Chapitre XII : À jouer avec le feu
Deux jours après le dîner au Sissi, Rita et Éva manquèrent de se faire surprendre en plein ébats. Au CCF.
Rita y avait accompagné Éva à la fin de leur cours. Elle voulait passer la soirée avec elle. La nuit peut-être parce qu'elle n'avait aucune envie de la quitter et qu'Éva n'avait pas voulu remettre au lendemain le travail qui l'y attendait. Elle avait passé l'après-midi précédente à effectuer des recherches sur Internet et à trouver les œuvres sur lesquels ses élèves de S1 plancheraient, les photos qui conviendraient.
L'objectif de sa leçon porterait sur l'acquisition, puis la mise en pratique de techniques de présentations d'une œuvre d'art et la construction d'une argumentation. Scientifique. Ses élèves devraient élaborer des hypothèses fondées sur des éléments indiscutables, les croiser et expliquer leur choix définitif. Un cours somme toute assez banal. Tout dépendait ensuite du support.
Éva avait recyclé un cours qu'elle avait suivi en licence Un cours d'archéologie grecque qui portait sur la restauration, le restitution, reconstitution et l'identification des statues grecques antiques.
Des statues amputées. D'un bras, d'une main, d'une jambe ou de plusieurs, auxquelles il manquait la tête. La tâche de ses étudiants consisterait à combler les parties manquantes.
Éva avait prévu un premier cours qui s'appuyerait sur les échanges. Sur des exemples. Les étudiants visionnerait d'abord un épisode de la série D'Art d'Art consacré à la Vénus de Milo. Ensuite, elle leur présenterait le mal nommé Poséidon du Cap Sounion et la Vénus d'Arles. Elle les inciterait à emmètre des hypothèses. Elle les écouterait, les guiderait, leur expliquerait pourquoi le dieu du Cap Sounion s'avérait plus certainement être un Zeus qu'un Poséidon, pourquoi la Vénus d'Arles avait certainement tenu une pomme dans la main. Elle évoquerait la ligne des corps, l'équilibre esthétique, la mythologie, les attributs qui permettaient bien souvent d'identifier un dieu et l'impossibilité parfois de proposer une véritable restitution, sans que cela n'empêchât pourtant de proposer une reconstitution parfaitement valide.
Une fois le principe compris, les outils de la langue ingurgité et digéré, Éva diviserait la classe en petits groupes de trois ou quatre élèves, elle leur distribuerait plusieurs photos et ils choisiraient eux-même l'œuvre sur laquelle ils voulaient plancher. Chaque photos présentait une statue d'homme ou de femme à qui il manquait plusieurs membres. Les élèves « fabriqueraient » les membres manquants et identifieraient le sujet. Il importait peu à Éva que ses élèves reconnaissent le dieu qu'elle leur avait confié du moment que leur travail et leurs conclusions s'appuyât sur une solide argumentation.
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Venir travailler au CCF après dix-huit heures lui garantissait tranquillité et accès illimité à l'imprimante et à la photocopieuse. Éva voulait aussi revoir le dossier qu'elle avait préparé sur Frida Kahlo.
Le CCF était fermé. Le soldat en faction dans la rue, les avaient amicalement salué, il connaissait bien Éva. Elle venait souvent le soir, et même si ce n'était plus trop le cas depuis la fin du mois de mars, elle avait passé de nombreuses soirées à travailler dans les locaux désertés.
Il ne savait pas qu'Éva n'était pas aussi studieuse qu'il le pensait. La jeune Française avait plus souvent joué qu'elle n'avait travaillé. Elle avait découvert un jeu de gestion installé sur l'un des ordinateurs et elle avait parfois jouer tard dans la nuit. Du temps où elle partageait avec tant d'enthousiasme un appartement en colocation. Elle venait moins souvent maintenant, mais presque toujours comme avant le soir.
En entrant, elle se rappela qu'elle n'avait plus rien à lire et se décida de d'abord se trouver un nouvel ouvrage. Rita la suivit dans la bibliothèque, il faisait encore assez jour, pour ne pas à avoir à allumer les lumières. Éva lista les couvertures, sortit quelques volumes dont le titre l'attirait, lisait le quatrième de couverture, la première phrase du roman, une autre au hasard et la dernière. Elle s'arrêta à la lettre D.
