Chapitre IV: Clé de bronze, clé d'argent.
Je suivis Nate dans le silence le plus complet. Comme il avançait sans se retourner, j'en profitai pour, discrètement, l'observer. Il était plutôt grand. À vue d'œil, il devait faire environ une tête et demi de plus que moi, comme l'autre garçon. La capuche de son sweat gris était rabattue sur sa tête, et il portait un jean bleu dans les teintes se rapprochant le plus du noir, avec pour chaussures des vans d'une couleur similaire à son sweat. J'aimais bien son style. Simple et décontracté. S'il collait à sa personnalité, alors nous devrions certainement bien nous entendre.
Comme s'il avait lu mes pensées à l'instant même, il se retourna, tout en continuant de monter ces larges et interminables escaliers, et me gratifia d'un petit sourire en coin qui me déstabilisa légèrement. Je le lui rendis, tout en me rappelant ma situation. Je ne pouvais pas me lier d'amitié avec quelqu'un sachant que tôt ou tard, ce que je redoutais le plus arriverait, comme à chaque fois d'ailleurs. Il ne fallait pas que je m'attache à qui que ce soit, et encore moins ce garçon, de peur que lorsque "l'incident" se reproduirait, je ne sois blessée de nouveau. De toute façon, ce n'était pas comme si une simple visite de l'Académie allait faire de nous les meilleurs amis du monde.
- Alors, comment trouves-tu l'Académie? demanda-t-il en ralentissant pour se retrouver à côté de moi. Enfin, à première vue?
- Spéciale.
Parmi des millions de mots, celui qui correspondait le mieux était « spéciale ». Et en seconde place, j'ajouterais « étrange ».
- Tu dis ça à cause de M. Milward?
- Monsieur qui?
- Le proviseur.
Je haussai un sourcil, tandis qu'il soupirait.
- Il t'a directement dit de l'appeler Ian, n'est-ce pas? devina-t-il. C'est un sacré numéro cet homme.
Oh que oui! Je souris en me remémorant l'accueil dont j'avais eu droit de la part de ce dernier.
- Et Mlle Pealsburry...
- Flippante, hein?
Dieu merci, je n'étais pas la seule à avoir peur d'elle!
- Totalement!
- Je te l'accorde, dit-il en rigolant un peu. Elle a toujours été comme ça, mais au fond, c'est une bonne personne. Ah, nous voilà à l'étage des filles.
-Toujours? répétai-je, autant intriguée par l'endroit que par ses propos. T'es en quelle classe au juste?
Pas en seconde en tout cas. Pendant un instant, j'eus l'impression que ma question l'avait déstabilisé, mais il se contenta de hausser les épaules avant de répondre:
- Je suis en classe spéciale. C'est une classe à durée indéterminée.
Je haussai un sourcil. Classe spéciale? À durée indéterminée? Décidément, cette académie dépassait les limites du bizarre. Je reportai mon attention sur l'étage des filles un instant. Encore un long couloir au plafond voûté et aux murs jonchés de portes. À travers les grandes fenêtres, je remarquai que la pluie s'était intensifiée.
- Comment ça, spéciale et à durée indéterminée?
Il fourra ses mains dans les deux poches de son sweat.
- Disons que cette classe... Enfin ces classes, car il y en a cinq en tout, ne suivent pas les mêmes cours que les autres. Et quand on entre en classe spéciale, il n'y a pas de durée fixe.
Il marqua une courte pause avant d'ajouter :
- On peut en sortir lorsqu'il n'est plus jugé nécessaire d'y être.
Je réfléchis un instant. Même si cela pouvait paraître indiscret, il fallait quand même que je demande, pour satisfaire ma trop grande curiosité.
- Est-ce que c'est une classe pour personnes à problèmes?
Il me regarda, l'air d'abord étonné, puis il se mit à rire, d'un rire que malgré moi, je trouvai totalement craquant.
J'en conclus donc que la réponse à ma question était non. Et puis, s'il y avait vraiment une classe pour personnes à problèmes, j'y aurais certainement été intégrée, bien que cela m'aurait étonné que mon problème soit similaire à ceux des élèves de celle-ci.
- Non, tu n'y es pas du tout, m'assura-t-il. C'est une classe pour des élèves... d'un plus haut niveau.
Tout s'éclaircit soudainement. Pourquoi n'y avais-je pas directement pensé avant de l'avoir collé dans la catégorie des personnes à problèmes?
Cela voulait dire que non seulement ce fameux Nate en avait dans la cervelle, mais qu'en plus, je n'avais aucune chance d'intégrer cette classe, vu mon niveau scolaire totalement médiocre.
- Personne ne t'en a parlé parce que tu as été inscrite en retard par rapport aux autres. Il faut postuler pendant les vacances. Mais il est possible de l'intégrer en cours d'année si tu as le niveau requis.
