3 : LE KEBAB


3 : LE KEBAB

June est totalement bourrée. Un peu trop bourrée pour son âge. Celle-ci vomit dès qu'elle croise une poubelle dans la rue et je suis obligé de la porter sur mon dos en faisant gaffe à ce qu'elle ne vomisse pas sur moi. Ma petite-sœur reste un peu lourde à maintenir et je suis obligé de faire une pause à chaque poubelle pour me reposer.

Devant chez nous, celle-ci s'agite.

- J'ai... Hum... Ewel ? J'ai... Oh ! j'ai oubli...bli...blié mon téléphone !

La petite blonde est dans un sale état.

- Tu te fous de moi là ? Bon, je te raccompagne à la maison et tu demanderas à Pauline de te le ramener demain.

Après maintes protestations et quelques menaces sur du probable vomi sur ma nouvelle veste, je cède en la voyant fondre en larmes pour son portable manquant. Elle m'explique comme elle peut que Pauline lui a piqué son copain et que Mattéo a rompu avec elle ce soir-même. De quoi me brusquer étant donné que je ne savais pas qu'un Mattéo existait dans cette soirée. Après l'avoir remontée jusqu'à son lit, je suis parti à la recherche de son portable chez Pauline et Magalie, encore plus froissé de devoir faire des aller-retours pour rien.

Judith, elle, est finalement restée à la soirée quand je suis partie chercher June. Je la raccompagnerai sûrement chez elle et dormirai sur sa moquette pour m'éviter un autre aller.

« Magalie est d'accord pour que tu restes tqt pas et elle a trouvé le portable de ta sœur dans les toilettes ! elle te le passera »

Le message de ma meilleure amie me rassure un peu mais devoir y retourner m'emmerde grandement.

Lorsque je retoque à la porte de l'appartement, c'est Magalie qui m'ouvre en soutien-gorge.

Mon regard tombe sur sa paire de poitrine sagement maintenue dans son haut en dentelle rose. Elle me laisse entrer et je tombe nez à nez avec une foule de Terminales de mon lycée tous plus déshabillés que jamais. Les 3ème ont l'air d'avoir déserté les lieux. Les mauvaises idées après 2 heures du mat' ont commencé.

- On fait une partie de strip poker version Président, raconte simplement la rousse en me passant le portable de ma sœur.

Tous avachis sur les canapés autour de la table basse, le salon empestant la clope et les bouteilles de vodka se passant de mains en mains, je repère tout de suite Ewel, le seul tout habillé, les cartes entre les mains, souriant au reste du groupe.

Judith est assise à côté de Tony avec le bras du garçon encerclant les épaules de ma meilleure amie. Il n'a plus l'air aussi défoncé qu'il y a trois heures, mais reste assez con pour s'esclaffer en entendant un garçon dire qu'il a pété.

- Tu restes ou pas qu'on t'incruste dans la partie ? demande Magalie qui a l'air de s'impatienter.

Judith me remarque et entend la question de l'hôte.

- Il reste, il dort chez moi. Viens jouer, fais équipe avec quelqu'un vu comme ça, on va éviter de tout redistribuer.

Je pousse un soupir. Les soirées du genre sont vraiment sans intérêt. D'office, en entrant dans le jeu, je serai trou du cul avec mon partenaire.

- Bah mets toi avec moi à la place de rien foutre le gnome, se plaint Magalie toujours aussi nerveuse.

La rousse m'a forcé à m'asseoir par terre, près de son fauteuil individuel. Je comprends rapidement que l'Ewel cool est le président depuis de longues parties. Judith est obligée d'enlever son jean sous les sifflements des garçons et des filles. Moi, je l'observe boire un coup, se donner un peu de courage et montrer ses jambes bien rasées. Je surveille tout de même les environs par précaution au cas où quelqu'un aurait la merveilleuse idée de la prendre en vidéo.

- Enlève ton t-shirt le coincé, on est vice-trou, ordonne Magalie qui se débarrasse de son short en jean.

En déglutissant, j'enlève la mince couche de tissu et réprime un frisson. Les garçons se plaisent à montrer leurs abdos et pectoraux. Le seul trait qui sépare mon ventre est celui qui me rappelle que je n'ai aucun muscle dans cette zone. Charmant.

Sur la droite, Ewel excelle. Discrètement, je le vois sourire tout en posant ses cartes.

- Mais comment tu fais mec ! se plaint une des filles du groupe.

