32. Fais-le sortir, je t'en prie !

Lentement, le visage de Louis se modifia. Ses traits furent creusés par la rage, et ses prunelles s'assombrirent. Il s'avança vers moi avec un grondement menaçant. Et aussitôt, l'image de mon père se superposa à la sienne. Combien de fois m'étais-je retrouvée dans cette situation ? Je pouvais encore voir le visage de mon père déformé par la fureur, ses yeux marrons devenus presque noirs, les veines de son cou qui ressortaient, gonflées par la colère. Et, invariablement, la canne dans sa main.

Je sentis les battements de mon cœur s'accélérer brutalement, et j'éclatai en sanglots. Instinctivement, mes bras se placèrent devant ma tête pour la protéger, tandis que je reculais jusqu'à heurter le mur. J'entendais ses pas s'avancer vers moi avec terreur. Il allait recommencer, il allait encore me frapper jusqu'à ce que ses muscles le fassent souffrir. Et ma voix se serait brisée depuis longtemps sous mes cris.

Mes jambes se dérobèrent sous moi. Je m'écroulai à genoux, et crispai mes mains sur mes cheveux en sanglotant :

« - Pardonnez-moi, je vous en prie... Je vous en prie, ne me frappez pas, je suis désolée ! »

Ses pas s'arrêtèrent devant moi. Dans un instant, la canne allait s'abattre sur moi. Mes pleurs redoublèrent tandis que je le suppliais :

« - Je ne recommencerai pas, je vous le promets ! Oh, père, je vous en prie ! »

J'entendis ses pas s'éloigner. Mais, loin de me rassurer, cela me terrifia davantage. Combien de fois s'était-il éloigné ainsi, me redonnant espoir, pour revenir en se moquant de moi et pour me battre ? Je me recroquevillai sur moi-même, dans l'espoir de disparaître dans le sol. Un sanglot s'étrangla dans ma gorge, me faisant tousser à travers mes larmes. Combien il devait jouir du spectacle de sa fille ainsi terrorisée, et le suppliant désespérément !

Mais soudain, des bras s'enroulèrent autour de moi. Je n'eus pas le temps de me débattre que déjà, la voix de Geoffroy me soufflait douloureusement :

« - C'est fini, Lottie... C'est fini. Je suis là. »

Aussitôt, je m'accrochai à lui en pleurant :

« - Je ne voulais pas, je... Je suis désolée ! »

Mon frère m'enlaça avec force tandis que je me laissais aller dans ses bras. Et sa voix me chantonna doucement au creux de l'oreille :

« - Un, deux, trois... »

Secouée par les sanglots, je ne réagis pas. Il continua donc :

« - Je vais au bois. »

Lentement, j'acquiesçai. Me caressant doucement les cheveux, il chantonna de nouveau :

« - Quatre, cinq six... Les feuilles... »

Je tentai de cesser de pleurer pour ânonner :

« - Crissent...

- C'est bien, Lottie. Tu t'en sors bien. »

Ma main se crispa douloureusement sur sa veste alors que je l'écoutais souffler :

« - Sept, huit, neuf... »

Je déglutis difficilement, avant de répondre :

« - Je... Je trouve un œuf...

- C'est bien. Je suis fier de toi. »

Entendre sa douce voix m'apaisait, comme toujours. Je fermai fort les yeux quand il murmura à mon oreille :

« - Dix, onze, douze... »

Les mains tremblantes, j'essuyai mes larmes, avant de terminer la comptine :

« - Je suis jalouse. »

L'étreinte de Geoffroy se desserra doucement. Il prit mon visage entre ses mains pour embrasser mon front :

« - C'est fini, Lottie... Il n'est plus là... »

Je clignai des paupières, avant de tourner la tête lorsque j'entendis un soupir. Et je tombais dans les prunelles grises de Louis, chargées d'un profond remord. Lentement, je fronçai les sourcils. Qu'est-ce que... Comment était-ce possible ?

