Chapitre VII : Prise de conscience.

Je me réveillai dans un petit sursaut, plongée dans l'obscurité la plus complète. J'étais allongée sur le côté, l'épaisse couette m'enveloppant jusqu'aux oreilles et la tête confortablement posée dans un empilement de coussins. Était-ce le jour ou la nuit? À quel moment m'étais-je endormie? Je me redressai lentement et péniblement, puis étirai le bras jusqu'à ma table de chevet, afin d'y trouver mon téléphone. Ce dernier affichait 5 h 44. Je soupirai longuement, puis écartai la couette loin de moi, de manière à pouvoir descendre du lit. Le passage du chaud au froid ne me réussissait vraiment pas. Je frissonnai, et me mis à sautiller afin d'éviter le plus possible le sol glacé. Il faisait étrangement froid dans ma chambre. Peut-être avais-je malencontreusement laissé une des fenêtres ouvertes. Je parcourus le mur du bout des doigts, à la recherche de l'interrupteur allumant le grand lustre scintillant que je ne distinguais pas tant il faisait sombre. Quand la lumière s'alluma enfin, je cachai mes yeux d'une main, éblouie.

Pour une personne, comme moi, qui avait l'habitude de faire la grasse matinée, se lever tôt était définitivement une des pires tortures au monde, d'un sadisme sans égal. Je baillai à m'en décrocher la mâchoire, ressentant la fatigue d'une personne qui n'avait pas dormi depuis un mois au minimum. Étant donné que j'avais encore sur moi, la chemise et la jupe de mon uniforme récemment troué et taché de sang par la faute d'une psychopathe, je devinais que je m'étais endormie sans m'en rendre compte la veille.

Mon attention se reporta sur mon énorme valise, par terre, grande ouverte, dont les habits si bien pliés formaient dorénavant un énorme tas de ce que ma mère aurait sans aucun doute qualifié de "torchons sales".

- La reine du désordre fait son entrée à l'Académie Rose! déclarai-je à voix haute en essayant de passer une main dans mon nid à nœuds.

Certainement le titre le plus convenable pour moi, après le monstre. Il fallait absolument que j'inscrive ma rentrée à l'Académie Rose dans mon livre de records personnel des rentrées les plus étranges, mais pour l'heure, il était surtout temps pour moi de découvrir ma salle de bain. Je n'y étais même pas entrée hier après-midi. À vrai dire, je n'avais pas fait grand chose, hier après-midi, à part passer le reste de la journée dans ma chambre, à me morfondre dans mon coin, luttant vivement pour ne pas devenir folle. Il fallait dire que le récit rempli de révélations de Mlle Pealsburry était pratiquement la seule chose à laquelle j'avais pu penser.

« Tu es une Néphilim.»

Je croyais, et comprenais désormais ma mère, qui me répétait toujours que de simples paroles prononcées pouvaient changer tout une vie, et qu'on ne savait jamais tout dans ce monde. Néanmoins, jamais je n'aurais cru que cela pouvait prendre un tel sens. Jamais, ne serait que l'espace d'une seconde je n'avais cru à l'existence d'anges et de démons, et même avec un démon en tant que proviseure adjointe, j'avais toujours du mal à y croire. Même avec l'étiquette Néphilim scotchée au visage.

Je m'étais souvent retrouvée dans des situations étranges au cours de ma vie. Mais là, le mot étrange ne suffisait plus. Si j'avais encore ma meilleure amie de l'État précédent, comment lui aurais-je décris mon premier jour? Se faire attaquer par un démon, sauver par un autre, soigner par une Lire, ( je n'avais absolument aucune idée de ce que cela pouvait bien signifier) apprendre d'un autre démon son statut de Néphilim et découvrir qu'il y avait deux cents autres personnes de ce genre ici ainsi que d'autres, encore pire, appelés anges gris et démons, n'était pas quelque chose de très commun de nos jours. Et puis... C'était trop pour une fille qui ne demandait qu'à être normale.

Je me positionnai devant le miroir. Mes cheveux étaient en bataille et avaient légèrement ondulé. J'avais des énormes cernes et les yeux bouffis, mais au moins, ils avaient la bonne couleur. J'avais toujours su que je n'étais pas tout à fait normale, mais mettre un nom sur ce phénomène qui me rendait différente me donnait l'impression d'être une autre personne.

"Une Néphilim", songeai-je en continuant de fixer mon reflet.

