Chapitre VIII : Nager en plein cauchemar.

Le regard perdu dans le vague, je fis lentement glisser du bout des doigts une des mèches dépassant de mon chignon. L'odeur alléchante du café me chatouillait toujours les narines. Je portai une nouvelle fois la tasse à ma bouche, laissant s'y écouler le liquide au goût amer. Cela aurait dû me détendre. Me revigorer. Et pourtant, mes batteries étaient toujours à plat.

En jetant un coup d'œil vers la droite, j'aperçus la fille d'hier ; celle dont les longs cheveux bruns rougissaient sur les pointes, d'une même teinte cerise que celle de Nelly. L'air pensif, elle contemplait silencieusement la simple pomme rouge qui trônait sur son plateau blanc, sans pour autant y toucher. Tout comme moi à cet instant précis, elle paraissait presque déconnectée du monde. La grande différence était que contrairement à elle qui passait totalement inaperçu, j'étais le centre de l'attention. Toujours coincée entre les chuchotements indiscrets, et prisonnière de ces regards indéchiffrables. Il ne faisait aucun doute que si je ne sortais pas de la cafétéria dans les prochaines secondes, j'allais devenir folle. « C'est quoi votre problème?! » manquai-je de leur crier.

Je ravalai ma fureur soudaine, me contenant du mieux que je le pouvais. Il ne valait mieux pas se faire remarquer davantage, après avoir osé faire un doigt d'honneur à une bande de démons tous aussi imprévisibles les uns que les autres. Comment les avaient-ils appelés déjà? L'Élite? Tu parles d'un surnom pour de telles personnes! Ça leur conférait un air ridiculement royal, supérieur, intouchable. Comme s'ils étaient si haut placés qu'il fallait leur adresser une révérence à chaque fois qu'ils se présentaient. Et d'après la réaction des élèves après mon « terrible affront », il y avait des chances que cela soit la réalité.

Je me rappelai avoir déjà entendu parler de l'Élite quelque part, la veille. Probablement mentionnée dans le discours de Mlle Pealsburry. De toute manière, je ne souhaitais pas découvrir de sitôt ce que représentait cette fameuse Élite pour les autres, puisqu'elle décrivait présentement une sorte de hiérarchie dans l'Académie. Invention du proviseur, sans aucun doute.

— Tu es sûre que ça va, Alice?

Je redressai brusquement la tête, émergeant d'un vaste océan de pensées négatives et me souvenant de la présence de Nate, de l'autre côté de la table. Tandis qu'il me dévisageait, un soupçon d'inquiétude transparut dans ses yeux, et je me rendis alors compte que j'étais restée silencieuse depuis son arrivée. Trop occupée à broyer du noir, et à me maudire de n'avoir quitté l'Académie la veille, lorsque l'occasion s'était présentée. Après une inspiration profonde, je lui répondis d'un hochement de tête peu convaincant, sans me libérer de son regard. C'est alors qu'un détail me retraversa l'esprit. Nate faisait partie d'une des cinq classes spéciales. Cinq classes exclusivement composées de démons et d'anges gris.

Même si les raisons n'étaient pas des plus évidentes, au plus profond de moi-même, j'espérais ardemment qu'il soit un ange. Il allait de soi que les démons n'évoquaient rien d'autre que le mal, je ne pouvais que le confirmer après avoir servi de cobaye à deux d'entre eux. Cela dit, cela signifiait-il pour autant que par complément un ange n'était destiné qu'à représenter le bien? Là était le problème. Un ange gris n'était pas un ange, ou du moins n'en était plus un à part entière pour cause d'un péché l'ayant fait chuter du Paradis. C'était un ange déchu destiné à devenir un démon, s'il ne rachetait pas ses fautes sur terre. Ange gris était donc à au moins 50 % synonyme de futur démon. « Génial », pensai-je. Toute cette histoire me donnait la migraine. Je me félicitai néanmoins d'avoir réussi à retenir tout ce que m'avait expliqué la proviseure adjointe la veille. C'était manifestement plus mémorisable pour mon cerveau que tous les cours de mathématiques que j'avais eu dans ma vie. Enfin... retenu ou pas, cela ne changeait en rien mon point de vue. Mon but était d'apprendre à contrôler mon problème - cela resterait toujours un problème pour moi et non pas un don comme le pensait Mlle Pealsburry -, et une fois atteint, je quitterais l'académie pour de bon. Quelque chose me disait que tout ce que je gagnerais en y restant serait des ennuis.

Alors peut-être devrais-je essayer de les retrouver...

À peine cette pensée eut traversé mon esprit que je la repoussai. Peu importe ce que j'avais pu penser hier, je n'aillais pas tenter de retrouver mes parents biologiques. Peu importe la raison de leur choix. Peu importe ma curiosité à leur propos. S'ils connaissaient ma véritable nature, alors ils auraient pu m'éviter le chaos qui régnait dans ma vie depuis mes six ans. La liste de toutes les choses qu'ils auraient pu faire était trop longue... et débutait avec ne pas m'abandonner. À cet instant, les larmes auraient probablement dû me monter aux yeux, mais elles n'en firent rien. J'ignorai si le temps m'avait réellement rendu plus forte, mais dès à présent, quiconque me rayait de sa vie, se voyait aussitôt rayée de la mienne, sans problème, ni possibilité de retour.

Nate m'observait toujours, d'un air perplexe. J'en conclus que j'avais laissé ma mauvaise humeur transparaître sur mon visage. Je m'éclaircis la voix, décidant de me reprendre et de lancer la conversation.

— Tu n'as pas quelque chose à me demander? Du genre, « alors, ça fait quoi de découvrir qu'on est un monstre? »

Après un petit haussement de sourcil, un petit sourire indéchiffrable naquit sur le coin de ses lèvres. Oh mon dieu. Pendant un instant, je retins mon souffle, faisant abstraction des palpitations de mon cœur. Il était beau à en faire tourner la tête! Et encore, le terme beau n'en restait pas moins qu'un euphémisme. Qui se lasserait de ce sourire ravageur et de ses magnifiques yeux gris pétillants? Pas grand monde, sans doute, car quelque chose chez lui faisait s'accélérer les battements de cœur. Quelque chose de rayonnant. On aurait dit...un ange.

Et en considérant les regards emplis de jalousie que me lançait une bonne partie des filles présentes dans la cafétéria, je devinai que mon avis était très partagé. De toute manière, elles pouvaient déjà supprimer leurs craintes et jalousies inutiles, car je n'étais pas de la compétition. Ce n'était pas parce que j'étais assise à la même table qu'un mec, aussi craquant soit-il, et qu'il m'avait servi de guide, que nous sortirons ensemble le lendemain. Les relations amoureuses étaient aussi dévastatrices que des ouragans, je pouvais dire merci à mon ex, - et à mon «don» - de me l'avoir enseigné.

— Un monstre? répéta-t-il en secouant la tête d'un air consterné. C'est vraiment comme ça que tu te vois?

Je haussai les épaules. Comment pourrais-je me voir d'autre? Une super-héroïne? Jessica, le double de Niki Sanders dans la série Heroes?

— C'est normal, déclara-t-il. Tout ça est nouveau pour toi. (Il passa dans une main sans cheveux, paraissant naturellement relevés cette fois-ci.) Dis-toi qu'au moins, tu n'es pas la seule à posséder des capacités surnaturelles, et que des gens sont là pour t'aider.

Je souris en guise d'approbation, mais je n'étais pas tellement convaincue par ce qu'il avançait. Les autres Néphilim avaient beau avoir des dons, cela ne signifiait pas que les leur étaient aussi incontrôlables que le mien. Ils n'avaient pas forcément failli tuer des personnes à plusieurs reprises. Comment réagiraient les gens s'ils apprenaient que moi, si? Là, au moins, ils auraient une bonne raison de me reluquer comme ils le faisaient actuellement. Même si le niveau d'innocence de certains laissaient également à désirer...

Trois ans. Les Néphilim restaient à l'Académie Rose durant trois ans, suivant majoritairement des cours normaux. Me sentais-je prête à vivre aux côtés d'êtres surnaturels jusqu'à ce que je reprenne le contrôle sur moi-même ? Me sentais-je prête à m'accepter en tant que tel?

