Chapitre VI : Joyeux anniversaire !
Le 5 avril 2004,
— C'est amusant.
— Quoi ?
— Que tu fêtes ton anniversaire aujourd'hui
— Pourquoi ?
— Le mien était hier. Je suis née le 4 avril.
Éva resta muette de surprise. Hier ? Le 4 avril ? Rita s'était bien gardée de le lui dire.
Drôle d'anniversaire. Drôle de célébration. La fête des Rameaux et l'arrivée du printemps n'avaient peut-être pas été les seuls responsables de son initiative.
Dans quelle mesure, Rita n'avait-elle pas décidé de s'offrir un cadeau ? Un petit plaisir. De s'offrir Éva ? Réelle ou pas, l'idée était séduisante, elle amusait Éva. Elle grimaça.
Rita se levait et elle ne remarqua pas l'expression qu'arborait Éva. Sa fierté déplacée. Elle disparut sans un mot dans sa chambre.
Soudain seule, malgré ses idées libertines, l'humeur d'Éva glissa au bord du gouffre dans lequel elle évitait de tomber depuis qu'elle s'était retrouvée ce matin face Rita.
Malgré son amusement, elle n'arrivait pas vraiment à analyser les événements auxquels elle avait pourtant participé activement hier matin. À savoir ce qu'elle pensait de cette histoire. De leur aventure. Car c'était bien ainsi qu'on pouvait la nommer, non ? Même si le mot écorchait les oreilles et la sensibilité d'Éva. Un mot qui rimait dans l'esprit d'Éva avec farce et luxure.
Elle n'arrivait surtout pas à se convaincre qu'elle avait bien déshabillé Rita, qu'elle s'était bien retrouvée nue sur elle, qu'elle s'était bien pâmée de plaisir dans ses bras, que Rita lui avait bien sauté dessus, qu'Éva ne l'avait repoussée à aucun moment, qu'elle avait bien succombé à ses avances à l'instant même où les lèvres de Rita s'était posées sur les siennes alors qu'elle ne l'avait jamais désirée, qu'elle avait bien tout de suite voulu plus, qu'elles avaient bien couru, ravagées de désir, chez elle, qu'elles avaient bien exploré à l'envie tous leurs désirs, qu'Éva en voulait bien plus et que Rita lui avait bien assuré que cette première fois serait bien suivie par bien d'autres.
.
Elle s'était rendue chez Rita ce matin. Comme convenu. Comme elle venait souvent le matin quand elle n'avait pas cours. Une habitude qu'elle avait prise depuis qu'elle avait emménagée à Slémanié.
Comme elle le faisait avant.
Avant... hier.
Rita n'avait pas évoqué cette matinée particulière. Les deux heures passées dans le lit d'Éva. Peau à peau. En sueur. Elle ne s'était fendue d'aucun sourire entendu, d'aucune déclaration, pas même d'un regard complice. Elle s'était montrée égale à elle-même. Enjouée, souriante et chaleureuse.
Éva avait donné le change. Du moins, elle avait essayé. Elle se sentait empruntée, décalée et pas très à l'aise. Plus très sûre de ne pas avoir rêvé. Comme tout le reste. Comme à chaque fois qu'elle pensait au passé, à son passé, et qu'elle croyait se remémorer les souvenirs d'une autre personne. Comme si des précipices infranchissables séparaient chaque instant vécu de son présent actuel. Elle ne retrouvait souvent rien de commun entre la personne qu'elle avait été censée être et la personne qu'elle était. Peut-être en serait-il de même pour la journée d'hier. Peut-être l'était-ce déjà.
Si Rita se taisait, si elle décidait d'ignorer ce qu'il s'était passé entre elles, de nier le désir qui l'avait jetée contre Éva et le plaisir qu'elle en avait retiré, Éva pourrait vivre comme si rien n'était jamais arrivée. Leurs ébats resteraient un événement détaché de sa vie.
Un rêve.
Un fantasme issu de sa solitude. Les fantasmes n'avaient aucune réalité et ils n'influençaient jamais son comportement et ses réactions dans la vie réelle.
Hier n'avait jamais existé.
Sauf que...
Rita l'avait troublée. Vraiment troublée. Et, depuis que Rita lui avait ouvert la porte, Éva luttait pour que son regard ne s'égarât pas sans cesse sur les lèvres de la jeune Syrienne. Pour oublier ses yeux. Pour oublier tout le reste, son esprit comme son corps, ses déclarations et ses soupirs, ses cris et ses gémissements. Oublier parce que... parce que...