Tant de questions m'avaient traversé l'esprit une fois que Mlle Pealsburry m'avait expliqué une partie de ce que je ne préférais pas découvrir, puis quitté ma chambre. J'avais premièrement passé près de quinze minutes assise sur mon lit, incapable de bouger ou de concentrer mon esprit sur un sujet fixe. J'étais choquée, et surtout totalement perdue. Ma vision initiale du monde venait de s'écrouler en quelques minutes, et je m'écroulais avec elle. Et pourtant, comme si de rien n'était, j'avais ensuite vidé ma valise et classé mes habits dans l'armoire, comme pour m'installer.

« Il y a des gens comme toi ici, et peut-être pire. Allez, Alice, tu n'as plus à te cacher. Ici, on t'apprendra à contrôler ton problème. C'est l'occasion rêvée de tout recommencer, n'est-ce pas? » avais-je pensé.

Mais je m'étais arrêté net. Rester dans cette académie... cela signifiait que j'acceptais mon statut de Néphilim. Cela signifiait que j'acceptais toutes ces règles étranges que je ne comprenais pas. Cela signifiait que j'acceptais de rester trois ans en compagnie de personnes comme moi, d'anges, mais aussi de démons. Un de ces derniers n'avait-il pas tenté de me tuer, ou simplement de me torturer par pur plaisir? Et puis, il y avait ce que Mlle Pealsburry était capable de faire : contrôler les actes des gens. Cela me terrifiait. Je ne voulais simplement pas me l'admettre. Je ne voulais pas découvrir pire que ce que j'avais déjà découvert. J'avais toujours voulu être normale, et goûter à une part, même infime, de l'anormal n'avait fait qu'amplifier ce désir.

Je ne voulais pas découvrir pire que ce que j'avais déjà découvert.Partir. C'était ce que je voulais. M'en aller loin d'ici, oublier ce que j'avais vu, entendu, recommencer à zéro dans un nouveau lycée, comme je le faisais toujours.

« Je veux partir. »

Trois mots. Trois mots que j'avais tout simplement été incapable de prononcer lorsque ma mère avait décroché le téléphone. Trois mots qui m'étaient restés en travers de la gorge.

« Alice? Tout se passe bien ma chérie? Je ne m'attendais pas à recevoir un appel aussi vite! On ne te manque quand même pas déjà, si? »

« Tout va bien. Je t'appelais juste pour te dire que j'adore cet endroit et que je suis bien décidée à y rester.»

Après avoir raccroché, les larmes avaient coulé toutes seules. J'avais pleuré, encore et encore, m'accrochant au collier de mes parents adoptifs comme s'il s'agissait de ma seule bouée de sauvetage au milieu de cet océan de mystères et d'incompréhension. Pourquoi? Je n'en avais toujours aucune idée. Quelque chose en moi m'avait poussé à rester et avait réussi. La curiosité, sans doute.

Plus probablement, le fait que si mes vrais parents étaient aussi comme moi, cela me permettrait peut-être soit d'en savoir plus sur eux, soit de les retrouver. Je n'avais jamais vraiment pensé à les retrouver, trop préoccupée par mon problème et ces déménagements incessants. De plus, même si Nelly était insupportable, elle et mes parents adoptifs, formaient ma famille. Celle qui m'avait pris en charge, et non celle qui m'avait abandonnée, me livrant à une vie de cauchemar due à toute cette histoire. Alors, était-ce vraiment ce que je voulais?

Peu m'importait pour le moment. Pour cette fois, j'avais décidé de laisser la curiosité l'emporter sur moi-même. Même si une partie de moi refusait catégoriquement de croire à tout ce que m'avait dit Mlle Pealsburry, une autre brûlait d'en savoir plus. De toute manière, si les choses venaient à mal se passer en cette affreuse journée qu'était le lundi, je quitterais l'Académie le soir même. Quoi qu'en dise mes parents, Nelly, ou encore le proviseur.

Je fermai la porte de la salle de bains et l'observai enfin en détail. D'un côté, il y avait une douche fixe aux parois en verre trempé, de l'autre, une baignoire d'angle, si propre qu'elle semblait scintiller. Il y avait également deux lavabos situés sous un grand miroir rectangulaire dans lequel paraissait mon pitoyable reflet, des toilettes, ainsi que des porte-serviettes fixés aux murs en pierre d'ardoise. En apercevant le panier à linge, je me souvins que Mlle Pealsburry lors de sa deuxième visite dans ma chambre - heureusement bien après que je ne me sois calmée - m'avais informé des règles à propos des vêtements. Chose qu'avait oublié de me mentionner Nate : une laverie était mise à disposition pour chacun des étages des filles et des garçons, afin de pouvoir y faire nos lessives de manière autonome. Les machines ne se lançaient qu'à l'aide d'une carte personnelle, et ne se déverrouillaient que grâce à celui-ci. Aucun risque que les habits ne disparaissent, où qu'il y ait des mauvaises surprises en les récupérant. Elle m'avait justement remis ce petite carte rouge ouvrant les deux bibliothèques, et nombreuses autres pièces comme celle du home-cinéma par exemple. Cette carte servait également pour la cafétéria, où je devais bientôt me diriger afin d'y prendre un petit-déjeuner.

