Chapitre 8

—???—

Je ne m'attendais pas à ce que votre opération ait eu autant de succès. Je suis franchement impressionné. Bien joué.

Je souris en lisant le petit bout de papier qui venait de passer sous ma porte. Pour une fois que ce n'étaient pas des remontrances...

Je m'étais allongée sur mon lit après avoir démonté mon arbalète et plié mon costume, et j'avais caché le tout sous une latte de plancher en attendant que l'un de nous en ait besoin. J'étais fatiguée, mais je n'arrivais pas à dormir. Et au milieu de la nuit, j'avais entendu des pas dans le couloir et le bruissement de la feuille contre le parquet.

Je me mis à bureau et me écrivis un nouveau mot, que je passais sous la porte de mon voisin. J'y écrivis remerciements et me vantais un peu, pour plaisanter.

J'aurais bien besoin de quelque chose. De boire quelque chose. J'ai soif. Soit quelque chose pour me réveiller, soit quelque chose pour m'endormir. Mais j'avais besoin de boire quelque chose. Je me voyais mal revêtir un costume pour aller voler quelque feuille de thé et de l'eau chaude ou une tasse de lait chaud. Certes, j'aurais pu me contenter d'un verre d'eau, étant donné qu'une modeste salle de bain étant attenante à ma chambre, mais honnêtement je pense que cela n'aura pas l'effet escompté.

Soupirante, j'esquissais quelques ridicules pas de danse avant de m'effondrer sur le lit, partagée entre une envie de bouger et une envie de dormir.

Mon complice et moi avions décidé de ne pas agir dans la nuit si je réussissais mon attaque. Cependant, nous avions décidé de nous occuper du cas de notre prochaine victime à l'aube, directement chez lui. L'infiltration n'étant pas mon fort, j'avais demandé à mon complice s'il avait ne serait-ce qu'une ébauche de nos plans pour nous y aider. Il m'avait dit de le laisser faire.

Même si je n'étais pas sûre de pouvoir lui faire confiance, il était, en quelque sorte, le protégé de maman. Il n'aurait eu aucun intérêt à trahir sa mémoire.

Je reçus un nouveau bout de papier sous ma porte et le lus rapidement :

Je crois qu'il serait temps que nous nous rencontrions officiellement mademoiselle. Sans quoi, la mission que nous nous apprêtons à accomplir dans quelques heures se révèlera être un échec cuisant avant même d'avoir commencé. Je vous demanderai de me rejoindre dans ma chambre, si possible, dans votre costume habituel. Je vous raconterai les détails une fois que vous serez arrivée.

Surprise, je relus plusieurs fois le mot pour être sûre d'avoir tout compris. Un peu mal à l'aise, je répondis par un autre bout de papier :

Êtes-vous sûr de vous ? Si Maman a fait en sorte que nous ne nous voyons pas, c'est qu'elle avait une raison. Nous risquons plus d'être une menace l'un pour l'autre si jamais nous nous connaissons.

La réponse ne se fit pas attendre :

Je suppose que vous ne me faites pas confiance, ce qui est compréhensible quoique stupide étant donné que nos actions communes sont criminelles et que nous comptons chacun sur la discrétion de l'autre. Ne soyez pas idiote et faites ce que je vous dis. À moins que venger la mémoire de votre mère ne soit qu'une formalité à remplir.

Comment il fait pour passer d'agréable à insupportable ? Je crois que je vais le gifler si je le vois... Ce n'est peut-être pas une si bonne idée que je le rencontre, au final. Bon, je vais arrêter de me la jouer imbécile et je vais prendre sur moi.

Je me suis levée, ai récupéré le costume de docteur de la peste et ai enfilé le costume que j'avais l'intention de porter lors de notre attaque à l'aube. J'ai inspiré à fond et ai ouvert la porte, puis ai frappé à celle de mon complice, qui m'ouvrit dans la seconde.

C'était un homme qui faisait à peine quelques centimètres de plus que moi. Et la première chose qui me frappait, chez lui, était son regard brun-rouge qui me dévisageait avec une forme de curiosité presque méprisante. J'avais rarement vu une couleur aussi majestueuse. Je soutins son regard pendant quelques secondes, détaillant son visage dur, ses cheveux blonds ternes, presque grisonnants et son expression donnait l'impression qu'il était sur la défensive. Il me laissa entrer au bout de quelques secondes d'inspection.

