Chapitre XXIX
Les hommes de main enterrent le cercueil dans notre jardin. La tombe de mon frère est juste à côté de celle de ma mère et il ne devait pas être ici.
Sa place est avec nous. Il est parti trop tôt.
J'observe avec un regard dénué d'émotion la scène qui se déroule sous mes yeux. Nos proches déposent des bouquets de fleurs avant de nous laisser seuls dans le jardin. Elina continue de pleurer avant qu'elle parte aussi.
Carlos passe un bras sur mes épaules et je me réfugie dans ses bras, refusant de faire face une nouvelle fois à ça. Je n'ai rien oublié concernant Carlos mais j'ai besoin de lui. Malgré que cet homme m'a fait, je l'ai toujours considéré comme mon père et j'ai besoin de son soutien.
— On rentre à l'intérieur, Sara. Le temps commence à être moche.
Je renifle comme réponse et je le laisse me guider à l'intérieur de la maison. Il me lâche et me fait asseoir sur le canapé avant de me servir un verre d'eau.
Je le prends silencieusement, les yeux dans le vide.
Santos est mort.
— J'ai mis mes hommes sur l'enquête, je t'avertirai quand on aura du nouveau, m'informe-t-il.
J'entends le cliquetis de son briquet et je suppose qu'il doit sûrement fumer une autre clope.
— Je sais que tu m'en veux par rapport à tous ces mensonges, Sara. J'ai été mauvais envers toi et je comprends que tu ne veuilles pas me pardonner.
Mes doigts serrent autour du verre alors qu'une boule d'émotion me frappe en plein ventre. Je prends de grandes inspirations pour me calmer mais ma vue se brouille à nouveau et j'essuie mes larmes.
Tout à coup, Carlos apparaît dans mon champ de vision et me force à le regarder droit dans les yeux. Il m'observe avec un air paternel et essuie mes larmes avec son pouce.
— Je vais me racheter et je t'aiderai coûte que coûte. Je trouverai qui est le responsable de ce massacre, continue-t-il avec autorité. Sois forte, Sara, tu commences à peine à entrer dans ce monde malsain et des gens seront contre toi.
Je grogne entre mes dents et me lève soudainement, faisant renverser l'eau sur le carrelage.
— Sois forte Sara, sois forte ! Combien de fois vais-je entendre ça dans ma vie ?! J'ai perdu ma mère et je viens de perdre mon frère ! Plus rien ne me retient ici. J'ai tout perdu !
Carlos m'évite de me regarder dans les yeux et je balance avec rage le verre contre le mur. Celui-ci s'explose en mille morceaux. Il est en mille morceaux comme mon coeur.
Je me mords la lèvre pour me retenir d'insulter et fais les cents pas.
— Fais ton travail, Carlos. Si tu veux me pardonner, trouve-moi l'enculé qui a tué mon frère ! Santos... Santos n'est pas aussi fou pour se donner la mort, dis-je avec la voix brisée.
Je passe une main dans mes cheveux et quitte sur le champ le salon pour me retirer dans ma chambre. Une fois la porte fermée, je me laisse glisser contre celle-ci et laisse mes émotions m'envahir violemment. Mon coeur se tord de douleur et les images de hier me hantent à nouveau.
Je comprends mieux pourquoi son « Ne me laisse pas partir avec des regrets. » sonnait presque comme un adieu. J'ai été aveugle et j'ai pensé qu'à moi-même ! Peut-être que mon frère avait des problèmes psychologiques et je ne les ai pas vu...
mais je refuse de croire que mon frère s'est donné la mort.
— Santos tu avais une belle vie. Tu avais une femme et une petite fille, je chuchote difficilement en portant une main sur ma poitrine.
Je pose ma tête contre mes genoux et serre les dents tellement cette douleur m'est insupportable.
Je ferme mes yeux pendant de longues minutes et je finis par me calmer.
Je dois arrêter. Je dois affronter ma peur et je me sens prête.
Automatiquement, je me dirige vers mon lit et ouvre cette boîte où se trouve ma passion. Je récupère le violon ainsi que l'archet. Je sors de ma chambre avec l'esprit vide et pars me réfugier dans la salle de musique. Une fois la porte fermée, mes pas résonnent dans la pièce. Je m'assois sur une chaise et porte le violon au niveau de mon menton.
La sensation froide du bois me fait frissonner et je ferme les yeux, luttant contre ses flashs incessants. Des images défilent dans ma mémoire. Des moments partagés avec ma mère, mon père et mon frère et puis ses images laissent place à des scènes traumatisantes.
Les disputes conjugales, le divorce.