Le retour de Rita interrompit le fil de ses pensées. Son élève reprit sa place à ses côtés sur le sofa. Elle tendit son poing fermé, attrapa la main d'Éva, lui tourna la paume de la main vers le haut et ouvrit son poing dedans. Un objet tomba, léger. Rita referma les doigts d'Éva dessus.
— J'aime beaucoup ma sœur, lui dit-elle d'un ton grave. C'est elle qui me l'avait offert pour mon anniversaire. Je la portais toujours avant et puis, lors de nos fiançailles, Anouar m'a offert celle que je porte à présent.
Rita écarta le col de sa chemise et passa un doigt sur la grosse chaîne en or qu'elle portait autour du cou. Éva ouvrit la main. Son regard tomba sur l'objet qui s'y trouvait. Un bijou. Une chaîne ras du cou, une maille oméga qu'elle n'avait jamais vue portée par quiconque et, passée dedans, une petite croix de cristal enchâssée d'or.
— Pour ton anniversaire, précisa Rita.
Un présent passé de main à main. De façon anodine. Un geste qu'Éva identifiait si bien à la région, à la générosité dont les gens pouvaient faire preuve. Sans manière, sans arrière-pensée. Elle releva les yeux. Rita l'observait. Détendue. Un léger sourire dansait sur ses lèvres. Il lui adoucissait les traits et aux fond de ses yeux Éva ne retrouva pas la petite lumière facétieuse qui habitait presque continuellement le regard de la jeune Syrienne.
Éva ne sut déchiffrer son expression. Elle ne savait quoi dire, même un merci lui semblait déplacé. Ridicule. Inapproprié. Le présent avait un sens particulier. L'objet n'était pas un simple bijou. C'était plus qu'un bijou. Rita n'avait pas évoqué sa sœur par hasard. À ses yeux, l'objet avait une valeur sentimentale.
Malgré la séparation, les deux sœurs se téléphonaient régulièrement. Elles se confiaient encore leurs peines et leurs joies. Pourquoi Rita avait-elle décidé de lui céder cet objet ? Pour quelle raison ? Dans quelle intention ? Le cadeau semblait trop personnel à Éva, trop disproportionné. Elles se connaissaient depuis trois mois. Elle s'entendaient bien, c'était vrai. Elle étaient tombées dans les bras l'une de l'autre, c'était vrai aussi. Elles avaient éprouvé du désir, elles l'avaient satisfait et en avaient retirer beaucoup de plaisir, mais...
— Tu veux que je te la mette ? lui proposa Rita.
Éva se pinça les lèvres en regardant, la chaîne. La petite croix de cristal. Merde, elle adorait. Si au moins le bijou avait été clinquant, laid ou de mauvais goût. Il était exquis. Rita avait allié beauté et sentiments, et Éva savait qu'elle prendrait plaisir à porter son présent autour du cou. Pas parce qu'il venait de Rita, simplement parce qu'elle le trouvait beau et discret. Rita se féliciterait de son côté de le retrouver jour après jour autour de son cou. Elle s'en rengorgerait.
Zut, zut, zut.
— Tourne-toi et relève tes cheveux.
Éva se plia à son injonction.
— Donne-la moi, demanda Rita.
Elle reprit la chaîne dans la paume d'Éva et la lui passa autour du cou. Éva pencha la tête en avant. Releva ses longs cheveux blonds. Les doigts de Rita effleurèrent sa peau. Éva retint sa respiration, se mordit le coin des lèvres jusqu'au sang tandis que Rita s'escrimait sur le fermoir. Elle possédait de grandes mains, l'opération était délicate.
Troublante.
Éva avait la peau douce. Chaude. Il devait être neuf heures du matin, mais le jeune Française dégageait déjà cette odeur si particulière. Cette odeur si virile.
Enfin, Rita fixa l'anneau, relâcha le ressors.
Éva ne bougea pas. Attentive aux déluges de sensations qu'avait déclenché la présence de Rita dans son dos. Le contact de ses doigts sur sa peau. La caresse de son souffle sur sa nuque. La réaction épidermique qui en résultait. Les frissons qui couraient de ses épaules au creux de ses reins. Le contrôle qu'elle tentait de garder sur elle-même. La confusion contre laquelle elle luttait. L'attente fébrile de ce qui allait suivre. Écartelée entre impatience et appréhension. La crampe qui se formait insidieusement et lui vrillait le diaphragme.
