Chapitre 6 : Effie
A nouveau, j'entends un grand bruit en provenance du salon d'Haymitch. La panique me gagne encore une fois. J'ai peur. Je me rue vers lui. Je fais aussi vite que je peux, parce que... je ne sais pas pourquoi. Mon cerveau ne réfléchit plus, mon corps agit tout seul.
Je me rue vers lui, qui dort encore sur le canapé, expirant calmement. Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé. Je n'ai pas rêvé ce bruit. Puis mes yeux se posent sur la table, où s'éparpillent par dizaines des débris de verre... et où s'est lamentablement écrasée, bien à plat, la main d'Haymitch durant son sommeil.
Il ne réagit pas plus qu'il y a – je consulte l'horloge du regard – deux heures et quart. Supposant que ce type de plaie était ce qu'il pouvait se faire de plus douloureux pendant son sommeil et que les traiter n'était le plus urgent, je m'apprêtais à le laisser là. Mais il émit à ce moment-là un son que je ne lui avais jamais entendu jusqu'alors.
Un gémissement.
Pas le gémissement d'un dormeur récalcitrant qu'on vient tirer du lit, celui de l'homme ennuyé ou encore celui de l'ivrogne qui n'a plus accès à sa bouteille – celui-ci étant presque breveté par Haymitch.
Un vrai gémissement de douleur, qui ne doit rien, j'en suis sûre aux blessures de sa main. Je tourne mon regard vers son visage et je me sens comme transpercée par un poignard. Ses sourcils sont froncés comme jamais, son front est ridé par la crispation et couvert de sueur. Sa figure n'exprime qu'une douleur immense, intense. Une douleur qui me fait mal à moi aussi. Des larmes se forment sous ses paupières closes, puis roulent doucement sur ses joues, emportées par les mouvements vifs qu'il fait de droite à gauche.
Cela m'effraie. Haymitch possède tout un tas de défauts – dont, allez, environ cinquante principaux – mais il n'a jamais montré un tel visage. Il se comportait comme un véritable gamin, mais au fond il savait toujours ce qu'il faisait. Il n'a jamais pris de risque qui n'ait pas payé. Pour cela, il a survécu aux Jeux de la Faim, alors qu'il n'était qu'un gamin.
Pour cela, il a réussi à faire de Katniss et de Peeta les porteurs de la flamme du soulèvement. Une flamme née du District Douze, qui jusqu'ici n'avait jamais – à l'exception d'Haymitch – élevé un vainqueur des Jeux. Une flamme remontée du fond des mines pour insolemment éclater à la figure de l'arrogant Capitole, embrasant au passage les treize Districts. Il est, au fond, le maître du jeu qui s'est déroulé. Non pas celui des Jeux, de ces immondes Jeux. Je parle ici du jeu du soulèvement. Il est celui qui a formé Katniss et Peeta, qui a créé l'engouement du public pour eux, qui a exploité tout ce qu'il savait et ce qu'il connaissait de la nature humaine pour tirer le meilleur, non seulement de ses tributs, mais aussi durant la révolte des instances qui la dominaient. Il savait faire tête basse un jour pour se retrouver le lendemain au plus haut. Cet esprit intelligemment manipulateur a fait sa force et la constitue toujours.
Haymitch est quelqu'un de fort.
Un véritable pilier.
Inébranlable.
Alors pourquoi pleure-t-il dans son sommeil comme un enfant ?
Je secoue violemment son épaule. Il faut qu'il se réveille. Une nouvelle larme se décroche de ses cils. Je me sens impuissante, complètement perdue.
Je ne le supporte plus, je veux que ça s'arrête.
« Haymitch, réveille-toi ! Haymitch ! »
Je ne sais pas combien de temps, gagnée par je ne sais quelle étrange panique, je le secoue ainsi, mais il finit par s'éveiller. L'ouverture de ses yeux se résume d'abord à deux minuscules fentes, puis termine par un écarquillement complet quand ils plongent dans les miens.
Une longue seconde passe, peut-être deux.
Puis il me hurle dessus.