« Non » fit clairement la petite voix dans ma tête.

Je soupirai. Non. Je n'étais définitivement pas prête. Et puis, tout cela me terrifiait presque autant que ne m'intriguait. La preuve, je mourrais d'envie de savoir ce qu'était Nate, mais je tremblais à l'idée d'entendre la réponse. Alors que de nouvelles questions commençaient à se bousculer dans ma tête, et que la perspective de me jeter d'un toit paraissait de plus en plus tentante, je surpris ce dernier à m'observer, une fois de plus. Ignorant l'accélération subite de mon rythme cardiaque, je soutins son regard sans ciller.

« Qu'es-tu? » mourrai-je d'envie de lui demander.

— Tu n'as pas quelque chose à me demander? m'interrogea-t-il à son tour, l'ébauche d'un sourire aux lèvres. Du genre : « au fait, tu es quoi?»

Je tressaillis. Il lisait dans les pensées, ou quoi? Pourvu que ça ne soit pas le cas...

— Devine, me défia-t-il aussitôt, une petite étincelle dans les yeux.

Mon cerveau se remit en marche. Je réfléchis, les yeux légèrement plissés comme si j'essayais de trouver la réponse sur son visage. Nate le démon ou Nate l'ange gris? Devais-je choisir celui qui lui allait le mieux? Si c'était le cas, son sourire éblouissant et l'atmosphère apaisante qui se dégageait de lui ne laissait droit qu'à une seule possibilité.

— Tu es un ange, soufflai-je, presque sûre de moi.

Il fit mine de réfléchir un instant, comme pour s'inventer un suspens, puis acquiesça.

— Gris. Je suis un ange gris.

Je restai silencieuse, assimilant lentement l'information, puis manquai de laisser échapper un soupir de soulagement. En me calant au fond de ma chaise, des questions survinrent à nouveau. Pourquoi cela me rassurait-il à ce point, alors que je savais ce qu'un ange gris représentait, soit un ange déchu en passe de devenir un démon? De plus, ce n'était pas comme si nous étions amis lui et moi. Plus que des inconnus, moins que des amis. Des connaissances. Alors pourquoi diable cela me soulageait-il à ce point? C'était comme si mon esprit venait de se libérer d'un poids lourd. Sûrement la trouille que me fichaient les démons qui me provoquait cette réaction.

Une pensée m'ébranla soudain. Qu'avait-il bien pu faire pour être banni du Paradis? Qu'avaient-ils tous fait? Cela rentrait probablement dans la catégorie « sujets à éviter ». Seulement, toute cette histoire était d'une complexité agaçante. À en suivre le raisonnement, tous les anges et démons de l'Académie Rose étaient tous morts, s'étaient payé une virée au Paradis après l'étape purgatoire, - ou pas -, puis s'étaient fait jeter sur Terre comme on se fait exclure de cours lorsqu'on perturbe. Légèrement glauque, mais intriguant. Il y avait un torrent de questions dans ma tête, mais j'avais la sensation de n'avoir obtenu en guise de réponse qu'une misérable goutte d'eau.

— Sans vouloir te vexer, j'ai vraiment du mal à t'imaginer sur les nuages avec une auréole au-dessus de la tête, des ailes blanches, une harpe.

— Les anges n'ont pas d'auréoles, Alice, dit-il en souriant. Et pour la harpe, sans commentaires. (Il rit d'un rire sans joie.) Enfin... De toute façon, tu peux t'épargner de t'imaginer quoi que ce soit, puisque je n'ai plus accès au paradis.

Son expression s'assombrit en même temps que ses yeux, dont la lueur étincelante semblait s'affaiblir sous le poids de douloureux souvenirs. Son silence en disait long, et à la fois pas assez. Plus je le regardais, plus faire taire ma trop grande curiosité me semblait difficile. Je voulais lui demander depuis quand il avait chuté sur Terre. La chute était-elle si...douloureuse? Que devait-il faire exactement pour accéder à nouveau au Paradis? Mais quelque chose me disait qu'il ne valait mieux pas s'aventurer par là.

— Pour l'instant, reprit-il, étrangement revenu à son humeur initiale.

Ne sachant que répondre face à ce changement d'attitude brusque, je baissai les yeux sur son plateau composé d'un simple verre de jus d'orange pressé et d'un donut au sucre. Il n'y avait pas touché depuis le début. Je consultai ensuite mon téléphone. Un peu moins de vingt minutes s'étaient écoulées depuis mon entrée dans la cafétéria. Le temps passait trop vite. J'aurais aimé rester discuter un peu plus avec Monsieur l'Ange Gris (Super Craquant), seulement mon premier cours débutait dans environ dix minutes. En reconsidérant mon manque d'énergie flagrant, je me dis que la journée s'annonçait mal. Très mal.

— Désolée, mais il faut que j'y aille, déclarai-je en me levant d'un bond. Premier cours de biologie.( Je saisis mon sac laissé au pied de ma chaise, puis mon plateau.) Souhaite-moi bonne chance.

— Bonne chance.

Il me gratifia d'un grand sourire, que je lui rendis aussitôt. J'avais bien besoin d'un peu de positivité pour la matinée, et lui n'envoyait justement que des ondes positives dans l'air. À contrecœur, j'entrepris de m'en aller, mais sa main retint fermement mon bras, m'obligeant à m'arrêter. Je lui lançai un regard interrogateur, tout en tâchant d'ignorer les sensations étranges que me procurèrent ce simple contact.

— Juste un conseil, Alice : méfie-toi de Peter et de sa bande. Ce ne sont pas des personnes fréquentables.

Je fronçai les sourcils. Il n'était pas au courant de ce qui s'était passé hier...si? De qui je me moquais au juste? Tout le monde était au courant, raison pour laquelle on me regardait de cette manière. Je savais à quoi m'en tenir avec les pseudos gothiques. Cependant, le conseil de Nate laissait suggérer que ces démons faisaient bien pire que blesser des nouveaux élèves à l'aide d'un joujou diabolique.

— Hum. C'est noté.

Je fis volte-face dans la seconde qui suivit et je traversai la salle telle une tornade, esquivant les regards des élèves comme de simples flèches en plastiques lancées en ma direction. L'heure était venue pour moi de réellement intégrer l'Académie Rose.

Le couloir se vidait progressivement. Plusieurs groupes d'élèves empruntaient déjà l'escalier du fond, se dirigeant à coup sûr vers les salles de classe, toutes situées au premier étage. Je suivis donc la masse, en traînant des pieds. Mes jambes, en coton, peinaient à porter mon poids et mes paupières se refermaient d'elle-même, m'abandonnant à une affreuse sensation de vertige. J'étais, pour ainsi dire, un zombie à l'état pur. Mais, sans compter l'incident d'hier, cela n'expliquait pas pourquoi j'étais encore la cible de tous les regards. Évidemment, j'étais la petite nouvelle, et ce statut allait me coller à la peau quelques semaines encore. Vu le nombre de déménagements que nous avions effectué ma famille et moi, j'avais l'habitude de l'être.

Je gravis lentement chacune des marches, dépourvue à la fois d'énergie et de motivation. En levant les yeux, je fus éblouie par la lueur pourtant faible d'une applique murale. Je détournai le regard vers la grande fenêtre, derrière laquelle la nuit régnait toujours, sombre et menaçante. N'ayant justement pas correctement terminé la mienne, je baillai à m'en décrocher la mâchoire. La fatigue m'accablait tant que monter le deuxième escalier relevait de la torture.

Une appétissante odeur de chocolat interrompit le fil de mes pensées. En cherchant la provenance, je humai l'air à pleins poumons, quand quelqu'un surgit brusquement de derrière mon dos, me bousculant quelque peu par la même occasion. Je reconnus immédiatement le garçon. C'était Cameron, un des démons de la bande d'Anna. Il me lança un regard par-dessus l'épaule, accompagné d'un sourire espiègle et provocateur, tout en croquant un bout de sa tablette de chocolat. Puis, telle une ombre, il disparut à travers les groupes d'élèves. Je laissai s'échapper un profond soupir traduisant mon exaspération. Ma mauvaise humeur venait de se confirmer, voire de tomber au plus bas point possible.

