Chapitre XXXVIII

Je sors de l'entrepôt, mon arme toujours dans la main.

Carlos pourrait bien s'enfuir du port mais mon instinct me confie qu'il est toujours ici, près de moi.

Toute ma formation à l'École du Dragon me revient en tête et cette fois-ci, la Sara meurtrière me prend possession. Il a tant voulu que je devienne une machine de guerre, il verra ce que cette machine de guerre peut foutre quand elle est en colère.

Je m'arrête et ferme les yeux en vidant mon esprit. Mon maître à l'École du Dragon m'a appris à analyser l'environnement. Il y a un exercice qu'on me faisait chier : la dague à l'aveugle.

J'avais les yeux fermés et je devais arrêter la dague qui se dirigeait vers moi. Oui, c'est fou mais utile.

Je me concentre sur les bruits qui m'entourent. L'eau qui frappe sur le métal des bateaux, les mouettes et... des pas...

J'ouvre mes yeux et pars dans la direction des pas de Carlos. Je reconnais entre mille ses pas lourds qui frappent le sol. J'avance avec assurance et me terre dans l'ombre quand je l'aperçois. Il se dirige tout droit vers un bateau.

Sans me contrôler, j'esquisse un sourire froid, presque effrayant et le suis avant de me ruer sur lui. Surpris, il se retourne mais il n'a pas eu assez de temps pour m'esquiver. Je lui fous un coup de coude dans la mâchoire puis un coup de pied dans sa main. Son arme tombe lourdement au sol et je me hâte de la récupérer avant de la balancer dans l'eau.

— Alors, comme ça tu voulais fuir ? Je m'attendais à mieux de toi, Carlos.

— Querida...

— Je ne suis pas ta putain de querida !

Je lui inflige une droite dans l'œil et il recule, sonné du coup.

Pendant ce temps, je me cache dans la pénombre et après avoir réfléchi, j'abandonne mon arme. On va se battre à l'ancienne. Je le tuerai de mes propres mains.

Carlos se redresse et observe autour de lui, la frousse se lisant sur son visage.

Je ne reconnais plus cet homme qui m'a appris à me défendre et qui m'a enseigné à faire du vélo. Non, à la place je vois un inconnu, un monstre. Il est devenu un monstre après ce qu'il m'a fait. J'ai toujours cru qu'il serait toujours auprès de moi mais il a toujours convoité mon rôle, mon héritage.

— Comment as-tu pu égorger ta meilleure amie et me parler comme si rien ne s'était passé ? Pendant tout ce temps, tu m'as dupé. Tu m'as réconforté pendant les funérailles de mon frère. Tu m'as manipulé.

— Arrête de dramatiser Sara. Si tu étais à ma place, tu ferais la même chose !

Dos à moi, j'en profite pour sortir de ma cachette. Sabre de main contre la gorge et coup de pied à l'arrière des genoux, Carlos s'écroule lamentablement en poussant des gémissements.

— Je ne tuerai pas ma famille, je déclare sèchement.

Je lève mon pied pour le cogner contre sa tête mais contre toute attente, Carlos l'attrape et le tord. Je m'effondre au sol tandis qu'il se place au-dessus de moi avec ce regard fou. J'esquive de justesse sa droite mais son autre poing atterrit sur ma joue. Avec hargne, j'arrive à balancer mon genoux entre ses jambes et me libère de son emprise.

J'étire mes bras en haussant un sourcil dans sa direction. Carlos rigole et se lève lentement.

— Tu pourrais accomplir de grandes choses Sara. Dommage que tu sois comme ta mère. Ta générosité se retournera contre toi.

Je ris sarcastiquement.

Je suis comme ma mère... c'est la meilleure blague que j'ai entendue.

— Si j'étais comme maman, je te laisserais fuir et quitter l'Europe. Cependant, je ne suis pas comme elle. Je suis capable de t'arracher le cœur sans le moindre remords.

Nous nous tournons autour, comme des félins. Carlos ôte sa veste et crache du sang.

— Je suis ton parrain, Sara ! J'ai tout fait pour ton intérêt ! dit-il avant de foncer sur moi.