Je retirai mes vêtements et entrai dans la douche, chassant par la même occasion les nouvelles questions qui m'envahissaient. À la seconde même où le jet d'eau chaude caressa ma peau, je me sentis incroyablement détendue. Une bonne douche matinale, quoi de mieux pour se réveiller?

Mon premier cours était à sept heures dix. Il était 6 h 15. J'avais passé près d'une demi-heure dans la salle de bains à me doucher, me brosser les cheveux, me maquiller et me brosser les dents ( ce qui n'était pas mal vu ma lenteur habituelle ) et entreprenait maintenant de trouver des vêtements dans l'énorme tas qui s'imposait à moi.

Un jean bleu délavé, des baskets plates noires et un sweat à capuche noir avec une inscription en lettres capitales blanches : "Do it now". Il valait mieux opter pour le simple sachant que la journée s'annonçait compliquée. Et puis, cela allait plutôt bien avec mon chignon décoiffé.

En ajoutant quelques retouches à ma coiffure devant le miroir ovale, je remarquai la carte rouge sur la commode, sur lequel était inscrit et mon nom, et ma classe, et mon appartenance au club des erreurs de la nature. La veille, Mlle Pealsburry me l'avait apporté et en avait profité pour remettre tout un tas de choses, à commencer par un nouvel uniforme, l'ancien ayant été déchiqueté par Anna la diablesse et sa charmante fleur. Ce qu'elle m'avait remis ensuite m'avait laissé sans voix. Une tablette et un mini-ordinateur portable, à n'utiliser que lorsque le professeur en décidait ainsi, comme m'en avait informé Nate lorsqu'il m'avait fait visiter l'académie. Elle avait tout de même été sympathique de me préciser qu'ils étaient aussi utilisables pour un usage personnel, tant que cela restait en dehors des cours. J'avais donc gagné un ordinateur, et une tablette gratuite pour trois ans, si je restais bien entendu dans l'Académie. Premier avantage.

J'avais ensuite choisi mes options sports et arts, en plus de l'option deuxième langue vivante Français, que mes parents avaient soumis à l'Académie en m'y inscrivant. Cette dernière proposait d'ailleurs un grand choix de langues : Espagnol, Italien, Japonais, Allemand, Russe, Bulgare, Arabe, Portugais, Grec, Latin... Si j'avais choisi le Français, c'était par amour pour cette langue que je désirais perfectionner. Si seulement au lieu de passer d'État en État, j'avais eu l'occasion d'aller à Paris, ne serait qu'une fois...

« Un jour, peut-être ».

En option art, j'avais longtemps hésité à prendre musique, me rappelant la manière dont je me sentais quand mes doigts touchais le clavier d'un piano. Malheureusement, avec le temps, j'avais perdu mon habilité à jouer de ce magnifique instrument que j'avais débuté après mon premier incident, mais que j'avais arrêté quelques années plus tard. J'avais donc opté pour le théâtre, qui me paraissait plus plaisant que les options cuisine, dessin ou encore chant.

Enfin, concernant l'option sport, mon choix s'était porté sur la natation et la gymnastique artistique. La natation n'était pas un sport que je pratiquais régulièrement, et la gymnastique encore moins, mais la proviseure adjointe m'avait assuré que les options était à la base pour apprendre, même si certains les pratiquaient depuis des années. Elle avait ensuite griffonné le nom de mes options sur les cases vides de mon emploi du temps avant de me proposer un casier. Selon ces propos, avoir un casier était quelque chose d'absolument facultatif : la majorité des élèves n'en prenaient pas. J'avais accepté, jugeant qu'il me serait forcément utile vu la pile de manuels scolaires et de livres qu'elle m'avait également confiée, contre mon gré. Le "couloir des casiers" se situait donc au deuxième étage du bâtiment scolaire: l'étage des salles de classe.