Le couloir qui se présentait à moi différait totalement de ceux du rez-de-chaussée. Bien que principalement éclairé par des appliques murales, le papier peint imitant des briques grises et les reflets métalliques du sol conféraient un aspect sombre à l'endroit. Je dépassai une porte en bois noir, dont la plaque en argent affichait salle 106. Logiquement, la salle 101 ne devait pas se trouver loin, seulement, en m'engouffrant dans le couloir de gauche, je tombai sur la salle 120. Peut-être aurais-je dû opter pour celui de droite. Je n'avais pas vraiment de repères. Priant pour ne pas me perdre avant le début du cours, j'entrepris de faire demi-tour, mais me heurtai à quelqu'un presque aussitôt. Je reculai lentement, avant de lâcher un petit hoquet de surprise à l'instant précis où je relevai la tête.

Je fermai les yeux, espérant que ce n'était que le fruit de mon imagination. Lorsque je les rouvris, un certain blondinet de petite taille au regard inexpressif me dévisageait toujours.

— Désolée, marmonnai-je en entreprenant de le dépasser.

Il emprisonna d'une main ferme mon poignet. J'essayai aussitôt de m'en dégager, mais il n'y avait rien à faire. La force avec laquelle il me bloquait était tout simplement surhumaine. Je me crispai. Sous ses quelques mèches blondes retombant de manière à la fois désordonnée et uniforme sur son front, il m'observait de ses yeux perçants du même regard intense que celui d'un félin guettant sa proie. C'en était presque intimidant. D'autant plus que, après un coup d'œil autour de moi, je remarquai que quelques élèves s'étaient arrêtés pour nous observer. Certains nous pointaient du doigt, d'autres parlaient à voix basse, et d'autres encore, des filles, principalement, lâchaient des petits hoquets de surprise. En bref, toute l'attention était portée sur nous. Tout le monde semblait prêt à voir la petite nouvelle se faire prendre une correction de la part d'un démon qu'elle avait ouvertement provoqué.

J'ignorai le nœud qui s'était formé dans mon estomac, décidant finalement de ne pas me laisser intimider. À moins que les règles n'autorisent un élève de quelconque nature à en blesser un autre, - ce qui n'était pas le cas - il n'allait rien me faire, surtout sachant que les bureaux du proviseur et de la proviseure adjointe se situaient à l'étage d'en dessous. Du moins, j'osai l'espérer. Sa copine Anna ne s'était pas gênée, elle.

— Qu'est-ce que tu veux? demandai-je d'un ton faussement assuré.

Il espaça de quelques secondes ma question de sa réponse, sans pour autant afficher une quelconque expression, manifestement trop occupé à déguster sa tablette de chocolat. Une étrange petite insigne accroché à son t-shirt gris retint mon regard durant une milliseconde, puis je tentai à nouveau de me libérer de son emprise, en vain.

— Lâche-moi, lui ordonnai-je.

— J'ai pour ordre de te guider jusqu'à ta première salle de classe, déclara-t-il d'un air ennuyé. Tu serais d'ailleurs mignonne de me suivre, j'ai autre chose à faire. ( Il relâcha mon poignet, et commença à s'avancer, ne s'inquiétant nullement de si je suivais ou non.) Laboratoire, salle 101. C'est par là.

Après un moment d'hésitation, je le suivis, veillant à laisser de la distance entre nous deux. Mes paumes étaient moites et j'avais l'impression que mon cœur allait sortir de ma poitrine tant il y tambourinait. Ce garçon dépassait les limites du bizarre. Lui et sa bande dégageaient une telle aura si mystérieuse...et sombre. Totalement sombre.

Cameron, - dont je cherchais à trouver un surnom qui collait avec l'attitude détachée - marchait à environ un mètre d'écart de moi. Nous dépassâmes une salle à double-porte dont la plaque indiquant salle d'entraînement D-P/A-D attira mon attention. Le A et le D signifiait sans aucun doute Ange et Démon. Mon emploi du temps indiquait D-P/Néphilim, salle d'entraînement. Ce n'était donc pas là que je me retrouverais après la première pause, mais à la salle se situant au rez-de-chaussée, près du gymnase. Cette matière m'intriguait de plus en plus, mais mes priorités étaient autres pour l'instant.

Arrivés devant la salle, je remarquai que la porte était laissée entrouverte. Je n'étais pas en retard, puisque quelques élèves rentraient encore. Ignorant le regard appuyé du démon, je fis un pas en avant, puis en autre, avant de m'immobiliser. Le stress commençait à monter. Comme à chaque rentrée, bien que je m'appliquais toujours à ne pas le montrer. Je vidai mon esprit de tout encombre, fermai les yeux, inspirai profondément, puis expirai, plusieurs fois.

— Qu'attends-tu, Alice? souffla Cameron à mon oreille.

Je sursautai, et me retournai aussitôt, pensant lui faire face, seulement, il avait disparu comme une simple feuille solitaire emportée par une brise d'automne.

**

— Je m'appelle Alice Greenstone, et j'ai quinze ans. Je suis née en Louisiane, du moins officiellement, mais ma famille adoptive et moi avons vécu dans un grand nombre de villes de différents états du pays avant d'atterrir ici, à Sherbrooke. ( Je fis craquer les jointures de mes doigts. ) Mon père est neurologue, et ma mère, agente immobilière. Ma sœur, du même âge, se situe dans un autre établissement parce qu'elle n'est pas un mon...( Je me donnai une pince mentale. ) Hum. Parce que je suis la seule à être Néphilim.

Ma dernière phrase s'égara dans le silence. Je dus lutter pour réussir à repousser l'idée tentante de m'enfuir à toute vitesse dans l'espoir d'échapper à tous ces regards. À cet instant, et depuis que j'avais pénétré le bâtiment scolaire, j'avais vraiment l'impression d'être une bête de foire.

Le professeur de biologie, un homme à court au crâne partiellement dégarni et au regard sévère me fixait lui aussi, semblant attendre plus de détails. Quel dommage pour sa curiosité flagrante, il n'y avait rien à dire. Rien qui ne les concerne réellement, du moins.

— Quel est ton don? demanda-t-il en se frottant le menton.

Je réprimai avec grande difficulté un roulement de yeux. Un nouveau moyen de m'agacer : qualifier mon problème de don. Qu'étais-je censée faire? M'agenouiller et remercier le bon dieu, ou je ne savais qui exactement d'avoir fait de moi une folle furieuse aux envies meurtrières? Conneries. Personne ne semblait comprendre quel fardeau cela avait représenté pour moi au cours de ces neufs, - presque dix - dernières années.

— Force surhumaine, répondis-je après courte réflexion.

Il hocha lentement la tête en guise d'approbation, puis se leva laborieusement de son tabouret. Je devinai en le détaillant du regard qu'il était le genre de prof dont l'attitude avait des effets gravement soporifiques sur les élèves. Peut-être était-il également distributeur d'heures de colle, comme mon ancienne prof de biologie, Mme Smith.

— Très intéressant. Hé bien, hé bien, Mlle Greenstone, bienvenue à l'Académie Rose. ( Il pivota vers la droite, saisit une craie et griffonna son nom dans un coin du tableau. ) Je suis M. Walden-Fitz.

Je forçai un sourire, tout en frissonant à cause du sien. Il avait l'air d'un de ces affreux clowns qui m'apparaissaient en cauchemar étant petite.

— Nous tâcherons de vous faire rattraper les cours précédents très prochainement, poursuivit-il. En attendant, nous débutons un nouveau chapitre. Veuillez prendre place près de M. Parker, dernière paillasse à gauche.

Mes jambes s'activèrent aussitôt. À mi-chemin du petit couloir qui séparait les deux rangées de paillasses, j'interceptai le regard débordant de mépris d'une fille dont les belles ondulations aux reflets cuivrés s'alliaient parfaitement avec le teint caramel doux. Je plissai légèrement les yeux, mais n'en fis pas davantage cette fois-ci, du genre un doigt d'honneur. Autant ne pas agrandir ma liste d'ennemis potentiels, ou confirmés.