Dumas.
Hum... Qu'est-ce qu'ils avaient ? La Reine Margot, Les Trois mousquetaires. Elle les avaient déjà lu plusieurs fois. La Duchesse de Langeais ? Bof. Oh, Le comte de Monte-Christo. Elle avait vu des films, des séries, lu l'ouvrage simplifié dans la Bibliothèque verte, mais pas l'œuvre complète. Dumas écrivait bien, ses histoires la distrayaient, elle appréciait les personnages que l'auteur avait tenté d'ancrer dans leur temps. Mouais. Deux tomes, énormes. Super. Elle les retira des rayonnages.
Rita explorait la bibliothèque d'un air sombre.
— Éva ?
— Mmm ?
— Tu as beaucoup de livres chez toi ?
— Mouais.
— Combien ?
— Je ne sais pas, entre cinq cents et mille, je crois. Je ne saurais pas te dire.
— ...
— Il y a plus de librairies en France, s'excusa Éva.
— Je suis incapable de lire en français.
— Bien sûr que si.
— Je n'y connais rien.
— Tu devrais lire Tristan et Yseult.
— Ça raconte quoi ?
— L'histoire d'une très belle reine. À la demande du roi Marc, Tristan doit aller la chercher en Irlande et la ramener pour qu'elle devienne l'épouse du roi. Elle ne veut pas se marier alors sa mère prépare un filtre magique qu'Yseult doit partager avec le roi Marc lors de sa nuit de noce. Sur le navire qui les ramène, la suivante d'Yseult fait boire le filtre à Tristan et Yseult. Ils tombent dans les bras l'un de l'autre. Le filtre est si puissant qu'ils ne peuvent pas vivre loin l'un de l'autre sans mourir. Mais Yseult est promise à Marc et elle l'épouse. Après, Tristan et Yseult restent amoureux, ils continuent de coucher ensemble et il leur arrive plein d'aventures. Marc veut même offrir Yseult a des lépreux parce qu'elle a été convaincue d'adultère. En fin de compte, Tristan partira vivre ailleurs, il épousera une femme, mais ne la touchera jamais. À la fin du roman, il est blessé par une lame empoisonnée et appelle Yseult parce qu'elle est la seule qui puisse la guérir, mais sa femme est jalouse, elle lui ment à propos d'une histoire de voile qui doivent être blanche si Yseult vient le sauver et il se laisse mourir. Yseult arrive trop tard et elle meurt de chagrin sur son corps.
— Ce n'est pas très gai.
— C'est une histoire passionnelle. Le truc c'est qu'Yseult manipule tout le monde, le roi comme Tristan. Le roi l'aime et elle couche avec lui puisqu'elle est sa femme, ce qui ne l'empêche pas de coucher avec Tristan dès qu'elle le peut. Et quand elle et Tristan accepte de vivre loin l'un de l'autre, Yseult continue de coucher avec le roi, par contre Tristan est tenu par un sort. La nuit de ses noces, il regarde la bague qu'Yseult lui a laissé en présent et il ne peut toucher sa femme. Tristan est prisonnier de son amour pour Yseult. Il n'a aimé et n'aimera qu'elle.
Un éclair brilla dans les yeux de Rita. Éva ne le manqua pas.
— Tu es la nouvelle Yseult, grimaça Éva.
— Oui ? sourit Rita ravie.
— Oui.
Éva lui tourna le dos, elle sortit des rayonnages et s'accroupit pour ranger les deux volumes de Dumas dans son sac. Quand elle se releva, Rita se tenait dans son dos. Éva se troubla et n'osa plus bouger.
— Yseult, hein ? chuchota Rita à son oreille.
Elle lui enserra la taille et se colla à son dos.
— Oui, confirma Éva.
— Et Tristan ?
— Il est fou d'elle, il ne voit qu'elle, il fait tout ce qu'elle veut, il accepte tout.
— Comme toi ?
Rita lui caressa le cou du bout des lèvres. Éva ferma les yeux.
— Éva ?
— Quoi ? fit celle-ci la voix rauque.
— C'est toi Tristan ?
Éva hocha la tête.
— Tu m'aimes autant que lui aime Yseult ?
