil. Du moins, j'espère qu'il a fait le nécessaire, cette sorcière ne mérite rien de sa part. Je détourne le regard d'elle, je n'ai plus envie de fournir d'efforts. Je n'ai plus de mère, et je n'en aurai plus jamais, je ne compte pas lui pardonner ce qu'elle m'a fait subir tout au long de ma vie.

Le notaire, un homme d'une quarantaine d'années, s'installe face à nous derrière son bureau en bois de couleur noir. Il récupère un dossier dans un coin, et nous scrute tous les trois, un par un. Pendant ce laps de temps, je prends quelques secondes pour l'observer. Il est petit et ne doit pas faire plus d'un mètre cinquante. Ses cheveux roux attirent l'œil, toutefois, je suis subjuguée par ses magnifiques yeux verts envoûtants. Si Colin m'entendait, le pauvre monsieur serait six pieds sous terre. Enfin, il s'adresse à nous pour se présenter et nous informer du déroulement de notre rendez-vous avec lui.

— Monsieur Davis a désiré écrire quelques mots avant qu'on procède à la lecture de son testament. Je vais donc, si vous n'émettez pas d'objection, vous les lire.

— Excusez-moi, mon cher monsieur, intervient ma mère en se penchant vers le bureau tout en faisant apparaître son fabuleux décolleté plongeant à notre notaire qui n'avait rien demandé. J'aimerais bien en venir aux faits, car voyez-vous, je suis une femme de haut rang et j'ai tout un tas de rendez-vous à respecter depuis que mon défunt mari nous a quittés.

— Pétasse ! soufflé-je avant de m'inventer une quinte de toux.

Géraldine m'adresse un regard noir, tandis que je lui offre mon plus grand sourire. Si elle pense que je vais l'épargner, elle est loin de voir la suite !

— Madame Ferrari, vous m'en voyez désolé, sauf que je ne vais pas pouvoir accorder votre requête. Tout simplement parce que rien ne vous est adressé, ça ne concerne que vos enfants, l'informe-t-il avec une pointe de gêne dans la voix.

— Ferrari ? s'étonne ma mère. Et depuis quand ose-t-on m'appeler par mon nom de jeune fille. Je suis une Davis !

— Il me semble que papa et toi avez divorcé. Tu dois avoir des pertes de mémoire, maman, lui lance Erwan.

Notre mère grogne de frustration. Eh oui ! Ce n'est pas parce que papa est décédé que votre divorce s'annule. Le notaire se racle la gorge et nous demande s'il peut enfin commencer. Nous lui donnons notre aval sans prendre compte de l'avis de Géraldine.

« Indra, Erwan, mes chers enfants. Si vous écoutez ces quelques mots, c'est que je ne fais plus partie de ce monde. Je ne veux pas vous voir pleurer, la vie continue! Vous êtes jeunes tous les deux et avez la vie devant vous. Indra, tu as trouvé l'homme idéal pour pouvoir te reconstruire, ne le laisse pas tomber. Colin est quelqu'un qui saura prendre soin de toi et le principal : il est amoureux de ma fille. Alors, celui-là, tu as intérêt à ne pas le laisser s'échapper! Pour ce qui est de mon futur petit-fils, je t'entends déjà râler, Indra. Oui, ce sera un garçon alors tu as intérêt à ce qu'il sache que son grand-père l'aime de tout son cœur et qu'il sera un homme formidable vu les parents qu'il aura. »

Je n'arrive pas à retenir mes larmes, tant les mots de mon père me touchent en plein cœur. Ça me déchire de l'intérieur de devoir écouter un parfait étranger, alors qu'il aurait pu nous dire tout ceci en face. J'aurais tellement aimé avoir quelques heures de plus en compagnie de celui qui était le plus important de tous à mes yeux, pour qu'il ait la possibilité de nous confier tout ce qu'il avait à nous révéler avant de partir.

« Quant à toi, Erwan, mon fils. Je compte sur toi, pour faire ce qui te plaît! Construis-toi la vie que tu souhaites. Si tu comptes reprendre l'affaire familiale, une place t'y attendra quand tu le décideras. Je me suis occupé de tout ce qui est administratif, en attendant ton oncle s'en chargera d'une main de maître. N'hésite pas à lui demander des conseils, je sais qu'il sera présent pour t'épauler si tu en ressens le besoin. Je compte sur toi pour veiller également sur ta sœur, même si elle n'en a pas besoin et qu'elle est en très bonne compagnie, toutefois tu sais très bien comment elle est. Et n'oubliez pas : Vous êtes les deux seules choses qui me soient arrivées de mieux dans la vie. Continuez vos vies et surtout soyez heureux, de là où je serai, je veillerai toujours sur vous. Je vous aime. Papa.

PS : Vous avez l'ordre que notre maison déborde de joie et de bonheur. Je veux voir mes petits-enfants courir et hurler de partout! »

J'ai été forte jusqu'à présent. J'ai encaissé pas mal de choses, mais tout ceci devient bien trop dur pour mes frêles épaules. Les perles salées qui roulent le long de mes joues deviennent bien vite des sanglots incontrôlables. Erwan se rapproche de moi et vient me prendre dans ses bras, sa chaleur me fait du bien, en revanche il est bien loin d'apaiser ma douleur.