Je ne peux empêcher un cri surpris et particulièrement strident sortir de ma gorge, non plus que la phrase injurieuse qui franchit mes lèvres. Il m'observe encore un peu, et je n'aperçois pas dans ce regard la défiance qu'il arbore d'ordinaire envers moi (Je viens du Capitole, lui du District Douze. Il n'y a pas plus grand écart.). C'est alors que je commence à comprendre qu'il ne me reconnaît pas. L'idée me provoque comme un petit pincement au cœur, d'autant plus accentué lorsqu'il me questionne sur mon identité.
Lorsqu'il me reconnaît enfin, son expression change un peu. Il a l'air... presque content de me voir. Ce qui est bien au-dessus des espérances que je portais en me rendant ici. A vrai dire, je pensais qu'il ne m'aurait même pas ouvert sa porte – même si, techniquement, j'ai défoncé sa serrure et qu'il n'a rien ouvert du tout, sauf la paume de sa main qu'il a quand même sérieusement entaillée.
Je m'en occupe sans rien dire, hormis deux ou trois menaces pour le forcer à rester tranquille pendant que je le soigne. C'est étrange. Je suis celle qui soigne et pourtant je me sens comme si... comme si certaines de mes propres blessures guérissaient. Cette grande main, chaude et blessée, que je tiens dans la mienne et sur laquelle je passe un linge propre – objet rare dans cette maison, méritant donc d'être mis en valeur – que j'ai humidifié avant d'y étaler de la pommade. Pour terminer, je bande sa main aussi solidement que possible. Je m'apprête à me lever, mais mon corps ne veut pas bouger. Cette main écorchée dans la mienne, je ne veux pas la lâcher.
« Haymitch... je t'ai réveillé, parce que, dans ton sommeil... tu pleurais. »
J'ignore encore pourquoi j'ai parlé.
A vrai dire, j'ignore pourquoi j'agis de la manière dont je le fais depuis bien longtemps, et en particulier aujourd'hui. Peut-être que je voulais savoir égoïstement, ou encore pour l'aider... peut-être pour juste ne pas le lâcher.
Au moment où je prononçais cette phrase, j'évitais son regard. Confrontée au silence sans doute court, mais de toute façon trop long qui suivit, j'ai relevé les yeux pour interroger les siens. Ils avaient soudainement recouvré une lueur de vie que je n'avais jamais qu'entraperçu auparavant.
Le temps d'un battement de cœur.
Peut-être moins.
La lueur s'est transformée en quelque chose que je connais très bien. La colère et la douleur.
Puis il m'a crié dessus.
Des mots qui claquent. Claquent dans l'espace, giflent votre esprit, frappent presque votre corps et heurtent tout votre être.
Des mots qui rappellent à vous ce pourquoi vous vous haïssez, ce que vous ne pouvez affronter, ce pourquoi vous fuyez, cette faiblesse inhumaine enracinée dans votre être, ce pourquoi vous désirez disparaître.
Des mots que vous voudriez fuir, parce que vous ne pouvez y échapper, et que c'est ce qui fait le plus de peine. Ce qui écrase chacune de vos pensées, et tue en vous ce qui restait de la boîte de Pandore de votre personne.
Des mots qui m'ont chassée de chez Haymitch, qui m'ont faite m'échouer je ne sais où dans le District Douze, qui m'ont une fois de plus jetée hors de là où se trouvait ma place. Où je croyais la trouver, devrais-je dire.
Est-ce qu'un jour, j'aurai droit à un endroit fait pour moi ?
Moi aussi, je pourrais oublier les Jeux dans un recoin de ma mémoire et voir disparaître les cicatrices écarlates de mon passé ? Quelqu'un pourra-t-il m'aider ?
Si j'y parviens, quelqu'un pourra-t-il m'aimer ?
Et voici le sixième chapitre, beaucoup plus long, cette fois-ci. Je me penchée plus longuement sur Effie, qui est un personnage que j'aime beaucoup. ^.^
Merci de me lire ! <3 N'oubliez pas de me dire ce que vous en avez pensé, ça me fera super plaisir d'avoir un retour !
Je vous aime !
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