Je n'avais certainement pas le niveau requis et toutes mes notes catastrophiques en matières scientifiques étaient là pour le prouver.
- Voilà, c'est ta chambre.
Le numéro 347. J'appréhendais ce que j'allais découvrir une fois cette porte ouverte. J'allais après tout passer un bon bout de temps - si je ne fichais pas tout en l'air - dans cette chambre, alors je me risquais à espérer qu'elle serait à la hauteur de mes attentes. Tant que ce n'était pas un dépotoir ou un remake d'une cellule de prison, cela m'irait. Je fouillai mon sac, et en sortis les clés.
- Je t'attends là, déclara Nate. N'oublie pas de mettre ton uniforme.
Il retira sa capuche et arrangea ses cheveux blonds d'un geste.
- C'est vraiment obligé? demandai-je. Je veux dire juste pour me faire visiter...
- Ordre de Mlle Pealsburry.
Il sourit et mon coeur fit un bond dans ma poitrine. Honnêtement, pouvait-il arrêter de sourire? Pour le bien de tous. C'était donc ça son véritable but? Me faire faire une crise cardiaque dès mon premier jour à l'académie? Pourquoi fallait-il qu'il soit carrément craquant, et qu'en prime il ait un sourire d'ange? J'aurais même juré voir des petites étincelles et tout un tas de paillettes apparaître autour de lui. Non, non, et non. Il fallait que j'adopte une attitude distante et négative. Avec tout le monde. De cette manière, ils ne s'attacheraient pas à moi, tout comme je ne m'attacherais pas à eux. C'était facile. Je n'avais qu'à prendre l'air blasé que je m'étais tant entraînée à faire, et que j'avais perfectionné avec le temps. Même si je devais admettre que le garçon aux cheveux noirs de tout à l'heure me surpassait de loin en la matière.
- Dis...pourquoi tu me fixes comme ça?
Son visage prit une expression qui me rappelait un petit chat abandonné, dans le genre super attendrissant. Je laissai immédiatement tomber cette idée d'être blasée et distante, ça ne marcherait pas. Pas avec lui en tout cas. Surtout s'il refaisait cette tête.
- Pour rien, marmonnai-je, avant de me retourner au plus vite pour ouvrir la porte de ma chambre.
J'insérai la clé dans la serrure et la tournai, avant de saisir la poignée et d'ouvrir lentement la porte. Et lorsque je relevai la tête, mes yeux s'écarquillèrent d'eux-mêmes.
Je ne m'y attendais vraiment pas. La chambre était si simple et pourtant magnifique. C'était une pièce approximativement carrée, à l'air ni trop moderne, ni trop ancienne, bien que le grand lit en bois parsemé de coussins de différentes formes et décoré d'une énorme couette d'une couleur café au lait se rapprochant de celle des murs, ainsi que le lustre suspendu au milieu du plafond lui donnaient un aspect royal. Il y avait une grande armoire, une commode, un bureau, et deux tables de chevet des deux côtés du lit. Il y avait également un miroir ovale près des rideaux noirs grands ouverts, laissant la lumière du jour éclairer la pièce.
Le mur derrière le lit était décoré de deux étranges tableaux. Le premier représentait une femme assise sur une falaise, de dos et vêtue d'une robe blanche, dont les longs cheveux blancs retombaient jusqu'aux fesses. Elle tenait dans la main droite, une clé en argent ornée de cinq joyaux bleus et d'ailes. Elle ressemblait étrangement à la clé que je portais au cou, laissée par mes parents biologiques, mais sans les ailes. L'emplacement des joyeux étaient parfaitement similaires. C'était une sacrée coïncidence... Étrange. Mon collier devait être populaire chez les peintres.
Ce tableau pouvait paraître banal, s'il n'y avait pas un détail troublant. Cette femme possédait des ailes. De magnifiques ailes blanches qui lui donnaient un aspect infiniment pur. De plus, son corps entier était recouvert de tatouages argentés formant d'étranges symboles. C'était manifestement la représentation d'un ange. Quelque chose d'incroyablement apaisant se dégageait de cette peinture et m'emplissait d'une sensation de paix. Tout le contraire du deuxième tableau, qui représentait un homme de face aux cheveux noir de jais mi-long, et vêtu d'un simple pantalon noir. Malgré son apparente beauté, il n'inspirait aucune bonté...peut-être à cause de ses yeux rouges luisants. Des flammes qui semblaient danser autour de lui comme s'il les avait apprivoisées. Le plus troublant était ses ailes, ou plutôt leur couleur. Entièrement déployées, elles étaient noires comme des plumes de corbeaux. C'était comme si cet être s'était trop longtemps laissé habiter par les ténèbres et qu'ils étaient devenus une part de lui même. Et pourtant, son corps et son visage étaient d'une beauté dont on ne se lasserait pas. Était-ce la représentation d'un démon au fin fond de l'enfer? Du Diable lui-même? Si ça l'était, il était hors de question que je dorme avec ce tableau dans ma chambre. En parcourant plus précisément ce dernier des yeux, je remarquai que lui aussi tenait une clé dans la main. Cette clé avait été peinte de manière aussi détaillée que celle que tenait la femme aux cheveux blancs. Elle était en bronze et le haut formait une couronne incrustée de joyaux rouges, encadrées par des ailes.