La surprise me gagna une fois arrivée à la dernière paillasse, située près de la grande fenêtre. « M. Parker » n'était autre que le garçon aux cheveux bruns de la cafétéria. Le hasard, pour ne pas parler de destin, n'était décidément qu'une vaste blague. Et comme pour confirmer l'idée, ses deux amis étaient également là, assis juste devant. À moitié retournés, ils lançaient des coups d'œil étranges à mon nouveau voisin, le tout accompagné de petits sourires en coin qui en disaient long. En mémoire de son petit commentaire qui ne m'était pas passé inaperçu, sans doute.

— Salut, lançai-je en m'installant.

— Salut.

Et le cours débuta. Dix minutes à peine devaient être passées, et déjà, le sommeil menaçait sérieusement de l'emporter sur moi. C'était une lutte perdue d'avance. Paupières lourdes et bâillements répétitifs ; aucune chance que j'arrive à me focaliser sur le charabia que débitait le prof en guise d'introduction du chapitre. Je tentai donc de reporter mon attention sur quelque chose de plus captivant, tel que le ciel s'éclaircissant vers le bleu clair à l'approche du jour, mais ce ne fut pas d'une grande utilité. Je ramenai donc mon regard au tableau.« Structure cellulaire » y était inscrit en lettres capitales. Voilà qui semblait prometteur. Surtout sachant que nous avions déjà entamé ce chapitre dans mon lycée précédent, ( et que j'avais été tout sauf attentive ) début octobre.Ce ne fut donc pas une surprise pour moi lorsque le prof ordonna de s'approprier un microscope optique pour deux, afin d'observer la structure d'une cellule végétale et de réaliser un schéma à partir de cette même observation. Je décidai, afin de me réveiller un peu, de prendre les devants, et mon voisin dont le regard se faisait de plus en plus appuyé ne s'en plaignit pas. À croire que quelque chose chez moi, négatif ou positif, attirait les regards.

— Sinon...tu as un prénom, M. Parker? demandai-je en tentant de régler le microscope, manifestement en mauvais état.

Quelques secondes se perdirent avant que j'obtienne une réponse.

— Lucas.

— Lucas, répétai-je. Tu veux bien régler ce machin? Je n'ai jamais vraiment été doué en manip'.

Je voulus décaler l'engin vers lui, mais ce dernier glissa tout seul, comme poussé par une main invisible, avant d'atterrir dans ses mains. Tandis que mon visage se teintait de stupéfaction, et que je restai bouche-bée, un mince sourire étira ses lèvres.

— Je ne te conseille pas de faire ça, si tu ne veux pas t'attirer d'ennuis.

— Faire quoi? l'interrogeai-je, les yeux toujours écarquillés.

— Utiliser d'une quelconque manière ta capacité durant un cours « normal », détailla-t-il en me fixant de ses grands yeux émeraude. Je suppose que tu n'as pas eu le temps de parcourir tout le règlement de l'Académie, mais quand tu le feras, tu découvriras que c'est interdit.

Un sourire narquois s'afficha sur ses lèvres, et il ajouta :

— En théorie.

Je fronçai légèrement les sourcils, pas sûre d'avoir bien compris ce qu'il venait de se passer. Ce gars venait-il vraiment de...

Je secouai la tête, me rappelant qu'ici, c'était normal. Ce sont tous des Néphilim.

J'aurais tout de même besoin de temps avant de digérer le fait que mes camarades de classe et autres élèves du lycée étaient capables de choses extraordinaires. Comme moi, d'ailleurs.

— Et c'était quoi ça? T'es genre une sorte d'aimant à microscope? demandai-je, le plus sérieusement du monde.

Il laissa s'échapper un petit rire. Bordel! Pourquoi personne ne rajoutait « et en beaux gosses » derrière la partie « spécialisée en sport et en art » de l'Académie? Car ce gars-là était carrément craquant, avec ses cheveux couleur chocolat au lait et son visage s'illuminant par l'éclat de ses yeux verts. À la fois sombre et éblouissant, il avait un air un peu espiègle et un tantinet provocateur, mais aussi inexplicablement doux, apaisant. Le juste-milieu. Était-ce que représentait les Néphilim, par rapport aux anges et aux démons? Je n'en savais trop rien. Il fallait surtout que j'arrête de coller une image pré-faite à un garçon dont je ne connaissais que le nom. Lucas secoua lentement la tête, tout en saisissant délicatement une lamelle en verre dans le bac rouge posé devant nous.

— La télékinésie. Rien de très spécial en somme.

— Alors là, je ne suis pas d'accord !

La fille de devant s'était retournée, et me fixait de ses grands yeux bleus soulignés par quelques taches de rousseur. L'autre ami de Lucas se retourna également, mettant ainsi une pause à leur travail. Heureusement, le prof semblait trop occupé à écouter geindre la fille à la peau couleur caramel quelques paillasses plus loin pour nous voir discuter.

— Lucas n'est pas du genre modeste d'habitude, poursuivit-elle en jouant avec une mèche de ses cheveux. Il fait semblant pour impressionner les filles. (Elle lui adressa un clin d'œil, mais n'obtint en retour qu'un regard noir de sa part.) Et si, c'est très spécial, puisque monsieur peut déplacer une voiture par la simple force de la volonté, ou... faire léviter un poisson rouge hors de son bocal, par exemple.

— Paix à ton âme, Bubble, murmura le blond d'un air attristé.

Je ne pus m'empêcher de sourire, et de demander:

— T'as tué un poisson rouge?

— C'était un accident! rétorqua-t-il, tel un enfant tentant de s'innocenter d'une bêtise.

La brune me chuchota de manière volontairement indiscrète :

— Ne l'écoute pas, il est dangereux.

J'éclatai d'un rire vrai en apercevant l'expression de Lucas, ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Soudain, la réalité me foudroya brusquement, laissant un goût amer dans ma bouche afin de me rappeler ce que j'avais convenu.

Pas d'amitiés, pas d'amour.

J'avais bien conscience que ce n'était pas un petit moment de rigolade comme celui-ci qui allait faire de ces trois personnes et moi les meilleurs amis du monde, mais cela commençait toujours de cette manière. Une petite discussion drôle, puis une autre, et au fur et à mesure, on s'attache l'un à l'autre. Sauf que dans mon cas, je brisai toujours le lien en manquant de tuer ami ou petit-ami à la moindre dispute. Pas sûr que ça soit quelque chose de commun chez les Néphilim. Il valait mieux faire gaffe à ne pas s'attacher à cette fille à l'air pourtant si sympathique, et les deux autres. C'était comme commencer à courir, et accélérer en sachant pertinemment que l'on se dirigeait tout droit vers une falaise.

— Qui est dangereux?

La voix grave - carrément flippante, je devais l'admettre - de M. Walden-Fitz me ramena à une réalité encore plus brusque que la précédente. Les regards étaient rivés sur nous, et plus particulièrement moi. Manifestement, notre petit bavardage n'était pas passé inaperçu, et les autres semblaient déjà avoir terminé l'observation, et attaqué les schémas. La fille aux taches de rousseur, dont je ne connaissais toujours pas le nom, me devança.

— Lucas, monsieur. (Je tournai la tête jute à temps pour le voir lui faire les gros yeux.) Il prétend que la fameuse théorie cellulaire de Schwann et Schleiden, dans sa forme actuelle, n'est pas toujours utilisable et ne prend pas en compte l'évolution, et ce, sans fondements ni justifications. Ce qui est, et sur ce sujet, nous débattions, une affirmation plutôt dangereuse de sa part, car vous le savez bien, cette dernière s'est modifiée en même temps que de nouvelles découvertes scientifiques sont apparues. Et n'est-ce pas vous-même qui déclarez que nul biologiste, scientifique ou physicien ne peut se permettre d'affirmer sans démontrer, sans passer par l'hypothèse?

On entendait plus que les mouches voler. Je restai littéralement bouche-bée, comme pratiquement tout le monde dans la salle. Premièrement, à cause du charabia que représentaient ces paroles pour moi, tandis qu'elle semblait plutôt à l'aise, et deuxièmement, parce que niveau improvisation de mensonge, elle assurait carrément! Il ne restait plus qu'à voir le verdict du prof, qui se frottait le menton d'un air sceptique.

