—Methyst—

En traversant la ville pour nous rendre à la salle des archives, nous passâmes devant l'unique café du village, où nous vîmes Erica Prince. Seulement, malgré son sourire amical, je la trouvais un peu changée. Oh, pas uniquement à cause de son bras en écharpe, mais aussi dans son expression. Elle avait l'air beaucoup plus fatiguée, et à partir du moment où elle cessa de nous regarder, je vis qu'elle avait une expression dure sur son visage, ce qui contrastait avec l'air timide et amical que nous lui connaissions.

Je décidais de garder mes impressions pour moi. Après tout, nous ne la connaissions pas tant que ça, qu'est-ce-que cela pouvait bien changer, qu'elle se comporte de telle ou telle manière ? Toujours est-il que j'étais curieux de savoir comment elle s'était blessée... Si nous avons la possibilité de la croiser plus tard, j'espère qu'elle accepterait de répondre à cette question.

Le professeur n'avait pas décroché un mot du trajet, comme s'il réfléchissait encore. J'aurais espéré qu'il nous éclaire un peu sur le sujet, mais à vrai dire, c'était également une bonne chose. Cela me permettait d'y réfléchir aussi.

Et si cette sorcière était une métaphore ? Métaphore d'une personne qui a été trahie, abusée puis oubliée par ceux qu'elle considérait comme des proches, ou alors métaphore de l'amante éconduite par un groupe d'amis revenue pour se venger...

À vrai dire, je ne sais pas vraiment, même si j'essaie de comprendre. Enfin, je comprends les motivations, mais pas ce que ça cache entièrement.

Une fois arrivée aux archives, nous saluâmes la secrétaire, une femme d'une cinquantaine d'années faisant plus jeune que son âge, aux grands yeux noisette et aux courts cheveux blonds frisés, clairsemés par le temps. Elle répondait au prénom de Catherine Doyle.

-Vous cherchez quelque chose en particulier, demanda-t-elle de sa voix douce habituelle ?

-Euh, oui, hm... Nous... Nous cherchons, euh...

-Allons Methyst, je ne vais pas te manger, me dit-elle amusée.

-Est-ce-que vous auriez des informations au sujet d'une sorcière, demanda le professeur ?

Nous pûmes constater que Mme Doyle s'était légèrement tendue, mais elle continua de nous sourire :

-Pas de problème, je dois bien avoir cela. Vous cherchez une période historique précise ?

-Ce serait plutôt simple à trouver, répondit le professeur. À vrai dire, si je ne me trompe pas, ces évènements devraient remonter à une vingtaine d'années, voire même avant.

-Pas de problèmes, je vais voir ce que je peux faire. Euh... Si je puis me permettre, en quoi ces informations pourraient-elles vous être utiles ?

-Nous enquêtons sur les récentes attaques étant survenues dans votre village, et il se pourrait que tout cela soit lié à des évènements antérieurs ayant un rapport avec une certaine sorcière.

J'entendis un murmure émaner de Mme Doyle, dont le visage était incrédule.

Elle savait. Elle était au courant de quelques chose. Bon sang de bois, elle savait quelque chose et elle refusait de nous le dire !!

Je posais mes mains sur le bureau et tentais de capter le regard de notre interlocutrice :

-Mme Doyle, s'il vous plait, ce que vous dites pourrait se révéler d'une importance capitale, cela pourrait nous aider à avancer et à mieux comprendre ce qu'il s'est passé !! Je vous en supplie, nous avons besoin de ces informations !!

-Methyst... Tu es adorable, mais je pense que tu n'es pas prêt à entendre ce que je vais te dire, rétorqua-t-elle. Ces choses sont arrivées avant ta naissance, tu n'es pas concerné et tu n'es pas obligé d'être au courant de toute cela.

-Madame, comme vous l'a dit Methyst, nous avons besoin de ces informations pour pouvoir arriver à faire la lumière sur cette affaire, insista le professeur. S'il vous plait, si vous savez quelque chose, nous aimerions savoir ce qu'il s'est passé pour que de tels évènements aient pu prendre place, d'autant plus que cela pourrait nous aider à empêcher une potentielle nouvelle attaque.

Elle hésita, voulut prendre la parole, ferma la bouche et nous fit signe de la suivre dans les archives, ce que nous fîmes. Elle nous fit nous asseoir sur des piles de livres avant de prendre la parole :

-Je suis désolée de vous contraindre à vous installer dans ce confort totalement relatif, mais il vaut mieux éviter de se faire surprendre par des oreilles indiscrètes. Les évènements que je m'apprête à vous rapporter ont été "oubliés" volontairement par tout le monde, au point que toutes traces de la personne incriminée a été effacée des archives. Mais moi, je n'oublie rien.

Elle avait à peine parlé que j'étais déjà suspendu à ses lèvres, légèrement nerveux. Nous allions enfin avoir les réponses à nos question, et mon impatience devait se faire sentir.

-Il y avait un vieil ermite, qui vivait à l'orée de la ville, avec sa fille. Sa femme était morte en couche. Le père était plutôt apprécié au village. Il ne travaillait pas, mais il ne semblait pas manquer d'argent non plus. Il est vrai qu'avec le recul, il semblait étrange, mais la plus étrange était sa fille, Sarah. Sarah effrayait tout le monde, mais sans faire exprès. On la croyait folle, mais elle, elle se disait spéciale. Elle prétendait être une sorcière. À cause de ça, elle passait son temps éloignée de tout le monde, même si son père expliquait qu'il faisait de son mieux pour la convaincre d'arrêter ses fantaisies et d'attirer l'attention sur elle. Seulement cela ne la fit pas changer.