Ses mains passèrent sous la chemise d'Éva, s'aventurèrent sur son ventre, montèrent doucement, tandis que sa langue arrachait un soupir à la limite du gémissement à la jeune Française.
— Éva ? la relança Rita.
Elle n'obtint pas de réponse. Ses doigts trouvèrent les mamelons durs et saillants. Éva bascula la tête en arrière et un long gémissement lui échappa.
— Je suis comme Yseult ?
— Oui.
— Tristan est fou d'elle ?
— Oui.
— Et toi ?
Éva se retourna brusquement. Incapable de jouer plus longtemps. Tomba sur sa bouche, dévorée de désirs. Tira sur la chemise, trouva la peau nue, intensifia son baiser. Lutta. Leur corps se collèrent, leur respiration s'accéléra, les ongles griffaient. Elles cherchaient vainement à satisfaire leurs désirs. Le sofa. Rita poussa Éva dessus, l'allongea, se coucha sur elle. Éva se cambra en gémissant son nom. Rita se frotta sur elle, gémit à son tour. La déshabiller. Elle abandonna sa bouche pour son cou, releva le bas de sa chemise, pas le temps de la déboutonner. La lui passer par-dessus la tête. Lui retirer avec sa brassière, puis s'attaquer au pantalon, au sous-vêtement et se perdre en elle. L'entendre râler, crier, hurler, jouir. Lui arracher son prénom des lèvres. Une déclaration.
Éva fermait toujours le CCF à clef quand elle venait le soir. Une sécurité. L'une des rares consignes d'Antoine qu'Éva suivait à la lettre.
Une clef tourna dans la serrure. Une serrure de sécurité à trois points. Les verrous résonnèrent dans l'entrée. Rita se détendit comme un ressort et se retrouva debout en un clignement d'œil. Éva se redressa, rabattit sa chemise. Fila en catastrophe dans la grande salle de travail. S'assit devant l'ordinateur qu'elle avait heureusement allumée en arrivant, avant de se rendre dans la bibliothèque, avant de s'adonner aux mains de Rita. Le CCF baignait dans la plus complète obscurité. La nuit était venue sans qu'elles n'y prêtassent attention. Cliquant fébrilement sur le dossier Frida Kahlo, elle entendit la télévision dans la bibliothèque.
— Il y a quelqu'un ? demanda une femme.
— Euh... oui oui, répondit Éva d'un voix mal assurée.
— Vous êtes dans le noir.
— ...
Les néons clignotèrent dans l'entrée avant de s'allumer définitivement. L'opération se renouvela dans la grande salle. Éva se retourna.
Hélène.
La jeune prof la regardait bizarrement. Rita apparut soudain. Hélène fronça les sourcils.
— Ah bonjour, Hélène, sourit Rita.
Elle avait les yeux brillants, les joues rouges, la voix qui tremblait et les cheveux ébouriffés.
— Rita ?
Ses yeux passèrent de Rita à Éva.
— Rita, viens voir, l'apostropha Éva. Je vais te montrer les œuvres que j'ai sélectionnées.
Rita s'approcha, Éva fit défilé des photos.
— Tu vois, c'est joli, non ?
— Oui, c'est bizarre aussi.
— Ce sera pour après de tout façon. Je vais imprimer les autres pour après-demain et après on s'en va, j'en ai pour dix minutes.
— Prends le temps qu'il faudra.
Hélène n'avait pas bougé. Éva sentait son regard vrillé sur leur dos. Elle la soupçonnait de se poser un peu trop de questions. Et puis Hélène tourna les talons. Éva exhala un bref soupir. Rita lui déposa un baiser facétieux sur la joue. Cette imbécile s'amusait de la situation. Tout l'amusait dans cette histoire. Leur passion, leur fièvre, la longueur de leurs ébats, leurs cris, les voisins qui les entendaient, Hélène qui manquait de les surprendre, le plaisir qu'elle trouvait dans les bras d'Éva, Anouar, ses enfants, leur comportement d'ado. Tout ce qui étonnait Éva, tout ce qui parfois la mettait mal à l'aise, amusait Rita au plus haut point. Comme le fait qu'elles ne se connussent pas.