— Hé bien, hé bien, je suis ravi de voir que vous vous intéressez enfin à une science instructive qu'est la biologie cellulaire plutôt qu'à l'art de faire la sieste en cours, ou de perturber ce dernier, M. Parker. Et puisque vous semblez d'humeur à débattre, je serais ravie de lire le petit dossier sur le sujet que vous déposerez bien aimablement sur mon bureau la semaine prochaine, sans faute.

— Quoi?! s'anima Lucas. Mais...

— Quelque chose à ajouter, Parker?

M. Walden-Fitz le fusilla du regard. Il se rembrunit, et secoua la tête d'un air exaspéré tandis que son amie laissait échapper un petit rire résonnant par le silence des autres. Quant à moi, j'hallucinais toujours sur place.

— Et vous, Mlle Fray, continua le professeur d'un ton calme, en pointant du doigt la véritable coupable de l'histoire. Vous lui serez de grande aide dans la réalisation de ce dossier. C'est pourquoi j'ose espérer que vos deux noms seront indiqués sur la copie. ( Elle écarquilla les yeux, se rendant compte de ce que cela signifiait. ) Je vous souhaite une bonne collaboration. En attendant, vous avez un schéma à construire. ( Il se remit en route vers son bureau. ) Au boulot.

Une fois le professeur éloigné, Lucas se moqua :

— Le karma, on dirait?

— La ferme, lâcha-t-elle, sourcils froncés, tandis que le blond, dont les yeux marron pétillaient intensément, riait en cachette. Je n'en reviens pas. Et moi qui tentais de nous éviter une heure de colle, ça s'est carrément pire.

— Ouais, tu viens surtout de nous coller un dossier sur la théorie de je-ne-sais-quoi à faire! De toute façon, vu que tu es responsable, c'est toi qui t'en occuperas de cette merde, pauvre gamine parfaitement inutile.

— Rêve toujours, espèce de loser, répliqua-t-elle en levant les yeux au ciel. ( Elle s'adressa à moi. ) Bref, je devrais peut-être me présenter. Je suis Alexia Fray. Mais on m'appelle Lexie.

— Et moi, c'est Trevis Daniels, dit le blond.

— Noté, déclarai-je en souriant.

Lexie, après un bref coup d'œil à travers son microscope, me demanda :

— Alors? Comment tu as su que tu n'étais pas comme les autres?

En manquant de les tuer une fois mes yeux devenus rouges sang.

— Je ne le savais pas vraiment jusqu'à hier, même si mon... don s'est manifesté à plusieurs reprises. Mlle Pealsburry m'a tout expliqué, et j'ai fini par comprendre de quel type de personnes je suis entourée, et quel type de personne je suis moi-même.

Aucun d'entre eux ne réagit, comme si le fait que je ne sache rien de ma nature, et de l'existence de tous ces êtres surnaturels en entrant dans l'académie leur paraissait normal. Mes parents, eux, n'en savaient toujours rien, ce qui me paraissait tout à fait étrange. J'avais plus foi en le hasard plutôt que le destin, mais comment auraient-ils pu simplement «tomber» sur l'Académie Rose. D'après Mlle Pealsburry, ils s'étaient contentés de mentionner mon problème dans le dossier d'inscription, ce qui avait permis au proviseur de comprendre que j'étais une Néphilim, et de m'accepter immédiatement. Était-ce la chance? Le hasard? Le destin?

— Évidemment, j'ai toujours du mal à digérer le fait que je côtoie des anges gris et des démons. J'ai carrément pété un câble, hier.

Je me souvins de la séquence crise de larmes, et eut soudainement honte. Je détestais pleurer comme un petit bébé étant incapable d'encaisser quoi que ce soit. Heureusement, personne n'était là pour me voir.

— C'est compréhensible, assura Lucas, le menton posé au creux de la main.

— Oh arrête, toi, tu en savais déjà pas mal avant d'entrer dans l'Académie, dit Lexie en pointant un doigt accusateur vers lui. Et...

— Votre schéma est-il terminé Mlle Fray?

Lexie se figea, puis se retourna lentement vers M. Walden-Fitz, qui l'observait depuis son bureau. Il affichait une expression terrifiante, si bien que Trevis, à côté d'elle, se fit tout petit. Lançant des éclairs du regard, il plissa les yeux, attendant manifestement une réponse de la part de la concernée.

— Ma légende n'est pas tout à fait correcte, monsieur, marmonna-t-elle.

— Ce qui n'est pas tout à fait correct, c'est votre bavardage incessant, rétorqua-t-il. Je vous ai déjà collé un avertissement, Mlle Fray. Malgré votre note avantageuse au premier test de fin de chapitre, si vous continuez à vous distraire pendant mon cours, je serai dans l'obligation de m'adresser à vos parents.

— Non! s'exclama-t-elle.

Un silence se fit dans la classe. Je ne voyais pas son expression de derrière, mais dans sa voix, j'aurais juré avoir senti de la crainte. Lucas, lâcha un profond soupir, puis intervint :

— Vous faites erreur monsieur, c'est moi qui l'embêtais avec mes questions inutiles.

Lexie se tourna aussitôt vers lui, en faisant non de la tête. Ils échangèrent un long regard que je ne pus déchiffrer, tandis que le prof considérait Lucas d'un air agacé.

— Toujours vous, Parker. Je serais clément cette fois-ci, étant donner que vous avez déjà un dossier à rendre, mais je n'accepterais désormais plus votre comportement gênant et immature.

Contre toute attente, les lèvres de Lucas s'étirèrent simplement d'un grand sourire provocateur.

**

Lorsque la sonnerie retentit, j'eus l'impression d'émerger d'un mauvais rêve. Le cours s'était terminé en un éclair, si bien que je n'étais pas sûre de me souvenir de tout ce qu'avait dit le prof après que nous ayons terminé nos schémas. Observer les grosses gouttes de pluie glisser sur la vitre, et me laisser bercer par le son apaisant de cette dernière m'avait épargné d'entendre l'ennuyante voix de M. Walden-Fitz. Je rangeai mon calepin et ma trousse dans mon sac, me félicitant mentalement d'être resté éveillée malgré tout, car cela relevait de l'exploit.

— « Je serais dans l'obligation de m'adresser à votre mère » imita Lexie à peine sortie de la salle. Il me soûle se prof. Il est surtout dans l'obligation de trouver un produit pour faire repousser ces cheveux, car la situation est grave. ( Elle leva les yeux au ciel. ) Et dire qu'il n'a même pas la quarantaine.

— Arrête de pester contre tout le monde Lexie, dit Trevis avec un petit sourire amusé. Tu ne fais que ça ces derniers temps.

— Ce n'est pas ma faute si tout le monde m'énerve, marmonna-t-elle. En fait, merci Lucas, pour tout à l'heure. Ma mère m'aurait tuée.

Rien qu'à voir la réaction qu'elle avait eue en classe, je devinai que sa mère était du genre hyper sévère en ce qui concernait son comportement.

— Pour me dédommager, je propose que tu fasses le dossier toute seule. De toute façon, je ne sais même pas ce que c'est la théorie de truc et bidule.

— Tu déconnes? J'en ferai 60 %, pas plus.

— Vendu, déclara-t-il en haussant les épaules. ( Il s'adressa à Lexie et Trevis.) Vous n'êtes pas censés y aller vous? Je vous rappelle qu'on n'est pas dans le même cours tous les trois. D'ailleurs, Alice, tu as qui comme prof? Montgomery ou Coleman?

Je consultai mon emploi du temps.

— Coleman. Salle 117.

— On est ensemble alors. ( Il esquissa un étrange sourire. ) On devrait y aller. Mme Coleman est du genre chieuse quand elle s'y met, surtout quand on est en retard.

— Tu viens, Lexie? Appela Trevis, qui s'était déjà éloigné de nous

— Et c'est parti pour une heure de torture avec notre cher Mr Montgomery, fit-elle avec une moue boudeuse sur ses lèvres saumon. Bon, je vous laisse.

Alors qu'elle s'apprêtait à rejoindre Trevis, elle s'arrêta brusquement et se tourna vers moi, un sourire taquin sur le coin des lèvres.