Je m'écarte sur le côté et pivote dans sa direction.

— Arrête de répéter la même connerie. Tu faisais tout pour ton intérêt. Tu as pointé une arme sur moi, je sais que je te dérange dans ton plan.

— Tu ne me laisses pas le choix ! Si une autre Moretti n'arrive à gérer la mafia, il est préférable que je la bute !

Il fonce une nouvelle fois dans ma direction et je pare tous ses coups. Je m'abaisse quand il lance une droite. Carlos réussit à attraper mon bras mais je me libère de son emprise en cognant brutalement mon genou dans ses côtes. Je ne lui laisse pas le temps de reprendre son souffle et enchaîne une série de gestes qui peuvent l'affaiblir. Coup de genoux, uppercut dans le nez. J'entends l'os de son nez se briser. Du sang coule à flot et Carlos recule en portant une main sur son visage mutilé.

Il est temps d'en finir avec lui.

Je m'approche de lui et pose mes mains sur son cou. Son regard brun ancre dans le mien et malgré son piteux état, il arrive toujours à rire.

— Tu ne me tueras pas Sara ! La seule personne qui crèvera ici, c'est toi ! hurle-t-il avant de sentir quelque chose de froid me transpercer la peau.

Je retiens ma respiration et une vive douleur apparaît au niveau de mon abdomen. Je baisse lentement mon regard et Carlos enlève sèchement la dague. J'arrive à retenir sa main armée. Sa dague s'approche de plus en plus de mon cou et je recule ma tête. La douleur de mon abdomen me fait terriblement mal et mes jambes me menacent de m'abandonner.

— Je vais te tuer Sara ! Je vais te tuer ! rugit-il en postillant sur moi.

Je pousse un cri lorsque la lame m'égratigne le cou. Il se dégage de mon emprise et hisse son arme dans ma direction. Sous l'effet de la douleur, mes jambes s'apprêtent à flancher mais un coup de feu se fait entendre et arrête net Carlos dans sa lancée. Il ouvre grands ses yeux et se fige pendant quelques secondes avant de s'écrouler au sol.

America apparaît dans mon champ de vision avec une arme à feu. Il s'approche moi, sortant de sa cachette. Je croise le regard brun de mon meilleur ami et décèle une lueur étrange. Ma bouche s'ouvrant de plus en plus grande quand j'assemble les pièces du puzzle. America m'a sauvé. Il a tué son père... pour moi.

C'en est trop pour moi.

Je me laisse tomber au sol mais mon ami m'attrape juste à temps dans ses bras.

— Sara, c'est bon. Je suis là...

— Tu as tué ton propre père, je chuchote, horrifiée.

Son visage s'assombrit quand il fixe derrière moi. Je me tourne et observe le cadavre de Carlos baignant dans son sang.

— Il a fait trop de mal à mes proches, souffle-t-il. Mince, Sara, tu perds trop de sang !

Je pose une main sur ma blessure mais j'ai l'impression que toute ma force s'évapore. Je laisse tomber ma tête contre l'épaule de mon ami tandis qu'il me porte entre ses bras.

Mais ce soulagement mêlé à cette perte de sang me fait divaguer avant que je perde connaissance.

*

Les heures plus tard, je suis à nouveau éveillée et soignée par Emilia. Je reste silencieuse pendant qu'on me soigne mais Emilia me pose encore des questions. Ma tête me fait terriblement mal et je veux surtout rester seule. Je dois me remettre de cette terrible soirée.

Cette soirée où j'ai tout perdu.

— Sara ?

Je tourne la tête et mon père entre dans ma chambre en boitant. Emilia me laisse tranquille mais finalement, je voudrais bien qu'elle reste encore un peu. Je n'ai pas envie de revoir mon père, surtout pas lui.

— Qu'est-ce que tu veux ? je souffle, épuisée.

Il s'installe près de moi et d'un air paternel, il caresse mes cheveux. Vivement, je m'éloigne de lui en me faisant mal. Je réprime mon gémissement et détourne la tête.

— Je suis désolé pour tout. Tu as subi tant de mauvaises choses. Je suis conscient que je n'étais pas un bon père.