- Thalassa, la gardienne des portes du paradis. Skelos, le gardien des portes de l'enfer.
Je me tournais vers Nate, en haussant un sourcil.
- Ce ne sont que de simples mythes dont raffole le directeur, ajouta-t-il, toujours sur le seuil de la porte.
- C'est plutôt étrange.
Il haussa les épaules, avant de se focaliser sur mon collier, tout en fronçant légèrement les sourcils.
- Oui, murmura-t-il en détachant son regard du collier, pour le plonger dans le mien. Étrange.
Nous restâmes quelques secondes à nous fixer sans rien dire, avant qu'il ne brise le silence:
- Bon, je t'attends devant la porte. (Il se gratta le derrière de la tête.) Je sais que les filles prennent des années entières pour s'habiller et tout ça, mais si tu pouvais réduire ça à cinq minutes.
- Cinq minutes seront plus que suffisantes, le coupai-je en souriant.
Il me rendit mon sourire, et ferma doucement la porte derrière lui. Je ne pouvais m'empêcher de le comparer au garçon que j'avais heurté un peu plus tôt : ils étaient l'exact opposé l'un de l'autre, et pourtant je ne les connaissais pas ou à peine. Nate dégageait une sorte de lumière, accueillante, chaleureuse, et je m'étais directement senti très à l'aise avec lui. Quant à l'autre garçon, eh bien... sans commentaire.
Ma valise se situait près de mon lit et mon uniforme était soigneusement plié sur ce dernier. Honnêtement, je n'avais pas tellement hâte de savoir à quoi je ressemblerai dedans, sachant qu'il incluait une jupe. Je retirai tout de même mes vêtements, et l'enfilai tant bien que mal avant de me positionner devant le miroir pour observer le résultat.
La jupe plissée à carreaux noir et gris - un peu trop courte - s'accordait parfaitement avec la veste blazer noire aux fines bandes blanches entourant les rebords et les manches, un peu trop grande. Cette dernière était décorée d'une insigne représentant une vieille croix en pierre, dont le centre était une rose rouge dont la tige épineuse enroulait la croix. Je ne savais pas ce que c'était censé représenter. Peut-être était une sorte d'emblème pour l'Académie.
Les chaussettes noires montaient un peu plus haut que les genoux, et la cravate de mêmes motifs que la jupe, se distinguait bien de la chemise blanche. C'était bien la première fois que je portais un uniforme. Bizarrement, outre le fait que la taille de cette jupe allait me poser problème, je ne me trouvais pas mal du tout.
Je rangeai mes habits dans ma valise, attrapai mon téléphone et mes clés puis ouvrai la porte pour sortir de la chambre. Je m'y installerai complètement après la petite visite guidée de l'académie avec Nate.
Quand j'ouvris la porte, ce dernier se retourna, puis me détailla de haut en bas, avant de déclarer en me fixant droit dans les yeux.
- Jolie.
Malgré moi, je sentis mes joues s'empourprer.
Ce n'était pourtant pas du tout mon genre de rougir à ce genre de propos, qu'ils soient tenus par une fille comme par un garçon. Après le premier incident lors de mes six ans, j'étais redevenu joyeuse, sociable, et positive - et non plus la fille qui ne parlait jamais -, pour éviter d'avoir des problèmes avec qui que ce soit, et par conséquent de me mettre en colère. Cela avait été un échec à chaque fois. Mon incapacité à ne pas réagir lorsque que quelque chose allait contre mes principes et me contrariait prenait toujours le dessus. Et par conséquent, mon problème prenait toujours le dessus. Seulement depuis l'incident de mon ancien lycée, j'avais senti un changement en moi. J'avais l'impression d'avoir égaré ma personnalité parmi toutes celles inventées de toute pièce pour éviter mon problème. Je savais que désormais, je pouvais par moment "éteindre" tout sentiment, être indifférente à ce qui avait l'habitude de me contrarier. Sauf évidemment, les sujets sensibles...comme ce qu'avait dit Nelly lors du trajet de l'allée. Et pourtant, j'étais là, à rougir parce qu'un garçon incroyablement beau venait de me faire un simple compliment. Pathétique.
- Suis-moi, lança-t-il. Je parie que tu meurs d'envie de visiter l'Académie.
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