Chapitre 23

—Lucy—

Lorsque j'ouvrais les yeux, j'essayais de reprendre mon souffle. Je n'avais aucun souvenir distinct de ce dont j'avais rêvé. Je me souvenais juste que c'était horrible et qu'il y avait Methyst.

Je m'étais redressée, malgré ma blessure qui me lançait, renversant la couverture dont on m'avait recouverte et regardais où j'étais. Bien que les lieux me semblaient familiers, je mis quelques secondes avant de souvenir des évènements de la veille.

Ma tentative de vengeance ratée, l'attaque de cette servante, la découverte de cette peinture rupestre, ma fuite... Je venais de me souvenir que j'étais à bord su Bostonius. En toute logique, Descole ne devrait pas être loin.

Je me levais et fis quelques pas avant de remarquer l'évidence qui m'avait échappée : un bruit étrange qui venait de partout à la fois, comme le son d'un moteur. Je jetais un coup d'œil à ce qui m'avait semblé être le poste de pilotage, pour constater que Raymond s'y trouvait, et avait l'air, par ailleurs, plutôt occupé.

Je fis quelques pas et le saluais. Sans détourner les yeux, il me salua en retour :

-Bonjour. Monsieur sera ravi d'apprendre que vous êtes enfin réveillée.

-En parlant de lui, est-ce-que vous savez où il est, demandais-je poliment ?

-Je suis là.

Je me retournais pour voir que Descole avait délaissé cape, masque et chapeau pour son simple costume. Je le saluais avec un léger sourire, qui ne changea pas son air neutre. Je finis par lui demander :

-Combien de temps ai-je dormi ?

-Environ une dizaine d'heure, probablement plus. Je n'ai pas compté. Et avant que tu ne me le demandes, nous avons décollé au moment où tu t'es endormie.

-D'accord, merci.

Je m'approchais avec curiosité des vitres qui permettaient à Raymond de piloter le Bostonius. La vue était sincèrement magnifique. Regarder la terre depuis le ciel était à la fois merveilleux et enivrant.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée là, à regarder le panorama qui se déroulait sous mes yeux, mais toujours est-il que c'est Descole qui me retira de cette sorte de transe :

-Tu as faim ?

-Je crois que oui, répondis-je après quelques secondes d'hésitation, sans détacher mon regard des vitre.

-Dans ce cas retournes-toi.

Je le fis, et constatais qu'il y avait un plateau où se trouvaient différents aliments du petit-déjeuner. Je m'avançais jusque devant la table et m'agenouillais face à elle, ignorant totalement le canapé qui se trouvait derrière moi, et sur lequel j'avais passé ma nuit. Je pris un bout de pain et demandais à Descole :

-Lequel d'entre vous dois-je remercier pour la couverture ?

Il ne répondit pas et s'assit face à moi, me regardant fixement pendant quelques secondes, ignorant totalement ma question. Je soupirais en lui posais une nouvelle question :

-Où est-ce-que nous allons ?

-Chez quelqu'un qui va s'occuper de ton épaule.

-Et après ?

-Je suppose que tu voudras t'occuper du cas de Salomé Beckett après cela. Mais si cela ne t'intéresses plus, je peux changer le programme.

-Bien sûr que ça m'intéresse toujours !!

Il eut un petit rire que je n'aurais pas su interpréter, et j'entendis mon ventre gargouiller, comme une sorte d'encouragement. Enfin, qui m'encourage plus à manger qu'à poursuivre ma vengeance, malheureusement. Cela décupla légèrement l'éclat de rire de Descole tandis que je mordais dans un bout de pain.

-Comment va ton épaule ?

-C'est supportable, pas de quoi s'inquiéter, répondis-je d'un ton détaché.

Un silence s'abattit entre nous, que je finis par rompre avec une nouvelle question :

-Qui est cette personne que nous allons voir ?

-C'était une connaissance de ta mère, un prétendu sorcier appelé Gideon Frank. Dans le civil, il est médecin.

-Oui, il est venu à la maison, deux ou trois fois.

J'avais quelques souvenirs de cet homme. Je me souvenais qu'il me faisait peur, il passait son temps à m'examiner sous toutes les coutures, ses yeux cachés derrière une chevelure bleuâtre ébouriffée et coupée approximativement courte. Il lui était arrivé de soulever ses cheveux pour mieux m'observer, et je me souvenais que ces grands yeux vert clair m'avaient toujours effrayée. C'était un regard perçant, mais maintenant que j'y repensais, il n'y avait rien en lui qui justifiait cette frayeur. Et bien qu'il avait des rapports très amicaux avec Maman, je ne le considérais pas comme quelqu'un de confiance.

C'est pourquoi j'étais désireuse de changer de sujet :

-Et vous, qui êtes-vous dans le civil ?

Il sembla se rembrunir :

-Dans le civil... Je ne suis plus personne, depuis longtemps déjà.

-Euh... Désolée, j'ai abordé un sujet sensible, c'est ça ?

-En effet.

Ce ton sec qui m'avait auparavant effrayée n'avait eu aucun effet cette fois-ci. Il semblait sur la défensive, ce qui éveilla mon intérêt :

-Est-ce-que cela a un rapport avec la façon dont vous avez rencontré Maman ?

-C'était ce qui précédait cette rencontre. Si tu le veux bien, je souhaiterai que nous passions à autre chose.

-Je vais avoir l'air détestable en disant cela, mais ce n'est pas très juste que vous me connaissiez alors que moi, je ne sais rien de vous. Je suis censée ne rien savoir de vous alors que nous allons cohabiter pendant un certain temps ?