Le départ de mon père.
Le décès de ma mère.
La mort de Santos.
Et puis, cette petite fille, perdue dans l'obscurité, fuyant ses démons. Elle demande juste de l'aide, mais personne ne l'entend.
Je glisse l'archet sur les cordes avant que des fausses notes résonnent dans la pièce.
– Fait chier ! je peste en accordant les cordes.
Je fais le vide dans mon esprit et frotte à nouveau l'archet contre les cordes. Et là, des notes de musique apparaissent et me terrifient. Je me force à fermer les yeux et me concentre sur les notes et sur mes gestes. J'oublie quelques notes et parfois, je m'arrête car rejouer le violon après tant d'années me demande de retrouver mes bases.
Mais me voici. Je joue maintenant à la perfection ce morceau que j'ai galéré à apprendre. L'archet glisse avec agilité sur les cordes et je me laisse bercer par le morceau de Vivaldi , l'Été.
Chaque note apaise mon cœur et je me laisse emporter par ce tourbillon de notes. Je me retrouve dans mon jardin secret où il n'y a que moi. Je veux m'éloigner de mes problèmes, de mes démons, je veux m'éloigner de tout le monde.
Je veux oublier ce chagrin que personne ne pourra comprendre.
Pendant de longues heures, je suis à nouveau cette petite fille, cette adolescente qui passait sa passion avant toute chose. Je m'exprimais avec la musique. Le violon est mon corps et la mélodie est mon humeur et il change en fonction du morceau.
Je passe ma nuit à retrouver le temps perdu avec mon violon et je me sens de plus en plus moi. Je joue tous les morceaux que je connais par cœur et les repassent en boucle. Je ne veux pas mettre fin à ce moment-là. Je ne veux pas repartir dans ce monde. Je veux rester ici, je veux m'éloigner de mes émotions et de mes devoirs.
Je joue à nouveau L'Estro Armonico et me laisse emporter par la mélodie joyeuse.
Les jours après passent de la même manière.
Je me réfugie dans la salle de musique et avec mon violon, je continue à jouer. Cette fois-ci, je continue à jouer car je ne dois pas perdre le fil. Je ne dois pas sombrer dans cette obscurité qui m'appelle sans cesse. Je chasse cette noirceur en interprétant des morceaux beaucoup plus joyeux qu'avant.
Le mois d'après est toujours au même rythme. Je parle moins aux gens, je prends peu de nouvelles et je déchaîne cette haine et cette profonde tristesse à travers ces cordes. Je frotte violemment l'archet contre les cordes avec les yeux fermés. Mes gestes sont saccadés et les notes s'intensifient jusqu'à m'éclater les tympans.
Tout à coup, je sens une main froide sur mon dos et j'ouvre grands les yeux en stoppant mes gestes.
Qui a osé me déranger ?!
Je pivote lentement vers la personne et croise le regard vert d'Elina. Je me calme et me force à sourire.
— Tu ne trouves pas que tu joues trop brutalement ? me demande-t-elle avec un sourcil haussé.
Je hausse les épaules et baisse la tête, épuisée mentalement.
— Je comprends que tu ne veux pas parler mais des invités venus de très loin sont là, pour toi, ajoute-t-elle.
Alors là, elle attise ma curiosité. Elle a sûrement lu ma surprise dans mes yeux pour qu'elle rigole avant de retrouver son visage de marbre. Elle me tend son bras et à contrecœur j'abandonne mon instrument pour passer mon bras sous le sien. Je marche difficilement et Elina semble le remarquer.
— Sara, ne te laisse pas aller. Tu dois manger. S... Santos ne serait pas ravi s'il te voyait comme ça, s'exclame difficilement.
Je me tends directement à l'entente de son prénom. Je sens une fois de plus, l'envie de pleurer mais je la refoule en prenant un grand souffle.
Même pour Elina, dire son prénom est difficile.
– Mais il n'est plus là, je chuchote faiblement, les yeux sur le parquet.
– Il n'est plus là physiquement mais il est dans notre coeur. Il sera toujours en toi, Sara. Et c'est pareil pour Hortensia car vous partagez le même sang que lui.
Je l'écoute avec une oreille distraite et je retombe dans mes pensées. Suite à sa mort, je ne mange plus, je ne dors plus, j'ai perdu goût à la vie. J'ai conscience que mon état est critique. J'ai perdu énormément de poids et je cache ma maigreur derrière des longues robes. J'ose à peine m'observer dans le miroir.
Parfois, j'essaie de faire autre chose que de jouer au violon. Je traîne avec America ou je fais connaissance avec ma nièce mais c'est comme si j'étais morte. Je suis bien vivante mais mon âme, non.