Elle eut un petit sourire nostalgique :

-Nous n'étions pas vraiment amies, mais je l'aimais bien, il nous arrivait parfois de parler et de nous promener ensemble. Quand nous venions tout juste d'atteindre la vingtaine, pour la taquiner, je lui avait pariée qu'elle serait incapable de monter à un arbre. Elle ne s'est pas démontée et s'est hissé le plus haut possible sur cet arbre avant d'éclater de rire et de redescendre avec un grand sourire. Malgré le fait qu'elle pouvait se montrer effrayante, elle avait ce côté enfantin qui la rendait attachante. C'est à cette époque qu'elle rencontra Ash Crimsom, le fils d'un industriel qui avait déménagé dans le village après que sa famille ait fait fortune dans l'exploitation minière.

Je sentis mon cœur battre plus fort. Ash Crimsom était le nom de mon père biologique. Qu'est-ce-qu'il avait à voir dans cette histoire... ?

-M. Crimsom et Sarah étaient très proches, ils s'entendaient plus que bien, et passaient une bonne partie de leur temps à se promener dans les bois, d'après le peu que j'en voyais. C'était rare de voir Sarah aussi proche de quelqu'un. J'ai cru comprendre qu'ils entretenaient une liaison, seulement les parents de M. Crimsom l'avaient promis à Salomé Clyde, la fille d'un autre industriel, qui lui était implanté au village depuis longtemps. Et M. Crimsom et Mlle Clyde étaient très proches. Ce que j'avance n'est que pure hypothèse, mais je pense qu'il tenait autant à Sarah qu'à Mlle Clyde. Mais Sarah était très jalouse et possessive.

J'assimilais en silence ces informations. J'en avais plus appris sur mon père en quelques minutes qu'en 19 ans, et je n'étais pas sûr d'apprécier ce que je savais. Mais je n'avais pas à me plaindre, après tout, j'avais insisté pour savoir.

-Je crois qu'elle a commencé à savoir que son amant fricotait avec Mlle Clyde plus rapidement que ce qu'il avait espéré. Toujours est-il qu'elle l'a mal pris. Je me souviens qu'elle m'avait parlé de la conversation qu'elle avait eu avec M. Crimsom, en me disant qu'il lui avait servi un beau discours auquel elle ne croyait pas. Quelques jours plus tard, son père est arrivé à la mairie, complètement paniqué, en expliquant que sa fille était possédée et qu'elle allait maudire le village. Et en quelques minutes, nous sommes revenus au Moyen-Âge. Quand ils sont allés la débusquer, elle était en plein rituel. Ils l'ont arrêtés et avaient prévu de la brûler vive. Seulement, on ne sait pas comment, sans doutes grâce à sa magie, elle a réussi à s'enfuir, et on n'a plus jamais entendu parlé d'elle. Suite à ça, l'archiviste, le notaire, le maire, le père de M. Crimsom et ses deux associés, Messieurs Kemper et Beckett, ont fait de leurs possibles pour étouffer le scandale à l'aide du père de Sarah. Ils sont allés jusqu'à rayer son existence officielle dans l'administration du village. Suite à cela, M. Crimsom a épousé Mlle Clyde, seulement il est mort à peine un an après le mariage, ce qui, pour beaucoup de monde, a signifié que la malédiction de Sarah avait fonctionné. La suite, vous la connaissez, Mlle Clyde a fini par épouser le fils de M. Beckett après avoir hérité d'une fortune de la part de son mari.

Je restais sans voix. Luke s'exclama d'un ton où pointait une forme de peur :

-Je le savais professeur !! C'est la sorcière qui les a attaqué !!!

Mme Doyle eut un petit sourire amusé par la réaction de Luke et rétorqua :

-Tu as tort jeune homme. Sarah n'aurait pas pu se venger d'eux. Elle est morte il y a environ trois mois.

-Vous correspondiez avec elle, demanda Layton ?

-Pour être franche, oui, répondit-elle avec un léger sourire coupable. Sarah et moi sommes restées en contact à partir du moment où elle a commencé m'envoyer des lettres pour prendre de mes nouvelles, environ 2 ans après sa disparition. Dans la dernière lettre qu'elle m'a envoyé, elle m'a avoué être très malade, qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps, et qu'elle me faisait ses adieux. Vous voulez la lire ?

-C'est inutile, répondit Layton. Je doute que cette lettre en ait plus à nous apprendre que vos propos, Mme Doyle. Cependant, j'aurais une question.

-Je vous écoute.

-Avait-elle de la famille, en-dehors de son père ?

-Et bien, j'avais promis de garder le silence, mais au vu des circonstances... Elle a eu un enfant, qui doit avoir à peu près l'âge de Methyst, aujourd'hui.

Le professeur garda le silence pendant quelques secondes avant que son visage ne s'éclaire :

-Je crois que j'ai compris !

-A-ah oui, fis-je, étonné ?

-Je sais qui est le coupable et la prochaine personne qu'il attaquera. Dépêchons-nous !

Il remercia Mme Doyle pour sa coopération et nous partîmes en trombe. Je croyais également avoir compris de quoi il retournait, mais j'espérais vainement que je m'étais trompé...