Éva avait toujours été très proche des gens avant de se retrouver embarquée avec eux dans des histoires plus complexes. Avec Rita... Elle l'avait retrouvée dans son lit avant même qu'une histoire d'amitié ne s'esquissât. Ne prît réellement forme. Rita aimait parler de leur relation, du plaisir qu'elle ressentait, du désirs qui la tenaillait, de ce qu'elle trouvait chez Éva, sexuellement, qu'elle ne trouvait pas, qu'elle n'avait jamais trouver chez Anouar. Elle était intarissable quand elle abordait ce genre de sujet.
— J'ai fini, annonça Éva à Rita qui s'était installée devant la télévision.
La jeune Syrienne éteignit, salua Hélène et rejoignit Éva qui l'attendait. Un fou rire la prit dans les escaliers.
— Un peu plus... hoqueta-t-elle.
— Elle a dû trouver ça louche quand même, remarqua Éva.
— J'ai allumé la télé parce que la lumière clignote avant de s'allumer, elle l'aurait vu, ça aurait été pire.
— Mmm.
— Je suis trempée.
— Mmm.
— Toi aussi ? rit Rita.
— À ton avis ? grommela Éva.
— On passe chez toi ?
— Tu ne veux pas rentrer ? Anouar t'attend peut-être.
— Il est sept heures moins le quart. On va prendre un taxi, dans dix minutes, on est chez toi, on ne mange jamais avant neuf heures et demi.
— Mmm.
— Deux heures, Éva... Tu ne veux pas ?
— Si, concéda Éva.
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Elles entretinrent leur désir dans le taxi. Ils leur suffisait simplement d'être assises l'une à côté de l'autre, de tenir leurs doigts enlacés. Éva arrivait à peine à respirer. Rita resplendissait de bonheur. Elles tombèrent à moitié nues dans le lit d'Éva. Il les supporta durant deux heures, mêla ses grincements à leurs cris. Rita obtint d'Éva ce qu'elle avait été contrainte de remettre à plus tard au CCF. La jeune Française s'adonna à ses plaisirs et y ajouta les siens. Elles mêlèrent leur souffles, leurs sueurs, leurs odeurs et leurs fluides corporels. S'oublièrent. Encore une fois, une nouvelle fois. Quoi qu'en pensait Éva, elle s'émerveillait autant que Rita de leur fusion, de leur entente, de sa satisfaction jamais mise en défaut, elle jouissait autant qu'elle de leur union sexuelle.
Elle explosait de plaisir sous sa langue, aspirait aux caresses de ses mains et de ses doigts sur son corps, s'ouvrait pantelante à la moindre de ses sollicitations, touchait à l'extase quand elle la sentait en elle. Rita l'emmenait où elle voulait, comme elle voulait, au rythme qu'elle avait choisi et Éva la servait en retour des mêmes attentions. Rita des mêmes réactions. Leur corps s'étaient trouvés au-delà de leur esprit. Ils se reconnaissaient au-delà de leur volonté. Leur imposaient leur besoin de se retrouver peau à peau l'un contre l'autre. Ils s'appelaient, se désiraient, affamés, assoiffés de jouissance. Toujours en éveil. Même après trois heures à boire aux sources de leur désirs, à se vautrer dans le plaisir. Que leur importait le temps passé à se fondre l'un dans l'autre, ils en voulaient toujours plus.
Rita se relâcha sur Éva, l'embrassa doucement dans le cou.
— C'est tellement bien avec toi, soupira-t-elle.
Éva lui caressait légèrement le dos. Ouais, c'était génial. Il n'y avait aucun doute à avoir là-dessus.
— Si seulement Anouar se décidait à franchement dire oui.
Éva se rembrunit.
— Yseult... plaisanta-t-elle cependant.
Rita rit.
— Tu es une femme, rétorqua Rita.
— Mouais, ça ouvre des possibilités.
Rita se souleva sur un coude.
— Comment ça ?
— Ben...
Rita comprit soudain. Elle claqua l'épaule d'Éva du plat de la main.
— Ah, non ! Je n'accepterai jamais qu'Anouar fasse du sexe avec toi. Si tu fais ça je te tue.
Éva se demanda ce que Rita ne supporterait pas. Qu'Éva la trompât avec Anouar ou qu'Anouar la trompât avec Éva ?
— Je veux passer la nuit avec toi, lui dit Rita en se recouchant sur elle.
— Tu veux que je dorme chez toi ?