La journée s'annonçait longue. Je fourrai cahiers, trousse, manuels d'anglais et de biologie, agenda, carte, clés, téléphone, miroir de poche, tablette et mini-ordinateur portable dans mon grand sac, avant de saisir mon emploi du temps. Mlle Pealsburry avait refusé de m'expliquer certaines choses à ce propos, soit disant parce que je devais découvrir certaines choses par moi-même. Outre les matières classiques, entre autres l'anglais, le français, les maths, les matières société classique, société surnaturelle, histoire surnaturelle, thème, et D.P/Néphilim ne m'inspiraient vraiment pas grand chose. Tout ce que je savais, c'était qu'en cette dernière matière, que j'aurais de dix heures à midi tous les lundis - et donc aujourd'hui - et vendredis, une tenue spéciale me serait remise. Heureusement, mon premier cour, même si je détestais cette matière, était le cours de biologie en salle 101. Une matière normale. De toute manière, Mlle Pealsburry avait souligné que la majorité de mes cours étaient classiques pour la simple raison que je n'étais pas en classe spéciale. La voix de Nate me parlant de sa classe m'était alors revenue en mémoire. J'en avais alors profité pour lui demander ce qu'étaient vraiment ces classes spéciales.

"Ce sont les cinq classes qui regroupent les anges gris et les démons, bien sûr", m'avait-elle répondu avec un sourire indéchiffrable aux lèvres, avant de sortir de ma chambre, et de ne pas y revenir de toute l'après-midi.

J'avais alors pris conscience que Nate ne pouvait être que soit un ange gris, soit un démon.

Le brouhaha que produisait la masse d'élèves dans le couloir me provoquait déjà une forte migraine alors que je n'avais pas encore atteint la cafétéria. Beaucoup, dont les gens de ma nouvelle classe et moi, avaient visiblement eu la malchance de commencer à 7 h du mat le lundi. Heureusement, pour le bien de tous, les cours s'arrêtaient obligatoirement avant 14 h, pour laisser place aux options de chacun. Cela n'arrangeait cependant pas ma mauvaise humeur. Les regards posés sur moi, et les chuchotements sur mon passage encore moins. Je n'y prêtai pas attention. D'autant plus que je les regardais moi aussi étrangement, jouant à essayer de deviner ce qu'ils étaient. Eux, en revanche, me regardaient certainement parce que j'étais la petite nouvelle. Ou peut-être que ce qu'il s'était passé avec le groupe de démons avait déjà fait le tour de l'Académie. Je n'espérais d'ailleurs pas les croiser. Notre dernière entrevue n'avait pas été des plus charmante. Anna était dingue, Jessica semblait me haïr, le blondinet du nom de Cameron avait un air si vague, étrange, qu'il en devenait presque plus flippant que les autres, et enfin le garçon aux cheveux noirs semblait indéchiffrable, énigmatique et surtout incroyablement blasé. Ils formaient une sacrée bande, en plus du garçon aux cheveux bleus scintillants et le brun. Il valait mieux rester à distance d'eux, ou plutôt des démons en général, ainsi que des anges gris, dont je n'avais pas encore eu l'occasion de tester les capacités, dieu merci. En fait, il valait même mieux rester à distance des Néphilim. Je me faisais déjà assez peur moi-même.

Je roulai subitement des yeux. Dans mon ancien lycée, lorsque je me disais qu'il valait mieux que je reste à distance d'un groupe de personnes, c'était souvent les amis de Nelly. Maintenant, je devais éviter des démons, des anges, et des Néphilim, dans une académie composée essentiellement de démons, d'anges et de Néphilim. Quelle ironie.

Mon sac toujours accroché à l'épaule, j'entrai dans la cafétéria. Presque immédiatement, comme s'ils avaient répété cette scène durant des heures, tous les élèves présents tournèrent la tête vers moi. Pendant quelques secondes, j'aurais juré entendre les mouches voler, ou même les fourmis se déplacer entre les pieds des chaises rouges. Ignorant les regards, je me dirigeai vers le self-service. Je fis glisser ma carte dans la machine puis m'emparait d'un plateau. C'était quoi leur problème au juste? Il y avait franchement pire que moi niveau bizarre. Et puis, cela ne pouvait tout de même pas être si rare que ça, un nouvel élève à l'Académie Rose, si? Les conversations reprirent, à mon plus grand soulagement. Tandis que j'essayai de me décider entre un croissant et un pain au chocolat, des chuchotements me parvinrent à l'oreille.

« C'est elle, la nouvelle.»

« Je parie que c'est une Néphilim. »

« Bien sûr que c'en est une, elle a une carte rouge, idiot!»

« En tout cas, j'espère qu'elle est dans notre classe, elle est carrément canon.»

Je me retournai et lançai un regard involontairement assassin au garçon brun qui venait de chuchoter cette dernière phrase. Il était affalé sur une chaise, autour d'une table ronde juste derrière moi, près d'un autre garçon blond, et d'une fille aux cheveux entre brun et châtain foncé, aux joues parsemées de taches de rousseur et aux yeux extrêmement bleus. Le garçon, à ma grande surprise, s'éclaircit la voix et détourna le regard tout en rougissant légèrement, tandis que ses deux autres amis semblèrent réprimer un fou rire.