Sa chambre était comme la mienne, quoique mieux rangée et plus impersonnelle. Il avança la chaise de son bureau et me fit signe de m'asseoir, ce que je fis. Il s'assit face à moi, sur son lit, et continua de me fixer dans les yeux. Je crois que nous ne savions plus quoi dire, jusqu'à ce que je me racle la gorge et me décide à prendre la parole :

-Alors ? Quel est votre plan ?

-Je vais m'infiltrer durant la nuit en me déguisant en un domestique. Vous, vous m'attendrez dehors. J'irai ensuite vous ouvrir une fenêtre et vous ferai entrer dans la maison, non loin de la chambre de votre victime. Je vous ferai entrer par la fenêtre, et je vous laisserai vous en prendre à celui que vous souhaitez attaquer. Cela vous convient ?

Je fis oui de la tête. Il continua de me fixer quelques secondes puis se leva :

-Je pense que vous pouvez disposer, maintenant.

Je me levais de la chaise et m'approchais de la porte. Avant de partir, je lui lançais :

-Au fait, je m'appelle Lucy. Lucy Soulless. Mais je suppose que vous connaissiez déjà mon nom de famille.

Je me suis retournée pour constater qu'il avait l'air silencieux, voire neutre. Puis je vis un petit rictus amusé étirer ses lèvres :

-Je suis Jean Descole. C'est un plaisir de vous rencontrer.

-Vous dites ça par rapport au fait que vous connaissiez ma mère, rétorquais-je en soupirant.

-À vrai dire, vous ne lui ressemblez que peu, me dit-il d'un ton calme. Mais vous avez cette même détermination dans le regard.

Il est vrai que physiquement, je ne ressemblais en rien à ma mère. C'était à se demander si nous étions du même sang. Heureusement que nos caractères étaient ressemblants, pour un peu, j'aurais été persuadée d'avoir été adoptée. Elle avait les cheveux noirs, les miens sont roux. Elle avait les yeux verts, les miens sont bleus. Nos visages sont différents. Pourtant, il y avait cette complicité que j'érigeais au rang de perfection entre nous.

-Comment avez-vous connu ma mère, demandais-je ?

Il semblait hésiter, me fixa dans les yeux, puis détourna le regard. Il finit par trouver les mots qu'il cherchait :

-Disons qu'elle m'a soutenu quand j'ai tout perdu. Elle m'a aidé à finir de planifier une vengeance que je souhaitais voir réalisée depuis de nombreuses années.

-C'est pour ça que vous m'aidez ?

-En effet.

-Vous la connaissez depuis longtemps ?

-Oui. Vous étiez déjà née, d'ailleurs. Il me semble que vous n'étiez encore qu'une enfant.

-Vraiment ? Comment expliquez-vous que nous ne nous soyons jamais vu ?

-J'avais un mode de vie nocturne. Votre mère souhaitait éviter que nous nous croisions, sans doutes pour éviter des questions stupides ou l'indiscrétion naturelle des enfants.

J'eus un petit sourire amusé à l'évocation de tout cela. Ma mère me connaissais bien, mais je dois admettre que je n'étais que peu différente des autres enfants de mon âge. Il reprit la parole :

-Puis-je vous demander quel genre de technologie vous utilisez ?

-Pardon ?

-Vous disparaissez dans une forme de fumée noire et pouvez passer inaperçue par moments. Je doute sincèrement que cela soit naturel, c'est pourquoi j'aimerai savoir quelle technologie vous utilisez.

-Et bien... Au risque de vous décevoir, je fais vraiment cela naturellement, je n'use d'aucune technologie. Vous souhaitez peut-être une démonstration pour que j'appuie mes propos ?

Il avait l'air sceptique, mais hocha affirmativement la tête. J'inspirais à fond et aussitôt, fis en sorte qu'il ne me vit plus.

-Lucy ? Vous êtes toujours là ?

-Si vous pouvez m'entendre parler, c'est que tel est le cas. Je vous l'avais dit, je fais tout naturellement. Cependant ne m'en veuillez pas si je n'utilise pas le tour de la fumée, les effets secondaires qu'il peut avoir sont plus qu'indésirables.

-Quels sont-ils ?