— Au fait, joli le doigt d'honneur dans la cafét.

Et elle s'élança à nouveau vers Trevis, en riant.

**

— Un peu d'attention, je vous prie! s'exclama Mme Coleman.

Le problème, c'était que personne ne lui prêtait aucune attention. Entre ceux qui bavardaient, ceux qui terminaient leur nuit sur la table, et ceux, ou plutôt celui qui venait de traverser le mur afin de s'éclipser du cours, Mme Coleman avait de quoi péter un plomb. Elle donnait l'impression de faire partie du décor, d'être un simple fantôme. Même si j'avais pitié pour elle, il fallait avouer que son cour était vraiment barbant. J'en étais même réduite à faire un morpion avec Lucas, que je battais sept à zéro.

— Et tac, j'ai encore gagné ! annonçai-je fièrement en griffonnant une croix sur son cahier.

Il afficha une mine boudeuse.

— C'est quoi ta technique ? demanda-t-il, vaincu.

— Je n'en ai pas. Je gagne, c'est tout.

— Huit à zéro, souligna-t-il. Joli.

Je haussai les épaules. Ce simple jeu m'avait permis de ne pas m'affaler sur ma table, et m'endormir comme la moitié de la classe. Je payerais cher pour une éternité de sommeil.

— Au fait, comme l'a dit Lexie, continua-t-il, joli le doigt d'honneur.

— Ouais... je suppose.

Étrange... Ils me félicitaient tous les deux? C'était plutôt contradictoire avec la réaction des autres. Après courte réflexion, je ne pus m'empêcher de demander :

— C'est quoi, l'Élite au juste?

Il me dévisagea longuement, puis haussa à son tour les épaules.

— Je dirais qu'ils sont en quelque sorte les gardiens de l'Académie. Ils la protègent, mais ça ne se résume pas simplement à ça. Tu devrais soit regarder le règlement, soit demander à Lexie. Comme c'est une pipelette, elle te le résumera facilement.

J'acquiesçai, plus intriguée que je ne pensais l'être. La protéger de quoi? Nate m'aurait donc dit de me méfier des gardiens de l'Académie? En soit, cela n'avait pas vraiment de sens. Et puis, après ce que m'avait fait subir Anna... Je doutais sincèrement que les gardiens aient pour mission de blesser les élèves. Je me demandais d'ailleurs si une quelconque sanction lui avait été donnée. Mlle Pealsburry ne semblait pas plaisanter, lorsqu'elle avait affirmé qu'elle s'occuperait de son cas.

Le cours suivant se déroula presque aussi vite que les deux premiers, tous aussi banals les uns que les autres, si on oubliait les quelques élèves de la catégorie semeurs de trouble. Tout comme Mme Coleman et M. Walden-Fitz, le professeur de société normale était un Néphilim. Lexie, qui nous avait rejoints avec le reste de la classe étant donné que le cours comprenait la classe entière cette fois-ci, m'avait expliqué que ce ne serait pas le cas pour celui de société surnaturelle de la semaine prochaine, la professeure étant un démon. Voilà qui promettait. Je mourrais cependant d'envie de découvrir ce cours, qui, m'avait-elle dit, traitait sur la façon dont s'organisaient les lois, les règles du côté surnaturel, les hiérarchies chez les anges comme chez les démons, etc. Un peu comme de l'éducation civique version surnaturel, pour reprendre ses termes exacts. Concernant le cours d'histoire surnaturelle se déroulant une semaine sur deux le mercredi, c'était comme son nom l'indiquait, un simple cours d'histoire... incluant en personnage clé des démons, des anges et des Néphilim. Une bonne manière pour moi de répondre à toutes les questions qui me traversaient l'esprit, de comprendre. Surtout de comprendre.

Il ne restait plus que la mystérieuse matière D-P/Néphilim. Lexie et les autres avaient décidé de me laisser la surprise, clamant que c'était beaucoup plus excitant, d'autant plus que c'était leur matière préférée. Il ne me restait plus qu'à découvrir par moi-même, et c'était exactement ce que j'étais sur le point de faire. La pause durant laquelle j'avais seulement eu le temps de passer au casier et d'aller aux toilettes étant terminée, je pénétrai dans les vestiaires des filles. Une chose était donc sûre, cette matière était physique, puisqu'elle requérait une tenue spéciale. Était-ce des sortes d'épreuves pour Néphilim, des tests physiques afin d'évaluer nos niveaux? Je redoutais le pire.

Lexie me fit signe de la rejoindre. Elle n'était pas encore changée, tout comme le reste des filles, qui papotait sur je ne sais quel scoop. Je me frayais laborieusement un passage à travers les filles. Le vestiaire était grand, mais elles s'étaient toutes regroupées à un même endroit, allez savoir pourquoi. Je bousculai sans faire exprès la jolie fille à la peau couleur caramel, dont j'ignorais toujours le nom. Celle-ci se retourna, et me lança des éclairs du regard.

— Alors, on ne s'excuse pas la nouvelle? cracha-t-elle.

Trois autres filles, dont une aux cheveux blond platine et au teint très pâle, une asiatique et une rousse de petite taille se rassemblèrent autour d'elle, bras croisés. Je manquai d'éclater de rire, tant elles avaient l'air de chien de garde. Si elles pensaient m'intimider, c'était raté.

— Je m'appelle Alice. Pas « la nouvelle ».

Elle lâcha un rire sardonique.

— Ouais, je sais, Alice Greenstone, blondinette au joli minois qui se croit tout permis dès son arrivée.

— Je vois qu'on parle de moi, répondis-je d'un ton complètement désintéressé.

— Un peu qu'on parle de toi, siffla-t-elle. Tu débarques, comme ça, et déjà, tu insultes les membres de l'Élite. Tu te rends compte d'à quel point t'es misérable? Parce que tu l'es. Et comme si ça ne suffisait pas, tu te permets de t'approprier Nate, comme s'il y avait la moindre chance qu'il s'intéresse à toi.

Sérieusement? C'était effarant. Alors c'était à propos de ça? Cette manière qu'elle avait de me regarder dès mon arrivée en biologie...tout cela parce qu'elle m'avait vu assise à une table avec Nate. J'eus envie de lui coller une claque tant elle était pathétique. Je n'en fis cependant rien, et évitai la provocation.

— Je ne cherche pas à ce qu'on s'intéresse à moi. Maintenant si tu veux bien me laisser passer?

Elle voulut ouvrir de nouveau la bouche, mais je ne lui laissai pas le temps, et regagnai la place près de Lexie. Celle-ci me lança un regard compatissant.

— T'inquiète pas, en même pas deux mois et demi de cours, on y est toutes passées. C'est Kate. Sa tête est tellement gonflée qu'on pourrait en faire un airbag. Elle se prend pour la reine de l'Académie, et est une des groupies de l'Élite. ( En voyant mon regard interrogateur, elle me devança.) Je t'expliquerai après. On ferait mieux de se dépêcher, le cours va commencer. Les profs n'acceptent aucun retard.

Murs gris, sol gris lisse jonché de tapis, et gradins surélevés à quelques mètres du sol formaient le paysage de la salle d'entraînement. Je frissonnai en sentant le froid caresser mon visage. Heureusement, la combinaison fournie, noir et gris, tenait chaud au reste de mon corps. Nous étions tous habillés de la même manière, garçons comme filles, ayant des allures d'armée du futur. Je ne savais toujours pas en quoi consistait la matière, mais en voyant certains s'entraîner dans le petit espace où étaient disposés du matériel digne d'une vraie salle de sport, d'autres s'étirer ou faire des pompes, je ne pressentis rien de bon.

— Je ne sais pas ce qu'on va faire aujourd'hui, mais tu verras qu'en général, c'est plutôt cool, dit Lucas. Par contre, il y a des risques de sortir avec quelques bleus.

Génial. Je fis craquer les jointures de mes doigts. En plus d'un stress causé par l'atmosphère de préparation à la guerre qui régnait dans l'endroit, les bottes que je portais étaient totalement inconfortables, et ma queue-de-cheval trop serrée. Pour couronner le tout, Kate, qui était appuyée contre un mur, entourée de ses chiens de garde, me lança non pas un regard assassin, mais un sourire à en faire trembler les os.