Les mains de Rita se posèrent à la base de son cou. Éva se raidit. Ses épaules remontèrent sensiblement. Rita se pencha. Ses lèvres caressèrent la peau offerte à ses baisers. La peau si douce de la nuque. Sa langue pointa, goûta. Rita gémit, colla sa bouche à Éva, s'enivra de son odeur, de sa saveur. Elle jouait des dents, de la langue et des lèvres, aspirait la peau, la dévorait.
Éva inspira, erratiquement. Rita referma les bras autour de ses épaules. Elle quitta son cou à regret. Releva la tête.
— Tu ne veux pas aller chez toi ? murmura-t-elle à l'oreille d'Éva avant de refermer doucement ses dents, un peu plus bas sur le lobe charnu. Éva courba le bas de son dos contre elle et sa tête partit en arrière. Ses yeux se fermèrent et un souffle s'exhala entre ses lèvres à demi-ouvertes, à la limite du gémissement.
— Éva, je veux aller chez toi, insista Rita.
— Euh... ben... balbutia Éva l'esprit obscurcie par le plaisir.
Rita s'esclaffa. Elle libéra Éva de ses bras et se recula. Éva serra les mâchoires, elle pivota légèrement, mais avant qu'elle ne pût faire un autre mouvement, Rita s'assit à cheval sur elle, emprisonna fermement ses hanches entre ses genoux, posa les mains sur le sofa de chaque côté de sa tête et s'empara de ses lèvres.
Le même baiser intrusif qu'hier. La même exploration. Dégoûtante. Mais aussi le même trouble. La même explosion de désirs. Éva referma ses mains sur le bas de son dos, l'attira contre elle. Rita bascula le bassin en avant, gémit faiblement. Éva se soustraya à l'intrusion invasive, échappa à sa langue, ferma la bouche, mais garda les lèvres, décidée à prendre le contrôle pour obtenir ce qu'elle voulait : un baiser doux et sensuel. Rita lui céda la main, guidée par un instinct sûr, par l'intuition qu'Éva l'emporterait une nouvelle fois vers des rivages inconnus et qu'elle en retirerait du plaisir. Par sa volonté de s'y rendre avec elle et d'en goûter jusqu'à plus soif les aspects inattendus. Nouveaux et tellement agréables.
Elle se laissa guider, prit sa leçon du professeur, l'imita, patiemment, guettant les réactions qu'elle déclenchait en retour chez la jeune Française. Les mains d'Éva bougèrent dans son dos, tirèrent sur la chemise, s'introduisirent dessous, glissèrent, alternèrent caresses et crispations.
Hier déjà, Éva lui avait donné un cours. Rita avait trop joui de la tenir dans ses bras, de l'avoir séduite, elle s'était trop félicitée de tenir son corps souple et mince, nu contre elle pour n'avoir pas compris qu'avec Éva tout serait différent. Que Rita qui croyait tout savoir sur l'amour et le sexe ne s'apparentait en fait qu'à un puits d'ignorance.
Éva, contrairement à ses attentes, s'était montrée étonnement sensuelle, douce et attentionnée. Rita ne connaissait des étreintes amoureuses qu'Anouar et les films porno. Rien de commun avec ce qu'elle avait vécu hier dans les bras d'Éva. L'expérience l'avait profondément bouleversée.
La jeune Française l'avait entraînée sur des rivages qu'elle n'avait jamais visités, qu'elle n'aurait jamais imaginés exister. Elle s'était toujours soumise à la volonté d'Anouar, à ses fantasmes, à ses besoins, à ses désirs, à son plaisir, à ses exigences. Des exigences qu'elle n'avait pas toujours jugées très voluptueuses ni très agréables. Des ébats qui lui laissaient immanquablement un goût amer en bouche et un sentiment de dégoût qu'elle n'arrivait pas à combattre. Un dégoût qui l'avait assaillie dès la première fois qu'elle s'était donnée à lui.
La naissance de Paul et les cauchemars de Gibraïl, avaient sonné sa délivrance. Une excuse qu'elle renouvelait à loisir. Anouar ne l'avait pas touchée depuis deux ans.