Seulement, au même moment, le bruit d'une clé introduite dans la serrure arrive jusqu'à nos oreilles et Magalie lâche ses cartes.

- Merde, ma mère, lâche-t-elle en ordonnant à tous de se rhabiller le plus rapidement possible.

Mon t-shirt enfilé, je panique en voyant que je ne retrouve plus le portable de June dans mes poches. Coincé sous le fauteuil, je l'attrape avec difficulté.

- Bonsoir madame ! entame en chœur l'assemblée alors que je me relève péniblement.

Magalie grimace en voyant l'air dépité de sa figure maternelle, en tenue de soirée avec une valise derrière elle.

- Appelle ta sœur. Faut qu'on parle... j'ai quitté ton père, annonce la dame d'un air grave.

Nous nous sommes tous empresser de sortir.

Et c'est vrai que c'est grave.

**

Dans la rue, personne ne parle, soit trop bourré, soit trop dépassé par le cours des événements. Ewel a pris la parole.

- Si quelqu'un commence à dire au lycée que la mère a quitté le père, vous allez avoir affaire à Tony et moi, menace-t-il d'un ton glaçant.

Tout le monde hoche la tête, très lucide sur ce point. Les menaces ne sont pas à prendre à la légère chez les deux. Les différents groupes d'amis sont partis un à un, nous laissant Judith et moi avec le duo Ewel-Tony sur le trottoir.

Je me suis souvenu alors de mes terribles envies de fumer les samedis soirs des années passées en sentant mes vêtements et me suis convaincu que c'était une très bonne chose d'avoir arrêté.

- Bon... bah... je pense qu'on va y aller, hein Judith ? lancé-je en brisant le silence lourd entre nous quatre.

Les deux garçons m'ont jeté un regard sans expression. Sauf qu'Ewel a répondu à la place de la grande blonde.

- Non, vous deux, vous nous accompagnez manger un kebab. Magalie nous rejoindra, elle vient de m'envoyer un message.

Le ventre de Judith a gargouillé en réponse et on s'est tous mis d'accord sur le choix du meilleur grec ouvert du coin. J'ai trouvé ça bizarre qu'Ewel propose un kebab à ma meilleure amie et moi. Nous n'avons jamais vraiment traîné ensemble et en une soirée, sans avoir réellement discuté, il nous invite à la mêlée.

Tony discute avec Judith, tous les deux derrières. Du coin de l'œil, j'observe un petit couple naître. Peut-être que ça pourrait vraiment le faire tous les deux.

- Dis, débute Ewel en remplissant le blanc qui s'installe entre lui et moi.

- Ouais ?

J'ai arqué un sourcil en attendant sa réponse.

- J'ai pas de tonton connu dans le monde de la chanson. C'est du pipo. Il était coiffeur de stars, mais pas star. Nuance.

Sa révélation a tout de suite allégé la conversation.

- Donc la première L va faire une interview avec un coiffeur de stars ? demandé-je amusé.

Il a ri franchement.

- Peut-être bien.

L'antipathie que j'éprouvais pour l'autre Ewel s'est bizarrement évaporé. Il reste le mec qui m'a rendu invisible aux yeux du monde mais n'est pas si désagréable que ça. En réalité, j'ai toujours été au courant de sa personnalité « cool » mais n'en ai jamais eu démonstration. L'autre Ewel Cohen a toujours été un salaud dans mon cœur et je lui en ai toujours voulu pour une seule et pauvre raison : son prénom.

- Donc toi aussi tu t'appelles Ewel, constaté-je en grimaçant.

Ses traits beaucoup trop réguliers et charmeurs auprès de la gente féminine s'allègent.

- Ouais, comme un gars de ma classe depuis la CP.

Je ne savais pas qu'Ewel Cohen se souvenait de l'Ewel Fevre d'en CP. Surtout que notre maîtresse de CP, Madame Dubouchon, faisait toujours la remarque en faisant l'appel « Oh... Ewel quel joli prénom ! » en s'arrêtant sur le « Ewel Cohen » pour finalement se taire en lisant le « Ewel Fevre ».

Arrivés chez le fournisseur de sandwiches turcs, nous nous sommes tous commandés des kebabs à 5€ et sommes assis sur des banquettes.

Ewel le blond n'a pas touché à son sandwich et s'est concentré sur une discussion par messages avec sa meilleure amie. Tony le brun s'est retrouvé avec des morceaux d'agneau entre les dents. De mon côté, j'ai papoté avec Judith sur la décadence des troisième avant de me sentir supra giga fatigué. Le coup de mou à trois heure du mat', un classique.