Trois adultes, deux femmes et un homme, débarquèrent, et presque aussitôt, tout le monde s'aligna en face d'eux.

— Bonjour mes chers élèves Néphilim, lança la première femme, aux longs cheveux blonds en accompagnant ses paroles d'un geste inutilement théâtral.

— Bonjour Mme Williams, répondit la classe en cœur.

— Elle, c'est un démon, me chuchota Lexie. Ouais, je sais, elle n'en a pas l'air avec son visage d'ange, mais ne te méprends pas. L'ange gris, c'est la femme d'à côté. Et l'homme, c'est un Néphilim.

Je lançai un regard à « la femme d'à côté ». Elle avait une coupe garçonne, des yeux bleu-vert séduisants et des pommettes saillantes. Entièrement vêtue et maquillée de noir, son regard donnait l'impression de chercher qui ajouter à sa liste de meurtres prochains. Les apparences étaient vraiment trompeuses, et c'en était carrément flippant.

L'autre femme défilait d'une démarche souple et gracieuse, faisant claquer ses talons sur la partie du sol n'étant pas recouverte de tapis.

— La semaine dernière, nous avons approfondi les techniques de défenses sans utilisation de don, nous passons donc à la Pratique en combat, en vue du test prochain. ( Elle s'approcha lentement de moi, tel un serpent.) Mais pour commencer, il semblerait que nous ayons une nouvelle élève.

Je retins mon souffle, tandis qu'elle me scrutait de ses grands yeux sombres.

— Alice Greenstone, je me trompe? fit-elle d'une voix mélodieuse.

Sans détourner mes yeux des siens, je bredouillai :

— Oui, c'est moi.

Elle me fixa ainsi quelque secondes, avant de s'écarter, et de retourner à sa place initiale. Je repris mon souffle, ayant presque oublier qu'il fallait respirer. Cette femme était carrément flippante. Et bien évidemment, c'était un démon.

— Je me dois donc de vous apprendre, ma chère, le but de la Défense-Pratique pour Néphilim. Vous devez savoir, ou du moins vous le saurez bientôt, que vous, Néphilim, n'êtes pas à l'abri des pouvoirs des démons...( Elle jeta un regard appuyé à la deuxième femme. ) Mais aussi des anges gris. Lorsque vous serez à l'extérieur de l'Académie, même si vous serez obligatoirement muni d'un flacon de larme de Lire et d'un Relieur, vous ne serez pas à l'abri du danger, et de notre plus grand problème actuel, les démons purs. ( Je plissai les yeux, cherchant de l'aide du regard auprès de Lexie, qui me fit comprendre qu'elle m'expliquerait plus tard. ) C'est pourquoi la matière Défense-Pratique, initialement réservée aux anges et aux démons pour des raisons qui ne vous concernent nullement, a été adaptée à vous, Néphilim. La partie Défense consiste donc à vous apprendre à vous défendre, mais sans votre don, face à quiconque pourrait vous attaquer, du moins le temps que du renfort arrive, car, ne nous mentons pas, vous n'êtes pas de taille face à un démon pur. La partie Pratique constitue une série d'exercices adaptés à vos pouvoirs, visant à les améliorer, les perfectionner. Vous rendre plus fort. Des combats surveillés entre vous sont également organisés, afin d'évaluer votre niveau. Et c'est justement ce que nous allons faire, sans entraînement préalable afin de voir de quoi vous êtes réellement capable.

Je tentai de digérer les informations, mais cela revenait à digérer une boule de bowling. Des combats? Nous allions nous battre les uns contre les autres? Il en était hors de question. Du moins, je préférais m'abstenir. Et si je manquais de tuer quelqu'un pendant un combat? Et si quelqu'un manquait de me tuer pendant un combat. Cela me semblait tout simplement... irréaliste. Et puis d'abord, c'était quoi cette matière? Invention du proviseur, sans aucun doute.

— Je vous rappelle que l'utilisation de vos dons en dehors de l'enceinte de l'académie est interdite, sauf en cas de réelle nécessité, afin de ne pas vous exposer aux... autres, avertit l'ange gris. Ces combats ne sont pas à prendre au sérieux. Le tissu de vos combinaisons vous enlève 70% des ressentis réels et vous protège de certains pouvoirs trop dangereux tels que l'électrokinésie. ( Je suivis les mouvements de tête, se dirigeant vers Kate, qui fit jaillir un petit courant électrique entre son pouce et son index. ) Les tapis amortiront n'importe quelle chute. Sans compter que nous sommes là pour vous arrêter si ça tourne mal.

— Merci, Mlle Mills, dit Mme Williams avec le sourire le plus faux que j'aie jamais vu. Des volontaires pour le premier combat?

Plusieurs mains se levèrent aussitôt, dont celle de Lucas, de Trevis, et de Lexie, qui saisit la mienne pour la lever. Je me dégageai aussitôt, et la rabaissais.

— Poule mouillée, chuchota-t-elle.

Il y avait donc tant de suicidaires dans ma classe? Il était hors de question que je me batte. J'étais aussi dangereuse pour eux, qu'ils ne pourraient l'être pour moi. Sans compter

— Je propose Alice.

Je redressai brusquement la tête.

Une blague. C'est une blague.

Kate m'adressa un grand sourire diabolique, et répéta haut et fort :

— Je propose Alice Greenstone, contre moi.

Ma gorge se serra. À cet instant précis, j'aurais juré que mon cœur avait cessé de battre pendant une fraction de seconde. Je venais de me faire inviter à combattre une garce lanceuse d'éclair, déterminée à me faire mordre la poussière.

— Voilà qui serait intéressant, déclara l'homme Néphilim.

— Plus qu'intéressant, renchérit Mme Williams avec un grand sourire sadique aux lèvres. Nous pourrions ainsi voir de quoi tu es capable, et ainsi te mettre directement dans le bain.

Non! Mes mains étaient moites et tremblantes. Il fallait que je me sorte de cette situation. Mais comment expliquer que si ce n'était pas moi qui étais blessée, je risquais de tuer une élève?

— Je... je ne peux pas, marmonnai-je. Je ne contrôle pas du tout mon pouvoir.

— Ce n'est pas un problème, nous sommes là pour apprendre, chérie. ( Elle m'adressa un autre sourire à en glacer le sang, puis nous fit signe d'approcher, Kate et moi. )

— Non, je veux dire que ça n'arrive seulement quand je...

— Les autres, installez-vous sur les gradins, m'ignora-t-elle. Plus vite que ça.

Je sentis soudain la panique monter.

— Bonne chance, lança Lucas en partant.

Le souffle court, je le rattrapai par le bras.

— Je ne peux pas passer. C'est trop dangereux! S'il te plaît, dis-lui que je ne peux pas.

Il me regarda comme si j'étais cinglée.

— Tout va bien. ( Il posa une main sur mon épaule et ancra ses yeux dans les miens.) C'est stressant au début, mais tout ira bien. Les règles sont simples : le premier à terre, allongé sur le ventre et un main mise derrière le dos pendant cinq secondes perd. Arrange-toi à ce que ce ne soit pas toi.

Il me donna ensuite une tape amicale, puis partit rejoindre les autres. Tous prirent place pour admirer le spectacle. Je fermai les yeux, et soupirai. Ils n'avaient pas idée de ce qui allait se passer, mais moi, si. Si mes yeux devenaient rouges, alors Kate risquait gros. S'ils ne le devenaient pas, je serais incapable de me défendre. J'étais totalement bloquée.

Mme Williams se plaça dans une sorte de petite cabine non loin des gradins. Sa voix résonna alors à travers les hauts-parleurs disposés au plafond.

— Placez-vous face à face, sur les lignes opposées, ordonna-t-elle.

L'esprit en ébullition, je m'exécutai, sans quitter Kate des yeux. Son grand sourire m'indiquait qu'elle était prête à m'en faire baver.

— Je rappelle les règles. Une fois les barrières de protections installées, attendez la fin du décompte suivit du signal pour commencer le combat. Le premier à terre, allongé sur le ventre et une main mise derrière le dos pendant cinq secondes sera le perdant. Pas d'illusions pour le premier combat, niveau un. Vous êtes prêtes, les filles? ( Nous acquiesçâmes.) Que la meilleure gagne.