Rita se croyait inapte au plaisir. Elle n'aimait pas le « sexe », comme on appelait ça ici. Des certitudes entièrement remises en cause.
Hier.
Les Français ne disaient pas ça. Ils ne disaient pas :
— On « fait du sexe ».
Pas comme elle et Anouar, pas comme les gens au Proche-Orient, du moins ceux qu'elle connaissait, ceux avec qui elle avait parlé. Même sa sœur.
Éva ne disait pas comme ça. Elle n'avait rien dit, mais Rita savait qu'elle n'employait pas cette expression, qu'elle ne l'emploierait jamais. Ni une autre aussi vulgaire. Le français n'était pas avare d'expression en tout genre. Rita en connaissait quelques-unes. Mais Éva ne lui dirait jamais : « J'ai envie de te baiser », « Je vais te sauter. » ou un truc du même genre. Peut-être était-ce pour cela que Rita avait trouvé leurs ébats si différents. Peut-être. Sûrement.
Rien que sa façon d'embrasser. C'était... Rita voulait bien tout apprendre si Éva restait son professeur. Les subtilités de la langue française, embrasser, caresser, partager, le plaisir, laisser libre-court à ses désirs, les assouvir. Elle se montrerait une élève modèle. Brillante.
Elle détacha doucement ses lèvres de celles d'Éva..
— Éva, souffla-t-elle.
Une demande, une supplique.
Éva n'était plus en mesure d'écouter. Elle reprit le baiser interrompu, maintint Rita contre elle d'une main tandis que l'autre passait sur la taille, remontait sur les côtes, atteignait le bombé du sein.
Rita posa ses mains sur ses épaules. Elle la repoussa. Fermement. La minceur d'Éva dissimulait un corps musclés. Fort. Rita se fendit d'un rictus. C'était au moins un domaine dans lequel elle pouvait rivaliser avec Éva. Peut-être même lui être supérieure. Rita avait les mains larges et une poigne de fer, un corps massif et dur.
Éva se laissa aller contre le dossier du sofa, ses mains retombèrent à côté d'elle. Rita sourit, facétieuse.
Éva fuyait son regard, les sourcils froncés, l'air horriblement gêné.
— Éva ?
La jeune Française leva doucement les yeux. Des yeux brillants de désir. Et elle se mordit un coin de la lèvre inférieure. Rita retint une plaisanterie, incapable de croire ce qu'elle décelait dans l'attitude d'Éva. Comment croire que cette fille qui courait le monde, seule et célibataire, qui se vantait de pouvoir aimer plusieurs personnes en même temps, qui avouait s'être partagée entre plusieurs amants — Rita soupçonnait des amantes plutôt que des amants, un élément qu'elle tirerait au clair plus tard — sans remords, sans égards pour ses partenaires, pouvait se montrer timide ?
Déjà hier. Rita s'était interrogée quand elle l'avait vu fuir. Se lever, lui tourner le dos, s'habiller rapidement. Rester muette après avoir si ouvertement manifesté son plaisir. Après s'être donnée sans retenu, après l'avoir lui avoir retourné le corps et l'esprit sans retenu. Éva timide ? Rita ne pouvait y croire.
— Éva...
— Mmm ?
— Viens, on s'en va.
Rita se leva. Éva la suivit sombre et silencieuse. Elles quittèrent l'appartement, descendirent les escaliers, clignèrent des yeux au soleil. Il faisait beau. L'appartement de Rita, situé au premier étage, baignait continuellement dans une semi-obscurité.
Elles marchèrent sans parler. Éva ne savait pas quoi dire. Rita trouvait son silence si étrange qu'elle ne tenta pas de le briser. Elle pensait surtout à après. Si elle n'avait pas craint la honte de se conduire ainsi, elle aurait agrippé la main d'Éva et elle aurait couru le long des trois rues qui séparaient leurs appartements. Elle aurait monté les quatre étages à toute vitesse, arraché les clefs des mains d'Éva, ouvert la porte, tiré Éva à l'intérieur, jusqu'à sa chambre, jusqu'à son lit. Et elle serait ensuite jetée sur elle.
Mais ce n'était pas envisageable.
Et Éva qui marchait souplement. Lentement.