— Sans blague ! je lance en roulant des yeux.

Je daigne lui lancer un regard méprisant. Il grimace mais semble sincère dans ce qu'il raconte.

Il n'a jamais été un bon père pour Santos et moi. Non, il était l'homme qui abusait de ma mère.

— Je ne mérite pas que tu me pardonnes mais sache que je n'ai rien à voir dans le meurtre de ta mère et de ton frère. On a tous les deux perdu nos proches. Désormais il ne reste que toi et moi. Je suis ta seule famille.

Je souris nostalgiquement.

Ma famille a péri dans un cercle vicieux de la mafia.

Mon père est la dernière personne qu'il me reste mais je ne le considère jamais comme une famille. Jamais.

— Oui, tu es mon géniteur. Nous avons le même sang et tu m'as donné cette passion pour le violon mais tu ne mérite pas le rôle de père. Un père est censé soutenir ses enfants et sa femme. Un père ferait tout pour leur bonheur. Tu as toujours voulu notre malheur, lui dis-je d'une voix neutre.

Je reste indifférente mais en moi, j'ai l'impression qu'un volcan est en train d'exploser.

Mes mains se mettent à trembler et je me force à le regarder droit dans les yeux.

— Comment je peux te pardonner ? Tu es la première personne qui a détruit le bonheur de notre famille...

— Tu es ma fille...

— Arrête tes conneries. Je suis ta fille quand ça te chante. Tu as voulu m'évincer de ma place. Ça ne sert à rien de faire la petite personne qui regrette ses choix car je sais qu'au fond de toi, tu ne regrettes rien de ce que tu as fait. J'arrive à lire tes sordides pensées car nous partageons le même sang et je t'assure que ça me fout la rage qu'on soit de la même famille !

Isidro baisse la tête.

Il a beau jouer la comédie mais je ne lui pardonnerai jamais. Il m'a fait du mal, il a fait du mal à tout le monde. Il ne m'a jamais aimé.

Sa présence me répugne et ça me répugne le fait que je lui ressemble. Ça me répugne qu'on partage les mêmes gènes.

Et ça me fait mal de le voir près de moi, il me rappelle mon frère.

— Mais tu as besoin de moi...

— Je n'ai pas besoin de toi car tu n'es pas ma famille. J'ai tout perdu et je recommencerai à zéro, sans toi. Je te remercie de m'avoir partagé ta passion mais je n'ai pas besoin de toi. Maintenant, va-t-en avant que je te colle une putain de balle et tu sais que je n'hésiterai à exécuter.

Isidro se lève et lisse sa chemise tachetée de rouge. Il me regarde dans les yeux avec regrets.

— Comment puis-je me pardonner ? me demande-t-il.

Je détourne la tête et reste silencieuse.

Comment il peut se faire pardonner ?

Est-ce que j'ai encore un cœur pour le pardonner ?

– Retourne aux îles Canaries auprès de tes... femmes. Éloigne-toi de moi, ne cherche plus à me contacter, lui dis-je sèchement. C'est la meilleure chose que tu puisses faire.

Il reste encore quelques secondes avant de s'en aller. Je refoule mes larmes et pose mon regard sur cette bague. Cette bague dont je suis obligée de renoncer.

Angelo ne voudra pas me voir mais je souhaite le voir une dernière fois et m'expliquer. J'ai conscience qu'il ne va pas me pardonner sitôt ou voire, peut-être pas mais je voudrais lui parler une dernière fois, le toucher une dernière fois avant de tourner la page et de tout recommencer.

Je dois quitter la Sicile mais pas avant ce que je dois faire avant.

Avec courage, je sors du lit et me chausse avant de sortir de ma chambre. Je m'appuie sur les murs et America m'aperçoit puis vient vivement dans ma direction.

– Laisse-moi deviner, tu veux rendre visite à ton prince charmant avant de revenir à la maison ? devine-t-il avec un sourire en coin.

Je hoche la tête et reste curieuse de son comportement. Il est toujours cet America de bonne humeur alors qu'il vient de tuer son propre père.

– Je pense que tu as raison. Demain nous repartirons en Espagne.

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