7 : LE CAFÉ


7 : LE CAFÉ

Magalie est claire : Ewel ayant redoublé sa première année de CP, fête son dix-huitième anniversaire ce quinze octobre. Je l'observe me montrer les plans de la soirée, attentive aux moindres de mes remarques. Elle n'a invité que moi, laissant une nouvelle fois Judith de côté. Ce n'est pas cool, mais apparemment, elle veut passer du temps seul à seul avec moi.

- D'après ce que j'ai pu apprendre, tu es le seul mec qui connaît Ewel depuis le CP au niveau scolaire. Vu que j'étais pas dans votre collège, je n'ai jamais su les anecdotes de l'Ewel de l'époque à l'école. Parles-en donc que je note tout ça. Rappelle-toi qu'il faut qu'on le ridiculise en public dans mon powerpoint, ordonne-t-elle bien déterminée à trouver toutes sortes de dossiers.

Je réfléchis un petit instant, avant de lâcher négligemment :

- En CP, je me rappelle qu'il avait cafté à tout le monde que son pote mangeait ses crottes de nez. En CE1, il a volé le cahier d'un pauvre gosse en notant son nom à la place tout en rayant les anciens. Il aurait dû prendre le mien. En CE2, il a foutu un râteau à une CM2, c'était rude. En CM1, il a mis un coussin péteur sur la chaise de notre maîtresse d'anglais. Il s'était fait niqué vénère. Ah oui ! En CM2, il a foutu un autre râteau à une autre fille de notre classe, c'était pire que rude, surtout que Clara c'était mon crush à l'époque. Au collège, il a commencé à avoir une réputation de dragueur mais je ne l'ai jamais vraiment vu draguer personne ni sortir avec quelqu'un. En 6ème, il chaussait déjà du 43. En 5ème, il a provoqué une bataille de nourriture parce qu'il trouvait que les pâtes de son pote étaient meilleures que les siennes. En 4ème, il a couché avec quelqu'un d'après des rumeurs mais j'ai toujours pensé que c'était faux parce que c'était d'après les rumeurs, une personne rencontrée durant une colonie de vacances. En 3ème, il a fait croire pendant son oral d'HDA que son œuvre favorite c'était un pancake de Christian Dior. Bref, j'en ai encore.

Magalie a l'air toute estomaquée, restant bouche ouverte et yeux ébahis.

- Eh bah merde, tu t'y connais sur son sujet !

Je réplique en haussant les épaules :

- Comme tout le monde en fait. À chaque fois qu'il fait un truc, on parle de lui. Même quand c'est faux. Juste, toi qui le connais depuis un bail aussi, on est d'accord qu'il a pas couché avec une fille nommée Anna en colo' en 4ème ?

La rousse a grimacé.

- Si... il l'a fait, mais c'était une période sombre...

- Merde, j'avais parié avec moi-même un grec en 4ème ! grogné-je en soupirant.

Magalie rit.

- Et la période sombre traversée c'est quoi ? questionné-je curieux de connaître l'excuse de toute cette histoire vieillotte.

Elle grimace tout en annonçant :

- Bah il a découvert qu'il n'aimait pas trop les filles, cet été-là.

Étrangement, mon corps s'est tendu à cette annonce. Les souvenirs de son faux aveu du lundi me sont remontés en mémoire, et contre attente, je me suis senti con. Peut-être qu'il me draguait vraiment. Peut-être qu'il a vraiment tenté de se rattraper. Mais pourquoi maintenant ? Si je plaisais vraiment à Ewel Cohen, pourquoi attendre douze ans avant d'apprendre à me connaître vraiment ?

- Pourquoi est-ce que je n'ai jamais entendu parlé du fait qu'il était gay ? Fin, c'est quand même un truc que les gens de notre lycée se garderaient en tête. Ils ont bien inventé qu'il m'avait pécho, mais ils le croyaient juste bien bourré.

Magalie lâche son stylo, hésitante.

- C'est juste que ça ne peut pas se savoir Ewel n°2... Ewel est sorti avec personne de sa vie sauf en maternelle je crois. La meuf Anna c'était ma pote et il s'en battait les couilles d'elle au fond. Il plaît, il est beau, il a du charisme et il a sa dose d'ewelitude. Ce qui choque les gens ce n'est pas qui il pécho, mais le fait qu'il ait pécho ! explique-t-elle comme si c'est tout à fait évident.

J'ai fini mon verre de coca, sidéré, comme si tout s'éclairait dans mon esprit tout en se compliquant. C'est vrai qu'Ewel n'est jamais officiellement sorti avec quelqu'un. Un peu comme moi.

- Et au fait, il n'est pas gay. Il n'a juste pas trouvé la personne qui lui correspond vraiment, termine Magalie tout en reprenant son stylo.

Voyant le blanc arriver, je lui ai piqué son bloc-notes des mains le temps de trouver quoi dire en plus. Avec Judith, c'est plus simple, rien dire suffit toujours.

- Tu penses que Tony aime bien Judith ? demandé-je innocemment en pensant à ma meilleure amie inséparable.

Magalie hausse les épaules.

- Sûrement... Quand il cache son intérêt pour une fille avec qui il discute en secret, il est souvent plus sérieux que quand il se vante publiquement de pouvoir être avec elle.

Rassuré, j'ai enchaîné :

- Et toi, ça va mieux avec ta mère ?

Magalie répond, en grimaçant :

- Elle me laisse l'appart' pour la soirée surprise de ce samedi, c'est quand même une amélioration...

La rousse s'est attachée les cheveux en un petit chignon tout en reprenant son bloc de mes mains.