Éva avait marché vite. Avant. Toujours. D'autant plus qu'elle détestait courir. Et puis, elle était partie. Au Proche-Orient, en Extrême-Orient. Là-bas personne ne marchait vite. C'était vulgaire, agressif, inutile, et il faisait trop chaud. Éva avait ralenti son pas. Elle ne reconnaissait toujours pas les gens quand elle les croisait, mais ses yeux s'étaient ouvert aux papillons, aux fleurs, aux plantes et aux arbres. Avant, elle ne les voyait que quand elle s'arrêtait. Maintenant, elle les voyait en marchant. Elle avait adopté un rythme oriental. Enfin, presque. Elle marchait un peu plus vite que les orientaux, mais beaucoup moins que ses amis Français, quand elle les voyait encore.
.
Le lit grinçait. Horriblement. C'était ridicule et obscène, mais ni Éva ni Rita ne s'en préoccupaient réellement. D'ailleurs, leurs voix couvraient les grincements. Ou les accompagnaient. Des gémissement, des râles et des cris. De plaisir. Des demandes. Toujours satisfaites. Avec empressement et célérité.
Rita ne s'était pas trompé le jour précédent.
Éva non plus. Jamais elle n'avait ainsi échangé, jamais elle ne s'était ainsi senti libre. Libérée. Rita avait explosé toutes ses barrières, toutes ses peurs, toutes ses appréhensions. Elle gémit sous la caresse insistante, sous le corps qui glissait sur elle, les lèvres qui parcourait son cou, sa poitrine, la bouche qui se refermait sur son sein. Elle se tendit, haleta, cria. Longuement, plusieurs fois, plus fort, à la hauteur du plaisir que lui arrachait Rita. Éva ne s'était jamais crue inapte au plaisir, elle se croyait simplement inapte à basculer. Intensément. Trop de verrous. Ajoutés années après années, sur la recherche de son plaisir, sur son incapacité à l'atteindre avec reconnaissance, sérénité et simplicité. Trop tourmentée.
Rita balayait tout. Une révélation. Une union sensuelle parfaite. Elle crispa les mains sur Rita et bascula. Pour repartir aussitôt.
Elle retourna Rita sous elle, reprit sa bouche, ses caresses. Se laissa glisser sur le côté, s'attaqua à sa poitrine, laissa sa main descendre sur le ventre, sur le pubis rêche, ses doigts plonger dans une abondante humidité, stimuler doucement l'excroissance érectile, provoquer des cris, sentir le corps se arquer sous la caresse. Pénétrer. Lentement. Imprimer un mouvement, suivre le rythme de sa respiration, ne pas abandonner les baisers, la poitrine, le cou, les lèvres, prolonger le plaisir. Longtemps. Attendre. Entendre son nom, la supplique, l'impatience. Prendre du plaisir à tout, haleter autant qu'elle. Et puis, ne plus tenir, l'encourager. Sentir ses bras la serrer, ses ongles la griffer, ses dents se planter dans son épaule, sa tête basculer en arrière, bouche ouverte, paupières fermées, regarder sur son visage le plaisir la dévaster. Voir ses yeux s'ouvrir, un sourire étirer le coin de ses lèvres, s'agrandir. L'éclat joyeux de son regard. Y lire un défi. Replonger.
.
Un dernier cri. Leur corps enlacés, tournés l'un vers l'autre. Leurs regards heureux. Lumineux. Un baiser léger. L'apaisement, parce qu'elles n'ont plus la force de continuer.
Éva remonta le drap sur elles.
— Tu as froid ? demanda Rita d'un air narquois.
— Non, pas vraiment, répondit sérieusement Éva.
— J'ai soif.
Éva se désengagea du corps de Rita, se retourna un instant à la recherche d'une bouteille d'eau qu'elle laissait toujours au pied de son lit et la lui tendit.
— Merci.
— De rien, fit Éva en se réinstallant auprès d'elle.
Ses lèvres se posèrent sur son épaule, sa main s'égara sur sa poitrine. Elle sentit le mamelon durcir sous ses doigts et sa paume vint l'effleurer, traçant de grands cercles insistant. Rita gémit, roula légèrement vers Éva. La jeune Française poussa un genou entre ses jambes. Rita lui laissa le passage descendit à la rencontre de la cuisse, referma brusquement une main sur le biceps d'Éva quand elle rentra en contact avec, bascula le bassin, gémit une nouvelle fois. Elle tenait toujours la bouteille de sa main libre. Éva délaissa son sein, attrapa la bouteille et la posa derrière elle. Sa main reprit aussitôt après sa place, légère et insistante. Rita s'accrocha à sa hanche et commença à se frotter contre elle. Gémissante. Elle tourna la tête, chercha les lèvres d'Éva.