On se serait cru dans une émission, avec en présentatrice un démon dont le sadisme semblait sans égal et les téléspectateurs, assis sur les gradins. Moi, j'avais le mauvais rôle. Je jetai un coup d'œil inquiet à Lexie, tandis qu'un espèce de vitre transparente s'élevait devant les gradins, sans doute pour protéger les autres du combat. Elle leva un pouce en l'air, et articula: « Bonne chance. »

De la chance. Exactement ce dont j'avais besoin.

— OK, c'est parti. Trois.

Kate me regardait comme si elle était la prédatrice et moi la proie. J'en eus la chair de poule. Cela ne risquait pas d'être joli.

— Deux.

Je me mis en position. Concentre-toi, Alice.

Si seulement j'avais un contrôle sur mon don, les choses sembleraient moins compliquées. Là, en revanche, j'avais l'impression de jouer ma vie, et oubliais déjà que c'était un exercice.

— Un...

Le signal me fit l'effet d'un courant électrique traversant tout mon corps. Luttant contre la panique, je me redressai aussitôt, et tâchai de me concentrer.

Kate n'attendit pas longtemps avant de lancer le premier coup. J'esquivai de justesse un éclair ayant jailli de sa main, en me jetant sur le côté. Dieu merci, les tapis amortirent réellement la chute. Je me relevai aussitôt, et me mis à courir, pensant que si je restai immobile, elle m'atteindrait plus facilement. Une roulade au sol, et j'esquivai encore un éclair. J'entendais les petits hoquets de surprise des autres derrière la vitre, et les encouragements de Lexie, mais cela ne m'était pas d'une aide précieuse. Il fallait que je fasse quelque chose, mais temps que quelque chose ne me fichait pas en rogne, mon don ne se manifesterait pas. Et s'il se manifestait, je risquais de blesser Kate. J'étais donc bloquée, et ne voyais pas d'option plaisante. Comment faire pour prendre pleine possession de mon don?

Allez, réfléchis...

Le troisième éclair me frappa de pleins fouets dans le dos. Mes jambes cédèrent, et dans un petit gémissement de douleur, je tombai à terre.

— Yes! s'exclama Kate, que j'entendais approcher. Touchée!

La douleur n'était pas atroce, mais je la ressentais quand même. Mes membres étaient comme pétrifiés, et ma vision se floutait. Tout ce qu'il lui restait à faire, c'était placer ma main derrière mon dos pendant cinq secondes.

— T'es vraiment une merde. C'est tout ce que tu pouvais donner, la loseuse?

Alors que je tentais désespérément de me lever, je sentis un petit picotement dans mon ventre, remontant lentement avant d'exploser dans tout mon corps. Pas encore. Je connaissais cette sensation . Merde, merde et merde! Ça ne pouvait pas recommencer. Ma respiration s'accéléra autant que les battements de mon cœur tandis que Kate plaçait ma main derrière mon dos, et la maintenait fermement. J'essayai de me débattre, mais elle plaqua mon visage contre le tapis.

— Cinq...

C'est fini.

— Quatre.

L'air peinait à entrer dans mes poumons. J'avais réellement l'impression de suffoquer, et mon cœur, déjà soumis à rude épreuve, martelait incessamment à ma poitrine.

— Trois...

Mes pensées se brouillèrent. Tout était si vague, si irréel...

Je fermai les yeux, m'abandonnant aux ténèbres. C'est fini.

— Deux...

C'est alors que la ressentis. La haine. D'abord vague, elle se répandit dans tout mon corps, me faisant vibrer de la tête au pied, et me procurant une sensation d'énergie nouvelle.

— Un...

Avant même qu'elle ne puisse dire « ouf », je décochai un violent coup de coude dans le ventre de Kate. Je l'entendis pousser un cri de douleur, et trébucher en arrière tandis que je me relevai en un éclair. Un éclair. Ce qu'elle me lança aussitôt. Je l'esquivai me servant du mur comme appui pour effectuer un salto arrière. Lorsque je retombai à terre, je me dirigeai à toute vitesse vers elle. Elle s'était relevée, et tentait à nouveau de me viser. J'évitai habilement toutes ces attaques par toutes sortes de pirouettes avant de glisser entre ses jambes, et d'atterrir derrière elle. Je saisis sa main d'une poigne ferme, et la tordis, l'obligeant à se retourner vers moi. Elle criait de douleur. Et j'aimais ça. Rien de mieux que cette sensation exquise que me procurait sa souffrance. Et je n'allais pas seulement la faire souffrir. J'allais la tuer. Envoyer brûler cette triple garce dans les profondeurs de l'Enfer. Je la poussai violemment à terre, me délectant de l'expression de terreur qui s'affichait sur son visage, me faisant frémir d'impatience. Tout ce qui comptait, c'était la tuer. Elle le méritait. Et cela devait se faire par mes mains.

Seulement, alors que je m'apprêtais à l'achever, je fus prise d'une étrange sensation de vertige et un frisson me parcourut le corps entier. Ma respiration se faisait saccadée. Je trébuchai en arrière et tombai. Que m'arrivait-il?

La pièce commença à tournoyer tout autour de moi. Je me pliai en deux et plaçai une main tremblante devant mes yeux. Juste avant de tomber à nouveau, j'aperçus Kate, me fixant avec des grands yeux apeurés.

— Alice?

Je repris mon souffle, et me levai en sursaut. Mon premier réflexe fut de regarder autour de moi, afin de trouver quoi que ce soit qui puisse m'indiquer ce qu'il venait de se passer. Je ne trouvais que Kate, assise à quelques mètres de moi, des larmes dégringolant sur ses joues.

Il me fallut moins d'une seconde avant de comprendre. C'était arrivé.

J'avais failli la tuer.

Tremblant de tout mon corps, je fis un pas en avant. Kate eut aussitôt un mouvement de recul. Mon cœur se serra. J'avais envie de crier "ce n'est pas de ma faute!" mais je savais que cela n'arrangerait rien. J'appréhendais le simple fait de me retourner, car je savais que tout le monde me regardait de cette même manière de l'autre côté. Ravalant mes larmes imminentes, je me décidai tout de même à affronter les douloureuses conséquences de mes actes. Comme toujours.

Seulement, ce que je vis ne fut pas ce à quoi je m'attendais. Premièrement, pas de peur dans les regards. Non, juste de la surprise, de l'inquiétude dans les yeux des professeurs, et...

Qu'est-ce que...?

Lucas, Lexie et Trevis, ainsi que quelques autres élèves me regardaient avec ce qui me semblait être... de l'admiration. Mes yeux s'écarquillèrent. Je ne pouvais pas y croire. J'avais manqué de tuer Kate. Sous leurs yeux. Pourquoi ne me regardaient-ils pas avec dégoût? Pourquoi ne ressentais-je pas la même terreur que celle de cette dernière?

En continuant de détailler avec choc les expressions de chacun, je remarquai que certains regards étaient dirigés non pas vers moi, mais vers les deux garçons assis sur les plus hauts gradins. Ils se distinguaient par leurs habits sombres et l'aura particulière qui se dégageait d'eux. Tandis qu'ils me fixaient de loin, je sentis mon cœur manquer un battement. Ces deux garçons... Il s'agissait en fait du ténébreux au regard de glace et de l'impassible blondinet aux yeux vairons.

Que diable faisaient-ils là?! Avaient-ils assisté à la scène? Je restai figée un instant, tentant de reconstituer les pièces de puzzles, mais n'obtins rien d'autre qu'une violente migraine. Et alors que je nageais en plein cauchemar, ou plutôt que je me noyais, une voix lointaine me ramena brusquement à la réalité :

— Anna Winterhill. Anna Winterhill, classe spéciale B est priée de se présenter immédiatement en salle... 116.

À la seconde même où ces mots furent prononcés, des petits cris de stupeurs résonnèrent dans la salle. Je vis l'expression de chacun des élèves s'assombrir une à une, comme si quelque chose de terrible venait tout juste de se produire. Et quant aux démons...

Ils avaient disparu.

Une fois de plus.

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