-Je ne sais pas si vous y avez fait attention, mais lorsque nous avons attaqué le notaire, à partir du moment où je fus entourée de fumée noire, il m'a regardé comme si j'étais la pire abomination qui soit. Cela m'entoure d'une forme d'aura démoniaque, quelque chose de si horriblement viscérale et d'hideux que je passe pour plus qu'un monstre.

Je redevins visible, tandis qu'il me fixait dans les yeux d'un air pensif, comme s'il était plongé dans ses réflexions. Il finit par en sortir rapidement et demander :

-Comment êtes-vous entrée en possession de ces... pouvoirs ?

-Je l'ignore, je suis née comme ça, selon Maman. Mais ce n'est pas le seul effet désagréable auquel je dois faire face.

-Comment cela ?

-Vous avez un miroir ?

Il fit oui de la tête et m'indiqua la direction de la salle de bain. Je m'y rendis et fis face à mon reflet. Je savais, d'après Maman, que mon regard était habituellement dur, presque mauvais. Mais quand je fixais mon reflet...

-Que voyez-vous, M. Descole ?

-Je ne vois aucune différence entre votre reflet et votre visage, si tel est ce que vous voulez m'entendre dire.

-Et bien moi, je vois l'innocence même dans ce reflet. Je vois un visage souriant, presque mélancolique. Je dis visage, mais je pense expression. Je dis visage parce que pour moi, cette expression-là n'a rien à voir avec la mienne. Je ne suis pas cette personne dans le miroir, qui est pourtant censée être moi.

Ce que je ne disais pas, c'est que j'avais l'impression d'être dépossédée de mon propre corps, de ce que je suis, de ce qui fait que j'existe. Quand je me regardais dans le miroir, j'avais l'impression d'être aspirée dans un tourbillon d'incertitudes qui me faisait souffrir plus que n'importe quelle autre torture, qu'elle soit physique ou psychologique.

J'entendis Descole quitter la pièce. Puis sa voix se fit entendre :

-Je vais partir. Restez ici si l'envie vous plait, mais veillez à ce que cela ne dure pas. J'aurais besoin de vous sous peu.

-D'accord...

Je détournais mon regard du miroir. Maintenant que j'y pensais, j'avais fait confiance à quelqu'un que je ne connaissais à peine. Certes, il connaissait ma mère, et alors ? Mon père aussi connaissait ma mère, pourtant, quand bien même j'aurais eu affaire à lui, je ne lui aurais accordé aucune confiance. Et là, j'avais affaire à quelqu'un qui, à mes yeux, était censé signifié moins que mon propre père.

En temps que criminels notoires, l'un comme l'autre, nous étions censé ne pas du tout avoir confiance l'un en l'autre. Je crois que si je devais expliquer cette façon que nous avions d'agir l'un envers l'autre, je n'utiliserai qu'un nom : celui de Maman.

-Lucy ?

Sa voix me sortit de mes réflexions.

-Oui ?

-Vous avez intérêt à être rapide. Je tolère autant la lenteur que l'incompétence.

J'eus un petit rictus amusé :

-Comptez sur moi.

~.~.~.~

Je vis Descole déguisé en domestique ouvrir une fenêtre à l'arrière de la demeure d'Oscar Kemper. Il lança une corde qu'il attacha à l'intérieur de la fenêtre et disparut. Je me dépêchais de monter, de peur que mes longs cheveux roux ne se fassent voir de l'extérieur. L'aube ne pointait pas encore, mais il n'était pas impossible que les jardiniers soient plus que lève-tôt.

-Tout va bien, murmurais-je alors que je venais d'entrer et remontais la corde ?

-Oui.

Il avait enfilé le costume de docteur de la peste.

-Combien de temps avant que je ne fasse exploser une partie de la façade, demanda-t-il ?

-Attendez que je sorte.

J'ouvris la porte avec précaution et entrais dans une chambre encore sombre. Cependant un cliquetis se fit entendre, suivit d'une voix masculine ferme :

-On ne bouge pas.

Je restais immobile dans l'entrée. Je vis une lampe s'allumer sur la table de nuit, et un homme d'un âge relativement avancé et plutôt bedonnant assis sur son lit fait, habillé d'un costume classieux, un sourire carnassier pointant sous sa fine moustache grisâtre.

-Je me doutais qu'on essaierait de m'assassiner, mais je ne pensais pas que ce serait si tôt. Je suis sûr que tu es étonné, n'est-ce-pas ? Si tu voulais que j'évite de suspecter que mon tour viendrait, il fallait faire des victimes collatérales.