— Tu n'as pas cours demain. On reviendra le matin ici. Mais je veux dormir dans tes bras.
— Dormir seulement ?
— Je suis fatiguée.
— Ça n'empêche pas.
— Non, et j'aime bien faire l'amour avec toi la nuit. C'est amusant. On dort, on se réveille en même temps et hop ! Sans même y penser, on fait l'amour, une fois, et on se rendort aussitôt !
— Mmm.
C'était surtout ultra-troublant. Éva dormait à moitié quand elle se laissait ainsi surprendre par le désir au milieu de la nuit. C'était doux, sensuel, excitant et terriblement satisfaisant.
— Tu viens alors ? souffla voluptueusement Rita à son oreille.
Comment refuser ?
— Ouais.
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Elles étaient rentrées peu après neuf heures. Anouar regardait la télévision avec les enfants. Rita alla le saluer et lui promit de préparer rapidement le dîner.
— Éva est là.
— Mmm, c'est bien, approuva-t-il sans quitter l'écran des yeux.
— Elle reste dormir.
— Comme tu veux.
— Ça ne te dérange pas ?
— Non non, au contraire, elle est la bienvenue.
Éva passa la tête dans l'embrasure de la porte.
— Bienvenue, Éva, la salua Anouar.
— Bonsoir.
— Éva, viens avec moi à la cuisine, tu m'aideras pour couper les légumes.
— Okay.
Elles s'affairèrent un moment. Rita avait passer un couteau à Éva et celle-ci coupait un concombre en rondelle. A côté d'elle, Rita préparait du homos. Soudain, elle se pencha sur la jeune Française.
— Je t'aime, lui dit-elle langoureusement à l'oreille.
Éva lâcha son couteau, l'enlaça et la poussa dans un coin de la cuisine à l'abri du regard des voisins. Elle l'embrassa. D'abord, elle déposa simplement des petits baisers, sur ses lèvres, Rita répondit aussitôt, puis elle ouvrit la bouche. Une invitation à laquelle Éva répondit immédiatement. Leurs langues se cherchèrent, se trouvèrent. Le baiser se chargea d'électricité. Éva serra Rita contre elle.
— Oummi ? dit une petite voix derrière elles.
Les deux jeunes femmes se séparèrent précipitamment.
— Chou baaddak, Paul ? demanda Rita en lui adressant un sourire crispé.
— Maaï, répondit l'enfant.
Éva récupéra son couteau et reprit sa découpe. Elle jeta un coup d'œil au petit garçon. Il regardait sa mère d'un air suppliant, plein d'adoration aussi.
— Éva, tu peux attraper un verre dans le placard au-dessus de toi, s'il te plaît ?
Éva ouvrit le placard et tendit le verre à Rita. La jeune Syrienne tourna le robinet, laissa couler l'eau un moment, remplit le verre et le donna à son fils. Il l'avala d'un trait et le rendit ensuite à sa mère.
— Shoyan.
Il s'avança vers Éva et du doigt désigna l'assiette de concombre.
— Éba...
Éva sourit, elle prit une rondelle de concombre, s'accroupit devant l'enfant et la lui présenta. Un grand sourire illumina les traits du petit garçon. Il s'empara de la rondelle de concombre et la remercia. Puis, il lui tourna le dos et sortit de la cuisine en trottinant. Les deux jeunes femmes se regardèrent. Amusées. Rita se rapprocha. Éva se releva. Rita la tira vers elle et reprit le baiser là où elle l'avait abandonné, puis elle se retira vivement et posa les doigts sur les lèvres d'Éva.
— Tout à l'heure, chuchota-t-elle.
— Tu crois que... Enfin, Paul qu'il...
— Il ne sait pas parler et il n'a jamais rien dit.
Oui, parce que ce n'était pas la première fois qu'Éva et Rita s'embrassaient devant le plus petits des deux garçons. Il les avait regardé attentivement la première fois, mais lui, contrairement à son frère n'éprouvait aucune restriction à l'encontre d'Éva. Elle le portait souvent quand ils se promenaient dans la rue et il l'aimait beaucoup. Gibraïl parlait bien et il se montrait surtout jaloux. Rita évitait de le provoquer et de céder à ses envies quand il se trouvait avec elle et Éva.
— Éva, tu m'aideras pour mon entretien au consulat ?