Elle avait bien apprit sa leçon. Celle du baiser. Éva gémit. Rita lui enfonça la main dans les cheveux. Elle ouvrit les yeux et son regard tomba sur le bracelet de sa montre.
L'heure !
Elle recula la tête. Éva n'avait aucune envie d'en rester là.
— Éva, protesta Rita.
Éva embrassait très bien. Rita se laissa distraire. Ses mouvements s'accélérèrent. Une main glissa sur sa hanche, caressa son pubis, elle ouvrit les cuisses, remonta la jambe haut sur la taille d'Éva. Cria sous la sensation nouvelle. Incapable de résister à son désir. C'était tellement... tellement... Elle bascula avant d'avoir trouvé le bon adjectif. En arabe ou en français, c'était trop tard. Éva la laissa reprendre son souffle avant de reprendre leur baiser. Cette fois-ci, Rita l'arrêta.
— L'heure, Éva. Il est quelle heure ?
— Je n'ai pas remonté ma montre, je n'en sais rien.
Éva plongea dans son cou.
— J'ai une montre, urgea Rita, d'une voix déjà voilée par le désir.
Elle leva le bras au-dessus d'Éva. Ce qu'elle y lu la fit bondir.
— Il faut qu'on y aille, insista-t-elle
— Mmm, grogna Éva contre son oreille.
Rita bloqua une main caressante sur son ventre avant qu'elle ne filât plus loin et qu'elle succombât, toute volonté abolie, à son exploration.
— Il est deux heures moins le quart, supplia-t-elle la respiration courte. Les enfants vont bientôt rentrer. Il faut que nous retournions à la maison, s'il te plaît.
— Ah ? Euh, bon, d'accord, accepta Éva et la jeune Française se résigna à juguler ses envies.
Elle retira sa main, posa un dernier baiser, s'assit sur le bord du lit, se pencha en avant, ramassa leurs vêtements jetés pèle-mêle par terre et tendit les siens à Rita. Elle se leva et enfila son caleçon et sa brassière. Rita s'assit en tailleur sur le lit.
— Tu viens avec moi, exigea-t-elle.
— Tu es sûre ? fit Éva en se retournant.
— Oui, tu as du travail ?
— Non, j'ai déjà préparé mes cours pour demain.
— Alors, viens avec moi.
— D'accord.
Éva ne voyait pas trop pourquoi elle refuserait. Elle n'avait rien prévu de faire cet après-midi, sinon paresser, lire et fumer sur sa terrasse.
.
À deux heures dix, elles étaient chez Rita. Les enfants arrivèrent, dix minutes plus tard, heureux de retrouver leur mère. Anouar suivait derrière. Il salua amicalement, mais sans beaucoup de chaleur Éva. Plus gentiment sa femme. Éva se fendit d'un sourire. Anouar n'était pas très communicatif. Rita ne lui avait pas beaucoup parlé de lui, sinon pour lui raconter comment elle s'était retrouvée mariée à ce fils de bijoutier.
Elle trouvait leur couple étrange. Cette habitude de dormir chacun de son côté avec l'un de leurs enfants. Ce mariage queRita avait accepté après une déception amoureuse. Anouar qui travaillait pour un ami, à monter des aiguilles en bois sur des montres factices, sur des jouets. Éva avait pourtant cru comprendre que son père l'avait formé au métier de joaillier.
Rita avait eu le temps de préparer des pâtes. Anouar et les enfants attendirent qu'elles cuisissent dans la chambre de Gibraïl.
Rita encouragea Éva à les rejoindre.
— Ils doivent regarder des clips vidéo, en général, c'est sympa.
Bon.
.
Ah, ouais, sympa effectivement. Quand elle arriva, passait un clip de Nancy Ajram. Sympa ? Plus que sympa, c'était amusant et terriblement sensuel. Akhasmaak ah ! se nommait la chanson. Éva regarda avec intérêt. Pas parce que la chanteuse libanaise possédait d'incroyables yeux bleus, pas parce qu'elle savait si joliment et sensuellement bouger son corps à moitié dénudé, mais parce que le clip, très bien réalisé, débordait d'humour. Les chanteuses Orientales débordaient en général de sensualité, sérieuse. Pas Nancy Ajram.