Il me fixa pendant quelques secondes avant de prononcer lentement :

-Tu en sais déjà beaucoup, je trouve.

-Comment cela ?

-Rares sont ceux qui connaissent le lien de parenté qui me relie au professeur Layton. Et plus ils restent rares, mieux c'est. 

-Je comprends, mais je ne suis pas n'importe qui. Vous m'avez promis de rester à mes côtés. J'apprécie votre soutien, n'en doutez surtout pas, mais je préfèrerai mieux connaitre la personne qui m'offre ce soutien, vous comprenez ?

-Je me doutais que j'e n'avais pas encore entièrement ta confiance, marmonna-t-il. Que veux-tu donc savoir ?

-Qui vous étiez au moment où vous avez rencontré Maman ?

Son regard se perdit dans le vide, tandis que sa parole s'élevait dans les airs comme une mélodie sans variation, plate, vide de vie :

-J'étais un homme qui venait de tout perdre. Ma famille venait de mourir sous mes yeux, et j'aurais dû les suivre. Encore à ce jour, j'ignore comment j'ai fait pour survivre à ma blessure et comment je me suis trainé jusque devant chez Sarah. Je la connaissais peu, mais elle était ma plus proche voisine. Elle et le docteur Frank m'ont soigné, puis elle est restée à mes côtés pour essayer de me redonner goût à la vie. Et c'est tout ce que tu sauras.

Je n'insistais pas. Même s'il tentait d'avoir l'air impassible, son regard vide trahissait les souffrances d'un homme qui cherchait à oublier toute cette triste vie.

J'aurais dû me sentir mal à l'aise, mais je ne pouvais m'empêcher de voir grandir dans mon cœur une émotion que je croyais disparue. De l'empathie.

Je me suis levée, me suis postée devant Descole, et l'ai serré dans mes bras, doucement mais fermement. Il était d'abord tendu, mais me rendit finalement mon étreinte avec hésitation.

-Désolée d'avoir fait revenir tout cela.

-Ce n'est rien, rétorqua-t-il d'un ton vide.

Je n'osais pas insister. Il finit par me repousser gentiment et m'offrit un petit rictus, auquel je répondit par un sourire timide. La voix de Raymond se fit entendre :

-Nous arrivons, monsieur.

-Très bien, répondit Descole avant de partir dans un couloir du Bostonius.

Je me retins de lui demander où il allait et me contentais de m'asseoir sur un des canapés en silence, en l'attendant. Il revint quelques minutes plus tard, vêtu du costume qu'il portait la veille. Raymond nous ouvrit la porte du Bostonius. Descole le remercia et je fis de même au moment où nous sortîmes.

Nous avions atterri dans un terrain vague, qui semblait perdu au milieu de nulle part, avec pour unique exception une maison d'où laquelle sortit un homme, vêtu d'un costume et d'une blouse blanche. Je le reconnus grâce à ses cheveux bleuâtres, qui, dans mes souvenirs, étaient bien moins longs. Sa voix trahissait un énervement passable :

-MAIS QU'EST-CE-QUE VOUS FOUTEZ LÀ BORDEL ?!? DÉGAGEZ DE MON JARDIN PUTAIN !!!

J'avais oublié à quel point il était vulgaire... Il faut dire que j'avais peu de souvenirs de lui.

Il courrait vers nous en continuant de pester, jusqu'à ce qu'il reconnaisse Descole :

-Bravo, Jean, bravo !! J'ai rien contre le fait que tu veuilles me rendre visite, mais bordel la prochaine fois tu gares ton putain de truc ailleurs que dans mon jardin !!!

-Bonjour, Gideon. Je te prie de m'excuser mais, au vu de l'état de cette forêt vierge que tu appelles un "jardin", j'ai comme l'impression que tu te fiches de son état.

-C'est ça, fait ton malin !! Bref, qu'est-ce-que tu fous ici ?

-Je viens ici pour cette jeune fille. J'ose espérer que tu la reconnais.

Gideon détourna son attention sur moi, et je vis son visage s'orner d'un grand sourire :

-Mais c'est la petite Lucy !! Bah alors, comment tu vas, gamine ? C'est bizarre de te voir ici, d'habitude je te rends visite chez ta mère !! Tiens, en parlant d'elle, comment elle va ? Ça fait un bail que j'ai pas eu de nouvelles !!

-Maman est morte, répondis-je doucement.

Il eut l'air choqué. Je l'entendis murmurer "Oh merde" en boucle pendant près d'une minute, puis il posa ses mains sur mes épaules, m'arrachant une grimace de douleur qu'il sembla ne pas remarquer tout de suite, et prit la parole :

-Je suis sincèrement navré de l'apprendre... Si... Si tu as besoin de quoique ce soit, surtout, n'hésites pas à me contacter, d'accord ?

-Justement, à ce propos, tu devrais arrêter de lui broyer l'épaule, elle s'est faite tirer dessus il y a 2 jours, intervint Descole.

Gideon lâcha subitement mes épaules en s'excusant et se tourna vers mon complice :

-Il y a deux jours ? Comment ça se fait ? Qu'est-ce-que t'as encore foutu, Jean ?

-Ce n'est pas de ma faute, rétorqua-t-il calmement. C'est une longue histoire que nous prendrons la peine de te raconter, à condition que tu t'occupes de la blessure. Avant que tu ne me poses la question, sache que j'ai retiré la balle et que j'ai recousu la plaie, mais ces soins sont relativement sommaires.

Gideon lâcha un juron et me prit par mon bras valide pour me trainer en direction de sa maison, Descole sur les talons.

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