Lentement, il s'avança vers moi. Je l'observai en silence, ne réagissant pas lorsqu'il s'accroupit devant moi. Il tendit la main vers mon visage, et me caressa doucement la joue avec un soupir douloureux :

« - Je suis tellement désolé, Charlotte... Je... Je ne voulais pas... »

A son contact, un frisson me parcourut, juste avant que tout ne me revienne en mémoire. Aussitôt, par une réaction que je ne contrôlai pas, je m'esquivai pour me réfugier dans les bras de Geoffroy :

« - Non, ne me touche pas ! »

Mon frère me serra aussitôt contre lui en embrassant ma tempe :

« - Lottie, calme-toi. Je suis là.

- Fais-le sortir, je t'en prie ! »

J'enfouis mon visage dans son cou, la respiration heurtée. L'espace d'une folle crise de terreur, et à cause de Louis, j'avais cru que mon père était encore là. Depuis que j'étais à Versailles, jamais je n'avais eu aussi peur. J'avais pensé que mes crises de panique étaient derrière moi. Mais à cause de Louis, tout m'était revenu. Un sanglot m'échappa. Je ne voulais pas que tout recommence !

La voix suppliante de Louis me parvint :

« - Charlotte, je t'en prie...

- Majesté, je vous prierais de bien vouloir sortir. »

Le ton de mon frère était froid. J'entendis un soupir, puis des pas s'éloignèrent. Et la porte claqua.

Aussitôt, je m'agrippai avec désespoir à Geoffroy :

« - Je ne veux pas qu'il revienne ! Oh, Geoffroy, j'ai eu tellement peur, j'ai cru que tout avait recommencé, qu'il était encore là ! »

J'étais au bord des larmes, terrifiée. Mon frère s'empressa de me serrer contre lui :

« - C'est passé, Lottie. Mais si tu ne veux pas le revoir, je m'assurerai qu'il ne revienne pas. »

Sa voix était pleine de douleur contenue et de peine. Je compris que lui aussi pensait que mes crises étaient finies. En reniflant, je me blottis davantage contre lui, et embrassai sa joue.

Doucement, Geoffroy me souleva dans ses bras, et me rallongea sur la couche. Les traits tirés, il rabattit les couvertures sur moi, avant d'embrasser mon front :

« - Je vais lui parler. Et je reviens.

- Fais vite... »

J'avais peur de rester seule. Comme avant, je ne me sentais plus en sécurité. Angoissée, je m'enroulai dans mes bras sous son regard peiné.

Il s'éloigna, et se tourna vers moi avant de sortir de la pièce :

« - Je reviendrai avec Louise. »

La porte se referma sur lui. Aussitôt, la panique sembla m'oppresser. Et j'avais beau me répéter que mon père était mort et enterré, il me semblait qu'il pouvait à tout instant revenir. Et tout allait alors recommencer.

Avec un gémissement terrifié, je me recroquevillai sous les draps, et agrippai mon oreiller. A cet instant, je haïssais Louis de tout mon être. J'avais fini par me persuader que j'étais plus forte que tout, et j'avais réussi à refouler mes peurs. Mais il avait tout fait ressurgir avec une violence inouïe. Et je le haïssais pour cela.

Le cœur battant, je fermai les yeux et crispai mes mains sur l'oreiller. Comme avant, je tendis l'oreille pour tout entendre. Des voix sourdes me parvenaient, mais je ne distinguais pas les paroles. Finalement, elles se turent, et des bruits de pas s'éloignèrent. Le silence revint un instant, avant d'être brisé par une porte qui claquait. Je reconnus la lourde porte d'entrée, et aussitôt, le soulagement déferla en moi. Louis était parti.

Je sursautai lorsque ma porte s'ouvrit, et sortis craintivement le visage de derrière mon oreiller. Mais ce n'était que Geoffroy, qui revenait avec Louise dans les bras. Aussitôt, je tendis les bras vers lui :

« - Oh, donne-la-moi !

- Il est parti, Lottie. »

Ma gorge se noua tandis que je prenais ma fille dans mes bras. Malgré tous mes efforts, une part de moi était encore attachée à Louis. Et il était temps que je détruise cette partie de moi.


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Hey !

Voici un chapitre assez sombre... à l'image du passé de Charlotte.

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