Elle, pétillait de malice. La serveuse qu'elle incarnait dans le clip, avec ses airs de Gilda, sûre de son charme, qui évoluait et provoquait les joueurs de cartes dans un bistro beyroutin des années 50 ou 60, jusqu'à ce qu'une bagarre générale éclatât, débordait de joie de vivre et d'une certaine auto-dérision. Éva n'était pas très sûre que les fans de la chanteuse en fussent conscients, mais elle adorait cet aspect. Elle trouvait cela réjouissant.
— Heloué, much ek ? lui demanda Anouar.
Mouais, jolie en effet. Et, non, Anouar n'avait pas été sensible à l'humour du clip, mais bien aux formes généreuse de Nancy Ajram. Dommage. Éva nota mentalement les références de la chanson. Plus tard, elle apprit que la clip avait été réalisé par Nadine Labaki. Elle comprit mieux la perfection de la réalisation, l'humour, et l'estime qu'elle éprouvait alors pour Nancy Ajram s'en trouva renforcés
Akhasmaak ah ! était le tube féminin de ce printemps. Nancy Ajram avait des airs de Rita. L'éclat de leur regard, leur sourire, leur humour, leur côté provocant.
Les Alepins admiraient Shakira. La chanteuse colombienne avait relancé la mode de la danse arabe à Alep, une ville de coincés. Éva préférait Nancy Ajram. Elle était plus... piquante.
Anouar préférait aussi a priori. Il se retourna vers Éva.
— Aktar men heloué, hyé sexy, sourit-il a pleines dents.
Anouar préférait définitivement les brunes incendiaires aux fausses blondes. Ou aux blondes tout court. Son regard ne s'était jamais posé aussi admiratif sur Éva qu'il se posait sur la vedette libanaise. Nancy lui rappelait peut-être sa femme. Ou vice-versa.
Éva reporta son attention sur la télé. Ce qu'elle voyait sur un écran, n'aurait jamais l'impact de la réalité. N'aurait jamais d'impact sur sa réalité. Fiction et réalité étaient strictement compartimenté chez Éva. Elle se demanda si c'était le cas chez Anouar.
Elle avait toujours préféré la réalité au fantasme. Rita était la preuve éclatante qu'elle avait raison. Ce qu'elle lui avait offert surpassait tous les fantasmes, rêvés, filmés ou écrits. Ce qu'elle avait vécu avec elle était surtout dénué de la moindre perversité. Le souvenir en était lumineux, agréable. Exempt de remords.
À son invitation, elle s'assit à côté d'Anouar. Assis sur les genoux de son père, Paul l'accueillit avec un sourire. Gibraïl bougea sur le lit et se colla à elle. Il posa une main sur son genou et, en compagnie d'Anouar et des deux enfants, elle regarda le top 50 de la pop arabe. Sans soucis. Habitée par une grande quiétude.
.
Quand Rita les appela, Anouar éteignit la télévision et tout le monde se leva pour rejoindre la maîtresse de maison dans le salon. Les trois adultes et les deux enfants s'installèrent autour d'une table basse, prenant place sur des fauteuils ou de petits tabourets. Rita fit le service, et ils dégustèrent de bon appétit, une plâtrée de spaghetti trop cuits agrémentés de sauce tomate et de boulettes de viande.
***
NOTES DE FIN DE CHAPITRE :
Illustration : Nancy Ajram
Le rythme lent des orientaux : Autant dire qu'Éva n'a jamais vécu au Kurdistan irakien. Quand elle parle des orientaux, elle ne parle de ceux qu'elle connait : les Libanais, les Syriens et les Chinois, d'après ce qu'on sait d'elle. Elle généralise donc et évoque plus les femmes que les hommes.
Nadine Labaki : Réalisatrice libanaise, auteur, entre autre de Caramel, Et maintenant on va où ? et de Capharnaüm. Ce dernier film a obtenu le Prix du Jury à Cannes en 2018. Le clip de Nancy Aajram a été réalisé en 2003 (c'était le succès du Printemps 2003... Il l'est resté pour Éva jusqu'en 2004 et bien longtemps après.).
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top