- Et t'es invité toi aussi n°2, pour une fois, assure-t-elle avec un sourire arrogant.

*

À la sortie des cours, ce samedi midi, je suis allé le voir. Celui-ci fumait sa clope devant la boulangerie en bas de chez moi, près du lycée, sûrement en train d'attendre quelqu'un.

Je me suis quand même motivé à entamer la discussion, non pas pour discuter de ce que j'ai appris sur lui mais juste parce qu'une envie grotesque me poussait à le faire.

- On attend quelqu'un ? ai-je lancé en le voyant se retourner brusquement.

Il a souri, l'air comblé.

- Non, juste une pause clope avant mon cours de soutien de maths du samedi au lycée...

J'ai regardé les personnes âgées sortir de la boulangerie tout en contemplant la nonchalance du garçon.

- Tu viens ce soir à la soirée de Magalie ? Elle insiste pour faire une soirée chez elle, ça va être sympa... demande Ewel en prenant un ton plus accueillant.

Je hausse les épaules. La soirée est une réelle « soirée » mais celle-ci sert également d'anniversaire surprise au garçon en question. Je ne suis pas sûr d'y aller, même invité.

- J'aime pas trop les soirées, avoué-je honnêtement.

- J'avais remarqué... se contente-t-il de répondre avec un hochement de tête répétitif.

Un silence a suivi et j'ai observé le visage d'Ewel Cohen. Comme si ce gars que je connaissais presque depuis 12 ans dont tout le monde entendait parler n'était qu'un mythe. En discutant avec lui, il n'a rien de si différent que ça par rapport aux autres adolescents. Il est un gars parmi d'autres. Mais un gars qui fait toujours parler de lui par je ne sais quelle magie.

- Qu'est-ce que t'aimes pas dans le fait de se réunir et se bourrer la gueule tout en s'amusant ? interroge-t-il curieusement.

Je me suis éclairci la voix, tout en réfléchissant à une réponse pertinente.

- Je sais pas, se forcer à tenter de faire des trucs en vogue, des coutumes louches comme vos strip président poker et l'idée de juste venir découvrir des faces bourrées de personnes qu'on connaît peut-être déjà assez... Je trouve que... quand les adolescents vont en soirée à notre âge, ils sont plus vulnérables qu'ils n'aimeraient l'être. Et puis, y a cette tendance de vouloir à tout prix sortir, vouloir être le plus extraverti possible que certaines personnes s'oublient soi. Mais Judith est pas d'accord avec moi par exemple... Elle trouve qu'avoir une vie sociale c'est réconfortant aussi.

Il a ricané à l'entente de ma réponse.

- Tu sais que je suis le meilleur au président et que c'est moi qui ai inventé ce jeu exprès pour déshabiller les autres ?

Mon rire bref a suivi.

- J'ai inventé tout plein d'autres jeux cool. Faudrait que tu les essaies, tu changerais totalement d'avis sur le sujet... Nos soirées n'ont pas des jeux de la bouteille ou action ou vérité... Non, moi j'ai crée mieux, poursuit-il en terminant sa clope.

Je me suis alors souvenu de la chanson chantée en cours d'histoire. Tout le monde a clamé haut et fort le « Joyeux anniversaire Ewel » détonnant. C'est vrai qu'il fête ses dix-huit ans aujourd'hui.

- T'es né à quelle heure ? demandé-je en passant un petit coup d'œil sur ma montre.

- 16h03.

Il est à peine 14 heures et demi. Juste après, je lui ai désigné son paquet de clopes. Il me l'a passé comme pour savoir ce que j'avais à dire sur le sujet.

- Je teste un de tes jeux pourris ce soir si la clope que tu viens de fumer est la dernière de l'année. T'as dix-huit piges tout pile dans deux heures. Sois cool et trouve-toi un moyen de te débarrasser de ces clopes qui ne te donnent pas du tout un air dark...

Il hausse un sourcil, l'air intéressé :

- Donc ce que tu me dis là c'est que si j'arrête de fumer, ce soir, tu viens chez Mag' et en plus, tu deviens mon cobaye de jeux ?

J'acquiesce et ses yeux ont tout de suite étincelé d'une lueur nouvelle.

- Bah marché conclu ! achève-t-il en souriant grandement.

J'ai vu ma mère apparaître au coin de la rue, des sacs de courses dans les mains. Elle a sûrement besoin d'aide.

- Bon bah j'y vais... informé-je en commençant à me retourner.

Ewel Cohen m'a passé définitivement son paquet de clopes que j'ai laissé tomber dans la poubelle malgré le prix exorbitant de cette merde.

Avant de repartir, j'ai compris qu'Ewel gardait une question en travers de sa gorge. Il fronçait les sourcils à plusieurs reprises, sans savoir réellement comment se comporter.

- J'ai une question conne à te poser avant que tu partes.

J'ai répliqué un « oui ? » bêtement.

- Je rêve ou est-ce que tu as tenté de flirter ouvertement avec moi Ewel n°2 ?

J'ai juste souri d'un air mystérieux, les sourcils froncés tout en le laissant seul sur le trottoir, sûrement trop content d'avoir sorti cette phrase. Quelques fois, on sent les sourires dans l'intonation de la voix. Le sien m'a paru trop net pour pouvoir en douter.

Je me suis retourné pour vérifier.

Et oui, sans surprise, il souriait, l'air amusé et satisfait.

Et moi, je me suis demandé ce qui m'avait pris quand j'ai aidé ma mère avec ses sacs.

Parce que oui, avec le plus grand naturel du monde, j'ai tenté de flirter ouvertement avec Ewel Cohen.

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