— Tu veux vraiment partir ?
— Oui, pour Gibraïl et Paul.
— Tu sais que tu ne trouveras pas la même quiétude au Canada qu'ici.
— On ne peut pas se bâtir un avenir ici. Je veux qu'ils aient leur chance.
Une discussion qu'elles avaient déjà eu. Une discussion qu'Éva avait aussi partagée avec son cours de débutant. Les jeunes voulaient partir. Mais Éva partageait l'avis de Rim, une pédiatre qui exerçait à Alep, originaire de la Vallée des Chrétiens. Elle reconnaissait qu'on ne pouvait pas mettre de l'argent de côté, qu'on vivait dans une certaine indigence, mais elle était convaincue que nulle part ailleurs, elle retrouverait la quiétude et la douceur de vivre qu'on trouvait en Syrie. Les jeunes avait acquiescé, mais ils reprochaient à la Syrie de n'offrir aucune opportunité à leurs rêves.
Éva comprenait leur volonté de s'élever, de rêver, mais elle comprenait encore mieux l'avis de Rim. Elle avait souvent accompagné Rita au jardin public. À chaque fois, elles laissaient les enfants à l'aire de jeu pour aller discuter un peu plus loin, sans se soucier de ne pas les garder sous leurs yeux, de ne pas pouvoir les surveiller parce qu'à peine avaient-elles mis les pieds dans l'aire de jeu, que des enfants plus âgés, que Rita connaissait ou pas, s'avançaient pour tendre une main aux enfants et les prendre sous leur protection. Ils ne se contentaient pas seulement de garder un œil sur eux, ils s'occupaient d'eux. Et quand elles revenaient pour récupérer les enfants, il y avait toujours un grand garçon de treize ou quatorze ans qui s'amusait à faire glisser Paul en toute sécurité sur les toboggans, tandis que Gibraïl donnait la main à un autre qui l'aidait à grimper les échelles encore trop grandes pour lui. Éva avait trouvé cela... admirable.
— Je te préparerai.
— Merci.
Elle l'embrassa affectueusement dans le cou. Éva frissonna.
— Ce que tu peux être sensible ! s'exclama Rita d'un air faraud.
Éva grommela des paroles indistinctes. Rita s'esclaffa.
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La soirée avait été tranquille. Comme c'était souvent le cas depuis que Éva vivait pratiquement à mi-temps chez Anouar et Rita. Depuis plus de trois semaines, elle dormait rarement plus de deux sur trois chez elle. La famille et les deux jeunes femmes avaient pris leurs habitudes.
Comme cette nuit.
Quand l'heure de se coucher sonnait, Rita emportait Gibraïl dans sa chambre et restait avec lui coucher dan son lit jusqu'à se qu'il s'endormît. Ensuite, elle rejoignait Éva. Immanquablement. Souvent Éva dormait déjà. Mais elle finissait toujours par se réveiller à un moment où à un autre, et Rita ne dormait jamais en ces moments-là. Leurs mains se trouvaient, puis leurs lèvres, puis leur corps. Elles portaient des tenues de nuit légères, elles ne prenaient même pas la peine de se déshabiller. Cette nuit-là, comme toutes les autres nuits qu'elles avaient passée ensemble auparavant, elles s'adonnèrent au même rituel.
D'abord, une caresse légère sur l'avant-bras. Puis la main d'Éva passa sur la nuque de Rita, fourailla dans ses cheveux. Rita lui caressa l'épaule, elle passerait à une zone plus sensible après, mais pas tout de suite. Elle aimait prendre son temps. Prendre le temps d'éveiller Éva au désir. Elle chercha ses lèvres. Éva gémit. Rita l'embrassa doucement. Leurs corps se rapprochèrent, leurs jambes s'emmêlèrent, sans monter directement trop haut. Attendre encore un peu. Les bruits doux de leurs baisers troublaient seuls la quiétude qui régnait dans l'appartement.
Les doigts d'Éva se durcirent sur la nuque de Rita. Elle était prête. Rita recula légèrement le buste et sa main descendit sur la poitrine d'Éva. Dans le même mouvement, elle remonta sa cuisse entre ses jambes. Le corps entier d'Éva se tendit. Rita roula sur elle et approfondit le baiser. La deuxième mains d'Éva s'accrocha à ses reins, les doigts en crochet.
