12. Alors ne te mêle pas de mes affaires.
Je relevai vivement la tête, et plongeai dans les prunelles grises de Louis. Une exclamation de surprise m'échappa, tandis qu'il me détaillait d'un œil absent. Et, lentement, mon cœur se fissura. Il n'avait aucun signe d'affection. Malgré moi, j'avais espéré qu'il soit soulagé de me voir, mais... Rien. Il ne semblait réellement rien ressentir à mon égard.
Doucement, il se redressa contre les oreillers, et me demanda d'un ton froid :
« - Où est Athénaïs ? »
Je crus défaillir. C'était moi qui l'avait soigné, moi qui l'avait veillé pendant une semaine, et... Et il ne pensait qu'à Athénaïs. A cette femme qui l'ensorcelait, qui devait sûrement assister à des messes noires dans les coins les plus sombres de Paris. Une immense tristesse m'envahit, et un fol instant, j'envisageai de dire la vérité. De lui avouer qu'elle l'avait abandonné pour se faire bien voir auprès de son frère, qu'elle lui donnait des philtres d'amour. Mais je ne le pouvais. Il ne m'aurait certainement pas crue. Alors je baissai le visage pour tenter de dissimuler le déchirement de mon cœur, et répondis dans un souffle :
« - Elle est partie, à cause d'une affaire urgente. Elle doit revenir bientôt. »
Chaque mot m'avait brûlé la gorge. Je mentais sciemment, protégeant encore une fois ma sœur. Et je me détestais, et je la détestais, et je détestais Louis qui n'avait su avoir confiance en moi. J'étouffais.
Alors je me levai brusquement, effectuai un semblant de révérence, et me précipitai vers la porte, que j'ouvris. Mais alors que j'allais m'enfuir, la voix de Louis m'arrêta :
« - Faîtes-lui savoir que je l'attends. »
Encore une fois, son ton était froid, glacial. Une larme roula sur ma joue, alors je répondis, lui tournant toujours le dos :
« - Bien, Majesté. »
Et je me précipitai hors de la pièce. Je refermai la porte, un sanglot s'étranglant dans ma gorge, et en me retournant, je heurtai Geoffroy. Le bruit d'une assiette qui se brise retentit, mais je ne m'en préoccupais pas, préférant me jeter dans ses bras en sanglotant :
« - Il est réveillé...
- Oh, Lottie... »
Il me serra contre lui avec force, me berçant d'un mouvement apaisant :
« - Je suis tellement navré... J'avais espéré aussi qu'il te soit reconnaissant...
- Il m'a juste demandé où était Athénaïs, et...
- Et j'espère que tu ne lui as point dit la vérité, Charlotte. »
En reconnaissant la voix de ma sœur, une vague de haine déferla en moi. Je m'écartai de Geoffroy en essuyant mon visage, et fis face au visage suffisant et moqueur d'Athénaïs :
« - Non, j'ai menti. Encore une fois.
- C'est bien, il y a au moins une chose que tu sais faire. »
Folle de rage, j'amorçai un mouvement pour aller la souffleter. Mais Geoffroy m'en empêcha aussi, préférant siffler à notre sœur :
« - Tu es vraiment pitoyable de revenir ainsi alors que tu n'as eu aucune inquiétude durant une semaine !
- Oh, j'avais mieux à faire. Et puis, il y avait suffisamment d'une Rochechouart de Mortemart éplorée à son chevet. Je ne te remercierai jamais assez de l'avoir soigné, Charlotte. Grâce à toi, je peux encore profiter de son statut de roi. »
Je me débattis dans les bras de Geoffroy pour qu'il me lâche, mais il était trop fort. Alors je m'écriai :
« - Garce ! Tu ne penses vraiment qu'aux richesses et au pouvoir ! Tu aurais été prête à le laisser mourir ! Je te hais ! Tu n'es pas digne d'être la mère de ses enfants !
- Oh, parce que toi tu l'es ? Elle eut un rire suffisant et méprisant, avant de reprendre d'un ton mielleux. Mais tu n'es rien, ma pauvre Charlotte. Alors, une bonne fois pour toutes... Enfonce-le toi dans la tête. Tu n'es rien. »
Sur ces mots dégoulinant de fiel, elle pénétra dans la chambre de Louis.
Aussitôt, un profond vide m'envahit. Elle avait raison. Je n'étais rien. Et je n'avais jamais été plus que cela pour Louis. Alors lentement, je m'écartai de Geoffroy, qui prit aussitôt mon visage entre ses mains :
« - Lottie, ne l'écoute pas !
- Mais elle a raison. Je ne suis rien ! Si j'avais été quelque chose pour quelqu'un... Je serais déjà mariée, peu importe ma dot, ou j'aurais encore Louis. Mais je ne suis ni mariée, ni encore avec Louis. Alors je ne suis rien, elle a bien raison. »
Je me dégageai de son étreinte pour m'éloigner de la chambre. J'étouffais.