Je ne dis rien, me contentant de le fixer d'un regard mauvais derrière mon masque. Il eut un petit rire moqueur :

-Mais je ne me souvenait pas que tu avais les cheveux aussi longs, Methyst ! Est-ce une perruque ?

Comment pouvait-il me prendre pour Methyst Beckett ?! De rage, je pointais mon arbalète sur lui, mais il tira. La balle atteignit mon épaule et je poussais un cri de douleur. Le rire triomphant de celui qui devait être ma victime se fit entendre, mais il cessa bien vite de rire :

-Une minute... Tu n'est pas Methyst. Tu es une femme, n'est-ce-pas ?

Il me dévisagea quelques minutes puis son visage se fendit d'un large sourire :

-Je ne savais pas que cet imbécile d'Ash avait eu une fille !! Mais il est vrai que tu lui ressembles, une abrutie pareille avec une tignasse en feu ne peut être que la fille de ce crétin !! Mais dis-moi, petite, qui est ta mère ?

Je grognais ma rage et me retenais de lui sauter à la gorge, malgré l'envie que j'avais de le massacrer. S'il y en a un que je ne laisserai pas en vie, ce sera lui.

Il me fixait avec son sourire imbécile, jouant avec la gâchette de son arme jusqu'à ce qu'il s'exclame :

-La rumeur était vraie !! Espèce de petite sorc-

Je sentis un bras me tirer en arrière, du côté de la porte. C'était mon bras blessé, ce qui me fit hurler de douleur. Je n'eus pas le temps de voir ce qu'il se passait, j'entendis Oscar Kemper hurler de peur. En me relevant, je pus voir que Descole était intervenu. Il avait été tellement rapide que Kemper en avait lâché son arme. Il avait une épée plaquée contre la gorge, et je l'entendais suffoquer légèrement.

-Soulless, je vous laisse vous en occuper ou vous vous occupez de l'explosion, demanda Descole ?

-Laissez-le moi, grinçais-je, récupérant mon arbalète de mon bras encore valide.

Je vis mon allié retirer lentement la lame de la gorge de Kemper et reculer jusqu'à arriver à ma hauteur. Il murmura : 

-Vous êtes dans quel état physiquement ?

-J'ai une balle dans l'épaule, fis-je en tentant de cacher la souffrance de ma voix. Ça répond à votre question ?

-Je vais m'occuper de l'explosion et de la poupée. Contentez-vous de vous amuser avec ce type, répondit-il en partant rapidement.

Je maintenais mon arbalète sur lui avec mon bras valide. J'eus un petit rire étrange. Comme s'il me servait à me débarrasser de mon stress. Je sentis mes yeux humidifiés par les larmes de douleur. Ma voix me semblait plus sinistre :

-Alors vous... Vous... Vous n'allez pas m'oublier espèce de pourriture !!!

Je vis ses yeux s'écarquiller d'horreur tandis que mon rire devenait plus mauvais. Je pouvais deviner la fumée noire qui s'échappait de mon corps pour emplir la pièce, et petit à petit je vis le visage d'Oscar Kemper se fondre dans une forme de douleur et d'horreur qui ne fit que raviver un sentiment nouveau qui inondait mon corps. Je n'avais encore jamais ressenti une telle puissance, c'était grisant...

Je riais encore lorsque je tirais plusieurs fois dans ses jambes. Stabiliser mon arme avec un seul bras m'était difficile, mais ce n'était pas comme si j'en avais quelque chose à faire de rater mon tir.

Je fus tirée de ma séance de torture par le bruit caractéristique d'un bâtiment qui explose. Poussant un cri de rage, je m'enfuis le plus vite possible en direction du son de l'explosion. Mon complice courait dans ma direction et, au vu de ma blessure, me chargea sur son dos avant de briser une vitre à coups d'épée et de sauter sur le balcon situé sous nos pieds. Il défonça la baie vitrée qui permettait d'accéder à l'intérieur de la maison et nous fit descendre d'un étage. Il en profita pour nous faire changer de tenue.

Nous quittâmes la maison en civiles, nous faisant passer pour deux promeneurs matinaux aux yeux des rares passants. Je faisais de mon mieux pour dissimuler la douleur de mon épaule qui me rendait à moitié folle tant elle me lançait.
Je crois bien que j'ai fini par tourner de l'œil.

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