— Allez, Indra, ça va aller. Tu es quelqu'un de coriace, on doit être fort pour papa, ce n'est pas le moment de craquer ! Tout ira bien, on s'en remettra, tente-t-il, tout en essayant de me réconforter.

— J'en ai marre d'être une battante ! J'ai envie de craquer, de pleurer comme une gamine ! De hurler et de ne plus me comporter en adulte pour l'instant, car j'ai perdu mon père ! Tu ne peux pas savoir combien je m'en veux, Erwan... Il se faisait trop de soucis pour moi. Je suis en partie responsable, s'il nous a quittés, répliqué-je.

Il s'accroupit devant moi et pose ses mains contre mes genoux me fixant de ses yeux bleus tout comme les miens. Nous avons hérité cette couleur de notre père, c'est le seul à les avoir comme ceci avec notre oncle.

— Là tout de suite, ce n'est pas le moment, Indra. On terminera ce rendez-vous haut la main et une fois à la maison, on discutera si tu en ressens le besoin, d'accord ?

Je hoche vivement la tête à ses dires. Erwan se rassoit ensuite à mes côtés. Il a rapproché sa chaise de la mienne et me tient désormais la main. Sans mon frère, je sais que je n'aurais pas pu tenir aujourd'hui, je serais partie sans me retourner. Pas que je n'aime pas mon père, c'est juste qu'affronter ma douleur m'est insoutenable et Erwan m'aide. Il est l'épaule sur laquelle je peux me reposer. Mon frère adresse un signe de tête au notaire et il nous regarde de nouveau tous les trois.

— Je vais désormais vous parler de votre héritage, donc de ce que vous a légué monsieur Davis. Je commencerai par monsieur Erwan Davis. Votre père, Christian Davis, vous lègue : à parts égales avec votre sœur Melle Indra Davis la maison familiale, ses voitures de collection, ses maisons secondaires, dont j'ai réalisé un listing pour vous sur des documents officiels que je vous montrerai. Monsieur Erwan Davis, à titre individuel, votre père vous lègue cinquante pour cent des parts de son entreprise : Davis Entreprise.

Monsieur Zlamoe fait une pause pour nous permettre sans doute de souffler face à ce début de révélation. En tout cas, à ce que je vois, papa n'a pas cédé la maison à notre garce de mère, c'est déjà ça !

— Mademoiselle Indra Davis, votre père vous lègue : à titre individuel, les cinquante autres pour cent de son entreprise, ainsi que la totalité de ses parts pour la librairie Davisbook. Vous serez donc l'unique propriétaire du bâtiment. Et pour conclure, votre père m'a chargé de vous remettre cette lettre que vous devrez lire en présence de votre conjoint monsieur Colin O'Connor.

Je récupère la lettre qu'il me tend, puis la range soigneusement dans mon sac. Je ne pensais pas qu'il aurait eu le temps de mettre en place tout ceci, lui qui était tellement fatigué. En revanche, je suis étonnée, je ne savais pas qu'il possédait une librairie. Il ne m'en a jamais parlé.

— Madame Géraldine Ferrari, monsieur Davis vous lègue cette enveloppe accompagnée de ce mot : « J'espère que tu en feras bon usage, et ne dépense pas tout d'un seul coup ! »

Ma mère prend l'enveloppe que lui a glissée monsieur Zlamoe, un grand sourire se dessine comme une enfant le matin de Noël. Toutefois, son visage se décompose d'un coup. J'essaie de comprendre ce qu'il se passe, sauf qu'elle a les yeux rivés sur ce qu'elle tient entre les mains et n'ose pas en sortir le contenu.

— C'est une blague ?! s'énerve-t-elle tout en levant la tête vers le notaire. C'est quoi cette connerie ? Il doit certainement y avoir une erreur !

— Je vous assure que c'est l'unique chose qu'a voulu vous laisser monsieur Davis. Il n'y a aucune erreur, madame.

— Il m'a légué un vulgaire billet de Monopoly ! Quel connard ! J'espère qu'il pourrira en enfer !

Erwan et moi échangeons un regard avant d'exploser de rire, ce qui a le don d'agacer encore plus notre mère. C'était la meilleure blague que mon père pouvait faire pour marquer le coup ! Et c'était fabuleusement réussi. Géraldine nous foudroie du regard, puis se lève avant de prendre son billet de Monopoly.

Ne sait-on jamais, si elle arrive à l'utiliser !

— D'où il se trouve, il va m'entendre ! hurle-t-elle avant de se retourner vers Erwan et moi. Vous deux, vous aurez de mes nouvelles, c'est certain !

— On ne doute pas que tu viendras récupérer le reste de la boîte de jeu ! lance mon frère en direction de notre mère.

Folle de rage, elle quitte la pièce en trombe avant de claquer la porte de toutes ses forces, ce qui fait trembler les murs de toute part. Papa a réussi à partir sur un final magistral ! Si j'en avais la possibilité, j'applaudirais pour pouvoir le féliciter. Ce qui est sûr, c'est qu'on est tranquilles pour un certain moment, le temps qu'elle expulse ses nerfs contre quelqu'un d'autre.

Des vacances. C'est tout ce que je souhaite!   

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