J'entendais mon frère qui me suivait, et il attrapa brusquement mon poignet pour me forcer à lui faire face :
« - Charlotte Marie Gabrielle, tu vas m'écouter ! »
Il me prit par les épaules pour me secouer :
« - Je peux te l'assurer, malgré tout ce qu'il t'a fait, j'ai vu comment Louis te regardait ! Et je t'assure qu'il ne regarde plus Athénaïs comme cela depuis un moment ! Alors je te l'affirme bien droit dans les yeux : il t'aimait. Il a juste été trop stupide pour ne pas te faire entièrement confiance. Mais il t'aimait. Peut-être t'aime-t-il encore, mais il est blessé par ton hypothétique trahison. Alors peut-être qu'avec le temps... »
Je n'en pouvais plus, d'entendre des paroles d'encouragement. Alors brusquement, j'explosai :
« - Mais je ne fais que cela, attendre ! J'attends depuis toujours que père m'aime, qu'il cesse de m'en vouloir ! J'attends depuis toujours qu'Athénaïs soit moins garce, que tu passes plus de temps avec moi, au lieu de toujours me délaisser pour tes amis ! J'attends depuis toujours qu'un homme m'aime, qu'il m'épouse malgré ma dot quasiment absente ! Et par-dessus tout, j'attends depuis toujours d'être heureuse ! Je n'ai jamais pu l'être réellement, est-ce que tu le comprends ?! »
Enfin, je pouvais extérioriser ce qui me rongeait depuis des années. Je me libérai de sa poigne pour lui crier :
« - Mais jamais personne ne s'est intéressé à moi ! Après tout, j'étais bien insignifiante, toute timide, peu belle, ni drôle, ni intelligente, ni spirituelle que j'étais ! Alors ne me dis pas d'attendre ! J'ai passé ma vie à attendre, et je passerai sans aucun doute le reste de mes jours à attendre ! Attendre l'amour, l'amitié, la reconnaissance, le bonheur ! Il n'y a que Louis qui se soit jamais intéressé à moi, si tant est qu'il l'ait vraiment été un jour ! Et je sais parfaitement que jamais, tu m'entends, jamais il ne reviendra vers moi. Athénaïs a gagné, et je finirais seule. Mais crois-moi, je vais finir par m'y faire ! »
Folle de rage, de rancœur, de haine envers tout le monde et envers moi, je finis par lui cracher :
« - Alors ne te mêle pas de mes affaires. Toi, tout a toujours été facile pour toi ! Tu étais le garçon tant désiré, le bel éphèbe, le jeune homme charmant et spirituel ! Tu n'étais pas la fillette qui avait fait mourir sa mère en couches ! Alors laisse-moi, et retourne voir tes amis ! Mais laisse-moi seule ! »
Je fis volte-face, écumante de rage, et m'éloignai rapidement, le laissant planté là.
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Lorsque je pénétrai dans la salle de jeux, tous les enfants s'empressèrent aussitôt de venir m'encercler avec des cris joyeux. Ce fut Louis César qui fut le plus enthousiaste. Il s'agrippa à mes jupons en piaillant :
« - Lottie ! Enfin tu es là ! »
Je me laissai tomber à genoux et le serrai fort contre mon cœur :
« - Oui, je suis revenue. Votre père est normalement hors de danger. »
Ils eurent des cris de joie, et se jetèrent sur moi pour m'enlacer. Et Louise Françoise s'écria :
« - C'est grâce à toi ! T'es la meilleure, Lottie ! »
Oh non. Si j'étais la meilleure... Je n'aurais certainement pas eu cette vie-là. Mais je repoussai mes pensées négatives pour lui sourire tendrement, et l'embrassai sur le front :
« - Et vous, comment allez-vous ?
- On t'attendait, déclara Louis Auguste. Louisette est très gentille, mais toi tu l'es encore plus ! »
J'étais trop gentille, je l'avais prouvé plus tôt dans la journée en mentant pour sauver ma sœur. Et j'étais lasse de l'état dans lequel je me trouvais. J'étais fatiguée, irritée et irritable, et surtout, emplie de rancœur. Alors j'eus un pauvre sourire pour eux :
« - Je vais me coucher, je suis fatiguée.
- On va t'accompagner ! »
Tous les petits se relevèrent aussitôt, sauf Louis César, qui se blottit dans mes bras. J'embrassai son crâne avant de me relever, attendrie de leur innocence. Si seulement ils étaient mes propres enfants...
Je secouai la tête pour repousser cette pensée, et les suivis hors de la pièce. Ils semblaient m'escorter jusqu'à ma chambre, telle une petite compagnie d'armes. J'eus un sourire amusé, et les suivis jusqu'à ma chambre.
Là, ils s'amusèrent à me préparer mon lit, tandis que je me déshabillais pour ne garder que ma chemise. Et alors que je me couchais, ils vinrent tous m'enlacer par-dessus les draps, et Louise Marie Anne me souffla au creux de l'oreille :
« - Tu me manquais, maman... »
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Hey !
C'est qu'on a envie de lui mettre des baffes à Louis ! Et à Athénaïs par la même occasion...
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