Je soupirai, puis revins à mes viennoiseries. Si même la nourriture ne me tentait qu'à moitié, cela signifiait vraiment que je n'étais pas d'humeur. Peut-être un bon café me remonterait le moral.

Une fois mon plateau chargé, je pris place sur une table du fond libre et entamai mon croissant tout en cherchant de l'autre main mon téléphone, pour vérifier l'heure. J'avais encore trente minutes pour déguster mon petit-déjeuner. Cela suffisait largement. Seulement, plus ça allait, plus mon envie de m'enfoncer dans un trou s'amplifiait. J'avais la vague impression qu'on me fixait. Et je n'avais malheureusement pas tort. Lorsque je levai la tête, mes yeux croisèrent ceux d'Anna, assise deux tables plus loin avec sa bande. Je manquai de recracher mon café.

Un sourire se forma sur ses lèvres. Le blondinet aux yeux vairons était assis à côté d'elle. Il sirotait une briquette de lait avec une paille, et me regardait lui aussi, le visage totalement dénué d'expression. Jessica me lançait des foudres du regard, et semblait vouloir me dire que la prochaine fois, elle se servirait de ces griffes pour s'occuper de mon cas, plus personnellement cette fois-ci. Que leur avais-je donc fait, au juste? Ce n'était certainement pas Monsieur Le Snob Ténebreux  ( ou Ténébreux Snob, peu importe) qui répondrait à ma question, puisqu'il était en grande conversation avec les deux seuls du groupe dont je ne connaissais toujours pas le nom. Du moins, il l'était jusqu'à ce qu'il ne s'arrête subitement, et ne se retourne à son tour pour me lancer le regard le plus glacial que quelqu'un ne m'ait jamais lancé.

Avant même de me rendre compte de ce que je faisais, mon majeur se leva en leur direction, accompagné d'un grand sourire. Et dans la seconde qui suivit, les visages d'environ la moitié des élèves qui m'entouraient se teintèrent de stupéfaction. Certains avaient la bouche grande ouverte, comme si j'avais insulté les personnes les plus importantes de la société, ouvertement en plus. Je ne me rendis compte de ma bêtise seulement lorsque je me remémorai leur nature. Des démons. Je venais d'insulter des démons.

Qu'est-ce qui m'avait pris? Comme si me faire transpercer par les épines d'une rose à l'air faussement inoffensive ne m'avait pas suffi. J'essayai de me faire toute petite, mais cela risquait d'être difficile. C'était la fin pour moi. Jessica allait certainement m'embrocher sur ses longues griffes. Je n'osai même pas observer leur réaction.

- Pitié, faites que quelqu'un me sauve, suppliai-je à voix basse. N'importe qui.

- Tout va bien, Alice?

Je sursautai et levai les yeux vers mon interlocuteur. Je fus agréablement surprise, ou presque, de découvrir que ma prière avait été entendue, et que mon sauveur n'était autre que Nate. Plateau entre les deux mains, et petit sourire au coin des lèvres, il semblait m'avoir été envoyé en tant qu'ange gardien. Enfin, il ne valait mieux pas penser cela sachant que cela pourrait être vrai. Du moins, s'il n'était pas un démon.

- Salut Nate, lançai-je en souriant, soulagée.

Des chuchotements s'élevèrent à nouveau autour de moi. Visiblement, j'étais le centre de l'attention d'une bonne partie de la cafétéria.

« Attendez, ils se connaissent?! »

« J'y crois pas! »

« Tu crois qu'ils sortent déjà ensemble!? »

« Impossible! »

« Bon sang! Elle vient juste d'arriver, et déjà elle se frotte aux membres de l'Élite... »

Je fronçai les sourcils, n'y comprenant absolument rien. Les membres de quoi? Étaient-ils donc tous cinglés dans cette académie, ou le problème venait-il vraiment de moi? Je tournai la tête vers Nate, espérant obtenir des explications à ces étranges réactions. Ce dernier se contenta de soupirer, avant de poser son plateau sur la table et de s'asseoir.

- Ça te dérange si je te tiens compagnie?

Je fis non de la tête, puis jetai un bref coup d'œil derrière lui. Je n'y trouvais pas ce que je cherchais. Encore une nouvelle découverte pour moi : les fameux pseudos-gothiques avaient probablement un don commun, qui était celui de s'éclipser sans se faire remarquer.

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