Rita l'emporterait doucement, elle prendrait son plaisir avec elle, mais elle mènerait leur ébats. Elle sentit Éva s'ouvrir à sa bouche. Écarter les jambes. Rita abandonna ses lèvres descendit sur son corps, releva son tee-shirt au dessus de sa poitrine. S'activa sur un mamelon, le moins sensible. Éva râla tout de même, doucement. Ses mains prirent appuis sur le matelas et son dos se arqua à la rencontre de la bouche qui la dévorait.
Rita remonta, reprit ses lèvres. Éva se relâcha et se concentra sur le baiser, sur la langue de Rita contre la sienne, autour de la sienne. Sur sa main qui avait repris sa caresse sur la pointe du sein. Elle se mit à flotter dans un océan de sensations aussi intenses les unes que les autres. La langue, le mamelon dressé, presque douloureux tant il s'était durcit sous les mains et les lèvres de Rita, l'autre mamelon qui aspirait aux mêmes caresses, les doigts qui dessinaient des courbes sur son flanc, qui soulignaient ses côtes, qui s'enfonçait dans le creux de sa hanche, qui effleuraient les poils de son pubis, qui s'y attardaient, qui s'aventuraient un peu plus bas, qui remontaient. Puis le majeur qui suivait le plis de l'aine.
Rita ajouta son index, descendit le long des lèvres gonflées par le désir, passa sur les fesses, s'enfonça doucement dans le sillon qui les séparait en deux. Glissa sans peine. Le désir d'Éva coulait à flots. Rita alla plus loin. Éva bascula le bassin vers l'arrière, releva les genoux et les laissa tomber sur le côté. Ouverte. Offerte.
Elle attendrait encore un peu, décida Rita.
Éva râla faiblement le prénom de sa tortionnaire. Brisant une nouvelle fois le silence. Répondant à son attente, Rita passa lentement son doigt sur toute la longueur du sexe impatient, finit sa course sur l'excroissance érectile, gorgée de sang. Insista, entama une caresse légère d'avant en arrière.
Éva se tendit.
Rita l'aimait à mourir.
Elle reprit sa bouche et s'enfonça en elle. Éva se cambra, referma ses jambes autour des siennes et se laissa porter. Comblée.
Rita engagea un mouvement lent et profond, Éva mit son corps au diapason, le bassin suivait en miroir les va-et-vient qu'imprimait Rita à ses doigts. Son plaisir montait vague après vague, doucement, inexorablement. Chaque centimètre de son corps éveillé au désir, intensément présent, intensément conscient du corps allongé sur elle. Tous les sens en éveil.
Rita savait. Elle savait moduler son plaisir, conduire Éva sur la crête ultime et la maintenir dessus, délicieusement en équilibre, prolonger le moment, indéfiniment, avant de l'envoyer basculer dans le vide. Éva savait faire cela, mais elle cédait souvent à son impatience. Rita faisait preuve d'une patience infinie quand elle s'occupait d'Éva.
La jeune Française nageait dans la félicité.
— Ra... Ra... Rita, murmura-t-elle en extase d'une voix rauque.
Rita poussa plus profond, sans accélérer. Éva ouvrit la bouche. Elle basculait lentement. Aspirait à plus, voulait plus. Encore, encore, gémissait silencieusement son esprit et son corps.
Encore.
Rita souriait au-dessus d'elle.
Éva, son amour, sa passion, l'objet de tous ses désirs, la source intarissable de tous ses plaisirs.
Elle tapa plus durement à l'intérieur d'Éva. Cherchant à l'emmener plus loin, à la surprendre au fait de son extase.
La faire jouir, la regarder jouir, se repaître de ses traits ravagés par la puissance de son orgasme. L'aimer encore, se faire aimer. En attendant demain. Demain chez Éva. Pour retrouver ses cris et pousser des hurlements quand Éva l'aimerait et l'emporterait avec elle. Elle se baissa pour l'embrasser, pour se calmer un peu, pour prolonger l'échange. Éva respirait erratiquement, à moitié pâmée de plaisir. Balbutia encore une fois son prénom.
Rita se figea soudain.
Une main venait de se refermer sur sa cheville. Une grande main.
Elle tourna la tête.
