Chapitre XII
Je sens le regard de Matteo jongler entre le mafieux et moi. Moi-même je ne sais pas ce que je dois penser actuellement. Angelo veut passer le reste de la matinée avec moi ? Encore une fois ?
Et moi qui voulais l'éviter pendant quelques jours...
— Daniela, m'appelle Angelo en me tendant sa main. Je voudrais quitter rapidement ce... cet endroit répugnant. D'ailleurs, Matteo, on parlera demain si tu le souhaites.
Matteo opine et après quelques hésitations, je glisse ma main dans celle d'Angelo qui est deux fois plus grande que la mienne. J'ignore ce trouble en moi et il nous escorte en dehors du bar. Sa berline nous attend sur la chaussée et Fabio est appuyé contre la voiture, un de ses bras est dans un atèle.
— Monsieur Canzano, hier soir n'était pas suffisant pour vous ? je demande avec un sourcil haussé.
Il pousse un soupir et s'arrête pour se positionner en face de moi.
— Laisse-moi réfléchir... Non. Et puis, cela ne te dérangerait---
— Mais Enzo. Je dois l'attendre à la maison...
— Enzo est en mission, à Rome, me coupe Angelo, légèrement agacé. Une fille ne devrait pas rester seule dans un grand appartement comme le sien.
Je rigole légèrement et secoue ma tête de droite à gauche.
— C'est un prétexte pour rester plus longtemps avec moi, n'est-ce pas ? Hier soir vous m'avez posé la question, mais cette fois-ci, c'est à mon tour : je vous fais de l'effet, monsieur Canzano ?
Il se contente de rigoler et pose sa main chaude sur ma joue gauche. Je déglutis lorsqu'il approche son visage près du mien. Oh non... va-t-il m'emb... m'embrasser ?
Je ne quitte pas ses yeux et il se contente d'un simple sourire avant de se pencher vers mon oreille.
— Peut-être bien.
Il s'éloigne de moi et me tourne le dos avant de s'adresser à son bras droit. Je reste figé devant ce bar comme une grosse conne et je papillonne des yeux.
Mon Dieu, mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?
Je me concentre sur Angelo et Fabio s'éloigne de nous après m'avoir salué.
— Ne reste pas comme une débile ici et monte, m'ordonne-t-il avant d'entrer dans sa berline.
OK, Sara... après tout, plus on sera proche et plus je m'avancerai dans ma mission.
Angelo a piqué pour moi, c'est une bonne chose pour Daniela, non ? Il flash sur Daniela et non sur Sara, alors tout cela devrait être sans importance... alors pourquoi quand il est près de moi, je suis déstabilisée à ce point ?!
Lentement, je le rejoins dans la voiture et le chauffeur nous emmène sans doute vers la propriété du mafieux.
— Monsieur Canzano, pourquoi vous vous attardez sur moi ? Après tout, je suis une simple fille qui fricote des gens pas bien, je lance, voulant l'inciter à me dire davantage ses plans.
Le mafieux se tourne dans ma direction. Seul le siège du milieu nous sépare et je souhaite qu'Angelo respecte cette petite distance pour mon bien et surtout pour mon pauvre petit cœur.
— Comme j'ai dit tout à l'heure, tu me fais de l'effet--
— Vous avez dit peut-être.
Angelo rit et croise ses mains derrière sa tête.
— Alors, je vais me rectifier. Tu me fais de l'effet. Il y a quelque chose en toi qui me pousse à te connaître davantage, je veux tout savoir sur toi. Outre le fait que tu as une silhouette magnifique, ta personnalité me plaît, avoue-t-il d'une voix séduisante.
Je reprends ma respiration et détourne les yeux vers la vitre. Finalement cet espace n'est pas suffisant pour me protéger contre son charme. Son odeur, sa voix et sa présence me donnent une impression que cet habitacle se rétrécit progressivement. Même le chauffeur semble avoir remarqué cette étrange atmosphère.
— Alors si vous voulez me connaître, laissez-moi aussi vous connaître davantage, dis-je avant prendre conscience de mes mots.
Sara... tu es juste conne !
Je serre mes poings sur mes cuisses en voulant à tout prix m'arracher les cheveux et la main d'Angelo prend la mienne avant que son pouce caresse le dos de ma main.
— J'en ai bien l'intention. Et s'il-te-plaît, arrête de me vouvoyer, Daniela. On a à peu près le même âge. À moins que... c'est vrai que tu fais assez adolescente.
Avec un sourire amusé, je lève les yeux au ciel.
— C'est censé être un compliment ou bien une insulte ? J'ai vingt-neuf ans.