Magalie est arrivée une dizaine de minutes plus tard, les yeux rouges et le rouge à lèvres mal remis. Elle n'a pas fière allure. Ewel lui a passé son sandwich qu'elle a dévoré tout en me fusillant du regard. La fille a un réel problème avec moi, c'est particulièrement perturbant.

- Et cette grosse connasse m'a dit que papa était qu'un gros con, aussi con que moi et que c'était normal qu'elle veuille le divorce depuis des années. Elle ne m'a donné aucune vraie raison en particulier et ose me dire que je vais vivre avec elle et ma crétine de sœur ! Moi la vraie raison, je la connais, elle doit sûrement le tromper depuis des années, et elle veut juste du fric après le divorce en plus de sa liberté amoureuse. AAAH je la hais ! Elle veut que je fasse un choix entre mon père et elle, bah c'est vite fait hein ! raconte Magalie énervée en écrabouillant ses frites.

Plus personne au kebab ne parle, trop concentré par ce qu'elle pourrait vouloir dire.

- De toute façon, personne ne me comprend putain ! Vous avez tous des parents parfaits que j'envie merde. Ewel, ferme-la, je sais ce que tu vas dire. Mais non, je n'essaierai pas de la comprendre vu qu'elle n'a jamais essayé de me comprendre moi, poursuit la rousse dans sa tirade mouvementée.

Je me suis servi un peu d'eau et ai écouté patiemment.

- En fait, je ne sais pas vraiment pas ce qui va se passer après ce soir, et j'ai beaucoup trop peur pour y penser, lâche-t-elle finalement, en reniflant d'une voix beaucoup plus vulnérable.

Magalie m'a cramé en train de la fixer et un air agressif s'est installé sur son visage.

- Et toi le bolosse n'aie même pas pitié de moi ! T'es pas en droit ! On n'est même pas pote !

Judith a ouvert sa bouche pour me défendre, mais j'ai ouvert la mienne juste avant.

- Si je peux me permettre, je peux te donner deux trois conseils pour comprendre l'égoïsme.

La rousse s'est moqué de moi, d'un air dédaigneux et Ewel l'a priée de se taire pour m'écouter. J'ai apprécié l'effort mais n'ai pas souri pour autant. Ce que je veux aborder reste délicat. Judith m'a regardé d'un air apeuré. Elle a compris que je vais en parler. Si ça contribue un peu à faire sentir mieux ou aider quelqu'un, tant mieux.

- Quand ma mère a quitté mon père biologique, je croyais que c'était ma faute. C'était y a six ans. En fait, je crois toujours un peu que c'est ma faute. Après tout, c'est ma faute si j'étais là dans l'équation alors qu'elle se faisait frapper par son mari. Elle a jamais voulu divorcer parce qu'elle avait peur pour ma sœur et moi. Elle a jamais voulu être égoïste et toujours croire en notre bonheur plutôt que le sien. Ma sœur est pas au courant, elle croit que mon père a trompé ma mère. Et en soi, c'est pas faux, il l'a trompée plus d'une fois. Je l'ai même vu plusieurs fois, dans son dos. Et j'en ai jamais parlé, parce que je voulais être égoïste et croire en cette vie familiale parfaite. Illusoire et bidon par rapport à la nouvelle avec mon beau-père. Mais ma mère, elle, n'a jamais cédé à l'égoïsme, alors que bah, putain elle en avait tout les droits. Je dis pas que ton père a trompé ou frappé ta mère ! Et j'espère vraiment pas. Mais je veux juste t'expliquer que c'est pas juste une question d'égoïsme simple, et que c'est pas fiable de juger une situation dont on est pas un acteur direct. Retiens juste que si tu veux être égoïste, soit. Mais sois égoïste que quand ça en vaut vraiment la peine, le reste du temps, rentre-toi juste dans le crâne que c'est pas tes affaires et qu'on est pas tous parfait. Sois égoïste pour ton bien, pas quand tu penses, sans recul, que tu dois l'être.

Après mon speech tout pété, je me suis senti beaucoup plus réveillé. Dans le kebab on ne parlait plus. J'ai fini mes frites en silence et tout le monde a simplement hoché la tête.

En sortant du resto, j'ai senti un bras entourer mon bras gauche, comme pour m'escorter. Magalie m'a souri, pour une fois.

- Merci Ewel n°2. T'es pas si chiant que ça.

Je lui ai aisément souri en retour. Elle aussi, n'est pas si méchante que ça.

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