Nous arrivons dans le salon et la vue d'Enzo, Bianca et d'Emilia me laissent sous le choc.
Eux, ici ?
Enzo court pour me prendre dans ses bras. Je reste figée sur place avant que je le serre dans mes bras, soulagée de les retrouver. Pour une fois, je sens mes lèvres s'étirer. Un vrai sourire.
Enzo s'éloigne de moi et j'embrasse ensuite Emilia et Bianca.
— Qu'est-ce que vous faites ici ? je leur demande faiblement.
Enzo est obligé de tendre l'oreille pour m'entendre.
— Pour toi, voyons ! On a appris ce qu'il s'est passé et je suis désolée, dit Emilia avec une moue.
— Comme vous pouvez le voir, je vais toujours mal.
— Et on veut t'aider, déclare Enzo avec détermination. Reviens à Sicile, avec nous.
Il plombe l'ambiance. Je détourne vivement les yeux pour me concentrer sur les fleurs du jardin.
Revenir à Sicile ? Revoir Angelo ?
J'ai pensé à lui, tous les jours. Être loin de lui m'a rendu malade et je rêvais d'être dans ses bras. Je m'imaginais dans ses bras, me réconfortant de ma souffrance, de ma peine.
Mais je n'ai pas le courage de le revoir. J'ai peur.
— Comment pourrais-je revenir à Sicile ? La mission est finie. Si je reviens c'est pour avouer à Angelo qui je suis vraiment et je ne suis pas prête.
— On sera là pour toi. Je suis prêt à risquer ma vie pour toi.
Je frappe le bras d'Enzo avant de pencher ma tête sur le côté.
— Désolée, Enzo, mais je ne peux pas. J'affronterai pas Angelo tout de suite, réponds-je amèrement.
Je croise le regard sombre de Carlos qui est dans le jardin, toujours avec une clope entre les doigts. Il m'incite à venir le voir et je laisse mes invités pour le retrouver.
Il m'enlace dans ses bras avant de s'éloigner.
— Pourquoi ils sont ici ?
Je hausse les épaules, épuisée.
— Ils veulent que je revienne à Sicile.
— Et ils ont raison, dit sèchement Carlos.
Il me tend des photos. Curieuse, je les attrape et les observe chacune.
Je reconnais entre mille Matteo Romano sur ces photos mais il y une photo qui me fait questionner. Qu'est-ce que Matteo faisait dans mon jardin, surtout en plein milieu de la nuit ?
Je regarde la date de la photo et non... je ne veux pas y croire.
— Cet enfoiré a réussi à pirater le système de surveillance mais je connais un mec calé en informatique. Il a réussi à récupérer toutes les vidéos de surveillance de cette soirée-là, m'explique Carlos.
— Attends... tu me dis que Matteo Romano a tué mon frère ? je demande, la colère vibrant dans ma voix.
Carlos ancre son regard dans le mien et opine.
— Oui et on le trouve encore sur d'autres photos. Regarde, il y a une photo de lui au centre-ville. C'était le lendemain du meurtre.
Je prends ma tête entre mes mains et ma respiration devient bruyante.
– Angelo sait que tu existes et il croit que tu veux lui piquer sa mafia...
Angelo ? Pourquoi Angelo débarque dans ce problème ?
– Mais je ne veux pas de sa putain de mafia ! Je veux qu'on revienne sur cet accord que nos parents ont écrit ! Angelo n'est rien---
– Sara, réveille-toi ! Angelo croit que tu veux lui voler sa mafia et nous savons que ce n'est plus le cas ! Cependant, il sait que t'existe et il te voit comme une menace ! Si son père a réussi à tuer ta mère, alors Angelo n'hésitera même pas de faire la même chose avec toi. Tu es vue comme un danger pour cet enculé.
Les paroles d'Angelo repassent dans ma tête. Il savait que j'étais à Sicile et il croyait que j'étais là-bas pour sa mafia. J'avoue qu'au départ, c'était un de mes objectifs mais j'ai changé d'avis.
– Alors pour t'affaiblir et te déstabiliser, Angelo a envoyé Matteo Romano pour tuer ton frère. Cet homme est comme son père, Sara. Ne lui fais jamais confiance.
Ce qu'il dit tient la route.
Angelo est du type à s'en prendre aux proches. Il a fait la même chose avec ma cousine, alors pourquoi pas avec moi ?
Il a envoyé Matteo pour tuer Santos.
Je sens la colère grandir en moi et je serre mes poings.
— Alors il le paiera. Lui et ses hommes paieront.
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