J'ancre mon regard dans celui du mafieux et reste sérieuse. Il fronce les sourcils, confus et se redresse sur son siège. Je refoule mon envie de rire et ses caresses sur le dos de ma main s'arrêtent.
— Tu es plus vieille qu'Enzo et moi ? Je croyais que tu étais sa petite sœur, dit-il, perdu. Tu as un an de plus que moi.
— Tu es dégoûté, Angelo ? je demande innocemment.
Il cligne plusieurs fois des yeux, ne sachant pas quoi dire.
— Bella, peu importe ton âge, on s'en fiche, annonce-t-il finalement avant de reprendre ses caresses sur ma main.
Je pince mes lèvres pour me retenir à rire mais la situation m'en empêche de plus en plus. Angelo comprend finalement que je lui racontais de la pure connerie. Il secoue sa tête de droite à gauche en essayant de réprimer son rire.
— J'ai eu mes vingt-deux ans il y a un mois, dis-je plus sérieusement.
Lui dire réellement mon âge n'est pas compromettant, du moins pour moi. Demain, il saura que Sara Moretti existe, mais il ne saura pas que c'est moi. La fille avec qui il est en train de flirter.
Nous arrivons chez lui au coucher du soleil et nous passons notre temps à bavarder lors du repas. Je suis agréablement surprise qu'Angelo me parle de son enfance. Quand un de mes espions me l'a décrit, je croyais que j'avais affaire à un tyran doté d'un complexe d'infériorité ainsi qu'une extrême arrogance. Mais finalement être auprès de lui n'est pas étouffant et quand il le souhaite, il peut parler sans arrêter.
Après le dessert, Angelo me mène à l'étage. Je le suis de très près en jouant avec mes doigts. Il ouvre une porte et d'un geste exagéré il m'incite à entrer.
— Après vous, demoiselle Daniela, s'exclame-t-il en faisant une révérence.
Je lève les yeux au ciel et entre dans la pièce qui semble être son bureau. Angelo allume la lumière et je passe un regard bref sur la décoration rustique.
— Je te dois des explications sur l'autre jour. Quand tu m'as vu avec le visage en sang, précise-t-il en passant devant moi.
Il s'adosse contre son bureau, les mains dans les poches.
— Ce jour-là, j'ai réussi à mettre la main sur une des femmes les plus puissantes de la planète. Elle fait partie de cette maudite famille Moretti. J'étais à deux doigts de la tuer mais une ninja a débarqué de nul part et elle a emporté avec elle ma prisonnière.
Je contracte ma mâchoire. Et il ne se sent pas coupable ? Il voulait tuer une mère de famille. À cause de lui, les enfants de ma cousine allaient vivre sans leur mère et... et il ne regrette pas ? Perdre une mère est une douleur terriblement atroce et je ne voudrais pas que d'autres personnes que je connaisse ressentent cette douleur, ce trou néant.
— Et es-tu fier de cela ?Je voulais dire, qu'est-ce que tu gagneras en tuant cette fameuse femme ?
Je m'approche de lui et comme si c'était une habitude, il attrape mes mains dans les siennes.
— Justement rien. Tuer cette femme allait m'apporter que malheur mais si je la tuais, ses enfants seront triste et je sais ce que c'est de perdre une mère.
Je ne bouge pas d'un poil et attends la suite avec appréhension.
Angelo lève son regard dur vers moi.
— Cette mafia n'existera plus à cause de moi. Je fais tout de travers depuis que mon père me l'a légué. Il me l'a légué quand nous étions en crise contre les Moretti et d'ailleurs nous le sommes toujours, souffle-t-il.
— Qu'est-ce que vous avez fait pour les provoquer ?
Il garde le silence. Suite au décès de son père, j'ai entendu qu'Angelo avait du mal à gérer sa mafia à cause de nous. Mon frère ne cesse de lui envoyer des bâtons dans les roues et Angelo le mérite. C'est son maudit père qui nous a provoqué en abattant sauvagement ma mère. Son père n'est qu'une merde et même s'il n'est plus en vie, je n'ai pas le choix que de tuer Angelo. Il doit payer pour les actes de son père.
Ma tête commence à tourner. Cette histoire commence à me saouler et je veux à tout prix m'éloigner d'Angelo ainsi que ses confessions. Mais d'un autre côté, je veux rester et écouter sa version d'histoire.
— Je ne sais pas... enfin mon père voulait qu'on soit alliés mais tout a changé... Les Moretti nous ont trahi, ils voulaient piquer notre mafia et je ne comprends pas pourquoi. Mon père était le plus gros enfoiré sur Terre mais je sais qu'il tenait tant à cette alliance. Les Moretti croient qu'on a tué leur patronne or que c'est complètement faux.