Anouar.
Le drap avait glissé. Le tee-shirt de Rita était relevé haut sur son dos, Éva avait repoussé son short de nuit bas sur ses fesses. Éva la tenait enlacée, entre ses bras et ses jambes, la tête basculée en arrière, avec une expression du pure extase affiché sur le visage.
Rita croisa le regard de son mari. Il n'exprimait rien.
Il retira doucement sa main, se releva et quitta la chambre.
Éva râlait toujours de plaisir sous Rita. La jeune Syrienne toujours en elle.
— Rita... haleta-t-elle.
— Anouar, il est là, souffla Rita en redressant la tête. Il me tenait la cheville.
Ah ! fut la seule réaction d'Éva.
Rita exerça une pression sur elle. Éva la libéra de ses bras et de ses jambes, mais elle leva la tête pour l'embrasser. Rita répondit au baiser voluptueux, puis elle se recula et s'assit sur le bord du lit. Éva se leva.
Le moment était peut-être venu de s'éclipser.
— Il vaut mieux que tu partes, la confirma Rita dans sa décision.
La jeune Française s'habilla, laça ses chaussures, fourra ses affaires dans son sac à dos et le jeta sur son épaule.
Anouar les attendait, assis sur le sofa. Il tourna les yeux vers elle quand Éva apparut. La jeune Française si séduisante avec ses yeux bleus, ses long cheveux blond, son sourire éclatant et sa taille élancée. Ses habits d'homme. Ses chaussures d'homme. Son corps de femme.
Éva croisa son regard. Sans qu'elle y pensât, un sourire étira le coin de ses lèvres, grandit, s'épanouit.
Anouar ne la quitta pas des yeux, il n'esquissa pas le moindre geste, ne prononça pas le moindre mot. Il ne répondit pas à son insolence et garda un visage totalement impassible.
Éva traversa le salon de son pas tranquille et souple. Rita sur les talons.
— Je te vois demain matin, lui souffla la jeune Syrienne sur le pas de la porte en la poussant dehors.
Elle se ravisa retourna Éva face à elle et lui posa un baiser chaud et humide sur les lèvres.
— Je t'aime, chuchota-t-elle les yeux encore brillant de désir.
Elle se recula et la porte se referma sur elle.
Éva fronça les sourcils. Elle appuya sur l'interrupteur de la cage d'escalier. La lumière brilla et elle regarda sa montre. Quatre heures et demi. Elle n'avait rien oublié ? Non. Elle descendit lentement les marches, traversa le corridor, ouvrit la lourde porte de l'immeuble, se retrouva dans la rue déserte et rentra doucement chez elle.
Il était assez tôt pour qu'elle pût dormir encore un peu. Elle n'avait pas cours le lendemain et Rita lui avait dit qu'elle passerait la voir le matin.
Elle récupéra sa tenue de nuit dans son sac, se changea et s'allongea sous ses draps. Des draps que lui avait prêté Rita. Éva avait apporté des draps noirs en Syrie. Rita avait poussé de haut-cris en découvrant son lit drapé dedans. Elle avait déclaré qu''Éva ne pouvait pas dormir dans des draps noirs, que c'était morbide.
Éva n'avait pas protesté quand Rita était revenue avec des draps blancs et qu'elle s'était elle-même chargée de défaire et de refaire son lit, après tout Rita était sa lingère, cela lui procurait quelques droits sur son trousseau. Par la suite, Rita avait passé beaucoup de temps dans le lit d'Éva et la jeune Française n'avait pas voulu la contrarier de quelque manière que ce fût. Elle la préférait détendue quand elles se retrouvaient ensemble dans ou sur les draps.
.
Elle se pelotonna sous sa couette, s'installa confortablement. Ses pensées s'égarèrent auprès de Rita. Son corps brûlait encore au souvenir de ses caresses. Elle se retourna, grogna d'aise et s'endormit alors qu'un sourire de contentement béat flottait ses lèvres.
***
NOTES DE FIN DE CHAPITRE :
Illustration : Tristan et Yseult, enluminure médiévale
La Vallée des Chrétiens (Wadi el Nassara) : Vallée située dans la région du Krac des chevaliers qui regroupait avant la guerre civile environ 70 000 habitants majoritairement chrétiens et de rite grec orthodoxe.
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