Quelle alliance ? Et depuis quand on les a trahi ? On s'est toujours détestés et dans mes souvenirs, ma mère... Enfin je m'en rappelle encore vaguement que ma mère souhaitait faire une alliance mais c'est impossible qu'elle le fasse avec la Cosa Nostra ! Ils ont toujours été nos ennemis depuis des décennies.
Je ne sais pas où Angelo a sorti cette connerie mais il essaie d'innocenter la Cosa Nostra. Son père a tué ma mère. C'est nous les victimes, pas eux !
Je remarque que je tremble de rage et il faut que je me ressaisisse mais Angelo l'a déjà remarqué. Il se redresse et m'adresse un regard inquiet.
— Daniela, qu'est-ce qui ne va pas ?
— J'ai froid et je suis fatiguée, j'annonce subitement en canalisant ma rage. Je pense que je vais aller me reposer.
— D'accord. La gouvernante a déposé des vêtements pour toi sur ton lit.
Je hoche rapidement la tête et quitte brusquement la pièce sans demander mon reste.
Je préfère mille fois oublier ce qu'il vient de se passer. Angelo a foutu un bazar dans ma tête et je n'arrive plus à réfléchir correctement. Ce qu'il dit est faux !
Plus tard dans la nuit, je tourne encore et encore dans mon lit sans pour autant trouver mon sommeil. Je pousse un soupir et repense à mon frère lorsqu'il était ravagé suite au décès de ma mère. Il était tellement proche d'elle. Nous étions tous les deux très proches de notre mère à la suite au départ de notre père.
Même si j'essaie d'oublier ce qu'il s'est passé il y a quelques heures, je ne peux pas m'empêcher de penser si Santos savait la version d'histoire d'Angelo. C'est complètement fou et je me demande qui peut bien avoir raison ou tort.
Mais sa version est fausse. Ma mère n'aimait pas les Canzano. Elle a tout fait pour les éviter.
— Sara, dans quel pétrin t'es-tu mis, je soupire avant de me lever.
J'observe l'heure sur mon téléphone avant de quitter la chambre. Il est cinq heures du matin et je n'ai toujours pas dormi car je m'en empêche mais cette histoire me l'empêche aussi. Je ne pourrais jamais dormir dans la maison de mon ennemi.
Je m'apprête à me réfugier dans le jardin mais j'entends tout à coup des notes de musique dans l'air. Je m'arrête en sourcillant et me tourne vers le couloir qui mène à la salle de musique. Angelo ne dort pas ?
Sans attendre, je pars à la salle de musique et quand j'ouvre la porte, je découvre le mafieux... jouer du piano ?
Enfin, il me l'a dit qu'il jouait du piano mais je croyais qu'il avait arrêté.
Il joue Moonlight Sonata de Beethoven et malgré l'envie de rester ici et le regarder jouer cette mélodie, une petite voix me dit qu'il faut que je parte avant qu'il me voie. Je ne pense pas qu'il sera heureux s'il sait que je suis là, en train de l'épier. Il voudrait sûrement un moment de paix avec soi-même. Alors avant qu'il me voie, je recule et m'apprête à tourner les talons mais sa grosse voix me stoppe :
— Daniela. Joins-toi à moi.
Je grimace et fais demi-tour. La lumière extérieure éclaire un peu la pièce et malgré ce peu de luminosité, je sens son regard intense sur moi. Lentement, je m'avance à lui et il tapote la place à côté de lui. À peine je pose mes fesses sur le banc, il se met à jouer le même morceau et je reste silencieuse en appréciant chaque notes avec les yeux fermés. Quand il termine, j'ouvre les yeux et un silence s'abat dans la pièce.
— Pourquoi m'avoir raconté tout ça tout à l'heure ? je demande finalement, les yeux scotchés sur les touches du piano.
— Je ne sais pas. Enfin, je me suis dit que si tu voulais me connaître vraiment, il fallait peut-être que je te raconte cette histoire qui m'embête depuis des années.
Je déglutis et opine.
— C'était glauque, vraiment glauque. Cette histoire de conflit entre deux familles mafieuses... tu n'avais rien demandé pour avoir hérité tout ça...
— J'ai commencé à bien gérer la mafia, m'explique Angelo en me forçant à me tourner vers lui. Mais après le décès de mon père et de ma mère, je foire tout. Je me fais plus d'ennemis que d'amis et j'ai besoin d'une personne. Cette personne doit m'aider à regagner la confiance de mes anciens alliés et cette personne c'est toi, Daniela.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top